Discuter:Siège de Pampelune

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Bonjour, je souhaiterai faire un lien avec cet article en y ajoutant una analyse détaillée sur la conversion d'Ignace de Loyola des suites de ses blessures;

Le premier chapitre de l’Autobiographie débute avec l’affaire de Pampelune en 1521 où Ignace était âgé de 30 ans et non de 26 comme il est écrit dans le texte. Il est intéressant de noter que la jeunesse du jeune Ignace ait été volontairement ignorée par les rédacteurs de l’Autobiographie ; le père Nadal et le père de Camara. Malgré la volonté affichée dans leur préface de tout consigner, « nous travaillerons, en nous confiant dans le Seigneur, exactement comme si vous aviez tout écrit » déclare le père Nadal à saint Ignace pour lui arracher l’acquiescement de rédiger sa vie, « le Père [Saint Ignace] me convoqua et se mit à me raconter toute sa vie et ses écarts de jeunesse, clairement et distinctement, avec toutes les circonstances…La façon dont le Père raconte est parallèle à la façon dont il agit en toute chose, - savoir avec tant de clarté qu’il semble rendre présent pour autrui tout ce qui appartient au passé ». Malgré cette lacune entretenue par ses disciples, nous ne sommes pas démunis au sujet du passé du jeune Ignace que le premier biographe, Ribadeneyro, dépeignait « comme un garçon élégant et rieur, grand amateur de beaux habits et de bonne vie […] un soldat déréglé et vain ». Comme nous l’avons vu, Ignace de Loyola, baptisé Iñigo , est le cadet de 11 enfants légitimes issus du mariage entre Beltran Ibañez de Loyola et Maria Sanchez de Licona, d’une famille de petite noblesse basque ayant une foi catholique affichée patronnant quelques ermitages dont ceux de Saint Pierre de Loyola et de Elormendi. Ayant perdu sa mère à l’âge de 7 ans, Ignace fut éduqué par la femme pieuse de son frère aîné (2e), Madeleine de Araoz, qui eut une profonde influence sur lui. Loin de rechercher les déterminismes mésologiques, il est intéressant de noter qu’Ignace eut toujours une dévotion particulière à saint Pierre (l. 21-22) « ledit malade avait coutume d’être dévot de saint Pierre » et aussi que le second fils de Madeleine de Araoz, Emilien, entrera en 1591 dans la Compagnie de Jésus. Elevé dans une foi chrétienne omniprésente mais pourtant superficielle et ce jusqu’à sa conversion lors de sa convalescence, Ignace, devenu page à l’âge de 14 ans (1505) du « Castado major » (ministre des finances du roi de Castille), Juan Velasquez de Cuellar, va s’adonner à la vie de courtisan ; la femme de Juan Velasquez de Cuellar étant l’organisatrice des plaisirs de la reine Germaine de Foix, seconde épouse de Ferdinand d’Aragon dont la légèreté morale contrastait avec la pieuse Isabelle la Catholique, la précédente épouse, il semble difficile d’imaginer qu’Ignace ne prît pas part à ces jeux. (l. 42-48) « Et parmi les nombreuses vanités qui s'offraient à lui, l'une tenait à tel point son cœur en sa possession qu'il était absorbé, parfois, à y réfléchir deux et trois et quatre heures sans s'en rendre compte, imaginant ce qu'il avait à faire au service d'une certaine dame, les moyens qu'il prendrait pour pouvoir aller jusqu'à la terre où elle était, les pièces de vers, les paroles qu'il lui dirait, les faits d'armes qu'il accomplirait à son service. Et il était si vaniteux de ce projet qu'il ne voyait pas à quel point il lui était impossible de le mener à bien ; parce que cette dame n'était pas de vulgaire noblesse : ni comtesse, ni duchesse mais sa condition était plus haute encore. »

