Tara (bouddhisme)

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Tara verte, à Kumbum, Gyantse, Tibet, 1993
Tara verte, à Kumbum, Gyantse, Tibet, 1993

Tārā (sanskrit ; devanagari : तार) ou Ārya Tārā (arya : noble), Jetsun Dolma en tibétain, est une bodhisattva très populaire aussi bien auprès des laïcs que des moines dans le bouddhisme tibétain. Son nom signifie Libératrice, mais aussi Étoile, et Celle qui fait passer - à l'autre rive - à l'instar de Bouddha [1]. Tārā est une déité tantrique visualisée et méditée par les pratiquants du bouddhisme Vajrayāna pour développer de certaines qualités intérieures, et comprendre les enseignements extérieurs, intérieurs et secrets de la compassion et de la sagesse en tant que compréhension de la vacuité. Elle peut, comme toutes déités tantriques, être révérée comme yidam, c'est-à-dire déité de méditation. Elle présente des points communs aux dakinis, mais elle s'en démarque en ce qu'elle est la principale figure féminine du Bouddha. Ainsi, pour la yogini Machik Labdrön, Ārya Tārā est la manifestation en un corps de félicité (sambhogakāya) de Yum Chenmo, la grande mère primordiale (dharmakāya) [2].

Selon Tārānātha, elle était dans un monde du passé une princesse appelée Jnanachandra (sanskrit), « lune de sagesse » (tibétain : Yeshe Dawa). Ayant durant plusieurs kalpas fait des offrandes au bouddha de ce monde, Dundubh Ishvara (tib. Tonyo Drupa), « seigneur du son du tambour », elle développa l'esprit d'éveil (souhait de devenir un Bouddha pour venir en aide à tous les êtres, bodhicitta) et devint ainsi un bodhisattva, tout en décidant de conserver sa forme féminine au long de ses incarnations succèssives jusqu'à atteindre l'état de Bouddha.[3]

Soulignant cet aspect, lors d'une conférence "Compassionate Action" en Californie en 1989, le 14e Dalaï Lama a déclaré :[4]

« Il y a un vrai mouvement féministe dans le bouddhisme qui est relié à la déité Tārā. Suivant son culte de la bodhicitta, la motivation du bodhisattva, elle a observé la situation des êtres s'efforçant d'atteindre le plein éveil et elle remarqua que peu de personnes atteignaient l'état de Bouddha en tant que femme. Aussi, Tārā s'est fait une promesse (elle s'est dit à elle-même) : « J'ai développé la bodhicitta en tant que femme. Pour toutes mes vies le long du chemin, je jure de renaitre en tant que femme, et dans ma dernière vie, quand j'atteindrai l'état de Bouddha, là aussi, je serai une femme. » »

Tārā est aussi considéré comme une forme féminine d’Avalokiteshvara, liée comme lui au Bouddha Amitabha. De façon poétique, la légende la fait naitre d'une larme de compassion d'Avalokiteshvara, ou encore d’un rayon sorti de ses yeux.

Sommaire

[modifier] Formes et mantra

Les formes ou émanations de Tara, en majorité paisibles mais parfois courroucées, sont multiples, chacune ayant des fonctions et des attributs qui lui sont propres. Gosh Devendra Hegde en a recensé 76 et on lui connaît 108 noms. les Taras sont souvent regroupées en séries de 21, de composition variable selon les écoles. Les principales sont associées à une couleur, les Taras verte et blanche étant les plus connues. La culture populaire tibétaine voit dans les deux épouses bouddhistes attribuées au roi du Tibet Songsten Gampo leur incarnation, la princesse népalaise Bhrikuti étant une forme de la Tara verte et la princesse chinoise Wencheng une forme de la Tara blanche.

Aperçu non exaustif des différentes formes de Tara :

  • Tara verte: Tara originelle dont les autres sont autant d'émanations car le vert peut représenter toutes les couleurs. Elle protège contre les dangers réels (les huit grands dangers maha abhaya[5]) ou spirituels. Elle est généralement appelée Syama (vert) Tara. Une forme appelée Cittamani Tara (joyau qui exauce tous les vœux) est particulière au courant gelugpa. Khadiravani Tara (Tara de la forêt des tecks), apparue à Nagarjuna, est aussi assimilée à une protectrice de la végétation. Sous le nom de Janguli, elle contrôle les serpents ; il s'agit probablement de l'avatar d’une déesse locale.
  • Tara blanche : généralement appelée Sita (belle) Tara, elle représente la compassion, la longévité, la guérison et la sérénité ; la forme Chintrachakra (roue qui exauce tous les vœux) est particulièrement protectrice.
  • Tara rouge : elle représente la destruction de l’illusion, le discernement et la transmutation du désir ; elle est parfois assimilée à Kurukulla, priée par les laïcs pour obtenir le pouvoir de persuasion [réf. nécessaire].
  • Tara jaune : richesse, prospérité assimilée à Vasundhara[réf. nécessaire].
  • Tara bleue : elle représente la transmutation de la colère et la destruction des obstacles à la pratique ; elle est parfois identifiée à une forme d'Ekajati, importante dans le courant nyingmapa.[6]
  • Tara noire: elle représente le pouvoir.

