Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable est un roman de Romain Gary paru en 1975.

[modifier] Résumé

Le personnage de Jacques Rainier est un homme d'affaire puissant que la puissance s'apprête à quitter. Le monologue intérieur du personnage divague entre déclin du monde, déclin de ses affaires, déclin sexuel, déclin de sa vie conjuguale. Un fantasme va prendre corps dans un homme jeune, espagnol, pauvre, fort, fragile, idéal, que Rainier va utiliser comme générateur de libido. Dans le texte, c'est l'écriture qui sert à la fois de révélateur et de frein aux angoisses. Par son détournement du tragique du monde et du langage en un monologue de la relation amoureuse, c'est comme si la chute de l'empire tentait, en voulant se redresser et en se trouvant dérisoire, qu'un couple se rapproche, pour mettre un début à ce qui se termine.

La Tour de Pise ne se redressera plus jamais. Pas plus que la virilité de Jacques Rainier, qui atteint l'âge où le déclin de la prostate entraîne le déclin du monde, ou l'inverse, à moins qu'aucun rapport n'existe... Pas si sûr, le narrateur nous fait douter, nous fait danser sur la corde du connu et de l'inconnu. Connu de la petite phrase, inconnu du sens sous-entendu propre à chacun, et que nous partageons petit à petit, page après page. Jusqu'à ce que l'étrangeté de la phrase nous devienne plus familière qu'elle ne le sera jamais au personnage de Laura, amante jeune et brésilienne, aux prises avec ces détours si masculins, tandis que son vieil amant peine à comprendre une logique brésilienne dont le langage franbrasilien est tout aussi touffu d'images mystérieuses, de traductions erronnées, de poésie spontanée, que celui de Rainier.

La locution à double tranchant du titre est le début d'une lecture surprenante par ses détournements de lieux communs. Ce sont les larmes plein les poings serrés de rire que les idiomatismes quotidiens de Gary transforment en pierres blanches la vie des personnages, pour mieux ponctuer notre voyage au pays de la métaphore. Ce ticket de l'écriture et du plaisir de lire reste valable au-delà de toute limite, car il n'y a aucun abus.

Les personnages semblent éloigner de nous un sens qui pourrait être plus clair, avec leur manière de substituer des mots, de les inverser, de faire glisser ce que nous connaissons trop loin de nous. Pourtant, par cette opération même, leur langage se rapproche au point de se confondre avec nous : nous devons interpréter ces propos plein de secrets, pour en faire nos propres secrets. Comme dans La Vie devant soi, d'Ajar alias Gary, où le monde est vu par, montrer par les mots de, il n'y a pas meilleure façon de voir le monde que par les mots des autres : c'est l'essence même de la littérature, de la lecture, de l'écriture. Le travail sur la langue de Gary est bouleversant. Chaque personnage est une source poétique. Et pourtant c'est un roman. Franchie la limite de la dernière page, notre vision antérieure du monde n'est plus valable.