Les rêves du blessé de Pampelune éclairent rétrospectivement la mentalité du jeune hidalgo. Cette citation nous montre quelle a été l’influence de la lecture des livres de chevalerie comme Amadis de Gaule par cette vision de l’amour courtois fait à sa « Dame ». Décidé à « suivre la vie du monde » (l. 27), à poursuivre l’idéal mondain ; « les honneurs, la réputation, l’éclat d’un grand nom parmi les hommes » selon Ribadeneyro, Ignace et son frère Pere Lopez sont accusés lors du temps de carnaval en 1515 par le corregidor d’Azpeitia (officier de justice) d’avoir commis « des crimes très énormes […] des excès nocturnes, des délits caractérisés et graves délibérément et avec perfidie » ce qui valut à Ignace quelques mois d’incarcération à Pampelune. C’est donc un Ignace querelleur et en phase avec son temps que nous allons retrouver en 1521 lors du siège de la forteresse de Pampelune par les troupes françaises.

Avant d’apprécier, oh combien, à sa juste valeur cette escarmouche qui va marquer un tournant irréversible dans la vie d’Ignace de Loyola, nous devons expliquer comment Ignace s’est trouvé dans ce conflit. « A la vingt-sixième année de sa vie », Ignace rentre au service du duc de Najera, vice-roi de Navarre, Antonio Maurique, en guise « de gente de caballo » (garde du corps) et cela en 1517. En 1521, débute le mouvement des Comuneros, insurrection des grands contre le roi, le jeune Charles Quint, qui se double très vite d’une révolte populaire contre les nobles. Dans la lutte qui oppose Charles Quint et François 1er pour la couronne impériale, les troubles espagnols incitent François 1er à envoyer des troupes françaises sous le commandement d’André de Foix en Navarre pour rétablir l’autorité des Albret que Ferdinand d’Aragon avait récemment évincés. L’expédition française accomplit une promenade militaire et Pampelune, capitale de la Navarre, traite avec le vainqueur qui entre dans la ville le lundi 20 mai 1521. Isolé dans la forteresse, Ignace aide l’alcaide (chef militaire), Francisco de Herrera, à ranimer le courage des officiers et de la petite garnison, « il donna tant de bonnes raisons à l’alcaide, qu’il le persuada tout de même de se défendre, en dépit de l’opinion contraire de tous les chevaliers, lesquels se réconfortaient à son courage et à son énergie » (l. 4-5). Nous retrouvons l’idéal chevaleresque cher à Ignace, la volonté d’un coup d’éclat, d’un baroud d’honneur dont l’issue est certaine et c’est avec lucidité que « le jour venu où l’attaque était attendue, il se confessa à l’un de ses compagnons d’armes ». Cette confession non sacramentelle était d’usage dans l’ancienne chevalerie et on la retrouve dans les chansons de gestes et les romans de chevalerie, elle montre aussi la volonté de ce médiocre chrétien de s’absoudre de ses péchés avant une mort possible. Ce baroud d’honneur, Ignace l’exécute « ego contra omnes », il fait fi de l’accord passé entre André de Foix et son maître le duc de Najera, vice-roi de Navarre, lequel renonce à défendre la place en échange du maintien de ses possessions et celles de ses vassaux en Castille. « Après que la bataille eut duré un bon moment , une bombarde l’atteignit à une jambe la brisant toute » (l. 8.). Ignace blessé, le combat s’arrêta par la reddition des défenseurs si pressés de capituler qu’ils arrachèrent les serrures des portes du Castillo  ; « mais quand il fut tombé, ceux de la forteresse se rendirent immédiatement aux Français » (l. 9). Cet exemple montre à quel point l’énergie et la volonté d’Ignace étaient fortes pour galvaniser d’aussi pleutres défenseurs. La jambe brisée, l’autre blessée, Ignace fut opéré à Pampelune même par des chirurgiens français qui se conduisirent « avec lui courtoisement et amicalement ». « Et après qu’il fut resté douze ou quinze jours à Pampelune, ils [les Français] l’emmenèrent dans une litière à son domaine  » de Loyola.


