Islamofascisme

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L'islamofascisme est un néologisme récent qui suggère une similitude entre les caractéristiques idéologiques ou opérationnelles de certains mouvements islamistes et les mouvements fascistes européens du début du 20ème siècle, les mouvements néofascistes, ou le totalitarisme. Les critiques de ce terme avancent qu'associer Islam et fascisme est offensant et inexact.

[modifier] Origines et usage

Bien que le terme islamofascisme soit habituellement une référence à l'islamisme ou à l'islamisme radical, plutôt qu'à l'Islam en général, une comparaison a été dressée entre le fascisme et l'Islam dès 1939, quand le psychanalyste suisse Carl Jung dit, à propos d'Adolf Hitler, "Il est comme Mahomet. L'émotion en Allemagne est islamique, guerrière et islamique. Ils sont tous ivres d'un dieu sauvage."[1]

Plus tard, Adolf Hitler lui même se laisse aller à une spéculation historique : "Si Charles Martel n'avait pas vaincu à Poitiers - déjà, voyez-vous, le monde serait tombé aux mains des juifs, tellement lâche est le Christianisme ! Alors nous aurions, selon toute probabilité, été convertis au Mahométanisme, ce culte qui glorifie l'héroisme et qui ouvre le septième ciel au seul combattant courageux. Alors, les races germaniques auraient conquis le monde. Seul le Christianisme les en a empêché." Adolf Hitler, 28 August 1942. "Hitler’s Table Talk: His Private Conversations, 1941-44, page 667 (traduit vers l'anglais par N. Cameron et R. H. Stevens, 1953)

La paternité de ce terme est due à l'historien Malise Ruthven dans le quotidien britannique The Independent. Sa résurrection dans le discours politique est due quant à elle à M.Georges W.Bush dans un discours public du 7 août 2006, certainement par le biais de Bernard Lewis, conseiller de la Maison Blanche.[2]


[modifier] Critiques de ce terme

La première critique est l'amalgame fait par le président américain. A travers le terme d'islamo-fascisme il englobe des mouvements islamistes très divers (les Frères musulmans, Al-Qaida, le Hezbollah , le Hamas) faisant de ces mouvements des «successeurs du nazisme et du communisme». Pour Stanley Payne, le fascisme ne peut que se développer dans un espace séculier parce que selon lui «un fascisme religieux limiterait inévitablement les pouvoirs de son dirigeant, non seulement à cause du contre-pouvoir culturel du clergé, mais aussi des préceptes et des valeurs véhiculés par la religion traditionnelle».

L'islamisme est un phénomène nouveau et contemporain, qu'il faut donc appréhender comme tel. Des éléments du fascisme traditionnel peuvent être retrouvés dans le phénomène de l'islamisme comme le sentiment d'humiliation, le culte du chef charismatique et la dimension para-militaire. Encore que le culte du chef ne soit pas autant prononcé que dans le cas d'Hitler ou de Mussolini. Toutefois, les autres dimensions fondamentales du fascisme, à savoir le nationalisme expansionniste le corporatisme la bureaucratie et le culte du corps, en sont absentes.

Or, les mouvements islamistes sont transnationaux c'est-à-dire loin du «nationalisme intégral» des fascismes européens des années 1930. De plus, les mouvements fascistes sont, par nature, impérialistes et expansionnistes: si Al-Qaida opèrent dans de nombreux pays, et que certaines autres formations rêvent d'une reconquête du Califat, le Hamas ou le Hezbollah sont en lutte contre des occupations territoriales. L'ex-régime des Talibans en Afghanistan correspondait plus, par son fondamentalisme religieux, aux théocraties obscurantistes du Moyen Age qu'aux régimes fascistes. La dimension corporatiste, à savoir la relation quasi-fusionnel entre l'État les entreprises et les corps de métiers, font défauts dans le contexte islamique. Les mouvements islamistes ne sont pas soutenus par le complexe militaro-industriel d'un pays - encore qu'en Iran on pourrait penser le contraire, mais cette articulation existe aussi dans des États qu'on ne saurait qualifier de fascistes: États-Unis, France, etc.

