Nègre (littérature)

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Un nègre est l'auteur anonyme d'un texte signé par une autre personne, souvent célèbre. L'emploi assuré de ce sens métaphorique du mot date du XIXe siècle et implique une connotation négative liée à l'exploitation abusive du travail d'un collaborateur. Aujourd'hui, la connotation raciste s'est accentuée et le mot « nègre » est souvent utilisé avec des guillemets ou remplacé par la locution « nègre littéraire ».

Sommaire

[modifier] Origine du mot

Le mot « nègre », dérivé de l'adjectif latin niger (« noir »), désigne par métonymie l'homme à la peau noire, l'Africain d'origine subsaharienne. Le mot « nègre » est aujourd'hui chargé de connotations négatives et pour cela remplacé par « noir » (voire « black »), sauf raisons particulières comme une revendication identitaire par exemple.

En relation avec la situation sociale des esclaves déportés par la traite des Noirs dans le monde occidental à partir du XVIe siècle, et par extension, le mot « nègre » désigne dès le XVIIe siècle un homme que l'on fait travailler très durement et sans respect, le plus souvent dans les champs ou comme domestique (voir Littré [1]).

C'est de cette fonction servile dans laquelle l'exploité n'a droit à aucune reconnaissance que viendra par analogie, au XVIIIe siècle, le sens d'auxiliaire qui effectue le travail d'un commanditaire qui s'en attribue le profit. Le Trésor de la langue française ([2]) donne la définition suivante « personne anonyme qui rédige pour une personnalité, qui compose les ouvrages d'un auteur connu » avec des citations du XXe siècle (Georges Duhamel 1945, Tharaud 1937, le dictionnaire Le Robert donne quant à lui 1757 pour la première occurrence de ce sens, sans indiquer chez quel auteur ou dans quelle œuvre. On a alors la définition moderne d'une pratique très ancienne, associée par exemple pour Alexandre Dumas père qu'illustre le mot prêté à son fils : «Dumas? Un mulâtre qui a des nègres.». C'est d'ailleurs Eugène de Mirecourt qui a vraiment lancé le terme dans son pamphlet sur Dumas en 1845.

Le mot « nègre » avec ce sens figuré n'apparaît pas dans le Dictionnaire universel de Pierre Boiste (1812), ni dans le Littré de 1872, ni dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (p 903 tome 11). Le dictionnaire de l'Académie en 1932 ([3]) se limite à un sens restrictif avec la définition suivante : « Il se dit, en langage d'atelier, d'un Auxiliaire qu'on emploie pour préparer un travail, pour en exécuter la partie en quelque sorte mécanique. »

Le mot « nègre » dérange aujourd'hui à cause de sa connotation raciste que l'on ne retrouve pas en anglais où l'on utilise "ghostwriter", « écrivain fantôme ». On l'emploie ainsi souvent entre guillemets ou accompagné de l'adjectif « littéraire » et on a proposé des substitutions comme écrivain privé, ou écrivain sous-traitant, rewriter ..., mais leur emploi n'est pas vraiment établi. Certains préfèrent des euphémismes comme "collaborateur" ou documentaliste".

Dans le domaine politique, on parle de « plume » pour celui qui écrit les discours, voire les les livres d'une personnalité. Ces plumes sont plus ou moins avouées ; parfois elles ne rédigent que des brouillons qui sont parachevés par l'homme en responsabilité. Citons comme exemples Emmanuel Berl pour certains discours de Philippe Pétain en 1940 ([4]), Erik Orsenna pour François Mitterrand, et pour la période actuelle Henri Guaino, collaborateur de Nicolas Sarkozy ([5].

Remarque : le terme de nègre est inapproprié quand il s'agit d'écriture sous pseudonymes comme pour Balzac, Maupassant, Octave Mirbeau ou Romain Gary : il s'agit en effet de masque et non d'exploitation.

[modifier] La pratique du « négriat littéraire »

[modifier] Exemples historiques

Par définition, les nègres littéraires sont des écrivains fantômes mais la rumeur en prête à beaucoup d'auteurs célèbres et les spécialistes cherchent à les démontrer. On attribue ainsi à Pierre Corneille la paternité de certaines œuvres de Molière (voir Paternité des œuvres de Molière), comme on a soupçonné Shakespeare de n'être pas l'auteur de tout son théâtre (voir 2.2 « Collaboration avec d’autres dramaturges » dans l'article Shakespeare de WP).

On discute aussi la part de Paul Arène dans certaines œuvres d'Alphonse Daudet comme Les Lettres de mon moulin (voir 4.1 « Plagiat, nègres et œuvres de collaboration » dans l'article Daudet de WP). Le cas le plus célèbre est cependant Alexandre Dumas père et Auguste Maquet est le plus connu des de ses nègres : il rédigeait une première mouture à partir de ses recherches historiques ensuite celle-ci était réécrite par Alexandre Dumas qui ajoutait son style romanesque. Certaines parties ont été cependant reprises sans aucune modification. Sa collaboration a été très importante pour Les Trois Mousquetaires, Le comte de Monte-Cristo ou Vingt Ans après.

