Théorème de Jordan

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En mathématiques, le théorème de Jordan est un théorème de topologie plane attribué à Camille Jordan mais démontré par Oswald Veblen. Il concerne la topologie du complémentaire dans un plan réel affine d'une courbe plane fermée simple, une courbe de Jordan. Il affirme que cette partie est constituée d'exactement deux parties distinctes, deux composantes connexes.

Sommaire

[modifier] Énoncé

Une courbe de Jordan dans un plan affine réel est une courbe fermée simple. Autrement dit, une courbe de Jordan est une application continue et injective d'un cercle vers un plan. Comme le cercle est compact, cette application est un homéomorphisme sur son image.

Une courbe de Jordan peut aussi désigner toute sous-variété topologique (plongée) compacte connexe de dimension 1. De telles sous-variétés sont des images continues injectives du cercle ; autrement dit, pour passer de la première définition à la seconde, il suffit d'oublier le paramétrage.

Le théorème dit de Jordan énonce que toute courbe de Jordan découpe le plan en deux parties : un «dedans» et un «dehors». L'énoncé exact est le suivant :

Théorème de Jordan — Le complémentaire d'une courbe de Jordan S dans un plan affine réel est formé d'exactement deux composantes connexes distinctes, dont l'une est bornée et l'autre non. Toutes deux ont pour frontière la courbe de Jordan S.

Pour tout compact K d'un espace affine réel, il existe une unique composante connexe non bornée du complémentaire de K. En effet, en fixant une structure euclidienne sur ce plan, il est possible d'inclure K dans une boule fermée de rayon suffisamment grand. Son complémentaire est une partie connexe du plan, incluse dans le complémentaire de K, et est un voisinage de l'infini. Ce qui prouve simultanément l'existence et l'unicité. La difficulté du théorème de Jordan est de prouver l'existence d'une unique composante connexe bornée du complémentaire d'une courbe de Jordan.

Plusieurs approches existent :

  • Une preuve utilise la géométrie différentielle élémentaire en construisant un voisinage tubulaire d'une courbe de Jordan. Un tel voisinage autorise de longer la courbe sans la traverser, ce qui peut prouver que parmi trois points du complémentaires, deux peuvent être reliés par un chemin continu.
  • Une autre preuve utilise l'analyse complexe.

[modifier] Histoire

Le théorème de Jordan parait visuellement évident et est conforté par l'expérience. Selon les anthropologues, il est intuitivement connu de certaines civilisations primitives : les Tshokwe utilisent des courbes planes dans leurs dessins pour figurer des histoires orales ; les courbes de Jordan permettent de séparer des ensembles de points représentant les membres d'un clan (intérieur) et les autres (extérieur)[1].

Bernard Bolzano fut le premier mathématicien à tenter une preuve de ce résultat[réf. nécessaire] ; prouvée incorrecte, sa preuve fut suivie par une série d'articles d'autres mathématiciens, dont Camille Jordan à qui est attribué le théorème. Mais ce n'est qu'en 1905 qu'Oswald Veblen fournit la première démonstration satisfaisante[2].

Plusieurs autres démonstrations ont été apportées depuis.

En Janvier 2005, Thomas C. Hales apporta une preuve formelle vérifiable par ordinateur, dans le système HOL Light[3], comportant 60000 lignes de code. Une autre preuve formelle, plus courte, fut apportée en septembre par le projet Mizar. La démonstration comprend près de 6 500 lignes[4].

[modifier] Extensions et approfondissements

[modifier] Le théorème de Jordan-Brouwer

Démontré par L. E. J. Brouwer en 1912, cet énoncé généralise sans hypothèse supplémentaire le théorème de Jordan en dimensions supérieures :

Théorème de Jordan-Brouwer — Soit n un entier (supérieur ou égal à 1) et X une application continue et injective de la sphère Sn de dimension n vers l'espace Rn+1 de dimension n+1. Alors le complémentaire de l'image de X dans l'espace est formé de deux composantes connexes, dont l'une est bornée et l'autre non. Toutes deux ont pour frontière l'image de X.

[modifier] Le théorème de Jordan-Schönflies

Ce théorème démontré par Arthur Schönflies en 1906 complète l'information fournie par le théorème de Jordan, en précisant la topologie des régions délimitées par la courbe. Précisément :

Théorème de Jordan-Schönflies — Soit c une courbe de Jordan, le cercle ensemble de départ de celle-ci étant considéré comme sous-ensemble d'un plan. Alors c peut s'étendre en un homéomorphisme entre le plan contenant le cercle de départ et le plan contenant l'image de c.

[modifier] Le théorème de Schönflies généralisé

Cherchant à étendre le théorème de Schönflies en dimensions supérieures, le topologue J. W. Alexander découvre en 1924 un contre-exemple inattendu en dimension 3 : la sphère à cornes d'Alexander (une illustration de cet étonnant objet est disponible ici). Le théorème de Jordan-Schönflies ne se généralise donc pas en dimensions supérieures, et il peut même arriver qu'un ensemble homéomorphe à une sphère dans R³ limite un ouvert borné dont la topologie est sensiblement plus compliquée que celle d'une boule.

Il n'est tout de même pas impossible de généraliser le théorème de Schönflies en dimensions supérieures, à condition de faire une hypothèse supplémentaire de régularité sur le plongement considéré de la sphère Sn, mais il faudra attendre sensiblement plus longtemps pour que cela soit démontré. Le théorème de Schönflies généralisé, démontré par Morton Brown et Barry Mazur en 1960, étend le théorème de Jordan-Schönflies en dimension quelconque, sous une hypothèse technique sur l'homéomorphisme X qui sera remplie notamment si on suppose que l'image de la sphère est une variété différentiable ou PL (linéaire par morceaux).

[modifier] Références

[modifier] Notes et références

  1. Marcia Ascher, Mathématiques d'ailleurs, Nombres, Formes et Jeux traditionnels, Éditions du Seuil, 1998 ; p. 55.
  2. O. Veblen, Theory on plane curves in non-metrical analysis situs, Trans. Amer. Math. Soc. 6 (1905) 83-98
  3. Thomas C. Hales, the Jordan curve theorem, formally and informally, Amer. Math. Monthly 114 (2007) 882-894
  4. MIZAR formalization of the Jordan curve theorem, [1]