Modèle christallérien

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Le modèle christallérien, dit aussi théorie des lieux centraux, renvoie aux travaux du géographe allemand Walter Christaller. Il s'agit d'une théorie spatiale, visant à expliquer la hiérarchie des villes, selon leurs tailles, leurs localisations, leurs fonctions. Cette théorie s'appuie sur un ouvrage de référence publié par Christaller en 1933, intitulé « Die zentralen Orte in Süddeutschland » (Les lieux centraux dans le sud de l'Allemagne).

Sommaire

[modifier] La théorie des lieux centraux

Premier modèle de Christaller
Premier modèle de Christaller
Second modèle de Christaller
Second modèle de Christaller
Troisième modèle de Christaller
Troisième modèle de Christaller

La présentation classique de la « théorie de la centralité » à l’aide d’un « modèle christallérien » est le résultat d’une réinterprétation et d’une reformulation des recherches de Walter Christaller dans « Die zentralen Orte in Süddeutschland » (1933).

  1. Ce « modèle » réduit l’espace géographique à un espace « homogène ». C'est-à-dire, à un espace où on se déplace de manière identique et à la même vitesse dans toutes les directions (isotropie) et dans lequel des formes géométriques régulières identiques se déduisent les unes des autres (isomorphie).
  2. Ce « modèle » fonctionne sans tenir compte des comportements culturels et psychologiques des populations. Les producteurs et les consommateurs font des choix rationnels et se déplacent de la manière la plus économique.
  3. Ce « modèle » permet alors de déduire qu’« en théorie » les villes dans lesquelles vivent ces populations s’organisent spatialement en réseaux hiérarchisés qui fonctionnent en vertu de trois « principes » souvent appelés des « logiques ».

[modifier] L'organisation selon le principe de marché

Ce « principe » est censé résulter des lois économiques de l’offre et de la demande. Une ville est un lieu de création et de consommation de richesses. Il en résulte une concentration, une accumulation et une convergence de population. Plus une ville offre de biens et de services, plus son « aire d’influence » en tant que lieu central est étendue. L’espace étant homogène, l’optimisation de la répartition des villes s’explique par leur localisation aux centres et aux sommets de figures hexagonales régulières. En effet, en plus de lui-même, chaque lieu central situé au centre d’un hexagone dessert six lieux centraux aux sommets de cet hexagone. Mais chaque lieu central situé au sommet d’un hexagone appartient également à deux autres hexagones adjacents. Par conséquent, pour Walter Christaller les lieux centraux situés aux 6 sommets d’un hexagone sont desservis à raison d’un tiers par trois lieux centraux situés dans trois hexagones adjacents. Pour un hexagone complet, le coefficient numérologique du « principe de marché » est donc : 1 unité pour le lieu central situé au centre de l’hexagone et 6 fois un tiers pour les lieux centraux situés aux sommets, soit : k = (6 x ⅓) + 1 = 3.

[modifier] L'organisation selon le principe de transport

Ce principe est censé résulter de la recherche de l’économie dans les déplacements entre les lieux centraux. Afin de réduire ces frais au minimum Walter Christaller propose d’aligner les lieux centraux secondaires entre les lieux centraux principaux sur les diagonales qui joignent les centres des hexagones initiaux. Chaque lieu central situé au centre d’un hexagone dessert six lieux centraux situés sur les côtés qui l’entourent. Inversement, chaque lieu central situé sur l’un des 6 côtés d’un hexagone est desservi pour moitié par les deux lieux centraux localisés dans les hexagones adjacents au côté où il se trouve. Pour un hexagone complet, le coefficient numérologique du « principe de transport » est donc : 1 unité pour le lieu central situé au centre de l’hexagone et 6 fois un demi pour les lieux centraux situés sur les milieux des côtés, soit : k = (6 x ½) + 1 = 4.

[modifier] L'organisation selon le principe administratif

Ce principe est censé résulter d’une organisation spatiale pyramidale de lieux centraux secondaires autour d’un lieu central principal. Walter Christaller situe les lieux centraux secondaires à égale distance du lieu central principal sur les sommets d’un hexagone (figure 1). Chaque lieu central situé au centre de l’hexagone principal exerce son pouvoir administratif et politique sur six lieux centraux secondaires. Pour un hexagone complet, le coefficient numérologique du « principe d’administration» est donc : 1 unité pour le lieu central situé au centre de l’hexagone et 1 unité pour chaque lieu central situé sur les sommets, soit : k = (6 x 1) + 1 = 7.

