Prise de la Sardaigne par les Catalans

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Dès l’an 1200, et pendant les décennies qui suivent, des intrigues, des conspirations et des révoltes locales fomentées, soit par Gênes, soit par Pise, bouleversent le paysage de la Sardaigne. Mais les complices d’hier deviennent bientôt les ennemis du jour. Le 6 août 1284, c’est la bataille navale de Meloria ; la flotte de Gênes commandée par Oberto Doria l’emporte sur celle de Pise aux ordres d’Alberto Morosini. Le commandant vaincu finira ses jours dans les prisons de Pise où on ne lui a pas pardonné la défaite. Toujours est-il que cette date marque le déclin de Pise sur la Sardaigne. La Ville-République ne conserve désormais qu’une petite partie au sud de la Sardaigne. Quoiqu’il en soit, Gênes et Pise continuent à monopoliser les activités économiques et politiques de l’île. Malgré tout, quelques villes sardes profitent de leur statut de communes libres : Viladesglésies (Iglesias), Cagliari, Sassari, Castelgenovese (Castelsardo). L’emprise des deux Républiques est donc considérable en Sardaigne.

En 1285, après la conquête de la Sicile par les Catalans et après la funeste croisade du roi de France en Terre catalane, ni le pape, ni le roi de France, ni le roi de Naples n’acceptent une Sicile catalane ; en 1295, par le traité d'Anagni, supervisé par le pape Boniface VIII, les Catalans abandonnent le pouvoir qu’ils ont en Sicile ; en échange, le pape leur accorde la Sardaigne et la Corse. Or, les Siciliens ont refusé le traité d’Anagni, et la guerre a repris.

S’il faut la conquérir, sachez que la Sardaigne est un gros morceau avec 24.000 km² ; elle est légèrement plus petite que la Sicile qui compte 25.000 km², la Catalunya ayant, environ, 32.000 km² ; pour l’ensemble de la couronne, il convient d’ajouter, bien sûr, l’Aragon et le royaume de València.

Rapidement, les options se dégagent. Gênes et Pise rejettent ouvertement l’acte de donation signé par le pape et les deux Républiques mènent la danse ; elles rassemblent quelques familles sardes. Dans le camp catalan, on comprend alors qu’il faudra lancer une opération militaire. Auparavant, à Barcelone, le roi Jaume II de Catalunya-Aragó (Jacques II de Catalogne Aragon) doit régler toutes sortes de problèmes, et notamment, s’assurer une paix solide et durable avec ses voisins : le royaume de Castille, le royaume de France (avec les nobles du Languedoc), le royaume musulman de Grenade, le sultan de Tunis, les roitelets d’Afrique du Nord. Enfin, pour Jaume II, le moment est venu ; il est temps de réunir ses conseillers, de faire le point de la situation et de préparer un plan d’action. Quelques événements vont montrer que les Sardes attendent les Catalans comme des libérateurs.

Sommaire

[modifier] D’abord, il y a une lettre

Nous connaissons la lettre que frère Frédéric de Fulgenci adresse au roi Jaume II de Catalunya-Aragó. Il explique comment les Sardes sont volés et spoliés par les Visconti, les Donaratico, les Doria, les grandes familles des Républiques de Gênes et de Pise ; les richesses de l’île sont contrôlées : mines d’argent, sel, blé, corail, olives, huile, etc. ; les exportations échappent également aux Sardes. L’auteur de la lettre est persuadé que l’île est devenue une colonie d’exploitation ! Il affirme que chacun a les yeux tournés vers le pays catalan, vers Jaume II, seul capable grâce à sa puissance, de sortir les Sardes de cette situation déplorable. La peur empêche les nobles et les bourgeois de se révolter. Ainsi, à Cagliari, un habitant qui a osé s’écrier « Ne déplaise au diable que les Catalans viennent ! » est arrêté par les Pisans ; sa tête est plantée sur une pique et fait le tour de la ville !

