Siculo-arabe

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Dialecte arabe autrefois parlé en Sicile,en Calabre et aux îles Kerkennah, petit archipel proche de la côte tunisienne. Appellé aussi siqili ou sqili (de Siqiliya, nom arabe de l'île), il est proche du maltais.


Sommaire

[modifier] Histoire du destin des derniers musulmans et arabophones de Sicile par Karim Bouakline Al Gharnati

Après la conquête normande de la Sicile, les nouveaux conquérants adoptèrent une politique tolérante envers la population musulmane, qui constituait à leurs yeux un élément ethnique parmi la population ancienne de l'île. Un grand nombre de paysans arabophones subsistent encore un siècle après la conquête normande notamment dans la partie nord-orientale de l'île, appellé le Val di Mazzara. Ibn Djubayr, intellectuel originaire d’Al Andalus, dans un récit de voyage en 1184 précise que les musulmans constituent une communauté autonome avec ses propres lois, vivant à l’écart des chrétiens. En effet, les musulmans exercent librement leur culte, possèdent une grande mosquée, de petites mosquées servant d’école coranique, et un tribunal présidé par un cadi, c’est à dire un juge religieux.

Une révolte est lancée par un dénommé Ibn ‘Abbad (Mirabetto) à Iato et Entella. Réprimée durement et devant le nombre de morts que cela causa dans la population, il finit par se rendre et sera mise à mort. Sa fille reprendra le flambeau de la révolte contre Frédéric II, la mort de l'héroïne sonne le glas de la communauté musulmane de l'île. Frédéric II de Hohenstaufen, jugeant dangereux l'idée de garder une telle population si près de coreligionnaires qui pourraient leur venir en aide en cas de nouvelle révolte et connaissant les trop vivaces traditions indépendantistes des montagnards et des paysans du Val di Mazzara, il les obligea à demander l'aman.

Les musulmans rebelles de Sicile furent envoyés à Lucera, cité fondée par Frédéric II de Hohenstaufen en 1220 au nord de l'Apulie (les Pouilles actuelles), par vagues successives entre 1223 et 1246 pour cultiver les terres fertiles autour de la ville, faisant fuir une bonne partie de la population chrétienne. On parle alors de plus de 60 000 musulmans d'après certaines sources, répartis entre Lucera, Girifalco et Acerenza. Placée aux portes des États pontificaux, il leur confia la garde du Trésor royal. Ils firent d'abord en 1226,une révolte très vite réprimée, les musulmans n'étaient pour Frédéric II que des sujets dont il exigeait la soumission ce qu'ils firent rapidement. Pour ce geste, l'empereur sera excommunié en 1239 par le Pape Grégoire IX.

La forteresse fut achevée en 1227 et devint le principal point d'appui pour les provinces touchant l'Adriatique.Il les employa notamment dans sa garde personnelle, ce qui je le rappelle est une tradition déjà employée par les princes normands de Sicile notamment Robert Guiscard.Il ouvrit les portes des casernes sarrasines aux missionnaires franciscains afin qu'ils puissent instruire ceux qui le désiraient en la foi chrétienne, Frédéric II n'était pas dupe, il savait qu'aucun ne le ferait mais avait voulu calmer par ce geste le pape. En 1239,il les concentra tous à Lucera aussi bien ceux qui habitaient à Girafalco et à Acerenza mais aussi de nouvelles familles venues de Sicile. On appela alors la ville Lucera Saracenorum. Il s'installa dans les dernières années de sa vie à Lucera vivant comme un monarque oriental avec même des haras de chameaux et pratiquait la chasse aux guépards. Fidèle à son empereur qui s'éteignit le 13 décembre 1250 à 7 miles de ses murs, à Castelfiorentino, Lucera, dont les habitants devinrent des serviteurs zélés de l'État, connut des périodes de splendeur dans les domaines de la culture et de l'artisanat.

