Nathan Katz

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Nathan Katz (1892-1981) était un poète, écrivain et traducteur juif alsacien, attaché à la tradition alsacienne régionale.

Sommaire

[modifier] Biographie

Nathan Katz est né le 24 décembre 1892 à Waldighoffen dans la maison d'angle qui abrite de nos jours le Restaurant "Au Lion d'Or". À cette époque son père n'avait pas encore construit la boucherie de l'autre côté de la rue. Ce fut dans cette nouvelle maison que le jeune Nathan Katz passa toute sa jeunesse. Il fréquenta l'école primaire et dès qu'il sut lire, il dévora avec passion les brochures sur les aventures des Indiens et les exploits de Buffalo-Bill qui jouissaient à cette époque d'un immense succès auprès de la jeunesse. S'inquiétant de l'influence néfaste que ces récits d'actes de violence pouvaient exercer sur le garçon, sa maman confia ses craintes à la sœur du curé qui soumit le problème au vieux chargé d'âmes de la paroisse. Le dimanche suivant, du haut de la chaire, le curé déversa les foudres du ciel sur ce genre de littérature. Nathan, pris de honte, orienta ses lectures vers de grands classiques. L'œuvre théâtrale de Schiller et plus particulièrement Geschichte der Weltliteratur émerveillèrent le jeune Nathan que la soif de savoir poussa à acquérir, chaque fois que ses économies le lui permettaient, un nouveau chef-d'œuvre de cette littérature universelle. Il entra à l'usine "Les Fils d'Emanuel Lang" comme jeune employé à l'âge de quinze ans. Durant ses loisirs il essayait de composer ses premiers vers, et les portait à la rédaction du "Mülhauser Tagblatt".

Vint la Première Guerre mondiale. Dès le mois d'août 1914 Nathan Katz fut blessé au bras droit. Il fut admis à l'hôpital de l'université de Tübingen où l'intervention efficace du célèbre chirurgien Albrecht lui évita la paralysie de ce membre. Après sa convalescence, il fut affecté à un détachement de la Croix-Rouge établit dans un bâtiment de l'Université de Fribourg-en-Brisgau. Il profitait de ses moments de liberté pour suivre les cours du professeur Witkopp, spécialiste de la littérature alémanique.

Rappelé sur le front de l'Est, il fut fait prisonnier par les Russes à Nijni Novgorod. Il rencontra dans le camp de prisonniers de guerre d'autres Alsaciens et notamment Antoine Koch de Waldighoffen. C'est là, dans une baraque en bois, en juin 1915, qu'il composa les poèmes de son premier recueil Das Galgenstüblein (La chambrette de la potence) publié en 1920. Nathan Katz voulait prouver qu'il était possible, dans le vieux dialecte alsacien, tel qu'il est encore parlé par les habitants du Sundgau, de trouver des termes d'une poésie touchante, pour exprimer les sentiments des âmes nobles. Il créa "Annele Balthasar", pièce dramatique en quatre actes. Depuis longtemps, il avait envie d'écrire un assez long poème épique: le chant de l'amour et de la mort de la belle et innocente Annele Balthasar et de son fiancé Doni. Il a parfaitement réussi et comme nul autre avant lui, il a chanté le beau Sundgau, en proclamant sa profession de foi en la bonté et la charité, plus fort que la mort.

En 1930, il publie le recueil de poésies "Sundgaü" puis la même année encore un recueil de poésies et de contes intitulé "Die Stunde des Wunders". Les critiques littéraires dans la revue "Elsassland" jugèrent le recueil "Sundgau" en termes élogieux: "Tout ce qui fait la grandeur, la force et la particularité de cette région rayonne de l'œuvre du poète Nathan Katz. Sa puissance créatrice lui a inspiré une interprétation grandiose de tout ce que le Sundgau comporte de charme et de maturité, d'intimité et de contemplatif : Nathan Katz relève les caractéristiques spécifiques de cette atmosphère dans la forme et la couleur la plus pure condensée, la plus pure, la plus transparente; il modèle le visage et l'âme de son pays natal comme seul peut le faire un poète sincère et un homme foncièrement bon, avec un amour filial et un profond respect".