[modifier] Puis, il y a un engagement secret

Si l’on veut bien comprendre les événements qui vont suivre, il convient de remonter le temps. En l’an 1157, Barisó I°, Juge d’Arborea, épouse Agalbursa de Cervera ; elle fait partie de l’une des plus puissantes familles de la noblesse catalane ; désormais, les Catalans ont un « pied dans l’île ». En 1192, avec l’appui du jeune roi catalan Alfons I°, on signe le compromis d’Oristany ; les droits d’héritage de la lignée catalane sont reconnus officiellement ; ainsi en 1192, le nouveau juge, Hug I° d’Arborea, est aussi appelé Hug Ponç de Cervera ; puis, toujours à Arborea, lui succèdent Pere II, Marià II (qui, en 1284, signe une alliance avec Pierre II el Gran) ; nous arrivons ainsi à Hug II, Juge d’Arborea entre 1321 et 1335, qui va jouer un rôle déterminant ; le seul Juge, en fait, indépendant de Gênes et de Pise.

Jaume II de Catalunya-Aragó dépêche Vidal de Vilanova, son efficace et discret négociateur ; il rencontre Hug II en 1322. Voilà son message : « si vous soutenez le camp catalan, le roi Jaume II vous promet, dès la victoire acquise, des avantages et des privilèges. » Précisons que le secret a été bien gardé, car les Républiques de Gênes et de Pise, pourtant sur place dans l’île, sont persuadées que Hug II reste leur allié.

Du côté catalan, la situation internationale s’est éclaircie ; le moment est venu de prévoir l’expédition militaire. En 1321, le roi Jaume II de Catalunya-Aragó convoque les Corts Catalanes à Gérone. Dans son discours d’ouverture, face aux députés, le roi expose le projet. Après l’avoir écouté attentivement, Sanç I° roi de Mallorca ( Sanche I° souverain du royaume de Majorque) qui assiste aux Corts, prend la parole : il annonce qu’il offre vingt galères armées à ses frais, deux-cents hommes à cheval, des piétons et cela pour quatre mois, plus un prêt de 25.000 livres. Il faut dire que Sanç était parfaitement au courant de l’entreprise ; son ambassadeur Guillem de Saguàrdia, baron de Canet en Roussillon, avait bien préparé les entretiens avec Jaume II à Barcelona. Aussi, lorsque les Corts sont convoquées, Sanç I° sait déjà de quoi il s’agit ; d’ailleurs, suite à cette affaire, le roi récompense Guillem : la baronnie, devient un vicomté, grimpant ainsi un échelon; Guillem III de Saguàrdia est donc le premier vicomte de Canet.

Toujours bien documenté, le chroniqueur Ramon Muntaner raconte la suite des débats : « Après cette offre du seigneur roi de Majorque, tous les riches hommes, toutes les cités, tous les évêques, archevêques, abbés, prieurs, offrirent aussi d’aider Jaume II ; et ainsi les secours que le seigneur roi trouvait en Catalogne furent si considérables que c’est merveille. Il vint aussi en Aragó où on lui fit de pareilles offres ; puis, dans le royaume de València où on en fit tant autant ». Bref, Barcelona, València et l’Aragó suivent l’élan et donnent les mêmes contingents.

Et les « ruches catalanes » se mettent au travail. Le roi Sanç de Mallorca lance la construction ou l’aménagement de galères et de bateaux à Palma et à Collioure ; il organise la cavalerie et les autres troupes ; il ouvre des bureaux de recrutement pour les volontaires en indiquant, qu’aussitôt les galères construites, les hommes seront tenus pour enrôlés et seront alors rémunérés.

Enfin, le grand jour arrive. La flotte de Sanç de Mallorca est fin prête, commandée par Hug Totzó du Roussillon, elle est concentrée à Maó, le port de Menorca. Celle de València et celle de Barcelona ont jeté l’ancre au port de Fangòs, le fameux port de Tortosa, situé sur le fleuve Ebre. En ce 31 mai 1323, l’immense flotte de guerre et de transport est rassemblée ; elle est si importante, qu’aucun pays ne peut l’égaler. On n’attend plus que le signal du départ pour hisser les voiles. Le roi Jaume II a confié les rênes de l’expédition à son fils, le primogènit Alfons ( le fils aîné Alphonse ), alors âgé de vingt-quatre ans, le roi s’approche de lui et prononce ces mots clairs et forts, désormais historiques : « Fill, jo us do la bandera nostra, antiga, del Principat de Catalunya, la qual ha un singular privilegi… que null temps, en camp on la nostra bandera reial sia estada, jamès no fo vençuda ni desbaratada ». (« Fils, je vous donne notre ancienne bannière du principat de Catalunya qui possède un singulier privilège qu’il faut que vous lui conserviez. Elle est sans tache aucune et scellée avec une bulle d’or; jamais en champ clos, elle ne fut ni vaincue ni mise en déroute et cela par la grâce particulière de Dieu et la grande fidélité de nos sujets... »). Et entre conseils et recommandations, le roi stimule son fils pour qu’il se conduise comme un valeureux chevalier : « Fill, com serets en la batalla, ferits primer esforçadament e poderosa ; o morir o vençre, o vençre o morir, o morir o vençre ».

