Taux de chômage n'accélérant pas l’inflation

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le taux de chômage n'accélérant pas l’inflation (en anglais : Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment ou NAIRU) est une estimation, pour un pays et à un instant donné, du taux de chômage minimum qui puisse s'accompagner d'une inflation stable. Le terme a été inventé par James Tobin, sur la base de recherches menées par Franco Modigliani et Lucas Papademos. Le NAIRU est couramment utilisé par de nombreux pays de l'OCDE dans le cadre de leur politique monétaire.

Sommaire

[modifier] Description

Le concept a été inventé en 1975 sous le nom de NIRU (non-inflationary rate of unemployment, taux de chômage non inflationiste) par les économistes Franco Modigliani et Lucas Papademos, afin de fournir une base théorique aux constatations empiriques résumées par la courbe de Phillips. Dans ce modèle, l'inflation provient d'une demande globale excessive, provenant d'un marché du travail tendu, ce qui pousse les salaires à la hausse, et oblige les entreprises à augmenter leurs prix afin de couvrir ces hausses. Le NAIRU est le seuil du taux de chômage qui provoque cette tension ; lorsque le taux de chômage est durablement supérieur au NAIRU, l'inflation tend à diminuer. En 1980, James Tobin souligne la nature divergente de l'évolution de l'inflation en-dessous de ce seuil, et propose la formulation NAIRU pour en rendre compte.

Le NAIRU constitue une réponse keynésienne au concept monétariste de chômage naturel introduit par Milton Friedman. En effet, pour les monétaristes, la courbe de Phillips à long terme est verticale : la demande globale n'influe pas sur le chômage, et il existe un taux de chômage naturel (U* sur la figure) vers lequel tend l'économie. Ce taux est indépendant du taux d'inflation, et toute politique monétaire est futile : elle n'agit que sur l'inflation sans modifier le chômage. Modigliani et Papademos réinterprêtent le taux de chômage naturel comme un seuil :

  • si le taux de chômage U est inférieur au taux de chômage naturel U*, l'inflation tend à augmenter ;
  • s'il est supérieur, elle tend à diminuer ;
  • s'il est voisin, elle reste constante.

[modifier] Calcul

Sous sa forme la plus simple, la relation inflation-chômage s'exprime ainsi :

\pi - \pi_{-1} = a (U - U^*) \,

π est l'inflation pour la période actuelle, π − 1 est l'inflation pour la période précédente, a est une constante négative.

En observant l'inflation et le taux de chômage pour trois périodes 0, 1, 2, on obtient :

\pi_2 - \pi_1 = a (U_2 - U^*) \,
\pi_1 - \pi_0 = a (U_1 - U^*) \,

ce qui donne alors :

U^* = \frac{(\pi_1-\pi_0)U_2 - (\pi_2-\pi_1)U_1}{2 \pi_1 - (\pi_2 + \pi_0)}

En pratique, les mesures à court terme sont faussées par de nombreux autres facteurs, et on utilise des filtres tels que le filtre de Hodrick-Prescott pour atténuer ces facteurs de « bruit ». On obtient ainsi une estimation de U*, qui est une moyenne glissante.

[modifier] Implications

Il est alors toujours possible de mettre en place une politique monétaire pour « piloter » le compromis inflation-chômage à court terme, ce qui valide l'approche keynésienne de la politique monétaire, et le NAIRU indique les limites pratiques d'une telle politique. Ainsi, toute tentative de faire tomber le taux de chômage sous ce seuil par une simple politique conjoncturelle serait vaine et ne parviendrait, à moyen terme, qu'à faire augmenter le taux d'inflation. Les économistes anglo-saxons utilisent parfois l'expression « pousser sur une ficelle » ("pushing on a string") pour décrire une telle situation. Le NAIRU ne signifie pas qu'il est structurellement impossible de faire passer le chômage en dessous de ce taux ; il ne fait qu'indiquer a priori l'efficacité (ou l'inutilité) des seules relances conjoncturelles, et souligne donc la nécessité de réformes économiques structurelles lorsqu'il est élevé.

Bien que les termes NAIRU et « taux de chômage naturel » traduisent des analyses opposées du marché du travail, ils sont parfois utilisés comme synonymes, même dans la littérature économique.