"Sundgau" se classe incontestablement parmi ce qu'on trouve de meilleur dans le domaine du lyrisme dialectal en Alsace; il mériterait de figurer parmi les rares poèmes artistiquement valables de tout le territoire d'expression alémanique.

Travaillant pour le compte d'une grande firme d'alimentation, il parcourait tous les pays de l'Europe occidentale et partout il avait des amis. Grâce à ses relations, il aida souvent les jeunes artistes en difficulté.

Après la déclaration de la guerre en 1939, il dut quitter sa terre natale pour fuir l'envahisseur. Il s'établit dans le Limousin jusqu'à la libération puis revint pour s'installer à Mulhouse. Il y occupait le poste de bibliothécaire de la bibliothèque municipale.

A la fête de la Libération de Waldighoffen, c'est lui qui rendit l'hommage aux morts. Le général De Lattre de Tassigny, très touché par les paroles du poète, le fit appeler pour le féliciter et devant les généraux il lui dit : "Avec les armes j'ai fait mon devoir pour la France, maintenant la Patrie a besoin d'hommes comme vous, aidez-moi". Malgré la haine encore bien vivante envers les oppresseurs, le poète a trouvé les paroles de bonté, de paix et de concorde.

En 1957, après sa retraite, il classa ses nombreux poèmes, en utilisa d'autres déjà parus dans son recueil "Sundgaü" (épuisé depuis de longues années) et en prépara la réédition sous le titre "Sundgaü! O loos da Rüaf dur d'Garte" (Oh Sundgau ! Écoute cet appel à travers les jardins) publié en décembre 1958.

L'œuvre littéraire a trouvé son couronnement par sa nomination comme membre titulaire de l'Académie d'Alsace . En 1966, le "Oberrheinische Kulturpreis" lui fut décerné par la "Johann-Wolfgang von Goethe-Stiftung".

Nathan Katz a toujours été le poète du Sundgau, ses poésies respirent l'odeur du terroir. Toujours stimulé par un attrait irrésistible pour les beautés de la nature sundgauvienne, il chante ses coutumes, ses légendes, sa joie de vivre. Pour Nathan Katz, le dialecte alsacien, dont les racines sont puisées dans l'alémanique, est plus vieux que la langue allemande. Tous ses poèmes, il les écrit non dans le dialecte, mais dans la langue alémanique. Le poète s'est toujours efforcé de donner à cette langue ses lettres de noblesse. Il est convaincu cependant qu'on peut également s'exprimer entièrement dans le dialecte alsacien et, pour le prouver, il traduit dans ce dialecte les poèmes de Péguy, Mistral, Poe, Burns, Guillevic, Shakespeare et autres. En cherchant les mots adéquats, il fournit la preuve irréfutable de la richesse et de la variété du vocabulaire sundgauvien.

Nathan Katz s'est éteint dans la paix et la sérénité à Mulhouse le 12 janvier 1981.

[modifier] Œuvres

[modifier] Analyse des œuvres de Nathan Katz

Nathan Katz : poésie et spiritualité

Par Yolande Siebert et Gérard Pfister Conférence donnée au FEC le 7 mars 2002 Résumée par Christine MULLER

Poète alsacien de langue alémanique, Nathan Katz a été un des rares à avoir franchi le Haut-Rhin. Sorte de référence, de mythe, il intègre l’héritage spirituel de l’Alsace. L’originalité et la force du poète résident dans sa métaphysique et sa spiritualité, dans sa profondeur philosophique. Yolande Siebert, maître de conférences à l’université Marc Bloch, a publié en 2001 l’œuvre poétique du fameux barde sundgauvien dans une nouvelle édition bilingue. Elle exalte la qualité rare, la profondeur du texte qui dépasse de loin la poésie régionale dialectale. Peut-on aujourd’hui parler de prise de conscience dans la richesse et la culture dialectale ou est-on sur la voie de la régression ? s’interroge-t-elle. Gérard Pfister, second intervenant de cette veillée, poète et éditeur des œuvres de Nathan Katz, a fondé Artfueren sa propre maison d’édition en 1975, laquelle publie des poètes importants d’Alsace et d’ailleurs. L’originalité de sa production tient à un subtil mariage de poésie et de spiritualité.

