Discuter:Yves Nat

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Il est en tout cas certain que la mémoire d'un tel interprète mérite un hommage; voici celui d'un mélomane anonyme :

"La première fois où j'entendis une interprétation d'Yves Nat, je devais avoir treize ou quatorze ans; à cette époque - en 73 ou 74 - l'émission "La tribune des critiques de disques" faisait les belles heures classiques de la radio. Le principe en était simple, et consistait en comparaisons d'interprétations d'une oeuvre classique, grâce à de larges extraits, qui étaient ensuite commentés par les critiques invités. Ce jour là, l'oeuvre choisie était le 5ème concerto pour piano de Beethoven. Je croyais bien le connaître, pour l'avoir entendu sous les doigts de divers grands interprètes. Mais la façon dont il était rendu par Yves Nat était autre. Il rejoignait certaines des meilleures interprétations, et les transcendait toutes; c'était comme si l'on entrait dans une grotte souterraine éclairée comme en plein jour après l'avoir visitée à la lumière d'un flambeau. Du grandiose, on en était presque venu au surhumain. Je me souviens que M. Goléa - grand critique de musique classique s'il en fut - avait porté aux nues cette interprétation, alors qu'il était habituellement assez avare d'éloges. A propos d'Yves Nat, il avait eu cette simple phrase, qui me reste encore dans l'oreille, plus de 30 ans après : "C'était un lion." Je ne saurais mieux dire."

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Déplacé par H2O 7 janvier 2007 à 08:55 (CET)

Yves Nat est sans aucun doute le plus attachant des pianistes de sa génération. Ce musicien à la sensibilité à fleur de peau respirait l’humilité dans le tourment. Franc et tendre à la fois, Nat était un pianiste en proie au doute qui évoluait entre présence et absence. Frappé du syndrome de disparition en 1934, il décidait au faîte de sa notoriété de quitter la scène pendant 17 ans. « Désormais, je n’aurai plus besoin de tourner », avait-il avoué. Trop de concerts, trop d’épreuves dues au trac qui le paralysait et trop de voyages en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, eurent raison de son métier de pianiste soliste. Sa nouvelle façon d’exister devait passer par l’enseignement et la composition. Son implication en tant que professeur au Conservatoire fut exceptionnelle. Avec un dévouement sans fin, il transmit à ses élèves l’art de s’effacer devant la musique. « S’oublier totalement afin que l’oeuvre se resouvienne », demandait le maître. Il renchérissait avec intransigeance : «Une interprétation idéale présuppose un oubli total de la personne au bénéfice de l’oeuvre. » Cet engagement sans ambages posait une problématique de nature schizophrénique. Avec Nat, la notion de présence de l’interprète acquérait un nouveau sens. « Toujours à l’étroit dans la vie », disait de lui sa femme Elise. Il avait une telle considération de la musique qu’il lui fallait repousser les frontières et franchir les bornes du lieu commun et de la facilité. Yves Nat guerroyait dans la vie comme dans une croisade. « Tout pour la musique et rien pour le piano » était son credo. Mais son orthodoxie n’était pas faite pour la composition. Meurtri par l’incertitude et la douleur, Nat renvoyait le plus souvent ses écrits à la poubelle lorsqu’il n’en faisait pas un autodafé. Il possédait pourtant un don pour la composition depuis sa tendre enfance. C’est même par la composition que sa carrière avait commencé lorsqu’à onze ans à peine il avait dirigé devant Fauré et Saint-Saëns sa « Fantaisie pour Orchestre ». Mais avec les années, sa quête d’absolu musical l’empêcha de devenir le Chabrier de son époque ou de reprendre le flambeau de son ami Déodat de Severac. Dix années de travail pour des « sommets de douleurs », telle fut la gestation de son poème symphonique intitulé « l’Enfer ». Composé pour choeur et orchestre, avec plus de deux cents exécutants en tout, cette oeuvre dantesque fut créée pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1942. L’accueil du public fut poli, mais tous les fanatiques de Nat qui étaient dans la salle auraient préféré l’entendre à son piano. Il lui fallut dix autres années de labeur et d’autocensure pour aboutir à son « Concerto pour piano », oeuvre modale en quatre mouvements. Le jour de la création, Nat était au piano, un mieux pour son public. Mais il fallait se rendre à l’évidence : seul le pianiste existait et était acclamé. A tel point qu’en 1953, il y eut un récital au Théâtre des Champs-Elysées plein à craquer. Ses inconditionnels qui l’avaient tant ovationné dans les années vingt, retrouvèrent enfin leur idole. Beethoven, Schumann et la Sonate funèbre de Chopin s’inscrivaient à son programme. À soixante-trois ans, Nat fit de ce récital le couronnement de sa carrière. Trois ans plus tard, il mourut à Paris le 31 août 1956.