Et Alfons, accompagné de sa fidèle épouse Teresa d’Entença, quitte le sol catalan sur une barque qui le conduit sur la « coca », « Sancta Eulàlia », appartenant à Bernat et Arnau Ballester, citoyens de Barcelona. Enfin, l’amiral Francesc Carròs donne le départ. Le spectacle est grandiose ; imaginez ces deux cent cinquante bateaux, toutes voiles gonflées, s’éloigner lentement et disparaître à l’horizon. Le roi et le reine restent sur la grève jusqu’au moment où disparaissent à l’horizon les dernières voiles : «  rei i reina estegren aquell dia a la marina mirant-los entró los hagren perduts de vista ».

L’aventure est en marche. Mais une tramontane défavorable les oblige à séjourner cinq jours au port de Maó, sur l’île de Menorca. Les hommes sont les invités du roi Sanç. C’est là que les premières bonnes nouvelles en provenance de la Sardaigne arrivent ; on apprend que des troupes sardes, sous les ordres du Juge Hug II d’Arborea, et les premiers renforts catalans des trois navires arrivés fin mai, commandés par les vicomtes Guerau et Dalmau Rocabertí, ont préparé l’arrivée sur l’île ; ils ont déjà posé le siège au pied du château de Cagliari et de la cité de d’Esglésies. On réalise que le travail diplomatique mené habilement par les Catalans a porté ses fruits.

Et c’est un second départ, cette fois de Maó ; les vaisseaux du royaume de Mallorca se joignent à l’escadre et la flotte est au complet, cap sur la Sardaigne : 300 vaisseaux divers (63 galères et des bateaux de transports), 15.000 hommes (infanterie et almogavares), et 3.000 cavaliers de la couronne. C’est ainsi que le 14 juin 1323, Alfons et ses armées posent le pied au sud de la Sardaigne. Peu de temps après, sur la plage du golfe de Palmas, un grand nombre de nobles et de seigneurs de Sardaigne lui prête serment de fidélité.

Alors le jeune Alfons, ses conseillers, et quelques militaires sardes font le point. Quelle est la situation ? Le château de Cagliari est aux mains des Pisans ; il est capable de résister à un long siège ; sur la mer, la flotte pisane menace également la marine catalane. Voici donc le plan qui est décidé. L’armée terrestre catalane est partagée en deux parties ; le gros des troupes se dirige vers Esglésies, pour établir le siège déjà entamé par Hug II d’Arborea et Rocabertí ; on débarque, en pièces détachées, les engins de guerre (catapultes et autres) et on les remonte face aux fortifications ; l’autre partie des troupes va à Cagliari pour encercler le château ; pendant ce temps, la flotte de l’amiral Carròs surveille la mer. Le siège d’Esglésies n’est pas facile. Le premier assaut de la cité est lancé le 1e juillet 1323, mais la dureté de la lutte et les maladies diminuent les forces catalanes ! On comprend alors que le siège risque de se prolonger. Finalement, la ville capitule le 7 février 1324.

Pendant ce temps, Ramon de Sentmenat s’est emparé de la région du nord, région de Gallura. Evidemment, avec la prise d’Esglésies, les troupes catalanes retrouvent un moral d’acier. Alfons se dirige maintenant vers Cagliari (Càller). Les marécages insalubres provoquent des maladies, affaiblissent les troupes et même affectent les dames de compagnie de l’épouse Teresa ; Alfons lui-même est souffrant ! Alors, on décide d’installer le campement sur une hauteur; puis, on bâtit un mur d’enceinte ; il se trouve que ce sera les fondations de la future ville de Bonaire, (bon air), avec son église et son château ; ainsi, les armées se trouvent-elles à l’abri des marécages. Le siège se poursuit et de nouveaux renforts arrivent : dix-huit galères légères, rapides, maniables, comme l’avait conseillé l’expérimenté Ramon Muntaner.