Après le règne de Conrad, le pape Innocent IV tenta même de rallier à sa cause les musulmans de Lucera.Oubliant du même coup tout ce qu'il avait pu dire du séjour scandaleux de ces Infidèles, il offrit à leur émir, que les chroniqueurs appellent Jean le Maure, la possibilité de devenir grand camérier du royaume et d'obtenir de nouvelles terres mais les habitants de Lucera ne le suivirent pas dans sa tentative de trahir ses princes. Manfred se réfugia parmi eux et reconquiert son royaume grâce au soutien sans faille des musulmans de Lucera.Il n'avait pas dans le royaume, sujets plus dévoués à sa personne. Il leur confia sa femme, Helene d'Epire et ses enfants en bas âge, pour aller combattre Charles d'Anjou. La bataille de Benevento (ou Benévent) en 1266 où des milliers de musulmans tombèrent au champ d'honneur. Abandonnée par ses conseillers suite à la défaite de son mari, la princesse tenta de prendre voile pour l'Épire et se rends donc à Trani où le châtelain la vendit à Charles Ier d'Anjou, celui-ci se rendit cruel envers la progéniture de Manfred, ils furent jugés indignes de l'échafaud et pourrirent dans des cachots infects[1].


Le passage à la dynastie angevine avec le règne de Charles Ier fut d'abord sans histoire, il les confirma dans leurs privilèges mais dès que la nouvelle que Conradin allait franchir les Alpes parvint dans la cité, les musulmans hissèrent le pavillon de la maison de Souabe (celle de leur ancien seigneur Manfred), Lucera devint le signe du ralliement des Gibelins le plus méridional, Charles tenta de faire le siège de la cité avant que son rival ne parvint sur les lieux. Après un siège infructueux, il décida d'aller au devant de Conradin et le bats lors d'une bataille, il revient alors sur la cité, décide son blocus afin de l'affamer et le 15 août 1269, ils durent se rendre défilant devant un vainqueur irrité d'une aussi héroïque et valeureuse résistance. Il les garda mais leur retira les privilèges[2], ils devaient désormais être sous l'autorité du justicier de la province et plaça 60 lances en garnison pour les surveiller.

Son fils Charles II qui considérait comme son devoir de promouvoir le christianisme à Lucera. Surtout qu'en 1268-69, la papauté appelle à la croisade pour la destruction de la colonie musulmane de Lucera. Il tua plus de 20 000 musulmans et fit démolir la mosquée centrale et la remplaça par une cathédrale, puis rebaptisa la ville Civitas Sancte Marie en souvenir de la défaite des musulmans et non loin de là, l'église de Saint François où le «ppoverello» de Lucera, Francesco Antonio Fasano connu sous le nom de «Maestro», accomplit son apostolat. Quant à la majorité des musulmans, nombreux furent vendus comme esclave ; toutefois un certain nombre de notables eurent, quant à eux, la possibilité de se convertir au christianisme. Giovanni di Banletta viendra détruire les derniers noyaux d'Islam en terre italienne en 1300. L'arabe était, jusqu'au début du XIVe siècle, la langue maternelle de nombreux chrétiens siciliens mais, à partir de 1330, fut abandonné par ces chrétiens et devint donc une particularité juive. Les fortes migrations au XIIIe siècle des Juifs du Maghreb vers la Sicile ont certainement renforcé l'arabophonie.


[modifier] Textes relatifs au dialecte siculo-arabe (siqili)

Le Tatqīf al-Lisān d'Ibn Makkī, traité écrit au 11e siècle afin de corriger les erreurs de langage des arabophones siciliens et correspondant à la tradition du lahn al-'āmmah.

Henri Bresc, Arabes de langue, Juifs de religion : L'évolution du judaïsme sicilien dans l'environnement latin, xiie-xve siècles, 2001, Paris, Éditions Bouchène, 349 p.

Roma, Loescher, 1910. Revue des langues romanes.

[modifier] Personnages célèbres parlant le siculo-arabe

Ibn Rashiq (1000-1070), linguiste né à M’sila en Algérie, mais qui a pris la fuite en Sicile pour échapper à la répression des tribus hilaliennes en Ifriqiyya.