[modifier] Yolande Siebert : ne pas faire l’impasse sur la spiritualité

La réédition en 2001 d’un premier tome des œuvres de Nathan Katz a rendu accessible un auteur important pour le patrimoine dialectal. Ces textes émanent d’un poète qui a créé sa propre langue, qui a fait d’un petit terroir, le Sundgau, sa patrie littéraire, et l’a propulsé à l’école des écrivains classiques du monde entier. Cet apparent paradoxe introduit au cœur du débat de ce soir. Aujourd’hui, Nathan Katz, c’est d’abord redécouvrir des paysages d’antan et un univers paysan qui s’attache à recréer des choses disparues ou menacées. On ne saurait sous-estimer dans l’économie de l’œuvre l’importance qu’ont en elles-mêmes ces évocations des jardins, des saisons, des maisons, des fêtes, des travaux des hommes. Elles cristallisent pour le poète la vérité et la beauté d’un pays à nul autre pareil. Où qu’il se trouve, en effet, ce poète d’abord voyageur de commerce pour l’industrie textile en France, en Europe et au-delà, est partout hanté par le Sundgau, qu’il se trouve sur la Volga, au Tyrol, en Provence ou en Afrique du Nord. Mais par-delà ce premier niveau, le lecteur nourri de Katz adopte l’auteur en compagnon de vie, moins maître à penser édictant des préceptes et donnant des leçons, que grand frère spirituel dont la poésie fixe les repères, renverse des montagnes, fait briller des phares. L’œuvre de Nathan Katz fait toujours plus que chanter ce Sundgau que l’éloignement lui fait transcender, lui conférant cette sereine distance qui la différencie tant d’une poésie du terroir. Il entretient avec son coin d’Alsace une relation quasi-mystique dont les réalités se chargent de résonances religieuses et spirituelles. La poésie de Nathan Katz comporte une vision exigeante de l’existence humaine et reflète la vie universelle. Les paysages familiers forment au-delà d’eux-mêmes le cadre quasi-permanent d’une interrogation sur les problèmes du mal, de la mort, de la nature, de la vie, de Dieu, de l’amour. Le Sundgau de Katz est un pays heureux où se profile une fêlure, béante ou invisible, mais omniprésente.

[modifier] Le mal

In der Musik des zahrten Blühens, dieser traurige Akkord, constatait-il dès 1930, dans Die Stunde des Wunders (p.32). Cette fêlure, c’est l’existence du mal auxmanifestations tantôt brutales, tantôt sournoises, fêlure que le printemps dissimule sous ses marées de fleurs mais qui ne saurait guérir car elle se trouve dans le cœur des hommes. À cet égard, l’un des textes les plus significatifs est Friejohr im Sundgäu. Avril fait son entrée au village qu’il submerge, au point que toute mort semble abolie. Sur trois pages, tout reverdit, tout vit. Pourtant, le dernier paragraphe déploie une violente antithèse, moins une fausse note qu’un contrepoint. En rappelant que non loin, la haine et la guerre continuent de sévir : Qui croirait que derrière ces collines se tapit un monde de jalousie et de guerre, de malheur et d’avidité ! Qu’il y a des hommes qui vivent dans l’envie et la méchanceté… Il y a trop de lumière et de splendeur sur ce pays, le ciel est trop bleu sur ce jardin somptueux. Qui pourrait croire qu’il puisse encore y avoir de la place dans les âmes pour la haine et la petitesse ?(traduction de J-Paul de Dadelsen). Cette même opposition se retrouve dans les poèmes. Par exemple, au début de la seconde partie du recueil dans D’r Tod un’s Labe (la mort et la vie), Su, p.128. Là haut, dans les millions de brins d’herbes, dans les branches qui ploient, partout, vie et mort. Sans insister sur la culpabilité des humains, si ce n’est subtilement, en qualifiant la mort de ces défunts de « bees » (mauvaise). « Bees » prenant ici une valeur mystique et signifiant quelque chose comme « maléfique ». Il est rare que l’expression revête une forme didactique. Que l’action se situe au temps des procès de sorcellerie ou dans un village de notre temps, l’héroïne est la victime de procès aux conséquences funestes. Tous les personnages de Katz sont les proies du mal. Même s’ils ne sont pas toujours acculés à la mort. Des espiègleries de gamin rapportées à l’instituteur par des camarades aux guerres entre nations, le poète déploie une échelle complète de défaillances de la nature humaine où le monde oublie sa vocation d’amour. Pour Katz, le mal n’est pas circonstanciel, mais inhérent à l’existence. En expliquant implicitement la condition humaine à travers une sorte de péché originel, en soulignant l’incapacité de l’homme à éradiquer le mal en lui, il pose la question de la cohérence de sa pensée. Ni la mort, ni la nature, deux thèmes majeurs de son inspiration, ne sont ressentis à la manière d’autres écrivains pessimistes tel Pascal ou Vigny, l’un et l’autre familiers à Katz. Nulle angoisse devant la mort, envisagée comme un repos dans la terre maternelle. Nulle angoisse devant l’abîme des infinis où l’homme se trouve perdu. Nature, vie et mort sont indissociablement liés chez lui dans une conception panthéiste de l’univers. Le panthéisme du poète est-il conciliable avec l’existence du mal, si le mal est de nature ontologique ? L’affirmation d’un dieu qui se confond avec la nature et se manifeste dans le cycle ininterrompu vie-mort-renaissance, est un leitmotiv de l’œuvre.