De son côté, Pise n’abandonne pas la partie. Elle envoie, elle aussi, une puissante flotte commandée par le comte de Donartico : 40 galères et 6.000 hommes de Pise et des mercenaires allemands. L’épreuve s’annonce dure tant sur terre que sur mer. Le face à face s’engage le 29 février 1324, dans un lieu dit Lucocisterna, proche de Càller. Alfons est à la tête de 500 cavaliers et de 2.000 almogavares ; Pise a 1.200 cavaliers et 2.000 arbalétriers. C’est l’épreuve de vérité. Si les armées catalanes et aragonaises viennent à bout des Pisans… la Sardaigne est gagnée ! Et le jeune Alfons est au cœur du combat. Toujours debout, l’étendard catalan aux quatre barres est porté par le chevalier Joan Fernández d’Urrea ; l’ennemi se précipite sur lui, touche le cheval et la bannière catalane tombe à terre, elle est aussitôt saisie par un cavalier pisan qui montre à tous son trophée ! Alors, n’y tenant plus, le jeune Alfons se précipite sur l’ennemi, son cheval est tué, il roule à terre, ses hommes le relèvent au milieu d’une mêlée où pleuvent les coups d’épée, de lances, de boucliers dans un vacarme étourdissant ; aussitot, son conseiller Joan de Boixadors lui donne son cheval et, un moment isolé au milieu des ennemis, Alfons récupère l’étendard catalan.

Voilà ce qu’écrit le diplomate Guillem d’Olomar dans une très intéressante lettre adressée au roi Jaume II, resté à Barcelona ! Selon Guillem, Alfons est capable de porter la couronne royale ; il ajoute que le jeune Alfons est maintenant un homme accompli : « Hom fort acabat e que en aquest viatge s’es estret e fet hom a que’ls afers fan hom ». La lettre mentionne que la victoire a été possible grâce à l’exploit de Guillem d’Anglesola envoyé en avant-garde. Précisons que Guillem d’Olomar, bien que diplomate royal, est arrivé en Sardaigne à la tête de 200 arbalétriers, 500 soldats à pied, 500 rameurs.

Les Pisans, mis en fuite, embarquent en désordre, mais, un grand nombre se noie dans les marais qui environnent le champ de bataille ; le comte de Donartico, le chef de l’expédition, quoique blessé, parvient avec 500 soldats à se réfugier dans le château de Cagliari ; le reste de son armée est écrasé. Or, le même jour, ce 29 février 1324, l’amiral Carròs anéantit la flotte militaire de Pise ; elle est prise, brûlée ou en fuite.

Ainsi ce double triomphe, terrestre et naval, permet au corps expéditionnaire de resserrer le siège du château Cagliari. Installés dans leur ville en construction de Bonaire, les Catalans attendent patiemment la capitulation du château. Ils savent que ce 29 février a été une date décisive pour la domination de l’île. Au début d’avril, le roi Jaume II envoie d’autres renforts à son fils Alfons, quatre « llenys » et deux gros bateaux de transport. Par contre, Pise ne peut plus ravitailler le château encerclé par les Catalans: les assiégés sont condamnés à se rendre. Le 19 juin 1324, le traité de paix est signé dans la tente du jeune Alfons. Pise cède au roi Jaume II et à son fils Alfons tous les droits qu’elle a sur la Sardaigne et la Corse : villes, châteaux, villages, terres, ports, mines et salins ; les Pisans gardent le château de Cagliari, mais ils doivent rendre hommage au roi catalan ; ils ont le droit d’aller et venir en Sardaigne et de faire du commerce. La Senyera Catalana aux Quatre Barres est dressée sur le haut du clocher de l’église de Cagliari. Au nord de l’île, la ville de Sassari ouvre spontanément ses portes aux Catalans : privilèges et coutumes sont conservés. Désormais, les villes portent des noms catalans. Cagliari devient Càller ; Viladesglésias, Esglésies ; Sassari, Sàsser ; etc.

Alfons nomme deux hauts responsables. Un gouverneur de l’île et un trésorier. Le gouverneur est Felip de Saluzzo ; pourquoi Alfons choisit-il Felip ? il fait partie de sa famille, par sa grand-mère la reine Constança ; il a été le conseiller de Frederic II, roi de Sicile ; enfin, il a été marié à Sibilla de Peralta, puis une fois veuf, il a épousé Galbors de Cervera, ce sont les filles de deux puissantes familles catalanes ; Felip connaît donc parfaitement les problèmes de l’île et il a les appuis nécessaires. Le trésorier est Arnau de Caça ; cet homme de grande expérience, né dans l’île de Mallorca, avait participé à la conquête de la Grèce avec les Almogavares ; il était l’ami de Ferran (Ferdinand), le frère du roi Sanç I° de Mallorca, qu’il avait accompagné en Grèce en 1315.

