Règle du précédent

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La règle du précédent ou stare decisis (latin: rester sur la décision) est une règle de droit s'appliquant particulièrement dans les pays de common law, c'est-à-dire le Royaume-Uni (l'Écosse faisant en partie exception), et beaucoup de ses anciennes possessions, notamment les États-Unis, le Canada et l'Australie. Cette règle veut que les tribunaux rendent des décisions conformes aux décisions antérieures.

Dans les pays de common law, d'une part, une part importante du droit est un droit coutumier, non écrit dans des lois ou des règlements, et d'autre part, on considère que le sens précis de ces coutumes ou usages - ainsi que des lois écrites - ne s'éclaire que lorsque des tribunaux ont eu à l'appliquer dans des situations concrètes. C'est la jurisprudence, l'accumulation des décisions (les précédents), et en particulier, les motivations (ratio decidendi) que les juges en donnent qui constitue l'essentiel du droit, plus que la loi elle même. On parle de case law, loi issue des jugements, qu'on peut traduire approximativement par jurisprudence.

Dans ce contexte, la sécurité juridique, qui veut qu'on puisse raisonnablement connaître la loi exige que la jurisprudence soit effectivement respectée. Dans leurs arrêts, les cours citent régulièrement de nombreuses décisions antérieures sur lesquelles elles fondent leurs décisions, beaucoup plus que la loi elle même. La règle du précédent s'impose toujours aux cours inférieures quant aux décisions de leurs cours d'appels. Ainsi, en Angleterre, les tribunaux de premières instances, par exemple les Magistrates' Court doivent strictement se conformer à la jurisprudence la plus récente de la Crown Court, elle même dépendant de celle de la High Court. Encore au-dessus, se trouve la Court of Appeals, et enfin, le comité judiciaire de la chambre des Lords, qui tranche en dernier ressort et dont la jurisprudence s'impose à tous. De l'autre côté de l'Atlantique, les décisions antérieures de la Cour suprême des États-Unis s'imposent (bind) à toutes les autres cours, qu'elle soient fédérales ou relèvent d'un État. Plus bas dans la hiérarchie, les tribunaux se conforment à la jurisprudence de la cour d'appel (les district court respectent la jurisprudence de la court of Appeals dont ils dépendent, et district court comme court of Appeals respectent la jurisprudence de la Cour suprême ; les district court en revanche ne sont pas liées par les décisions des court of Appeals autres que celle dont ils dépendent : elle peuvent citer leurs décisions, mais rien ne les oblige à s'y conformer).

La question principale qui se pose quant à la règle du précédent, est quand ne pas l'appliquer. Les cours inférieures sont strictement liées par les précédents des cours supérieures. Mais une cour n'est pas forcément liée par ses propres précédents. Ce n'est jamais le cas aux États-Unis. Au contraire, la tradition britannique impose qu'une cour se tienne à ses propres précédents, tout au moins quand il s'agit des cours les plus importantes, celles dont les décisions sont sources de droit. Cependant, depuis 1966, la Chambre des Lords est explicitement dégagée de cette obligation, ce qui permet, très exceptionnellement, de révoquer des précédents devenus manifestement inadaptés ou injustes. Aux États-Unis, la cour suprême le fait beaucoup plus fréquemment. La différence tient sans doute à ce qu'en Grande-Bretagne, le parlement peut, par une nouvelle loi, mettre fin à une jurisprudence qui lui déplait. Au contraire, lorsque la Cour suprême des États-Unis fonde sa décision non sur une loi, mais sur la Constitution, seule une modification de la constitution permettrait de revenir dessus, ce qui rend souhaitable une plus grande flexibilité de la cour. Il est clair cependant que la sécurité juridique exige que l'usage de cette flexibilité reste limité. Dans tous les cas, la nouvelle décision forme un nouveau précédent, qui efface la jurisprudence antérieure et s'impose aux cours inférieures.

En pratique, il existe un autre moyen pour un tribunal de s'écarter de la règle du précédent, qu'il s'agisse d'une de ses propres décisions ou de celles d'une cour supérieure. C'est la technique de la distinction (distinguishing). Le tribunal doit montrer en quoi l'affaire qu'il juge se distingue de celles précédemment jugées, et pourquoi les précédents ne peuvent s'y appliquer pleinement. Ce faisant, il ne remet pas en cause la jurisprudence, il la complète. Tout l'art du juriste de common law (common lawyer) consiste donc à savoir déterminer quand deux cas sont identiques, ou quand ils sont différents. Cela peut mener à de longues discussions sur les faits de la cause, et parfois à quelques solutions artificielles lorsqu'on souhaite s'écarter d'un précédent encombrant sans pour autant le renverser. Sur un plan plus positif, cela fait du juriste anglo-saxon un juriste subtil et apte à discerner si l'application d'une solution traditionnelle mènerait à une absurdité.