A son retour à Loyola, le baroud d’honneur et la blessure avaient laissé intacte la volonté de caractère qu’Ignace dut mettre au service de sa convalescence car par trois fois il fut opéré. Après l’opération de Pampelune et « comme il allait très mal, on appela de différents côtés tous les médecins et chirurgiens … On recommença donc cette boucherie » (l. 11-5). Grâce à une endurance hors du commun, Ignace supporte la douleur sans mot dire « pendant l’opération… jamais il ne dit mot et ne donna d’autre signe de douleur que de serrer fortement les poings » (l. 16). Pourtant « il allait toujours plus mal, il ne pouvait plus manger et déjà apparaissaient les autres symptômes qui d’ordinaire annoncent la mort » (l. 18). Ignace se confesse pour se mettre en règle comme tout chrétien pour paraître devant Dieu, nous notons simplement la dévotion particulière à saint Pierre « il reçut les sacrements, la veille de saint Pierre » (l. 21). L’amélioration « fut tellement croissante qu’au-delà de quelques jours on jugea qu’il était hors des périls de mort » (l. 21). Serein devant la mort à Pampelune comme maintenant à Loyola, Ignace ne peut supporter la blessure de la laideur, qui atteint sa beauté et son élégance. « Il lui resta, sous le genou, un os qui chevauchait sur l’autre, à cause de quoi sa jambe restait plus courte. Et l’os à cet endroit se soulevait tellement que c’était chose laide , ce qu’il ne pouvait supporter parce qu’il était décidé à suivre la vie du monde. Il jugeait que cela l’enlaidirait et il demanda aux chirurgiens si l’on pouvait trancher cet os. » (l. 25-8).

Plutôt que de souffrir la laideur, il préfère endurer le martyre, « et cependant il se décida à se martyriser pour son propre goût bien que son frère plus âgé s’épouvantât … mais cette douleur, le blessé la souffrit avec sa patience habituelle » (l. 30). Son angoisse qui le mène à s’automartyriser vient de la peur d’une existence banale et du besoin de se voir grandi, idéalisé et glorieux . En effet, Ignace n’a pas renoncé à ses exploits galants, « suivre la vie du monde » (l. 27). Même en tant que général de la compagnie de Jésus (1541), Ignace attire l’attention sur l’aspect extérieur, la bonne santé physique dans le portrait du préposé général qu’il dresse dans les Constitutions ( IXe partie, chap. 2, 1551). Celui-ci doit posséder de la « dignité et de l’autorité  » et les « dons extérieurs » ne sont pas négligeables pour lui donner du crédit « auprès des gens du dedans et du dehors ». Pour passer le temps de sa convalescence, Ignace de Loyola songe à ses exploits galants inspirés par les romans de chevalerie, romans dont la ferme-château de Loyola est totalement dépourvue « mais dans cette maison il ne s’en trouva aucun de ceux qu’il avait l’habitude de lire et alors on lui donna une Vie du Christ et un livre sur la vie des saints en castillan » (l. 39). Dès lors « il s’attachait quelque peu à ce qui s’y trouvait écrit » (l. 40) et par étapes de réflexion de « deux et trois et quatre heures », Ignace se mit en tête de suivre les enseignements des saints. Ainsi la Vie du Christ de Ludolphe le Saxon recommande en prologue le pèlerinage à Jérusalem alors ce qu’Ignace « désirait surtout c’était d’aller, sitôt guéri, à Jérusalem ». Aussi Ignace recommande-t-il la lecture du livre sur la vie des Saints, la Légende dorée de Jacques de Voragine, dans les Exercices spirituels. La conversion d’Ignace de Loyola débute par des relectures successives de ces ouvrages mais la pulsion divine se mue dans son esprit en rêve héroïque en phase avec son caractère exigeant.

Le premier signe extérieur de la conversion d’Ignace de Loyola fut le partage de l’argent que lui avait envoyé son ancien maître, le duc de Najera. « L’argent pouvait manquer pour n’importe qui mais qu’il n’en manquerait pas pour un Loyola, auquel il [le duc de Najera] désirait donner une bonne lieutenance s’il voulait l’accepter, à cause du crédit qu’il avait gagné dans le passe… [Ignace fit partager] une partie à certaines personnes envers qui il se sentait obligé et consacra l’autre partie à une statue de Notre Dame [de Montserrat] qui était détériorée pour qu’on la réparât et l’ornât très bien. » (Autobiographie, chapitre II). Nous allons voir maintenant comment la foi d’Ignace va s’approfondir.