[modifier] À propos du facteur k

La signification du facteur k introduit par Christaller est diversement interprétée. Il semble qu'à l'origine, k désigne le rapport entre le nombre de villes au niveau n de la hiérarchie et le nombre de ville au niveau (n-1). Par exemple, si, sur un territoire donné, on a 3 villes de niveau 2, il y aura 9 villes de niveau 3 selon le principe de marché où k = 3. Chaque ville ne doit être comptabilisée qu'une seule fois, même si elle est englobée dans plusieurs aires d'influences. Cependant, d'autres géographes intéprètent k non pas comme un facteur arithmétique mais géométrique, en prenant en compte le rapport de surface entre l'aire d'influence d'un centre de niveau n et celle d'un centre de niveau (n-1).

Il y a enfin une troisième interprétation qui s'appuie sur l'appartenance de Walter Christaller à un famille d'ecclésiastiques. Il connaissait bien la Bible et les Evangiles auxquels il fait allusion dans son autobiographie. Le chiffre 3 est celui de la Trinité. Le chiffre 4 renvoie aux quatre vivants dans le chapitre 1 de l’Apocalypse de saint Jean. Le chiffre 7 = 4 + 3 se réfère à la création du monde en sept jours dans la Genèse. Il ne s'agirait pas de mathématique mais de numérologie très présente dans la géographie allemande (Voir Carl Ritter : Introduction à la géographie générale comparée, 1852).

[modifier] Interprétations et critiques de la théorie

La validité du « modèle christallérien » est actuellement sujette à controverse dans les milieux universitaires. En effet, après avoir été critiquée sévèrement avant la deuxième guerre mondiale, elle a été réhabilitée par les « nouveaux géographes » après la fin du conflit pour être à nouveau contestée à la fin du XXe et au début du XXIe siècle. Depuis 1880, les mathématiciens considèrent un « modèle » comme une « structure qui réalise les propositions d’une théorie » (H. Poincaré) et depuis 1928 les linguistes voient dans un « modèle » une « représentation simplifiée de relations entre unités d’un système » (V. Propp). Or, en 1933 et 1941 Christaller parle de « schéma » (mathematisches Schema, mathematical Scheme) mais pas de « modèle » (Modell, model) de son « système des lieux centraux » (System der zentralen Orte, System of Central places) dans une « théorie de la géographie des lieux habités » (Siedlungsgeographie, geography of settlements) et non pas d’une « théorie de la centralité ».

Pour Walter Christaller la figure géométrique de base du système des lieux centraux n’est pas l’hexagone régulier mais le triangle équilatéral. Il prend soin de le rappeler à l’aide d’un dessin où il précise qu’il ne faut pas partir d’une distribution initiale théorique des lieux en carrés mais en triangles équilatéraux (nicht die Verteilung, sondern die Verteilung (1933), not this distribution, but this distribution (1966)) pour que les lieux s’organisent en hexagones parfaitement réguliers. Cette contrainte est liée à la manière dont il pose le problème et tente de le résoudre géométriquement.

Les « principes de fonctionnement » déduits de la position des lieux centraux dans les « schémas » géométriques christallériens se veulent universels, c’est-à-dire valables partout à la surface de la Terre et fonctionnels à toutes les époques. Les lieux centraux sont représentés à l’aide des schémas dans un plan qui a les mêmes propriétés dans toutes les directions : c’est un espace isotrope. La construction des figures normatives des lieux centraux permet à Walter Christaller de déduire une figure de la précédente à l’aide de la construction : triangle équilatéral → hexagone régulier → nouveau triangle équilatéral de niveau supérieur → hexagone régulier de niveau supérieur etc. (1933, 1966) : c’est un espace isomorphe.