Eugène de Mirecourt est également resté dans les annales pour ses démêlés avec Dumas. Il a dénoncé dans son pamphlet Fabrique de Romans : Maison Alexandre Dumas & Cie (1845) le fait que l'œuvre de Dumas était écrite par d'autres. Dumas a porté plainte et Eugène de Mirecourt a été condamné à quinze jours de prison et à une amende. ([6])

Les spécialistes relèvent aussi les noms de Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Octave Feuillet, Jules Janin, Eugène Sue, Anicet Bourgeois, Paul Bocage, Paul Meurice parmi les écrivains fantômes de celui qu'Eugène de Mirecourt désignait comme " Le premier homme de couleur a avoir des nègres blancs ". ([7])

On cite bien d'autres nègres littéraires devenus eux-mêmes célèbres comme Howard Phillips Lovecraft qui a prêté sa plume à diverses œuvres de science-fiction.

[modifier] Pratique aujourd'hui

L'utilisation d'un « nègre littéraire » est de mise pour les autobiographies ou les récits de personnes célèbres comme les artistes, les sportifs ou les individus apparus dans la chronique des faits divers (comme Christine Deviers-Joncour qui signe La putain de la république auquel a collaboré Claude Ribbe [8]).

La suspicion est également fréquente à propos des auteurs prolifiques qui ont en même temps de lourdes activités publiques connues ([9]). C'est également le cas pour ceux qui utilisent le travail de recherche effectué sous leur direction pour des mémoires ou des thèses et qui s'approprient ce travail sans toujours mentionner son origine. Des révélations apparaissent d'ailleurs régulièrement avec des aveux qui lèvent une partie du secret comme avec Dan Franck ou Patrick Rambaud. Dans son enquête du Magazine des Livres n°5 - juillet/août 2007, Anne-Sophie Demonchy avance même que 20% des livres d'aujourd'hui sont écrits par des nègres [([10]).

Cette collaboration est cependant de plus en plus affichée comme celle de Max Gallo pour Au nom de tous les miens, signé par Martin Gray en 1971, ou, pour prendre un autre exemple tout récent, la publication posthume de Mémoire cavalière de Philippe Noiret avec l'intervention d'Antoine de Meaux dont le nom figure sur la page de garde, mais cependant pas sur la couverture.

Quant à la rémunération, selon Marc Autret un nègre littéraire est payé 10 à 30€ la page plus un pourcentage secret sur les ventes. Quand il n'y a pas de pourcentage les « honoraires » sont de l'ordre de 75 à 100 € la page [11].

Une autre méthode est de payer par les mots - un livre typique est environ 50 000 mots. Par exemple, les écrivains fantômes à « Ghostwriters Ink » demandent entre 12 000$ et 28 000$ (8 000 à 19 000€) pour écrire un livre de cette longueur, sans un pourcentage des ventes[12].

Par ailleurs, les dernières années ont vu apparaître des professionnels qui s'intitulent « écrivains privés » ou « artisans rédacteurs » et qui proposent leur service au grand public : ils se chargent selon les désirs du client, de correction d'œuvres, de réécriture partielle ou totale, et aussi de rédaction complète à partir d'un matériau fourni. ([13])

[modifier] Le nègre comme personnage de roman ou de film

Le personnage du nègre est devenu un type littéraire, ce qui s'explique par l'expérience intime de certains écrivains qui ont écrit pour des autres pour des raisons financières mais aussi par le rapport trouble qui s'installe entre les deux personnes concernées. La manipulation n'étant pas à sens unique dans un certain nombre de cas et pouvant déboucher sur le drame. Le thème permet également une satire du monde de l'édition et aussi le comique fondé sur le quiproquo, c'est particulièrement vrai au cinéma.

Quelques titres :

  • Les Nègres du traducteur de Claude Bleton [14]
  • Vocation nègre, anonyme (éditions Labor, 2004) ([15])
  • Je vous aime de Catherine Siguret ([16])
  • Double Je de Jean-Marie Catonné [17]
  • Le Nègre amoureux de l’Ecrivain de Frédéric Vignale
  • Plume de nègre de Hervé Prudon
  • La Machine à écrire, de Bruno Tessarech qui ouvre son roman par cette définition : "le métier de nègre consiste à donner des idées aux cons et à fournir un style aux impuissants." [18]
  • L'homme de l'ombre de Robert Harris
  • Mensonges et trahisons et plus si affinités..., film de Laurent Tirard
  • C'est pas moi, c'est lui, film de Pierre Richard
  • Roman de gare, film de Claude Lelouch

[modifier] Sources et Liens externes

[modifier] Voir aussi