Théorie de l'alliance

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La théorie de l'alliance (ou théorie générale de l'échange) est le nom donné en France à la méthode structurale d'étude des relations de parenté. Elle a été exposée pour la première fois par Claude Lévi-Strauss dans son ouvrage Les structures élémentaires de la parenté, paru en 1949. Dans ce domaine particulier des études des relations de parenté, elle s'oppose à la théorie fonctionnaliste défendue entre autres par Radcliffe-Brown

Sommaire

[modifier] Contexte historique et scientifique

La théorie de l'alliance constitue le fondement du structuralisme en anthropologie, qui a orienté la majeure partie des travaux ethnologiques français jusque dans les années 1980. En effet, si ce courant de pensée fut initié dans le champ de la linguistique en 1916, c'est en publiant sa thèse sur les structures élémentaires de la parenté que Claude Lévi-strauss l'a remis au goût du jour dans les années 1950. Dès lors, une grande partie du champ scientifique français fut portée par son essor jusque dans les années 1980. En effet, ni la psychologie, ni la philosophie n'ont pu échapper à sa puissante influence.

La théorie de l'alliance proprement dite fut élaborée à partir de l'étude ethnographique de sociétés extra-européennes, où se manifestaient des relations étroites entre consanguinité et affinité. Ces deux institutions tantôt complémentaires et tantôt opposées, donnaient lieux à une classification de l'univers social par les règles matrimoniales. Dans ce cadre est apparue l'hypothèse du "mariage-alliance", mettant l'accent sur l'inévitable interdépendance des différentes familles, différents lignages. C'est finalement une forme de communication que nous donnent à voir des anthropologies comme Lévi-strauss, Louis Dumont ou Rodney Needham.

En définitive, on comprendra bien la puissance d'une telle théorie pour la discipline anthropologique, dont l'objet est justement l'étude des relations entre individus, qui constituent ce qu'on appelle la société. D'ailleurs il faut noter que ce n'est pas un essouflement qui mit fin au structuralisme en anthropologie, mais bien plus le poids des critiques qui lui ont été apportées.

[modifier] La théorie

[modifier] La prohibition de l'inceste : échange et réciprocité

La théorie a comme fondement la prohibition de l'inceste : principe selon lequel, au sein d'une société donnée, un parent ou une catégorie de parents est pour un individu interdit au mariage. Pour le dire autrement, c'est une prescription négative relative au mariage (je ne peux pas me marier avec tel ou tel de mes parents), dont les diverses formes d'exogamie sont les aspects sociaux.

«  La prohibition de l'usage sexuel de la fille ou de la sœur contraint à la donner en mariage à un autre homme, et, en même temps, elle crée un droit sur la fille ou sur la sœur de cet autre homme. Ainsi, toutes les stipulations négatives de la prohibition ont-elles une contrepartie positive. La défense équivaut à une obligation : et la renonciation ouvre la voie à une revendication.  »

Lévi-Strauss, Les strucures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton, 1967, 2e édition, p.60

L'idée est celle d'un échange réciproque au fondement de l'alliance matrimoniale. La femme qu'on "se refuse" est "offerte", en sachant qu'en contrepartie il m'en sera rendu une autre, directement ou indirectement. Ce phénomène global prend donc la forme d'une circulation des femmes qui lie différents groupes sociaux en un ensemble unique : la société.

On remarquera que Lévi-Strauss décrit presque toujours une circulation des femmes au centre des "alliances", qui fédèrent donc les hommes entre eux. C'est une logique patriarcale répandue dans presque toutes les sociétés humaines : c'est à dire des régimes politiques où toute femme est transformée en bien échangeable puis en outil de travail. C'est ainsi que les hommes peuvent "donner" ou "prendre", "se refuser" ou "s'offrir" une femme car à la base les femmes ont un statut social qui les réduit à la chose ou à l'outil possédable. Ce lien primordial est celui d'apprrpriation que décrit Colette Guillaumin dans "Sexe Race et pratique du pouvoir", un rapport d'appropriation individuelle et collective des femmes comme bien solvable (dot), outil (exploitation et servage) et comme outil de reproduction (des hommes entre eux). Cette appropriation est matérielle au sens où elle dégage un travail considérable (en France, l'exploitation domestique des femmes atteint 47 % du PIB) et elle s'applique physiquement (coups, viols collectifs rituels, excisions et mutilations, menaces permanentes) et mentalement (médiatisation de la conscience). Ces différentes sphères de l'appropriation ont été décrites par Nicole Claude Mathieu dans "L'anatomie politique" et la logique de l'économie domestique dont bénéficient les hommes en tant que classe de nantis a été décrite par Christine Delphy dans "L'économie politique du patriarcat" et "penser le genre". Les structures élémentaires de la parenté formulent de manière dépolitisante une des formes les plus brutales d'esclavage et d'appropriation totale des individus par d'autres. Paola Tabet dans "La construction sociale de l'inégalité des sexes" montre en quoi consiste ces alliances viriles au détriment des femmes.