Walter Christaller lui-même n’a pas réussi à valider cette représentation dans ses recherches et retrouver dans le sud de l’Allemagne au XXe siècle la répartition géométrique triangulo-hexagonale prévue par sa théorie. Exposée de manière triangulo-hexagonale la « théorie des lieux centraux » a donc été invalidée pour l’époque contemporaine par Walter Christaller lui-même (1933, karte 4). Il a certes affirmé le caractère « anormal » du résultat des ses observations en Allemagne du Sud et il a donc contribué à « normaliser » les espaces conquis à l’Est par le IIIe Reich. Dans le Warthegau partie annexée de la Pologne occidentale il a participé à la planification spatiale des exterminations-déportations des habitants dans les villages « à ramener (abwerten) à la dimension typique » afin de pouvoir créer (Neugründung), et « développer (entwickeln) jusqu'à la taille typique » des villages principaux de 600 habitants en y installant des « Allemands de souche ». Il a également proposé en Haute Silésie annexée de « rétrograder à leur juste taille » des villes existantes et de créer une ville de 450 000 habitants « centre culturel [...] servant de lien entre Breslau et Vienne ». Peu importait que la théorie sous-tendant ces plans criminels soit scientifiquement erronée : la force militaire, la violence policière, la déportation et l’extermination permettaient de créer une table rase sur laquelle les schémas théoriques pouvaient être réalisés.

Après Walter Christaller, aucun géographe n’a pu trouver dans le monde un réseau de lieux centraux disposés en hexagones réguliers et obéissant aux trois « principes de fonctionnement » déduits grâce à leurs positions sur les schémas théoriques triangulo-hexagonaux. Pratiquement les schémas ne sont plus utilisés que pour suggérer (non sans difficultés !) une « image idéale » baptisée « modèle » de la concentration des activités dans certains lieux habités qualifiés de « centraux ». Cependant, si cette pseudo théorie scientifique n’est pas valable pour le XXe siècle et encore moins pour le XXIe, pourquoi ne le serait-elle pas dans les périodes historiques antérieures, à l’époque moderne et au Moyen-Age, périodes pendant lesquelles, en Europe, les lieux habités ont des chiffres de populations moins contrastés ? Beaucoup d’historiens se sont essayés à cette tâche en refusant d’utiliser la théorie dans son intégralité et en y choisissant ce qu’ils y estimaient comme valable. Pour ce faire, ils ont dissocié l’image théorique de ses principes de fonctionnement. Ceci étant, même les plus convaincus de la validité de ce qui restait de la théorie ont été obligés de constater trois choses : 1) il impossible de trouver des figures hexagonales régulières en tirant des lignes droites entre les lieux centraux ; 2) les figures irrégulières obtenues ont très rarement six côtés, mais plus généralement, quatre, cinq, sept côtés ou plus ; 3) ces figures forment des espaces cellulaires séparés par des espaces vides peu ou pas intégrés aux régions générées par les rapports entre lieux habités. Les schémas de Walter Christaller sont beaucoup trop rigides pour rendre compte de l’armature des semis habités, ruraux ou urbains.

A l’inverse, une étude réalisée pour les « bourgs » de la Suisse occidentale du Xe au XVe siècle en acceptant dans leur intégralité la théorie des lieux centraux et les schémas de fonctionnement triangulo-hexagonaux proposés pas Walter Christaller a montré qu’elle ne peut être utilisée de manière scientifiquement valable. En effet, les résultats sont les suivants : 1) Il est impossible de déduire la répartition « centrale » des bourgs considérés comme potentiellement « centraux » en dépit de la formulation de cinq hypothèses « empiriques » valables uniquement pour l’espace de Suisse occidentale à l’époque étudiée et de deux hypothèses ad hoc valables seulement pour la théorie des lieux centraux. 2) Le pourcentage des lieux complètement excentrés qui ne sont pas au niveau où la théorie prévoit qu’ils devraient être est de 30 % au niveau 1, 28 % au niveau 2 et 42 % au niveau 3. Seulement 28 % des lieux les plus importants sont situés au niveau 4 là où la théorie les prévoit en vertu de l’évolution chronologique séculaire. En plus, il n’y pas concordance entre les effectifs de population, les superficies cultivées des hexagones dans lesquelles se trouvent ces populations, les niveaux spatiaux et les degrés hiérarchiques des bourgs. Aucune théorie à prétention scientifique ne peut résister à une telle accumulation d’erreurs. La théorie des lieux centraux est invalidée : les données étant publiques il est loisible d’en vérifier la démonstration.