Tara est également une représentation de la prajna comme parèdre du bouddha Amoghasiddhi, ou en tant que « mère des bouddhas », appellation qu’elle partage avec la Prajnaparamita. Sous sa forme de dakini, elle apparait parfois comme une jeune fille facétieuse venue se moquer de ceux qui se prennent trop au sérieux au cours de leurs pratiques.

Les divers mantras de Tara sont des variantes du mantra de Tara verte: oṃ tāre tuttāre ture svāhā, prononcé Om taré touttaré touré soha en tibétain.

[modifier] Emergence

Comme beaucoup de déités tantriques, à l’origine de la Tara bouddhiste se trouve une divinité hindoue éponyme, associée semble-t-il tout d’abord à Durga. Elle est de nos jours une forme de Kâlî, la déesse mère destructrice et créatrice de l'hindouisme. Il existe deux hypothèses concernant la signification de son nom : « étoile », ce qui en ferait à l’origine une divinité stellaire, ou « celle qui fait traverser », évoquant sa fonction salvatrice. Les premières traces de son existence en tant que divinité indépendante datent du Ve siècle et ses premières représentations du VIe siècle. Le pèlerin chinois Xuanzang rapporte l’existence d’un temple très fréquenté à elle consacré près de Nalanda. Elle a suivi la diffusion du vajrayana dans l’Himalaya, en Indonésie, et à un degré moindre en Asie orientale. Avec le recul du bouddhisme devant l’hindouisme et l’islam, Tara est devenue une exclusivité du bouddhisme tibétain partiqué aussi par les Mongols et une partie des Mandchous. En Chine, au Japon et en Corée, une forme féminine d’Avalokiteshvara, Guanyin, jouit d’une forte popularité.

Tara est populaire autant auprès des laïcs que des moines ; les marchands et autres voyageurs ont dû contribuer à la diffusion de cette divinité protégeant contre les huit grands dangers. Tilopa (988-1069), Maître indien à l'origine de l'école Kagyupa du bouddhisme tibétain, aurait pratiqué un de ses tantras qui parviendra ainsi plus tard par la Lignée du Rosaire d´Or au Tibet. A la même époque, Atisha (983-1054), célèbre érudit bouddhiste et maître de méditation indien fut invité au Tibet (royaume de Gugé) et sa venue contribua fortement au rétablissement du bouddhisme dans ce pays donnant émergeance à la tradition kadampa incluant le culte tantrique de Tara. Atisha est ainsi à l'origine d’une des trois principales lignées de transmission du culte des 21 Taras, les deux autres étant celle de Pandita Suryagupta et celle du Lama Nyngmapa Longchenpa[7]. L’hommage aux 21 Taras récité régulièrement par les moines des 4 traditions[8] aurait été apporté de l'Inde au XIe siècle par Darmadra de Nyen, selon Drugpa Jetsen (XIIe siècle), abbé de Sakya et lui-même auteur de 13 textes sur Tara. Taranatha ((1575-1634), moine et historien, s’était mis sous sa protection, comme son nom l’indique.

[modifier] Iconographie

Tara est souvent représentée sur les tangkas, déclinée de différentes façons selon les traditions, si nombreuses que les moines eux-mêmes ont quelquefois du mal à en identifier toutes les formes. Elle peut présenter toutes sortes de postures ; la Tara blanche est plus souvent en lotus et la verte en demi-assise. Janguli qui protège contre les serpents est assise sur un paon qui, comme le garuda, est leur ennemi. Le nombre de ses bras est variable (de 2 à 12) ainsi que celui de ses yeux (jusque 7, dont un au milieu du front et un sur chaque paume et sur chaque plante de pied). Elle fait le plus souvent les mudras du don (varadamudra), de l’enseignement (vitarkamudra) ou de l’absence de peur (abhayamudra). Elle tient généralement en main une fleur bleue d’utpala. Tout comme Avalokiteshvara, elle a le plus souvent Amitabha, bouddha chef de sa lignée, dans son chignon. Ses formes courroucées sont plus rares. Sous la forme d’Ekajati, elle a un unique œil, une unique dent et un unique sein, parfois une seule jambe, et Akshobhya dans son chignon. Elle peut être représentée en parèdre yab-yum avec Amoghasiddhi.

[modifier] Notes

  1. Voir les mots de cette page du Dictionnaire sanskrit
  2. Jérôme Edou, Machik Labdrön, femme et dakini du Tibet. Éditions du Seuil, Paris, 2003. 237p./p.167 ISBN 2-02-052380-9
  3. Selon certaines versions, elle prononça son vœu de bodhisattva devant Amoghasiddhi.
  4. en:Tara (Buddhism)
  5. lions, éléphants, feu, serpents, bandits, emprisonnement, naufrage ou noyade, démons pi'saaca dévoreurs d’hommes
  6. en:Ekajati
  7. Tara's Epithets
  8. Nyingmapa, Sakyapa, Kagyupa, Gelugpa

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

[modifier] Liens externes