[modifier] Panthéisme et religions révélées

Il y a dans cette coexistence de Dieu et du mal moins une contradiction qu’une déchirure conduisant au plus secret de la spiritualité de Nathan Katz. Dieu est partout, sauf dans le cœur des hommes. Un pessimisme sans issue pourrait résulter de ce constat, puisque la splendeur des jardins n’est qu’une apparence, puisque l’éternel retour des saisons n’éradique aucunement le mal fondamental. Le Nathan Katz nihiliste oppose parfois le Carpe diem, jusque dans le même poème. S’élèvent aussi des accents quasi-épicuriens : brièveté de la vie, éternité de la mort. L’attitude spirituelle du panthéisme constitue par conséquent une clé infaillible pour l’ensemble de l’œuvre. Reste aussi la réponse du poète, ou son absence, aux solutions des religions révélées. Nulle part dans l’œuvre littéraire, il ne prend une position claire ; si ce n’est pour rejeter tout dogmatisme, de quelque église qu’il vienne. Les choix les plus fermes se rencontrent cependant dans les pages non publiées des années 1920. Là, selon Katz, la religion est par essence unificatrice, sublime. Mais, quand elle se fait dogmatisme, elle engendre le mal. Ce thème fait l’objet d’un long développement dans un manuscrit inédit de 1928/29, Die grosse Sehnsucht der Rose Levy. Dieu est étranger aux rites et aux coutumes cultuelles, affirme Nathan Katz. Il n’y donc pas de « préféré » dans le royaume de Dieu, PDF Creator - PDF4Free v2.0 http://www.pdf4free.com insiste le poète. Dieu ne se satisfait pas des divers cultes à son nom et ne se laisse pas réduire à des rites qui ne sont que des institutions humaines.

[modifier] Le Christ, frère de combat

A quatre ou cinq reprises dans l’œuvre publiée, Nathan Katz évoque aussi le Christ, vision blanche qui prêche sur la montagne l’Evangile des béatitudes rejeté par les hommes. Meurtres, haines, ténèbres, voilà l’histoire de l’humanité soi-disant civilisée. Le désespoir du poète éclate dans ses dialogues avec Christ. Dans un poème du Sundgau, c’est un Christ affligé par le constat du mal qui erre, solitaire et abandonné, dans les rues de nos cités :

Les cloches sonnent Noël… Je t’écoute en silence, Seigneur, Marcher à travers la nuit. Pauvre, blême, Tu vas par les rues, Le cœur plein de pitié, Dans la neige et la tempête. Des milliers d’hommes souffrent, Tu le sais. Des milliers d’hommes meurent, Par la cupidité et la guerre, Tu le sais. Dans le monde entier, La haine, la misère, tu le sais. Tu marches, Seigneur, Abandonné de tous, A travers la nuit.