[modifier] Estimations du NAIRU pour quelques pays

L'OCDE et le FMI publient régulièrement des estimations du NAIRU pour la plupart des pays développés.

Pays 1980 1999
Allemagne 3,3% 6,9%
États-Unis 6,1% 5,2%
France 5,8% 9,5%
Japon 1,9% 4,0%
Zone euro 5,5% 8,8%
Source : OCDE[1]

Pour la France en 1999, l'OCDE estimait le NAIRU à environ 9,5 %. Il ne s'agit pas d'une recommandation, mais d'une estimation : ainsi, cela ne signifie pas que l'OCDE conseillait à la France de maintenir le chômage à au moins 9,5% sous peine de créer de l'inflation en raison d'une hausse des salaires, mais simplement que selon l'OCDE, la structure socio-économique de la France impliquait inévitablement un fort chômage.

[modifier] Critiques

Le NAIRU a été critiqué dès sa première publication, en premier lieu par les monétaristes qui le considèrent comme un contre-sens sur la notion de chômage naturel. Son assise théorique est fragile, et comme il n'est pas observable directement (à la différence du taux de chômage) son estimation est sujette à caution. La montée, inexpliquée a priori, du NAIRU dans les années 1980 en Europe a conduit à des modèles plus complexes du marché du travail, dont les modèles à hystérèse d'Olivier Blanchard.

D'autres critiques proviennent de son application normative : en proposant un arbitrage entre inflation et chômage, il sert de caution aux gouvernements qui ont fait de la lutte contre l'inflation leur priorité révélée ; ceux-ci peuvent laisser croire qu'il leur est impossible de lutter contre le chômage sans laisser filer l'inflation.

Les politiques monétaires systématiquement anti-inflationistes des grandes banques centrales européennes, et de la BCE depuis 1999, ont ainsi été dénoncées par Franco Modigliani lui-même : « Le chômage est principalement […] le résultat de politiques macroéconomiques erronées inspirées par une crainte obsessionnelle de l’inflation […] et une attitude considérant le chômage comme quantité négligeable[2]. »

Joseph Stiglitz, dans son livre Quand le capitalisme perd la tête, dans lequel il passe en revue les échecs et les réussites de l'administration Clinton, à laquelle il a participé, affirme le caractère dépassé de l'utilisation du NAIRU. Selon lui, il est clair que cet indice n'est plus pertinent pour déterminer le lien entre chômage et inflation, et que la foi en ce lien a pour effet d'empêcher les gouvernements de mettre en œuvre des politiques orientées vers l'emploi. En effet, la Banque Centrale d'un pays étant indépendante du gouvernement, et une de leur mission - si ce n'est la principale, comme c'est le cas pour la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) - étant de veiller à la stabilité des prix, toute politique budgétaire expansionniste mise en œuvre par un gouvernement sera contrée par une politique monétaire restrictive en augmentant les taux d'intérêt et donc le coût de l'emprunt.

De nombreux mouvements politiques, dont les altermondialistes, soutiennent que le NAIRU serait un moyen de faire pression sur les salaires[3],[4]. Le maintien d'un taux de chômage permanent aurait donc pour effet de limiter, voir de diminuer les revendications salariales. Cette idée d'un chômage permanent comme moyen de coercition des travailleurs est ancienne et bien antérieure à l'idéologie que sous-tend le NAIRU[5].

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes et références

  1. Revised OECD Measures of Structural Unemployment, OCDE, 2000
  2. Modigliani, Franco (2000). “Europe’s Economic Problems”, Carpe Oeconomiam Papers in Economics, 3rd Monetary and Finance Lecture, Freiburg, 6 avril 2000
  3. Le NAIRU
  4. [1]
  5. Marx (dans Le Capital) disait des chômeurs qu'ils étaient l'« armée de réserve », et voyait une corrélation entre l'augmentation de leur nombre et la paupérisation. Le dirigeant syndical Henri Krasucki avait résumé : « Il n'y a pas de moyen de coercition plus violent des employeurs contre les employés que le chômage ». Cité par Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Le Monde diplomatique, novembre 2001, page 2. http://www.monde-diplomatique.fr/2001/11/BEAUD/15764

[modifier] Liens externes