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Jules Michelet - Granville

J'aimais cette petite ville singulière et un peu triste qui vit de la pêche lointaine la plus dangereuse. La famille sait qu'elle est nourrie des hasards de cette loterie, de la vie, de la mort de l'homme. Cela met en tout un sérieux harmonique au caractère sévère de cette côte. J'y ai bien souvent goûté la mélancolie du soir, soit que je me promenasse en bas sur la grève déjà obscurcie, soit que, de la haute ville qui couronne le rocher, je visse le soleil descendre dans l'horizon un peu brumeux. Son énorme mappemonde, souvent rayée durement de raies noires et de raies rouges, s'abîmait, sans s'arrêter à faire au ciel les fantaisies, les paysages de lumière, qui souvent ailleurs égayent la vue. En août, c'était déjà l'automne. Il n'y avait guère de crépuscule. Le soleil à peine disparu, le vent fraîchissait, les vagues couraient rapides, vertes et sombres. On ne voyait guère que quelques ombres de femmes dans leurs capes noires doublées de blanc. Les moutons attardés aux maigres pâturages des glacis, qui surplombent la grève de quatre-vingts ou de cent pieds, l'attristaient de bêlements plaintifs.

Jules Michelet (21/08/1798 -1874) - La Mer (Livre II) (1861)

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[modifier] s:août 2008 Invitation 1

Charles Cros – L'été

En été les lis et les roses
Jalousaient ses tons et ses poses,
La nuit, par l'odeur des tilleuls
Nous nous en sommes allés seuls.
L'odeur de son corps, sur la mousse,
Est plus enivrante et plus douce.
En revenant le long des blés,
Nous étions tous deux bien troublés.
Comme les blés que le vent frôle,
Elle ployait sur mon épaule.

Charles Cros (1842 - 9/08/1888) - Le coffret de santal (1873)

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[modifier] s:août 2008 Invitation 2

Alistair MacLeod - La bastringue

- Pour la bastringue, dit-il. La danse d'étapes.

Il glissa un feuille de contreplaqué sous les pieds des musiciens canadiens-français, qui levèrent les jambes sans se mettre debout ni cesser de jouer. Leurs pieds s'abattirent sur le bois dans une harmonie parfaite. Les pointes de leurs chaussures frappaient le contreplaqué à l'unisson, et l'écho du cuir contre le bois fit corps avec la musique. Le rythme saccadé des percussions se mêlait au cliquètement des cuillères, amplifiait le son des instruments en le répercutant.

- Le gigueur, dit l'homme qui avait apporté le contreplaqué, en faisant un signe au violoneux le plus proche. L'homme sourit et inclina délicatement la tête sur la gauche, sans lever le menton, pressé contre la base incurvée de son instrument. Ses doigts s'envolèrent, et il se mit à se balancer au rythme de la musique. Seule sa taille demeurait immobile.

Alistair MacLeod - La perte et le fracas (page 171) - (édition de l'Olivier, 2001)

[modifier] s:août 2008 Invitation 3

Paul Claudel - L’homme soustrait au hasard (Quatrième Ode)

« Je chanterai le grand poème de l’homme soustrait au hasard !
Ce que les gens ont fait autour de moi avec le canon qui ouvre les vieux Empires,
Avec le canot démontable qui remonte l'Aruwhimi, avec l'expédition polaire qui prend des observations magnétiques,
Avec les batteries de hauts fourneaux qui digèrent le minerai, avec les frénétiques villes haletantes et tricotantes (et çà et là une anse bleue de la rivière dans la campagne solennelle),(...)
Je le ferai avec un poème qui ne sera plus l’aventure d’Ulysse parmi les Lestrygons et les Cyclopes, mais la connaissance de la Terre,
Le grand poème de l’homme enfin par-delà les causes secondes réconcilié aux forces éternelles,
La grande Voie triomphale au travers de la Terre réconciliée pour que l’homme soustrait au hasard s’y avance ! »

Paul Claudel (6/08/1868 - 1955 ) - Cinq grandes Odes (1910)

[modifier] s:août 2008 Invitation 4

Jules Michelet - Granville

J'aimais cette petite ville singulière et un peu triste qui vit de la pêche lointaine la plus dangereuse. La famille sait qu'elle est nourrie des hasards de cette loterie, de la vie, de la mort de l'homme. Cela met en tout un sérieux harmonique au caractère sévère de cette côte. J'y ai bien souvent goûté la mélancolie du soir, soit que je me promenasse en bas sur la grève déjà obscurcie, soit que, de la haute ville qui couronne le rocher, je visse le soleil descendre dans l'horizon un peu brumeux. Son énorme mappemonde, souvent rayée durement de raies noires et de raies rouges, s'abîmait, sans s'arrêter à faire au ciel les fantaisies, les paysages de lumière, qui souvent ailleurs égayent la vue. En août, c'était déjà l'automne. Il n'y avait guère de crépuscule. Le soleil à peine disparu, le vent fraîchissait, les vagues couraient rapides, vertes et sombres. On ne voyait guère que quelques ombres de femmes dans leurs capes noires doublées de blanc. Les moutons attardés aux maigres pâturages des glacis, qui surplombent la grève de quatre-vingts ou de cent pieds, l'attristaient de bêlements plaintifs.

Jules Michelet (21/08/1798 -1874) - La Mer (Livre II) (1861)

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[modifier] s:août 2008 Invitation 5

Félix Leclerc - La Gaspésie

(...)Y a des écumes aussi
Des écorces des lettres déchirées
Des fleurs à la dérive
Y a des oiseaux au-dessus de la mer
Des grands oiseaux blancs
Avec des yeux comme des gouttes d'eau
Des oiseaux sans voix
Qui tournent en rond le bec ouvert
Qui piquent soudain dans les flots immenses
Les ailes collées le long du corps comme deux bras
Qui bruissent en s'égouttant. (...)

Félix Leclerc (1914 - 8/08/1988) - La Vie (1967)