« Verlosse n irrsch herr Jesis, dusse dur d’Nacht ». Ce Christ trop humain doit beaucoup à celui de Renan, dont La vie de Jésus était un livre de chevet du poète. C’est chez Renan que Katz a trouvé l’idée d’une religion du cœur, dédaignant les dévotions, dégagée de tout formalisme, comme le poème ci-dessus en fournit l’illustration. Jésus condamne les vaines pratiques, les codes, les préceptes. Katz ne pouvait qu’être séduit par une religion sans pratique, sans temple, sans prêtre, par l’idée que le royaume de Dieu était le Bien ; tout un chacun peut apporter sa pierre à l’édifice, selon ses capacités d’aimer. Ce Jésus révolutionnaire qui voulait rénover moralement le monde, cet homme sublime a eu des biographes médiocres déformant son image, a estimé Renan.

[modifier] Spiritualité orientale

Nathan Katz se fait l’écho de cette vision des choses dans son opuscule Das Galgenstüblein, écrit dans un camp de prisonniers, avec la potence dressée sous la fenêtre de sa cellule. Pourtant, l’image récurrente du Christ souffrant qui hante Nathan Katz des années plus tard dans ses poèmes sundgauviens s’apaise dans celle de Bouddha, maître de sérénité, autre sagesse dont Katz s’est pénétré. Comme le sage oriental, il cherche à découvrir la réalité qui se cache derrière les apparences. Sa philosophie s’esquisse dans le sous-titre donné à Das Galgenstüblein : « Ein Kampf um die Lebensfreude. » Voilà que la potence est sublimée par la volonté de celui qui la regarde avec les yeux du cœur. Nathan Katz veut conserver l’esprit libre jusqu’en prison car personne ne peut l’empêcher de regarder la lumière qui danse sur les murs. Le poète déploie dans ces textes sa conception bouddhiste de l’existence : profiter de l’instant, goûter à la saveur de chaque jour qui passe, ne rien laisser perdre de chaque moment que la vie nous offre. La volonté de triompher de soi-même de Katz est d’inspiration goethéenne. Le Faust figure parmi les livres qui ont forgé la spiritualité du poète, au-delà de toute orthodoxie. Même si les poèmes alémaniques des années suivantes s’éloignent du vécu autobiographique, le refus d’une théologie eschatologique et dogmatique demeure.

[modifier] Le poète et l’amour

Vingt ans plus tard, Nathan Katz se montre plus affirmatif : selon lui, la mort n’existe pas, la vie est éternelle. La réponse à la survie est donnée sous une autre forme que celle du dogme : c’est l’amour, absolu enraciné chez Katz, impératif catégorique de sa philosophie qui le conduit à sa conception panthéiste. Il est impossible, à la fois d’aimer puis de mourir. L’amour est le moteur de ce cycle vital ininterrompu dans lequel Dieu se donne dans la nature. La connotation amoureuse caractérise beaucoup de poèmes nocturnes. Dieu instaure et bénit cette sainte nuit d’amour. La dimension religieuse de l’amour qui transcende les amants : pour les personnages de Katz, la révélation de l’amour est comparable à un chemin de Damas. Les connotations religieuses en amour sont récurrentes dans l’œuvre de Katz. La bien-aimée est une sainte et l’amant plie le genou devant elle. Le poète la voit siégeant auprès du trône de Dieu. Aimer, c’est faire œuvre sainte, écrit-il dans le poème d’heilige Hochzitsnacht . Mais la mystique de l’amour ne se limite pas aux relations entre deux êtres et à leur communion avec Dieu. L’amour est aussi charité, c’est-à-dire humanité qui s’exprime d’abord dans la fraternité entre individus comme entre nations. À ce titre, il est le levier de l’Âge d’Or, hélas toujours à venir. L’amour entre les hommes ferait du village un paradis, dit le poète dans Annele Balthasar. Le thème du salut par la femme est universel. Katz s’est-t-il souvenu de sa lecture du Banquet de Platon où la quête des âmes sœurs, séparées à la naissance retrouvent dans la rencontre leur unité originelle ? Dans le poème Ewigi Liebi, la résonance platonicienne est sensible jusque dans le détail de l’expression. Pour Katz, l’amour d’un couple est la participation commune à l’aventure de la vie universelle et à Dieu.

[modifier] L’engagement à l’envers.