Les schémas hexagonaux du « système des lieux centraux » de Walter Christaller ne sont pas les « modèles » d’une prétendue « théorie de la centralité ». 1) Les schémas hexagonaux sont des tentatives de représentations graphiques simplifiées d’une théorie qui est réfutée. 2) Les schémas hexagonaux sont construits à partir de schémas triangulaires qui ne résolvent par le problème de la centralité posé par Walter Christaller car ils sont géométriquement faux. Scientifiquement il n’existe pas de « modèle christallérien » de la centralité. Enfin, comme l’a montré August Lösch, il n’est pas possible de fabriquer une théorie à partir d’un modèle géométrique faux. Mais August Lösch avait refusé de prêter serment à Hitler et il ne pouvait se permettre de critiquer un nazi géographe qui participait à la planification spatiale des conquêtes du Führer à l’Est. En 1943, August Lösch s’est donc contenté de dire prudemment ce qu’il pensait dans une note de bas de page en attirant l’attention sur le caractère erroné de la démarche de Walter Christaller.

En effet, leurs démarches respectives sont les suivantes : Walter Christaller : principe général (ordonnencement d’une masse autour d’un noyau) → espace empirique → représentation spatiale triangulo-hexagonale a priori → principes de fonctionnement → hiérarchies August Lösch : principes économiques → formulation mathématique → formes géométriques a posteriori → hiérarchies August Lösch n’a pas « généralisé » Walter Christaller : il l’a réfuté. C’est uniquement la fausse similitude entre les dessins d’hexagones au début des élucubrations théoriques de Walter Christaller et à la fin des raisonnements théoriques d’August Lösch qui a permis de les agréger abusivement. Les prétendus « modèles christallériens » de Walter Christaller n’ont rien à faire dans une théorie de la centralité inspirée par les recherches d’August Lösch sur « l'ordre spatial de l'économie » (Die räumliche Ordnung der Wirtschaft).

[modifier] Mise en pratique

L'assèchement, en 1942, du Noordoostpolder (Pays-Bas), libéra un espace absolument dépourvu d'obstacle, grossièrement circulaire, d'une surface de 45 000 ha. La théorie des lieux centraux a été une des sources d'inspiration de l'aménagement de ces terres et de l'abandon du schéma traditionnel rectangulaire des polders antérieurs. Les postulats étaient les suivants : une zone essentiellement agricole, composée de petites exploitations d'une vingtaine d'hectares, dont la population est dispersée en villages et se déplace en bicyclette. Ainsi, la ville-centre d'Emmeloord fut bâtie, et dix villages répartis de manière circulaire, à équidistance de la ville. L'ensemble devait pouvoir héberger 15 000 habitants.

Cependant, après la guerre, suite à l'augmentation de la taille moyenne des exploitations et à la baisse de la population rurale, associée à la généralisation de l'usage de la voiture, les fondements de l'aménagement décidé ont été remis en cause. La commune garde aujourd'hui une vocation agricole. 25 000 des 45 000 habitants habitent dans la ville-centre d'Emmeloord.

[modifier] Bibliographie

CHRISTALLER W., Jena, 1933, Die zentralen Orte in Süddeutschland.

LOESCH August, Jena, 1940, Die räumliche Ordnung der Wirtschaft.

CHRISTALLER W., Leipzig, 1940-1943, Die Zentralen Orte in den Ostgebieten und ihre Kultur- und Marktbereiche (Struktur une Gestaltung des Zentralen Orte des Deutschen Ostens, Gemienschaftswerk im Auftrage der Reichsarbeitsgemeinschaft für Raumforschung).

BASKIN C.W., London, 1966, Central places in southern Germany.

MICHALAKIS Mélétis et NICOLAS Georges, « Le cadavre exquis de la centralité : l'adieu à l'hexagone régulier », Lausanne, 1986, Eratosthène-Sphragide 1, p. 38-87, http://cyberato.pu-pm.univ-fcomte.fr/eratosthene/files/le%20cadavre%20exquis.pdf

ADAM Sylvie, La théorie de la centralité de Walter Christaller explique-t-elle la formation du réseau de bourgs de Suisse occidentale au Moyen-Age ?, www.cyberato.org : publication, travaux et mémoires, 1990 et 2006.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Lien externe

http://cyberato.org. Rubrique: Bavardoire SionPont. Contribution: Le prétendu "modèle christallérien"