[modifier] Structures élémentaires et structures complexes

Selon, la théorie de l'alliance il y existe deux modèles différents de structures d'échange des femmes :

  • soit les femmes de mon groupe sont données à un groupe explicitement défini par les institutions. On parle ici de structures élémentaires.
  • soit la collecivité des conjoints possibles pour les femmes de mon groupe est indéterminé et toujours ouvert, à l'exclusion cependant de certains proches, comme c'est le cas dans la société occidentale. On parle ici de structure complexe.

[modifier] Le mariage prescriptif des structures élémentaires

Dans les sociétés à structure de parenté élémentaire, le mariage d'un individu est défini comme étant soit un conjoint appartenant à un groupe donné (tel ou tel clan, lignages), soit un parent déterminé (la fille du frère de la mère, ou la fille de la sœur du père par exemple) : l'exogamie y est donc explicite.

C'est donc au sein des structures élémentaires que l'on trouve les « mariages de cousins croisés » ou les « classes de cousins prescrits ». On y distingue cependant deux types d' échanges des femmes :

  • l'échange restreint où un groupe (A) va donner une femme au groupe (B), qui lui en rendra une autre immédiatement, c’est-à-dire sans attendre la génération suivante. Cet échange est dit symétrique, direct, et simultané. C'est le cas du mariage bilatéral.
  • l'échange généralisé où un groupe (A) va donner au groupe (B) qui va donner au groupe (C) qui va donner à son tour au groupe (A) ; sachant que les participants peuvent être variables, leur nombre quelconque, l'essentiel étant que chacun soit finalement aussi bien donneur que receveur. Cet échange est lui par contre différé, car la boucle peut ne se fermer qu'après plusieurs générations d'échange. Ce mariage « en cercle » est dit différé, asymétrique, direct ou indirect. C'est le cas des mariages patrilatéraux et des mariages matrilatéraux.

[modifier] Le mariage « libre » des structures complexes

Dans les société à structure complexe, le choix du conjoint pour un individu est dit « libre » (mais ce n'est pas toujours l'individu concerné qui jouit de cette liberté, et si c'est le cas il existe toujours diverses formes de déterminismes sociaux, économiques, politiques, religieux qui entrent en jeu), à l'exception toute fois d'un certain nombre de parents prohibés. L'exogamie est donc ici prescrite de façon implicite.

[modifier] L'atome de parenté

Une représentation graphique de l'atome de parenté
Une représentation graphique de l'atome de parenté

[modifier] Les apports postérieurs à cette théorie structurale

[modifier] Apports de Louis Dumont

Dans ses deux ouvrages concernant les études de la parenté (1971, 1975), Louis Dumont rapporte la mise en pratique des analyses de Claude Lévi-Strauss sur les structures élémentaires de la parenté, sur son terrain en Inde. Il montre que dans ces sociétés fondées sur le principe de castes, cette théorie structuraliste prend tout son sens : notamment au niveau local.

Il est un de ces auteurs qui a le premier critiqué les traductions littérales des termes de parenté, en avançant que tous n'ont pas d'équivalent d'une culture à l'autre. Par exemple, ce que l'on entend par frère dans la culture occidentale, peut avoir un sens bien différent ailleurs : par exemple désigner l'ensemble des individus masculins de la génération d'Ego, du coté du père ou de la mère.

Enfin, il a apporté une attention particulière à la notion de consanguinité. Il relève que tous les individus d'un groupe ne sont pas nécessairement biologiquement consanguins, mais qu'ils se considèrent comme tels. Louis Dumont travaille alors sur ces rapports qui lient consanguinité terminologique et filiation.

