Tâche de sélection de Wason

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La tâche de sélection de Wason (ou tâche à quatre cartes de Wason) est un casse-tête logique qui nécessite, pour être résolu, de maîtriser le modus ponens et le modus tollens, deux notions du raisonnement logiques liées à l'implication. Lorsqu'ils sont confrontés à cette épreuve, pourtant simple, les gens commettent, en moyenne, un certain nombre d'erreurs de raisonnement. Or ces erreurs disparaissent sous certaines conditions, notamment lorsque la question est formulée avec un contenu concret impliquant une norme. L'interprétation des effets obtenus avec les différentes versions de la tâche de Wason a généré un important débat en psychologie du raisonnement depuis les années 1960. Certains psychologues évolutionnistes y voient un argument en faveur de l'idée d'un module spécialisé dans la détection de tricheur. Pour d'autres ces effets ne sont dus qu'à l'interprétation pertinente que les personnes interrogées parviennent à se faire de l'énoncé.

Sommaire

[modifier] Enoncé de la tâche de sélection

La tâche de sélection a été développée par le psychologue cognitiviste Peter Wason durant les années 1960[1]. Dans la version standard de la tâche de Wason, la question posée peut s'énoncer comme suit :

Quelle(s) carte(s) faut-il retourner?
Quelle(s) carte(s) faut-il retourner?
Quatre cartes comportant un chiffre sur une face et une lettre sur l'autre, sont disposées à plat sur une table. Une seule face de chaque carte est visible. Les faces visibles sont les suivantes : D, 7, 5, K. Quelle(s) carte(s) devez-vous retourner pour déterminer la ou les carte(s) qui ne respecte(nt) pas la règle suivante  : Si une carte a un D sur une face, alors elle porte un 5 sur l'autre face. Il ne faut pas retourner de carte inutilement, ni oublier d'en retourner une.

[modifier] Solution

La réponse correcte à cette épreuve consiste à retourner les deux cartes portant la lettre D et le numéro 7. En effet, s'il n'y a pas de 5 au dos du D alors la carte ne respecte pas la règle. Et si au dos de la carte 7 il y a un D, celle-ci ne respecte pas la règle.

[modifier] Les erreurs de raisonnement dans la tâche de Wason

Beaucoup de gens se trompent à cette tâche. La plupart choisit correctement la carte D, une partie oublie la carte 7 et un grand nombre choisissent la carte 5. Or, soit cette dernière carte porte un D sur l'autre face (auquel cas elle respecte la règle), soit cette même carte porte une lettre autre que D et dans ce cas, elle vérifie aussi la règle (car la règle ne dit rien sur les cartes portant une lettre autre que D). De même, la carte portant un K (qui n'est en général pas choisie) ne peut pas invalider la règle (qui ne dit rien sur les cartes portant une lettre autre que D).

L'erreur la plus courante (à savoir retourner la carte 5, et oublier la carte 7) constitue un biais cognitif de vérification : les sujets testés ont plus tendance à chercher une vérification qu'une réfutation de la règle.

[modifier] Interprétation logique

Selon le calcul des propositions, la règle est une proposition conditionnelle. La première carte permet d'invalider le modus ponens issu de cette conditionnelle ; la seconde permet quant à elle d'invalider le modus tollens dérivé par un raisonnement contre-factuel. Le choix 5 correspond au sophisme de l'affirmation du conséquent ; le choix K à celui de la négation de l'antécédent.

[modifier] Version déontique de la tâche de Wason

Confrontés à cette version dite abstraite de la tâche de sélection, les gens interrogées commettent donc fréquemment une erreur de raisonnement. Toutefois, les psychologues P. Johnson-Laird[2], en 1972, puis R. Griggs et J. Cox[3] ont montré que le taux d'erreurs était bien plus faible lorsque la tâche était reformulée sous une forme dite concrète ou thématique (tout en gardant une structure logique rigoureusement identique) :

Qui faut-il contrôler?
Qui faut-il contrôler?
Quatre personnes sont en train de boire dans un bar et vous disposez des informations suivantes : la première boit une boisson alcolisée, la seconde a moins de 18 ans, la troisième a plus de 18 ans et la dernière boit une boisson sans alcool. Quelle(s) personne(s) devez-vous interroger sur leur âge ou sur le contenu de leur verre pour vous assurer que tous respectent bien la règle suivante : Si une personne boit de l'alcool, elle doit avoir plus de 18 ans.

Dans cette version "concrète" de la tâche de sélection, les gens ne se trompent plus et choisissent facilement d'interroger la première personne sur son âge (car elle boit de l'alcool, équivalent de la carte D) et la seconde sur le contenu de son verre (car elle a moins de 18 ans, équivalent de la carte 7). Ces choix correspondent aux réponses logiquement justes. Rares sont ceux qui interrogent le troisième personnage sur le contenu de son verre (il a plus de 18 ans de toutes façons, carte 5) ou le dernier qui ne boit pas d'alcool (carte K).