Conscient que sa mission est accomplie, Alfons, accompagné de son épouse Teresa, peut envisager maintenant le retour en terre catalane. Le 25 juillet le couple quitte la Sardaigne. Le 1e août 1324, il débarque à Barcelona. Sur le port, près des drassanes, son père Jaume II, la reine Elisenda, plusieurs familles de la noblesse catalane l’attendent émus, prêts à l’embrasser. Seul absent de marque, qui a beaucoup donné pour l’expédition, c’est Sanç I°, roi de Mallorca ; souffrant, il s’est fait remplacer par son frère Felip ( Philippe ), chanoine ; dès son retour à Perpignan, il fera le compte-rendu de cette historique réception. Historique, ça oui ! Vous vous doutez que le peuple de Barcelona, curieux et friand d’événements aussi considérables, assiste à la scène des retrouvailles royales. Le chroniqueur Ramon Muntaner décrit les festivités qui se déroulent sur tout le territoire de la couronne de Catalunya-Aragó et sur celui du royaume de Mallorca : « La festa fo molt gran en Barcelona e per tota Catalunya e Aragon, e el reine de València e Múrcia, e a Mallorca e en Rosselló, que totes les gents faeren de la vinguda del senyor infant e de madona la infanta ». Et l’euphorie gagne toutes les régions ; partout ce sont des scènes de réjouissances.

Quand il sera couronné roi, Alfons, pour remercier Hug II d’Arborea, le dispensera de lui prêter serment ; le roi lui accordera également le droit de donner des titres à ses enfants ; la plupart d’ailleurs épouseront des Catalans.

Vous venez de lire comment, en un peu plus d’une année, le corps expéditionnaire catalan a pu faire la conquête de la Sardaigne. Et, vous pensez probablement que les Catalans sont installés pour longtemps dans l’île. Ce ne sera pas aussi simple. Pendant des dizaines d’années, Gênes et Pise vont inlassablement fomenter des révoltes et préparer des flottes de guerre. La première bataille éclate un an après : en 1325. Inutile de vous dire que les Catalans n’abandonnent pas la partie. Le roi Jaume II envoie des renforts commandés par Bernat de Suspuglas qui s’ajoutent aux forces de l’amiral Francesc Carrós ; ils écrasent la flotte de Pise et de Savone devant Càller ( Cagliari ). La République de Pise est forcée de renoncer définitivement à tous ses droits sur la Sardaigne.

Les Catalans ont eu le temps d’observer les institutions de la Sardaigne ; elle sont vraiment très différentes des institutions catalanes. Alors, Jaume II nomme les deux réformateurs : Berenguer de Vilaragut et Bernat Gomis pour donner à la Sardaigne les mêmes structures administratives qu’en Catalunya, et notamment un parlement unique pour toute l’île, ce qui n’existe pas encore ! On décide donc de dissoudre l’organisation sarde mise en place par les quatre Juges ; pour instaurer la nouvelle organisation, on fait appel surtout aux Catalans ; c’est ainsi que la langue catalane devient langue officielle. Le 25 août 1327, la ville de Càller, conserve ses avantages, mais les institutions de la municipalité (avec élections) sont calquées sur celle de Barcelona. Càller devient donc le centre du gouvernement royal catalan en Sardaigne. Les Sardes peuvent bien sûr circuler dans la ville, mais ils ont interdiction de passer la nuit dans le château : la guerre, on le sent, n’est pas finie.

Les échanges commerciaux et culturels continuent entre l’île et les cités catalanes. En 1343, des mineurs sardes sont envoyés quelque temps en Catalogne dans les mines catalanes, pour enseigner aux Catalans leurs techniques d’extraction et de traitement de l’argent.

