Lella Manoubia

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Lella Manoubia, de son vrai nom Saïda Aïcha Manoubia, née en 595 de l'hégire à La Manouba et décédée en 1267, est une sainte tunisienne.

Nubile, elle a des visions et se rapproche dès lors des soufis, en particulier de Abou Hassan al-Chadhili dont elle reçoit l'enseignement. Passant son temps à errer dans la ville, pauvrement vêtue et le visage découvert, elle n'hésite pas à converser publiquement avec les hommes. Objet de scandale pour certains oulémas, elle est dénoncée au souverain qui refuse pourtant de sévir contre cette femme sainte. Elle meurt puis est inhumée sur l'une des collines de Tunis où elle avait l'habitude d'aller prier. À elle seule, deux zaouïas lui sont dédiées : l'une à Tunis et l'autre à La Manouba. Sa sépulture est toujours visitée, tous les lundis et vendredis, par les femmes de toutes classes et de toutes origines afin d'obtenir l'exaucement de leurs vœux ou obtenir la guérison de malades.

Sommaire

[modifier] Jeunesse difficile

Elle vit une enfance paisible dans la localité de La Manouba, à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, dans un environnement où tout exprime l'insécurité et le besoin de croire. À neuf ans, elle est déjà très différente des autres enfants. C'est une enfant prodige mais on la considère comme anormale et plus tard on la traitera de folle. À douze ans, elle éprouve le besoin de s'isoler dans les vergers aux environs du village. Est-ce pour méditer ou pour prier ? Son âge pourtant ne la prédispose pas à un tel exercice. Certains même ont vu dans une telle conduite la marque d'un dévoiement condamnable. Elle est surprise un jour en pleine discussion en compagnie de Bel Hassan (qui deviendra son plus grand maître). La réaction du père et de la société de l'époque ne se fait pas attendre. Aïcha doit mettre un terme à ces « promenades douteuses ». Il faut lui trouver un mari comme le veut la tradition. La décision du père est d'autant plus urgente que les commérages frôlent le scandale et que la beauté de la jeune fille suscite beaucoup de convoitises. Aïcha s'insurge contre le sort qui lui est réservé et quitte La Manouba, la cohabitation avec la famille étant devenue impossible. La plupart des saintes abandonnent d'ailleurs leur famille dès qu'elles se sentent touchées par la grâce divine. N'étant pas frappées par les mêmes tabous que les femmes ordinaires dans leur rapport avec les hommes, elles sont souvent assimilées à des libertines.

[modifier] Vie de révoltes

Aïcha s'installe alors au cœur de Tunis, non pas dans la médina mais en dehors de l'enceinte, dans le faubourg populaire d'El Morkadh. Elle se garde de compter sur le soutien de ses fidèles et préfère travailler, rompant ainsi avec l'image de la femme entretenue. Elle se place du côté des faibles, des marginaux et des opprimés qu'elle soutient et réconforte par sa charité et par sa spiritualité. Les femmes, à cette époque, sont exclues de tout pouvoir et confinées dans un rôle de subordination et de dépendance religieuse. Ses bienfaits la rendent non seulement célèbre et d'une qualité morale incontestable mais en font aussi l'incarnation d'un certain contre-pouvoir. Dans son parcours, elle prolonge aussi sa révolte contre le symbole de l'autorité aliénante. Son antagonisme contre les pouvoirs publics se mue en un affrontement de plus en plus violent entre une religion officielle régie par un malékisme hégémonique et une forme populaire de religiosité contestataire et maraboutique. Femme à la personnalité forte et très instruite, elle demeure célibataire. Elle partagera encore plus son savoir et son instruction religieuse avec les hommes, même si cela ne plaît pas aux réformateurs musulmans. Ceux-ci ont d'ailleurs cherché de tous temps à canaliser le mysticisme féminin qu'ils finissent par considérer comme une déviance tellement il déborde, à leurs yeux, des cadres habituels de l'expression de la piété. Lella Manoubia est crainte par ses homologues masculins par peur du désordre qu'éveille sans doute sa conduite ou sa beauté. Ses détracteurs n'hésitent pas à l'accuser de tous les maux dont la débauche et le libertinage. Indifférente, sa fusion est totale entre l'amour de Dieu et l'amour charnel. Ses accusateurs rapportent qu'elle se retirait sur les hauteurs du Djebel Zaghouan, parfois en compagnie de son fidèle préféré, pour y méditer sur la passion de Dieu et savourer les plaisirs de l'amour. Crainte ou aimée, elle est malgré tout sollicitée aussi bien par des hommes que par des femmes en difficulté pour sa capacité à entrer en contact avec le monde invisible, peuplé d'esprits, de saints, de prophètes qui sont perçus comme des intermédiaires entre les hommes et Dieu.

[modifier] Héritage

Jusqu'au début du XXe siècle, elle est considérée comme la sainte de Tunis et bénéficie de la vénération des grandes familles de la ville. Connue de tous, sa renommée est si grande qu'elle lui vaut une hagiographie, consécration très rare pour une femme, rédigée à la demande d'un notable de La Manouba. Au XIXe et au début du XXe siècle, les beys lui rendent visite dans sa zaouïa de Tunis lors de parcours rituels effectués à l'occasion de l'Aïd el-Kebir. Jusqu'à la fin des années 1950, les sanctuaires de la sainte sont fréquentés principalement par des familles « beldi » ou intégrées au tissu social tunisois. Même pour les grandes familles bourgeoises qui ont quitté le centre-ville pour investir de nouveaux quartiers, en délaissant les sanctuaires, l'attachement à Lella Manoubia et aux rituels demeure ainsi que la nostalgie de ce mode de religiosité, de l'ambiance et de l'émotion qu'il implique.

Elle incarne non seulement l'aspect spirituel et moral mais aussi la condition de la femme tunisienne au XIIIe siècle et les préoccupations et les désirs de l'homme. Elle est une incarnation tout à fait étonnante dans le contexte de la société de la fin du XIIe siècle : révolte contre l'autorité du père, rejet de l'institution du mariage et adoption de l'état de célibat accompagné d'un militantisme omniprésent. Cela est perçu comme suffisant pour susciter une aura partagée de peur et de vénération. Les histoires populaires et les pratiques rituelles des saints et des saintes de Tunis soulignent que le rapport à l'espace est déterminé selon le sexe. Seule Lella Manoubia fait exception à la règle : la femme sainte ne prend pas part au voyage initiatique. Néanmoins, elle quitte le domicile paternel pour prêcher à Tunis, elle reçoit et partage son instruction religieuse avec les hommes (contrairement aux autres saintes), elle utilise sa beauté pour attirer les disciples et seul son sanctuaire organise une cérémonie masculine.

[modifier] Lien externe