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Maxime Gorki - Fête russe

Lorsque le grand père et l'oncle Mikhaïl étaient partis en visite, l'oncle Iakov, tout ébouriffé entrait dans la cuisine avec sa guitare. Ma grand-mère servait du thé avec beaucoup de zakuuski et de wodka dans une grande bouteille verte carrée dont le fond était orné de jolies fleurs rouges fondues dans le verre. Tzyganok,en habits du dimanche, tourbillonnait comme une toupie. Le maître compagnon se glissait parmi nous, sans bruit ; les verres de ses lunettes brillaient. Ievgueénia, la bonne d'enfants, ronde comme une cruche, avec sa face rouge grêlée, ses yeux rusés et sa voix claironnante, était là, elle aussi. Parfois on voyait arriver le sacristain de l'église de l'Assomption, barbu, en cheveux longs, et d'autres personnages me paraissaient et noirs et gluants comme des brochets ou des lottes.

Tout ce monde buvait beaucoup et mangeait en poussant de gros soupirs. On donnait aux enfants des friandises et un verre de liqueur douce. Peu à peu s'allumait une ardente et étrange gaieté.

Maxime Gorki ((28/03/1868 – 1936) - "Ma vie d'enfant" (1914) -(traduction éditions Gallimard Enfance, 1959)

[modifier] s:mars 2008 Invitation 1

Philippe Claudel - La douleur

J'ai vu beaucoup d'hommes pleurer dans ma vie. J'ai vu beaucoup de larmes couler. J'ai vu tant d'être broyés comme de simples noix que l'on fait éclater à l'aide d'un gros caillou, et qui ensuite ne sont plus que débris. Au camp, c'était notre quotidien. Mais malgré tout ce que j'ai pu voir de tristesse et de malheur, si jamais j'avais à choisir dans l'infinie galerie des visages exprimant la souffrance, des êtres qui soudain se rendent compte qu'ils ont tout perdu, qu'on leur a tout pris, qu'ils n'ont plus rien, qu'ils ne sont plus rien, c'est le visage de l'Anderer, ce matin-là, ce matin de septembre, sur la berge de la Staubi, qui s'imposerait à moi.

Philippe Claudel - Le rapport de Brodeck (page 364) - (Éditions Stock, 2007)

[modifier] s:mars 2008 Invitation 2

Laurence Sterne - Le moine de Calais

Le moine me salua ... – Mais surtout, ajoutai-je, les infortunés de notre propre pays exige la préférence et j'en ai laissé des milliers sur les rivages de ma patrie... Il fit un mouvement de tête plein de cordialité qui semblait me dire que la misère règne dans tous les coins du monde, aussi bien que dans son couvent. – Mais, nous distinguons, lui dis-je en posant la main sur la manche de sa robe, dans l'intention de répondre à son signe de tête, nous distinguons, mon père, ceux qui ne désirent d'avoir du pain que par leur propre travail, d'avec ceux qui, au contraire, ne veulent vivre qu'au dépens du travail des autres, et qui en demandant le nécessaire pour l'amour de Dieu, n'ont d'autres plan de vie que de l'acquérir par leur oisiveté et leur ignorance. Le pauvre franciscain ne répliqua pas ... Un rayon de rougeur traversa ses joues et se dissipa dans un clin d'oeil  ; il semblait que la nature épuisée ne lui fournissait point de ressentiment ... du moins il n'en fit point voir. Il laissa tomber son bâton blanc sur son bras, se baissa avec résignation sur ses deux mains et se retira.

Laurence Sterne (1713 - 18/03/ 1768 ) - Voyage sentimental (Chapitre IV)

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[modifier] s:mars 2008 Invitation 3

Henrik Ibsen - L'espoir

Styver : – Qu’as-tu donc contre le mot de l’espoir ?

Falk : – C’est qu’il nous assombrit le beau monde de Dieu. « Notre prochain amour », « notre future femme », « notre prochain repas », et « notre vie à venir », voyez, la prévoyance qu’il y a là-dedans, c’est elle qui du fils de l’allégresse fait un mendiant. Si loin que tu voies, elle enlaidit notre moment, elle tue la jouissance de l’instant ; tu n’as pas de repos avant d’avoir gabaré ta barque dans la souffrance et la peine, jusqu’au « prochain » rivage ; mais es-tu arrivé, – vas-tu oser te reposer ? Non, il faut encore te hâter vers un « futur ». Et cela va ainsi, – sans relâche, – jusque hors la vie, – Dieu sait s’il y a un lieu de repos, après.

Henrik Ibsen (20/03/1828 - 1906) - La Comédie de l’amour (Premier acte), 1862

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[modifier] s:mars 2008 Invitation 4

Maxime Gorki - Fête russe

Lorsque le grand père et l'oncle Mikhaïl étaient partis en visite, l'oncle Iakov, tout ébouriffé entrait dans la cuisine avec sa guitare. Ma grand-mère servait du thé avec beaucoup de zakuuski et de wodka dans une grande bouteille verte carrée dont le fond était orné de jolies fleurs rouges fondues dans le verre. Tzyganok,en habits du dimanche, tourbillonnait comme une toupie. Le maître compagnon se glissait parmi nous, sans bruit ; les verres de ses lunettes brillaient. Ievgueénia, la bonne d'enfants, ronde comme une cruche, avec sa face rouge grêlée, ses yeux rusés et sa voix claironnante, était là, elle aussi. Parfois on voyait arriver le sacristain de l'église de l'Assomption, barbu, en cheveux longs, et d'autres personnages me paraissaient et noirs et gluants comme des brochets ou des lottes.

Tout ce monde buvait beaucoup et mangeait en poussant de gros soupirs. On donnait aux enfants des friandises et un verre de liqueur douce. Peu à peu s'allumait une ardente et étrange gaieté.

Maxime Gorki ((28/03/1868 – 1936) - "Ma vie d'enfant" (1914) -(traduction éditions Gallimard Enfance, 1959)

[modifier] s:mars 2008 Invitation 5

Hégésippe Moreau - Dix-huit ans


J’ai dix-huit ans : tout change, et l’Espérance
Vers l’horizon me conduit par la main.
Encore un jour à traîner ma souffrance,
Et le bonheur me sourira demain.
Je vois déjà croître pour ma couronne
Quelques lauriers dans les fleurs du printemps ;
C’est un délire… Ah ! qu’on me le pardonne ;
J’ai dix-huit ans !

Hégésippe Moreau (1810 - 1838) - Poésies

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