La foi récente d’Ignace de Loyola n’est pas à l’abri de son orgueil, « il était si vaniteux de ce projet qu’il ne voyait pas à quel point il lui était impossible de le mener à bien » (l. 46) et est prisonnière de la recherche de l’exploit « c’est ainsi qu’il était déterminé à faire de grandes pénitences n’ayant plus tellement en vue d’expier ses péchés que d’être agréable à Dieu et lui plaire » (Autobiographie, chapitre II). C’est toujours sur le modèle de la chevalerie qu’Ignace calque ses ardeurs religieuses d’où cette veillée effectuée le 24 mars 1521 « et comme il avait tout son esprit plein de ces choses qu’on lit dans Amadis de Gaule et dans les livres de ce genre , il eut l’idée de certaines choses semblables à celles-là et ainsi il prit la décision de veiller sous les armes toute une nuit, sans s’asseoir ni s’étendre, mais tantôt debout et tantôt à genoux devant l’autel de Notre Dame de Montserrat où il avait résolu de déposer ses habits et de revêtir les armes du Christ » (Autobiographie, chapitre II). A la lecture de ses deux premiers ouvrages religieux, Ignace de Loyola rêve de rivaliser avec les saints comme il rêvait autrefois de conquérir sa dame « ainsi lisant la vie de Notre Seigneur et des saints, il s’arrêtait à réfléchir en raisonnant avec soi-même : « Que serait-ce si je faisais ce que fit saint François et ce que fit saint Dominique ? » et ainsi il méditait sur beaucoup de choses difficiles et dures… qu’il trouvait, au fond de soi, de la facilité pour les mettre en œuvre » (l. 50-54). Pourtant la liberté d’Ignace reste esclave de son rêve d’exploit « que ce fût celle des exploits mondains qu’il désirait accomplir ou celle des autres exploits qui s’offraient à son imagination, lesquels étaient de Dieu » (l. 58), et de sa volonté de surpasser les saints « le plus souvent son propos intérieur consistait à se dire : « Saint Dominique a fait ceci, eh bien, moi, il faut que je le fasse ». » (l. 54). Ses pensées donnent naissance à des projets conçus sous la forme d’exploits pour Dieu comme celui d’imiter « les cœurs enflammés et généreux de Dieu » « et de pérégriner en Terre Sainte ». Les exploits projetés par Ignace ressemblent beaucoup au monachisme primitif (abstinence d’aliments) et celui de l’époque médiévale (pénitences corporelles) que l’on retrouve dans La Légende dorée. Ignace tient à pratiquer le pèlerinage à Jérusalem qui reste à l’époque une pratique courante mais il renchérit sur la manière de l’accomplir, nu-pieds et avec austérité « En revanche aller à Jérusalem nu-pieds, ne plus manger que des herbes, se livrer à toutes les austérités auxquelles il voyait que les saints s’étaient livrés, non seulement il éprouvait de grands élans intérieurs quand il méditait sur des pensées de ce genre mais après les avoir quittées, il restait satisfait et allègre. » (l. 64) Toutefois sa motivation reste humaine plus que spirituelle, ce n’est qu’après avoir eu sa première vision qu’il va appréhender l’authentique liberté spirituelle.