[modifier] Des conflits interminables

En 1347, éclate une nouvelle révolte fomentée par Gênes et Pise : le gouverneur catalan de l’île, Guillem de Cervelló est tué. Pere III el Cerimoniós, le nouveau roi de la couronne Catalunya-Aragó, envoie aussitôt une flotte commandée par Bernat II de Cabrera ; l’amiral catalan, triomphe de la flotte de Gênes dans la baie de Porto Conte. En 1353, le roi lui-même, à la tête d’une flotte puissante, séjourne dans l’île ; il sait que, dans le sud, il peut compter sur Càller ; pour le nord, le roi décide de s’appuyer sur le petit port de l’Alguer ( Alghero ) ; il va donc lui donner d’énormes privilèges administratifs, commerciaux et financiers : monopole du négoce du corail, droits de pêche, escale obligatoire pour les bateaux catalans de passage, etc. Peu à peu, la ville grandit et se fortifie.

Mais ce n’est pas suffisant : Gênes joue encore au trouble-fête et harcèle en permanence le nord de l’île. Alors, le 28 septembre 1372, le roi décide l’expulsion totale de tous les étrangers et de tous les Sardes de l’Alguer : la ville est entièrement repeuplée par des Catalans qui rachètent, à bon prix, les maisons et les terres. Dois-je vous le préciser ? Ces nouveaux habitants de l’Alguer seront les fidèles alliés de la couronne catalane.

En 1376, Hug III d’Arborea, opposé aux Catalans qu’il considère comme « les ennemis publics », s’autoproclame roi de Sardaigne ; mais peu psychologue et piètre politique, il est haï par les siens et il finit assassiné par ses proches. En 1379, une nouvelle flotte de Gênes tente le blocus de Càller, mais elle est écrasée par l’amiral Gilabert de Cruïlles i de Mallorca, lequel est le fils naturel du roi Sanç de Mallorca.

Le 26 juin 1409, à Sanluri, c’est une bataille décisive ; d’un côté, il y a les Sardes, les Génois et les Languedociens commandés par le vicomte de Narbonne ; de l’autre côté, il y a les troupes catalanes et un contingent de Siciliens sous les ordres de Martí el Jove, ( Martin le Jeune roi de Sicile ), fils de Martí I°, roi de Catalunya-Aragó. Malgré leur infériorité numérique criante, les Catalans plus aguerris, meilleurs stratèges, très disciplinés remportent une victoire complète : butin énorme, étendards ennemis envoyés à Barcelona. Le roi Martí I° décrète alors une période de fêtes… Hélas ! un mois plus tard, Martí el Jove tombe malade et il meurt.

Mais, cette bataille que l’on croyait décisive, n’a pas été la dernière ! En 1412, Lléonard Cubello reprend le flambeau du vicomte de Narbonne ; assiégé à Oristany, il est battu par les forces catalanes de Pere de Torrelles. Finalement, en 1420, Alfons IV el Magnànim ( Alphonse le Magnanime ), le nouveau roi catalan, s’adresse à l’héritier de la famille sarde d’Arborea : c’est le vicomte Guillem II de Narbonne, celui-là même qui avait été écrasé en 1412 ; après négociation, le roi lui achète tous ses droits sur la Sardaigne pour 100.000 florins. Ouf ! La Sardaigne est enfin pleinement catalane : il aura fallu quatre-vingt-dix-sept ans ! Et, comme vous l’avez noté, le royaume de Mallorca a joué un rôle remarquable dans cette expédition militaire.

En conclusion, nous pouvons dire que la Sardaigne est devenue, une base commerciale catalane de premier ordre, et aussi une base militaire et politique. L’installation d’importants contingents de population catalane, le pouvoir politique et économique, le prestige culturel ont fait que rapidement la langue catalane a été parlée dans les villes et les campagnes, elle a été la langue officielle des documents administratifs et du Parlement de toute l’île ; en 1421, sous le roi Alfons IV el Magnànim, ce sera la réunion du deuxième Parlement après celui de 1355 convoqué par Pierre III ; Alfons lui donnera une solide organisation et créera un calendrier ; le parlement s’est tenu en catalan, langue comprise par tous. Le port de Palma sera rapidement le grand bénéficiaire des échanges commerciaux avec la Sardaigne.

Dès le XV° siècle, pour les Catalans, il n’y a pas de différence entre la Sardaigne et les Balears qui font partie de la confédération Catalunya-Aragó-València. En architecture, les Catalans exportent en Sardaigne le style gothico-catalan, comme ils l’avaient fait en Sicile. La Sardaigne reste donc attachée à la politique catalane et ibérique de 1323 à 1713. En 1718, Victor Amédée II de Savoie devient roi de la Sardaigne.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens externes

Histoire des catalans

[modifier] Articles connexes