Ibn Al Birr (Abû Bakr Muhammad Ibn Ali), lexicographe et philosophe né en Sicile à la fin du Xe siècle. Il étudia à Alexandrie et à Mahdia en Tunisie, puis revînt dans l’île à la fin de la période kalbite, dernière dynastie musulmane sicilienne et liée aux Fatimides du Caire.

Ibn Hamdis (Noto 1056 - Majorque 1133), poète.

Jawhar al-Siqilli(911-992 au Caire), général sicilien qui établit le plus grand empire fatimide de l'histoire en conquérant tous le nord Afrique, l'Égypte et la Syrie. Fondateur de al-Qahirah (Le Caire) et la Grande mosquée de al-Azhar, qui est la plus vieille université du monde.

[modifier] Quelques mots siculo-arabes (siqili) répertoriés par K.Bouakline Al Gharnati

Siculo-arabe Français
Babbaluciu Escargot
Caponata Caponata
Cassata Gateau
Gebbia Citerne
Giuggiulena Graine de sésame
Saia Canal
Tanura Four
Zaffarana Safran
Zagara Fleur
Zibbibbu Raisins
Zuccu Tronc
  • Dijina "religion"
  • Itriyya "vermicelles" donnera le mot sicilien tria, "macaroni".
  • Khaddam "laquais, domestique, valet".
  • M'dina "la ville"
  • Qabâ' "tunique" donnera le mot sicilien cabbanu, "vareuse".
  • Zabad "mousse d'eau ou d'un autre liquide"

De ce dialecte est né des mots en sicilien qu'on ne peut comprendre que par le biais de l'arabe,en voici quelques exemples :

  • Gaddemi "celui qui administre le bois à la chaudière pour cuire le ricotta" terme méprisant qui vient du siculo-arabe khaddam, "laquais, domestique, valet", proche de l'arabe libyen khadem, servante ou l'arabe égyptien khadam, servir.
  • Santudina ! Interjection typiquement sicilienne, se traduit par « Sainte religion ! »,le terme qui nous intéresse dans ce mot est le -dina ou -dena, il semble venir d'un terme siculo-arabe dina devenu dijna ou dijina dérivé de l'arabe dinn, religion.
  • zabbina (le "z" se prononçant "ds", écrit autrefois zabina)"polenta", peut-être dérivé du mot sicilien zabbatina ,« mousse que l'on obtient en faisant bouillir la ricotta » qui lui-même vient du siculo-arabe zabad, « mousse d'eau ou d'un autre liquide » ou de giabbân, "fromage" (jubn en arabe classique). Est-il a rapprocher du verbe jiabanna, "cailler,coaguler" mentionné par Dozy (Suppléments aux dictionnaires arabes, Leyde, Brill,1877,I p.172)ou le terme halib muggiaban, "lait (caillé sans feu)? Après tout ne trouvons nous pas en arabe lybien jébna "lait caillé" et en égyptien gibna, « fromage » ?

[modifier] Quelques toponymes siculo-arabes par K. Bouakline Al Gharnati

  • Alcamo qui vient de Manzil alqama - "Station des Melons toxiques"? ou "Station des Fleurs de lotus"
  • Catane qui vient de Qataniyah - "Les légumineuses".
  • Marsala, qui vient de Marsa Allah - "Le Port de Allâh" (Le Port de Dieu).
  • Regaleali qui vient de Rahal Ali - "La Ferme d'Ali".

[modifier] Notes et références

  1. Le dernier des enfants de Manfred, Henri, mourut en 1318,sous le règne de Robert d'Anjou, aveugle des suites des tortures infligées étant jeune par Charles Ier à lui et à ses frères, au château de l'Œuf à Naples, après une captivité de 52 ans.
  2. Ils avaient gagné en outre le droit de s'administrer eux-mêmes dans l'enceinte de leur ville, de choisir des cadis comme officiers de justice selon la Chariah
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