[modifier] Apports de Françoise Héritier

[modifier] Apports de Rodney Needham

[modifier] Critiques

[modifier] La critique féministe

Les féministes matérialistes ont démontré essentiellement deux choses entre autres. les sociétés décrites majoritairement par les anthropologues sont des patriarcats (à l'exception des Zapothèques du Mexique qui semble être un authentique matriarcat, contrairement aux faux matriarcats d'Afrique) et les patriarcats ne sont pas des organisations naturelles des humains mais des régimes politiques à visée matérielle, à savoir l'assujettissement d'un groupe par un autre dans un rapport de servage voire d'esclavage, en l'occurence organisé par la mise au travail gratuit des femmes de la famille ou du clan à tous les travaux possibles (la division du travail n'a pas pour principe la répartition des tâches selon la difficulté de celles-ci mais selon la propriété de l'unité de production et des outils et armes performants - ceux-ci revenant toujours aux hommes qui contrôlent ainsi la survie économique des femmes. Le patriarcat en tant qu'organisation politique et matérielle des sociétés ne s'arrête pas, comme le nuage de Tchernobyl, aux portes de l'Europe, et moins encore de la France. Les anthropologues, dont Lévi-Strauss, vivent dans un patriarcat (le Code Napoléon en est une des formulations les plus dures, reprises en ce moment même par quelques pays arabes)et reconduisent donc des réflexes patraircaux, c'est à dire des rationalisations qui effacent le bénéfice masculin à l'oppression des femmes. L'anthropologie, comme tout savoir, est enjeu de pouvoir et, étant produit par une certaine société (dont l'enjeu propre de pouvoir est entre autre patraircal), produit un discours qui sert le patriarcat : il n'est jamais fait mention en termes clairs des sévices, tortures rituelles, de l'exploitation massive, de l'esclavage des femmes par les hommes dans les descriptions "scientifiques". Pire, certains anthropologues assistent à des viols collectifs ou à des tabassages acceptés par la société non seulement sans intervenir mais surtout en reconduisant par leurs "analyses" les raisons compréhensibles des hommes dans cet acharnement esclavagiste. Les exemples donnés par Paola Tabet dans "La construction sociale de l'inégalité des sexes" sont édifiants.

En tant que discours patraircal, l'anthropologie classique opère un monopole et une confiscation viriliste de l'analyse des sociétés et des liens de parenté. La "circulation des femmes" par exemple n'a d'autre raison d'exister que pour épargner une masse considérable de travaux aux hommes de la famille et d'assurer à tout homme le libre accès à une sexualité et à une descendance mâle. Cette infiltration idéologique doit être expurgée de l'anthropologie par une critique féministe, pour que ce savoir prétende à la neutralité scientifique dont elle se targue.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Références bibliographiques

  • DUMONT Louis, 1971 ,Introduction à deux théories d'anthropologie. Groupe de filiation et alliance de mariage, Paris-La Haye : Mouton.
  • —, 1975, Dravidien et Kariera. L'alliance de mariage dans l'Inde du Sud et en Australie, Paris-La Haye : Mouton.
  • LÉVI-STRAUSS Claude, Les structures élémentaires de la parenté, 1947.
  • Delphy (Christine), L’ennemi principal 1, l’économie politique du patriarcat, 1998, Paris : Editions Syllepse, coll. « Nouvelles Questions Féministes ».
  • DELPHY(Christine), L’ennemi principal 2, penser le genre, 2001, Paris : Editions Syllepse, coll. « Nouvelles Questions Féministes ».
  • GUILLAUMIN (Collette), Sexe Race et Pratique du pouvoir. L’idée de nature, 1992, Paris : Côté femme, coll. «  Recherche ».
  • GUILLAUMIN (Colette), L’idéologie raciste, genèse et langage actuel, 2002, Paris, Ed. Gallimard, coll. Folio essais.
  • MACKINNON Le féminisme irréductible, discours sur la vie et la loi
  • MATHIEU (Nicole-Claude), L’anatomie politique : catégorisations et idéologies du sexe, 1991, Paris : Côté femme, coll. «  Recherche ».
  • MATHIEU(Nicole Claude), L’arraisonnement des femmes, essais en anthropologie des sexes, 1985, édition de l’EHESS, (textes réunis par)
  • TABET(Paola), La construction sociale de l’inégalité des sexes. Des outils et des corps, 1998, Paris : l’Harmattan, coll. «  Bibliothèque du féminisme ».
  • TABET(Paola),La grande arnaque, sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paris : L’ Harmattan, coll. « Bibliothèque du féminisme ».

[modifier] Articles connexes