La seconde conséquence du postulat de l’amour conduit Katz à l’action. Contre vents et marées, il affirmera toujours un pacifisme sans concessions. Cette guerre à la guerre par la poésie est l’une des puissantes utopies qui rayonnent dans l’œuvre. Katz n’est pourtant pas un poète engagé. Nullement partisan, il s’interdit d’évoquer ce qui divise, une sorte d’engagement à l’envers. S’abstenir de ce qui divise, mais aussi célébrer ce qui unit. Le poète s’est tenu à ce programme sans se faire donneur de leçons, toujours du côté des victimes, comme dans ces lignes inédites, écrites après la première Guerre mondiale : J’ai vu des heures durant des femmes allemandes devant les casernes dans l’attente d’un reste de soupe. J’ai vu des femmes russes se jeter par terre en sanglotant, lorsque est parvenue l’annonce de la mort de leur mari. J’ai vu des femmes françaises à demi folles de douleur ; partout le malheur, un malheur sans fin. En cela, Katz rejoint un autre grand pacifiste de l’époque, Kurt Tucholsky, ouKäthe Kollwitz ou encore Jean Jaurès et leur commun « jamais plus, nie wieder ! » Les poèmes de Katz, quelques années plus tard sont moins didactiques ; ils n’en sont pas moins imprégnés de l’idéal de fraternité de Schiller, de non-violence de Gandhi, de pacifisme du Chinois Tu-Fu ou de tolérance de Rabindrânàth Tagore. Un héritage illustré a contrario par l’histoire de l’Alsace, terre toujours ensanglantée. Les poèmes de Nathan Katz consacrés à la guerre et à ses ravages, le thème des morts à la guerre, à la fois victimes et coupables, fantômes errant sans repos, ne relèvent pas seulement d’un romantisme littéraire. Ils témoignent et agissent. La voix du poète, si apte à capter et à reproduire les accents mystérieux de la nature se fait alors plus dure. Suppliante et grondante, aussi, avec des accents pathétiques empruntés aux morts du charnier : Pourquoi nous a-t-il fallu mourir si jeunes ? Dieu, pourquoi ? Frères, pourquoi ? Tous disent une seule et même chose : que cesse enfin la violence. Et si cette voix prêche dans le vide, comme Katz en fait quelquefois le constat pessimiste, elle n’en perd pas sa justification. L’attitude du poète est comparable à celle d’un pari pascalien : Si la paix est impossible et l’amour une illusion, j’ai néanmoins raison de parier sur la paix et sur l’amour, parce que c’est la seule façon de vivre dignement. Katz refusera toujours de désespérer. Au risque de les schématiser, il n’était pas illégitime de conceptualiser les grands thèmes qui appartiennent au répertoire des mystiques. L’ensemble de l’œuvre, poésie, théâtre, contes, souvenirs, en alémanique comme en allemand frappe par la permanence de certains sujets.Même de facture lyrique, les œuvres restent mystiques. Audelà du visible, du sensible, Nathan Katz suggère la vie secrète et ineffable des gens et des choses.

[modifier] Gérard Pfister : pourquoi éditer Nathan Katz et la poésie ?

Chacun des poèmes de Nathan Katz fait passer quelque chose d’impalpable, d’extrêmement précieux qui est au-delà de ce que l’on peut formaliser. Poèmes panthéistes, certes, mystiques aussi, mais la préciosité de Katz réside dans le prix inappréciable de la poésie, l’espace dans lequel les choses sont dites. Dans le fond, ces choses sont vues dans un autre espace, celui de Dieu. D’où découle l’extraordinaire simplicité de Katz, qui n’est pas un poète de la sophistication littéraire, ni celui des proclamations idéologiques ou esthétiques. Il préfère plus d’intimité, de simplicité, une émotion vibrante. L’appel vers le fond marque son écriture. J’ai immédiatement été très sensible à cela.