L’itinéraire spirituel d’Ignace est décrit comme un passage de l’aveuglement à une lumière toujours plus vive, comme un arrachement à des rêves où il se complaisait pour se réveiller dans la pleine réalité spirituelle, « cependant il ne réfléchissait pas à tout cela ni ne s’arrêtait à soupeser cette différence sauf à partir du moment où ses yeux s’ouvrirent un peu » (l. 64). Pourtant cette liberté chrétienne n’est jamais acquise ni parfaite, elle est toujours menacée par la « diversité des esprits  », « et peu à peu, il en vint à connaître la diversité des esprits qui s’agitaient en lui, l’un d’un démon, l’autre de Dieu » (l. 71). Selon Gonçalves de Camara, la diversité des esprits est l’art de reconnaître au fond de soi les inspirations qui viennent de Dieu et celles qui viennent de Satan . Peu après cette découverte, Ignace reçoit sa première vision qu’il considère comme une confirmation de ce qui se passe en lui, « lesquels [saints désirs] lui furent confirmés par une visitation spirituelle de la manière suivante : étant resté, une nuit, éveillé, il vit clairement une image de Notre Dame avec le saint Enfant Jésus et de cette vision, qui dura un notable moment, il reçut une très extraordinaire motion intérieure » (l. 74-6). Le terme de confirmation fait partie du vocabulaire propre à Ignace de Loyola pour exprimer les expériences de sa vie spirituelle, autrement dit, la transformation profonde de son être spirituel. Nous avons vu qu’Ignace, lors de sa convalescence, s’est décidé à imiter les exploits des saints et à partir pour Jérusalem. Ces désirs encore fragiles se trouvent confirmés par une grâce extraordinaire, la vision de Notre Dame et du saint Enfant Jésus. Toutefois, Ignace, général des Jésuites, reste prudent sur l’origine de cette vision « on peut juger que la vision a été chose de Dieu, bien qu’il n’osât pas lui-même le déterminer et qu’il ne fît rien de plus qu’affirmer ce qui est dit ci-dessus. » (l. 82). La preuve que cette vision provient de Dieu, c’est qu’elle produit en lui une transformation spirituelle décisive, « il resta avec un tel écoeurement de toute sa vie passée et spécialement des choses de la chair, qu’il lui sembla qu’on avait ôté de son âme toutes sortes d’images qui s’y trouvaient peintes » (l. 74-6). Elle permet aussi un effet durable de conversion, c’est-à-dire une augmentation de la foi, qui libère Ignace des péchés de la vie passée « ainsi depuis cette heure-là jusqu’en août 1553, où ceci est écrit, il n’eut jamais le plus petit consentement pour les choses de la chair » (l. 80). Nous retrouvons le thème de la confirmation, du progrès durable de la foi dans les autres visions qu’Ignace authentifiera comme venant de Dieu, en particulier l’illumination « fondatrice » du Cardoner . Le bouleversement intérieur ne passe pas inaperçu par la famille, « mais son frère, comme tous les autres dans la maison, ne fut pas sans connaître par le dehors le changement qui s’était opéré dans son âme intérieurement » (l. 82). Aussi Ignace décide de partager sa foi avec son entourage. Nous allons voir le rôle joué par les débats du convalescent avec ses proches dans le renforcement de sa foi.