Le système fasciste nécessite donc par nature d'un État partisan, et les groupes islamistes sont des organisations non-étatiques, en marge du pouvoir d'un pays voire persécutés par celui-ci. De plus, l'aspect idéologique apparaît comme primordial chez les mouvements fascistes, alors qu'il est plus secondaire dans les factions islamistes. Celles-ci instrumentalisent la religion et cherchent à l'utiliser comme idéologie, mais il n'y a pas de volonté de créer un homme nouveau comme ce fut le cas dans les régimes fascistes. Le succès de l'islamisme est à étudier de près car les mouvements islamistes sont quelquefois perçus par certains comme une aide à un combat plus global, plutôt qu'à une adhésion sans failles aux thèses revendiquées. Deux exemples peuvent appuyer cette idée: tout d'abord le vote en faveur du Hamas en Palestine ne reflète pas l'affiliation du peuple palestinien à toute la doctrine; de même, au Liban où une certaine frange de la population, dont les intellectuels, soutient le Hezbollah sans souscrire à son discours islamiste. Tout ceci est à l'opposé des régimes nazis et fascistes, dont les doctrines ont largement su conquérir l'assentiment des populations et des intellectuels.

Un autre amalgame est que le nazisme et le fascisme sont pensés comme des mouvements de masse, fondés sur un consentement des populations et leurs politisations. A l'inverse, les organisations islamistes se heurtent dans la plupart des pays musulmans à des sociétés civiles qui refusent l'emploi du terrorisme et désirent conserver leurs libertés civiles: le prouve l'exemple du régime algérien ou marocain. Enfin, d'autres éléments ne permettent assurément pas de rapprocher fascisme et islamisme: aucun monopole de l'information, aucun «darwinisme social» - bien que ce terme relève lui aussi d'un amalgame! - pas d'économie dirigée, pas de monopole des armes

L'emploi du terme «islamo-fascisme» est en plus très hypocrite puisque les talibans afghans étaient, durant leur lutte contre les soviétiques pendant les années 1980, encensés à Washington comme les «équivalents moraux» des Pères Fondateurs des États-Unis.[3]. Les Frères musulmans égyptiens ont été eux aussi très généreusement aidés par les services de renseignement britanniques et américains. Et le gouvernement israélien a favorisé les Frères musulmans en Palestine (avant la naissance du Hamas) pour endiguer le pouvoir du Fatah, des marxistes et de l’Organisation de Libération de la Palestine. Les néoconservateurs dominent la politique extérieure des États-Unis, et l’usage de l’expression «fascisme islamique» est surtout utile en raison de sa charge émotionnelle. Elle permet de semer la peur. Or c’est là que réside l’un des principaux dangers. En accréditant l’idée que l’Occident combat un nouveau fascisme et de nouveaux Hitler, on prépare l’opinion à accepter l’idée que la guerre peut et doit être «préventive». La réponse à la «menace fasciste», massive, se trouve donc justifiée quelles qu’en soient les conséquences en termes de vies humaines. «Les Alliés ont bien bombardé Dresde», répliquèrent certains néoconservateurs à ceux qui critiquaient le largage par les F-16 israéliens de centaines de bombes à sous-munitions sur des quartiers civils libanais.

Unir sous la seule bannière d’«islamo-fascistes» des dizaines de mouvements disparates, souvent en conflit les uns avec les autres, et ayant des objectifs très divers, permet d’enraciner le mythe d’un complot islamiste mondial, d’occulter les questions géopolitiques purement profanes, et donc de ne plus évoquer les causes qui ont entraîné la naissance de la plupart de ces mouvements. Notamment les occupations coloniales et les conflits territoriaux dont seule une juste résolution peut permettre d’assécher le terreau sur lequel prospère le terrorisme islamiste contemporain.

[modifier] References

  1. Religious Fundamentalism and Political Extremism, 2003-03-04. Consulté le 2007-02-27 Citing The Collected Works of C.G. Jung, Vol. 10 (Princeton: Princeton University Press, 1970), p.281
  2. Fascisme, islam et grossiers amalgames, par Stefan Durand (Le Monde diplomatique)
  3. ouvrage du professeur à Columbia Mahmoud Mamdani, Good Muslim, Bad Muslim. America, the Cold War and the roots of terror, Three Leaves Publishing, New York, 2005