Pour comprendre le rapport entre poésie et spiritualité, il faut se demander pourquoi les spirituels écrivent des poèmes et pourquoi la poésie entretient un lien avec la spiritualité, de nature silencieuse. Pour nos contemporains, la poésie est la chose la plus futile et la plus inutile qui soit, alors que le confort matériel, les outils de communications sont privilégiés. Il serait au contraire important de prouver que la poésie a affaire avec les choses fondamentales de notre existence humaine ; la spiritualité n’est rien sans l’expression privilégiée de la poésie. Les plus grands spirituels, tel François d’Assise et Jean de la Croix ont été parmi les plus grands poètes, à l’égal d’un Dante. Nos plus grands poètes contemporains sont, eux aussi, inspirés par une expérience spirituelle, innommée. Yves Bonnefoy, par exemple possède une écriture indissociable d’une expérience spirituelle. Il s’agit d’un rapport intense et paradoxal : les formalistes du verbe réduiraient volontiers le côté poétique de notre langage. Mais la poésie reste verbe, parole, réalité secrète et cachée qui émerge, à l’image de Katz ou de Maître Eckart. Le poème est une ascèse de la langue. Nous existons à travers les mots. Le travail du poète consiste à décanter, raréfier et préciser les mots et de penser au-delà des mots. La poésie est une ascèse du langage et de la sensibilité. Le grand poème commence lorsque se fait une naissance, un passage dans un autre espace-temps.Mais gardons-nous des confusions : le poète se sent très proche du spirituel ; il s’en nourrit mais sans s’y immerger complètement. Sans quoi il ne pourrait plus écrire. Il reste l’homme du seuil qui contemple la spiritualité en spectateur et s’en inspire, contrairement au spirituel qui lui, entre dans l’union où le silence se fait. Les spirituels poètes ont entrepris un travail en connaissant les limites de cet exercice. Leurs expériences mystiques, elles, se passent de paroles, d’articulé, de mots.

Mon travail d’éditeur s’inspire de la mystique rhénane, source vive de la poésie et de la spiritualité. Citons à ce titre Maître Eckart : Les gens me disent souvent « priez pour moi ». Je ne puis jamais m’empêcher de penser : pourquoi sortez-vous ? Pourquoi ne restez-vous pas en vous-mêmes, et ne puisez-vous pas dans votre propre bien ? Pourtant, vous portez essentiellement en vous toute la vérité. Puissions-nous ainsi rester vraiment au-dedans de nous-mêmes.

C’est là un programme ambitieux mais c’est ainsi que je conçois la publication des textes spirituels. Et c’est ainsi que nos contemporains les attendent. Il ne s’agit pas d’imposer un catéchisme, ni de fournir des idéologies curieuses et bizarres. Il s’agit d’abord de les inviter à entrer en eux-mêmes, ce dont ils sont empêchés dans le monde d’aujourd’hui. Un petit livre peut interroger et susciter l’appétit de savoir des lecteurs paresseux, rebutés par des ouvrages trop volumineux. Essayons donc de faire des livres qui profitent au lecteur, chose difficile, je l’admets.

Dans ma collection de parutions, je publie des ouvrages spirituels du monde entier mais je veux aussi faire découvrir la richesse de la littérature spirituelle française. Pourquoi ne connaissons-nous pas les admirables textes du XVIIe siècle français et au-delà ? Pourquoi ignorons-nous Bérulle, Sainte Jeanne de Chantal, Marie de l’Incarnation ? Le régime laïque des provinces, hors de l’Alsace du Concordat, a beaucoup fait, je crois, pour exclure la littérature religieuse des écoles. Cela me semble aussi aberrant que de supprimer la peinture religieuse au Louvre. J’essaye donc, de mon côté, de réintégrer la superbe littérature religieuse dans la culture d’aujourd’hui. Il me plaît de publier des textes spirituels mais aussi des livres plus agnostiques où la spiritualité n’est pas absente. Je ne choisis pas les ouvrages selon des étiquettes, religieuses ou autres. À cet égard, j’ai fait paraître le dernier recueil de poèmes de François Cheng, relié à la grande tradition taoïste. Il se sentait très proche de la spiritualité rhénane. Dans mon entreprise, j’ai le bonheur d’échapper à des clivages absurdes, si courants par ailleurs. Je privilégie les voix de poètes singulières, pures, débarrassées des parasites du conformisme ambiant. Il me plaît autant de faire paraître les textes d’un poète canadien que ceux d’une dame qui a écrit cent conversations différentes sur les… pivoines. Cet éclectisme m’enchante. Pour terminer, je voudrais vous parler d’une publication à venir : l’œuvre volumineuse d’une dominicaine, Marie de la Trinité, missionnaire des campagnes, décédée en 1980, ayant écrit dix mille pages dans le seul secret de son confesseur. Je suis ravi de publier un texte spirituel de cette qualité, exprimé dans une aussi belle langue. Y. S / G.P

[modifier] Le Prix de Littérature Nathan Katz

Le Prix de Littérature Nathan Katz a été créé en 2004 à l’initiative du Ministère de la Culture sur un projet défini en collaboration avec les Éditions Arfuyen. Le Prix est animé et géré de manière indépendante et bénévole par l’Association Capitale Européenne des Littératures (ACEL).