Confirmée par la grâce mystique, la conversion d’Ignace va prendre un nouvel élan au sortir de sa convalescence par le dialogue avec sa famille au sujet de l’amour de Dieu. Dans un premier temps « il lui vint à l’esprit d’en [Vie du Christ et la Légende dorée] tirer quelques éléments, en résumé, qui lui sembleraient essentiels dans les livres qu’il avait lus. Il se mit de la sorte à écrire un livre avec beaucoup de soin » (l. 87). La méticulosité qu’il mettait autrefois à soigner sa personne, il la transféra à présent à ce cahier spirituel « copiant les paroles du Christ à l’encre rouge et celles de Notre Dame à l’encre bleue » (l. 88) qui compta bientôt 300 feuilles environ de format in quarto. « Une partie de son temps il la passait à écrire, l’autre à faire oraison. » (l. 89) Ignace commence à pratiquer son premier apostolat, des colloques familiaux, qui semble être de nature spontanée « tout le temps qu’il passait auprès des siens, il le consacrait à parler des choses de Dieu, faisant ainsi du bien à leur âme » (Autobiographie, chapitre I). Même si nous remarquons que l’amour de Dieu reçu par la grâce de Notre Dame l’appelle au service du Royaume « et la plus grande consolation qu’il recevait était de regarder le ciel et les étoiles, ce qu’il faisait souvent et pendant longtemps, parce qu’il éprouvait à cette vue une très grande énergie à servir notre Seigneur  » (l. 90). Ces colloques sont le début des séances de catéchisme qu’Ignace pratiquera à Alcala et qui le feront jeter en prison. « Un grand concours de peuples se produisait partout où il donnait le catéchisme » avec des séances qui duraient « un mois de suite ». Durant son séjour en prison, cet apôtre de la devotio moderna n’en continuait pas moins ses cours, « beaucoup de monde venait le visiter. Il expliquait le catéchisme et donnait des exercices comme lorsqu’il était libre » (Autobiographie). En dernier lieu, Ignace conçoit « une haine contre soi-même » « l’idée s’offrait à lui de se faire admettre dans la Chartreuse de Séville, sans dire qui il était, afin qu’on le traitât en moindre considération et là-bas de ne manger que des herbes » (l. 94). Au sortir de sa convalescence, la lutte entre ses deux amours, la dame et les exploits de chevalerie d’un côté et l’Amour de Dieu de l’autre semble avoir trouvé son terme mais Ignace reste captif de l’image qu’il se fait de lui-même ; son apostolat récent est encore marqué par des élans chevaleresques ainsi que l’illustre son attitude sur la route de Montserrat (février/mars 1522) dans sa dispute théologique avec le Maure « Et ainsi il lui venait des désirs d’aller chercher le Maure et de lui donner des coups de poignard ô cause de ce qu’il avait dit [sur le dogme de l’Immaculée Conception] » (Autobiographie, chapitre II). Comme l’illustre aussi son étrange moyen d’interroger Dieu dans cette affaire « lassé d’examiner ce qu’il serait bon de faire et ne trouvant aucune résolution, il décida ceci, à savoir laisser aller sa mule avec les rênes lâches, jusqu’à l’endroit où les chemins se séparaient. Si la mule choisissait le chemin du bourg, il chercherait le Maure et lui donnerait des coups de poignard. Si elle n’allait pas vers le bourg mais prenait le chemin royal, il le laisserait tranquille. » (Autobiographie, chapitre II)


Lorsqu’il prend congé de son frère pour partir en pèlerinage à Montserrat, rien ne laisse présager que ce pèlerin parmi tant d’autres devienne le fondateur de l’ordre de la Compagnie de Jésus. Cet homme qui a connu une première grâce divine n’est pas totalement « pris » par Dieu comme le montrent les gestes de chevalier qu’il accomplit lors de sa veillée d’armes la nuit de l’Annonciation devant la Vierge Noire de l’abbaye de Montserrat . Ce n’est qu’après « l’Illumination fondatrice » près du fleuve Carboner, près de Manrèse qu’Ignace devient véritablement un converti pratiquant la foi, l’espérance et la charité, les trois vertus théologales, signe d’une authentique conversion. Grâce à sa force de caractère, il vit en ermite à Manresa (1522-1523) et y commence la rédaction des Exercices spirituels. Pendant sa retraite, il consigne par écrit les principales règles de conduite de la future compagnie de Jésus, qu’il a lui-même pratiquées. Celle-ci débute en 1534 où Ignace, avec des étudiants ibériques , adopte le vœu de Montmartre (15 août), s'engageant à la pauvreté, à la chasteté, et à partir dès que possible à Jérusalem pour y convertir les infidèles ou en cas d’impossibilité à se soumettre directement aux ordres du pape. Dès lors, la création d’un ordre prend corps. Parti en Italie, il y sera ordonné prêtre en juin 1537 . L'année suivante, il rédige la Formula instituti, première ébauche des constitutions définitives de la Compagnie, qui est acceptée par Paul III en septembre 1540 . En avril 1541, Ignace est élu général à l'unanimité jusqu’à sa mort en 1556.


Bibliographie :

Le récit du Pèlerin : Autobiographie de saint Ignace de Loyola, André Thiry, Seuil Paris 2001.

Autobiographie, Alain Guillermou, Seuil Paris 1982.

Ignace de Loyola fonde la compagnie de Jésus, André Ravier, Bellarmin Paris 1974.

La vie de saint Ignace de Loyola, Alain Guillermou, Seuil Paris 1961.