Ainsi la reformulation concrète de la règle abstraite engendre moins d'erreurs de raisonnement logique. Cette observation a alimenté un important débat dans la psychologie du raisonnement, les psychologues cherchant à vérifier si cet effet pouvait être obtenu dans d'autres conditions et à déterminer quels étaient les mécanismes cognitifs qui permettaient ainsi de résoudre la tâche de façon correcte.

[modifier] Interprétations proposées

Selon une première interprétation, ce gain de performance serait dû au fait que le contenu de la règle possède une signification concrète. Par extension, des psychologues évolutionnistes ont défendu l'idée que ce gain de performance serait spécifique aux situations de contrat social, dans lesquelles un tricheur peut tirer un bénéfice indu de la violation d'une loi sociale en vigueur du type pour bénéficier de X, il faut faire/être Y. En effet, ces situations déclencheraient la mise en œuvre d'un module de détection de tricheur. Ce module spécifique au domaine des interactions sociales ne serait donc pas utilisable pour des règles abstraites, que seuls des processus liés l'intelligence générale peuvent traiter mais avec moins d'efficacité sur le plan de la performance. Ce serait ainsi l'illustration que certains processus psychologiques auraient bien évolué sous la pression de la sélection naturelle pour résoudre des problèmes spécifiquement liés aux interactions sociales.

A l'inverse, d'autres psychologues (dont certains se réclament, par ailleurs, eux aussi de la psychologie évolutionniste, comme Dan Sperber) ont critiqué cette interprétation en se fondant sur les aspects pragmatiques des situations exposées dans les versions descriptive et déontique de la tâche de Wason. En se basant sur la théorie de la pertinence, ces auteurs montrent que suivant la façon dont les sujets interprètent la règle énoncée, ils n'aboutiront pas aux mêmes choix. Or le contenu narratif des situations concrètes oriente ce processus d'inférence vers les solutions logiquement justes ou non, indépendamment de l'aspect déontique ou non de la formulation, ce que ne fait pas la tâche abstraite. La tâche de Wason ne serait donc finalement pas une "bonne" tâche cognitive pour tester le raisonnement car trop soumise aux processus inférentiels des individus testés. A fortiori, elle ne permet donc pas de valider (ni d'invalider) l'existence d'un module de détection de tricheur.

L'un des exemples donné par Sperber est la situation imaginaire suivante[4]:

Vous êtes un journaliste qui visitez le petit État du Bargustan. Le Prince régnant y a imposé une forme de libéralisme économique radical : tout le monde peut travailler entre 18 et 65 ans, les étudiants sont salariés, il n'y a pas de salaire minimal etc. Avec assurance, le Prince vous fait la déclaration suivante : Dans mon État, toute personne en âge de travailler a un emploi. On vous présente le cas de quatre citoyens : le premier a 32 ans, le second a 79, le troisième travaille et le dernier ne travaille pas. Le(s)quel(s) devez-vous interroger pour vérifier si ce que dit le Prince est vrai ?

Les gens que l'on soumet à cette version de la tâche de sélection ne se trompent pas et choisissent correctement d'interroger la personne de 32 ans et celle qui ne travaille pas. Or cette situation n'a rien à voir avec une détection de tricheur. L'argument de Sperber est que en cherchant à trouver quelle situation permet d'invalider la phrase du Prince, c'est-à-dire la situation pertinente dans ce contexte, on tombe sur un concept facile à se représenter, c'est celui d'une personne au chômage : sans emploi et n'ayant pas encore l'âge de la retraite. La question est donc interprétée comme : "Trouver quels sont les citoyens qui sont peut-être au chômage". Ce qui se résout sans difficulté. A l'inverse si la loi du prince avait été Toute personne de plus de 65 ans ne travaille pas, la situation invalidante aurait été une personne âgée qui occupe un emploi, un concept moins commun et moins facile à se représenter que celui, plus courant, de retraité, une personne âgée qui ne travaille pas. Ce concept de vieille personne travaillant étant moins facile à manipuler, dans cette deuxième situation, les gens se trompent en majorité.

Ainsi la plupart des psychologues du raisonnement ne considèrent plus la tâche de Wason comme une bonne procédure expérimentale car elle est trop dépendante de la compréhension linguistique des énoncés.

[modifier] Références

  1. Natural and contrived experience in a reasoning problem, P. C. Wason, D. Shapiro, in New horizons in psychology, Foss, B. M. (ed.), Penguin, Harmondsworth, 1966.
  2. Johnson-Laird, P.N. Legrenzi, P., Legrenzi., M.S. (1972). Reasoning and a sense of reality. British Journal of Psychology, 63, 395-400
  3. R. Griggs and J. Cox. (1982). The elusive thematic-materials effect in Wason's selection task. British Journal of Psychology, 73, 407-420.
  4. (en) [1]

[modifier] Liens

[modifier] Liens internes

[modifier] Liens externes

  • Contexte et raisonnement, Van der Henst, J.-B. in Le Raisonnement humain, G. Politzer (ed.), Hermès, 2002. Une interprétation pragmatique de la tâche de Wason.
  • (en) Argumentation autour de la tâche de Wason du point de vue de la psychologie évolutionniste [2]
  • (en) Interprétation contradictoire de la tâche de Wason en termes de pertinence [3]
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