Le nom du poète, écrivain et traducteur Nathan Katz (1892-1981) a été choisi pour symboliser tout à la fois le souci d’enracinement dans la tradition régionale allié à un esprit de très large ouverture sur les autres cultures. Il rend hommage à une œuvre de haute qualité, principalement écrite en alémanique mais aussi en français et en allemand, et à une personnalité de haute exigence qui s'impose comme l'une des plus importantes de la littérature alsacienne du XXe siècle.

Je voudrais partir, partir par les champs,

Je voudrais courir par tous les chemins,

Passer tous les monts, passer tous les bois,

Voir tous les pays étrangers.

Et ce n’est que par toi, ce n’est que pour toi

Que mon cœur est si jeune, oui si jeune, soudain,

Rien que t’avoir vu.

Nathan Katz, Sundgau (1930). Trad. Jean-Paul de Dadelsen.

Trois prix sont attribués chaque année par le Jury du Prix de Littérature Nathan Katz :

[modifier] Le Prix européen de Littérature

Il distingue, pour l’ensemble de son œuvre, un poète ou prosateur européen de stature internationale, afin de témoigner, en un lieu hautement symbolique, du désir d’unité comme de l’enracinement culturel de l’Europe d’aujourd’hui ; afin d’exprimer aussi l’urgence d’une meilleure connaissance mutuelle des cultures vivantes de nos pays à travers les grandes figures qui en sont les vivants symboles. Ce Prix distingue également un traducteur qui contribue à la rencontre entre les grandes œuvres littéraires contemporaines. Le Prix Européen de Littérature est placé sous le parrainage de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg. Prix 2006 : Antonio Gamoneda (Espagne),traduit de l’espagnol par Jacques Ancet.

[modifier] Le Prix de Littérature Nathan Katz

Il distingue pour l'ensemble de son œuvre, un poète ou prosateur francophone de premier plan dont le parcours est particulièrement remarquable par l'originalité et la qualité de son écriture et par la vigueur et l’amplitude de sa vision. Le Prix de Littérature Natha, Katz est placé sous le parrainage de le DRAC Alsace et du Crédit mutuel. Prix 2005, Jean Mambrino, Prix 2006, Henri Meschonnic. Prix 2007, Marcel Moreau. Prix 2008, Bernard Vargaftig.

[modifier] Le Prix du Patrimoine Nathan Katz

Il distingue une œuvre du patrimoine littéraire alsacien, du Moyen Âge à nos jours, écrite en dialecte ou en allemand et encore peu ou pas traduite en français, afin de témoigner de la richesse exceptionnelle d’une culture profondément marquée par le dialogue des langues et des cultures et de l’urgence de surmonter les clivages liés à l’histoire du XXe siècle. Ce Prix distingue également un traducteur grâce à qui peuvent sortir de l’oubli des œuvres majeures et aujourd’hui encore porteuses d’avenir. Le Prix du Patrimoine Nathan Katz est placé sous le parrainage de l’Office pour la Langue et la Culture d’Alsace (OLCA). Prix 2005 : Jean Hans Arp, traduit de l’allemand par Aimée Bleikasten. Prix 2006 : Albert et Adolphe Matthis, traduits du strasbourgeois par Gaston Jung.

Le jury du prix de littérature Nathan Katz est placé sous la présidence d'honneur de Claude Vigée. Il est composé d’écrivains, de traducteurs, d'universitaires et de responsables culturels : Jean-Louis Droz, Adrien Finck, Vladimir Fišera, Jacques Goorma, Isabelle Baladine Howald, Gaston Jung, Pascal Maillard, Armand Peter, Gérard Pfister, Chantal Robillard, Paul Schwartz, Jean-Paul Sorg, Anne-Marie Soulier, Albert Strickler, Marc Syren et Jean-Claude Walter.

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