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Sommaire

[modifier] Article d'Encarta

anticolonialisme, courant ou attitude politique visant à remettre en cause les principes et l’existence mêmes du système colonial.

À partir des années vingt, l’anticolonialisme a joué — notamment en France et en Grande-Bretagne — un rôle grandissant dans l’évolution de l’opinion publique de la métropole vis-à-vis de la décolonisation.

[modifier] Origines et diversité

Apparu au xviiie siècle, avec l’expansion coloniale des grandes puissances européennes, l’anticolonialisme, dès son origine, recouvre des attitudes et des motivations très diverses. Selon que la dénonciation du colonialisme est fondée sur des raisons philosophiques, morales ou économiques, les partisans de l’anticolonialisme, bien que poursuivant le même but, diffèrent dans leurs analyses et ne sont pas issus des mêmes familles politiques. En d’autres termes, l’anticolonialisme n’est pas une doctrine homogène et dépasse notamment le clivage entre la gauche et la droite.

Ainsi, au xviiie siècle, deux courants majeurs se font jour au sein de l’anticolonialisme, courants que l’on retrouvera, sous de multiples variantes, jusqu’à l’achèvement de la décolonisation au XXe siècle.

[modifier] Un anticolonialisme philosophique et moral

À l’époque des Lumières, la question de l’esclavage et de son abolition jette les bases d’un premier anticolonialisme, à la fois philosophique et moral. Tandis que Rousseau développe le mythe du « bon sauvage », l’Histoire des deux Indes de l’abbé Raynal — ouvrage auquel participe Diderot, qui écrit peu après un Supplément au voyage de Bougainville — dénonce les méfaits de la colonisation. Même si ce courant philosophique entend, avant tout, critiquer les sociétés occidentales perverties, en vantant les mérites des civilisations indigènes, proches de la nature, il n’en reste pas moins vrai que l’analyse du système colonial contient en germe tous les arguments que développera par la suite l’anticolonialisme : la destruction des sociétés autochtones, la spoliation et l’exploitation des ressources et des hommes, la mise en esclavage, etc.

[modifier] Un anticolonialisme pragmatique

Mais déjà se fait jour un autre courant tout aussi hostile au colonialisme, qui se fonde non pas sur la morale, mais sur une conception pragmatique et économique. Les physiocrates jugent, en effet, le système colonial trop coûteux pour la métropole, et l’accusent même d’affaiblir sa puissance sur le continent. D’autres, tel Voltaire, voient dans le développement des colonies un risque de dépeuplement de la France.

Le débat prend une véritable tournure politique sous la Révolution française, avec la question de l’esclavage. Nombreux sont les députés jacobins, dont Robespierre, qui se prononcent en faveur de son abolition, au nom des droits de l’homme.

[modifier] L’essor de l’anticolonialisme

[modifier] La critique des excès de l’impérialisme

Le considérable développement des empires coloniaux au xixe siècle suscite, notamment parmi les mouvements socialistes, un essor de la réflexion anticolonialiste. Mais c’est véritablement au tournant des années 1900 que la question coloniale devient centrale.

Soucieuses d’étendre le plus possible leur empire, les grandes puissances occidentales se lancent dans une course à l’expansion, provoquant ainsi de fortes tensions sur le plan international. Les colonies sont alors perçues comme le fondement de la puissance économique et politique des métropoles. Cependant, cet impérialisme fait l’objet de nombreuses critiques, tant à droite qu’à gauche.

Il existe plusieurs degrés dans cette hostilité, qui n’aboutit pas toujours à la remise en cause du fait colonial : la plupart de ses détracteurs se limitent à une dénonciation soit des excès, soit de l’importance prise par le phénomène impérialiste.

Ainsi, en France, ce sont principalement les atrocités commises lors de la colonisation qui sont mises en avant : Paul Vigné d’Octon décrit dans la Gloire du sabre (1900) les exactions perpétrées au Niger, de même que Victor Augagneur, ancien administrateur de Madagascar (Erreurs et brutalités coloniales, 1905).

Il existe également un courant qui dénonce le coût de cette colonisation, notamment en Algérie, en Tunisie et en Indochine.

[modifier] La critique de l’impérialisme, moteur du capitalisme

À gauche, le parti socialiste — comme les radicaux en Angleterre, dont le livre d’Hobson, Imperialism, a study (1905), résume les thèses — développe une critique fondée sur deux points. L’impérialisme est condamné dans la mesure où il sert les intérêts du capitalisme. Cette hostilité ne porte pas véritablement sur l’expansion en tant que telle, mais sur la confiscation de cette expansion au seul profit de la classe capitaliste.

Si la colonisation est condamnable en tant que telle, l’essentiel de la critique porte sur le décalage entre le but affiché du colonialisme, à savoir la mission civilisatrice de l’Occident qui doit amener les peuples indigènes jusqu’au niveau de civilisation des métropoles, et les abus du système tout entier, tourné vers le profit et l’exploitation. Hobson et Jaurès pensent donc que l’Occident a une mission à remplir, celle de conduire les peuples autochtones vers le self-government (« gouvernement local »), mais que les conditions ne sont pas encore réunies pour y parvenir.

De fait, avant 1914, seuls deux courants politiques remettent véritablement en cause le système colonial : l’extrême droite nationaliste et l’extrême gauche révolutionnaire. La première craint qu’un investissement trop important dans les colonies affaiblisse d’autant la métropole et nuise à l’effort nécessaire à la reconquête des provinces perdues. La seconde fait de l’anticolonialisme un des angles d’attaque du capitalisme.

[modifier] L’anticolonialisme à l’heure de la décolonisation

Avec l’entre-deux-guerres, l’anticolonialisme entre dans une nouvelle phase où sa formulation se précise et se radicalise, sous la double impulsion de la révolution russe — qui fait de la lutte anticolonialiste un de ses thèmes majeurs — et de l’apparition de mouvements nationalistes dans les colonies qui se battent pour l’indépendance.

[modifier] Dans l’entre-deux-guerres, un anticolonialisme communiste

Les thèses développées par Lénine dans Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916) et l’échec des partis communistes en Occident — qui amène désormais les dirigeants bolcheviques à reporter tous leurs espoirs d’une expansion du communisme sur les mouvements révolutionnaires dans les pays colonisés — ont pour conséquence de faire de l’anticolonialisme l’un des fondements de l’action des différents partis communistes. Les communistes apportent ainsi leur soutien aux différents mouvements nationalistes qui se font jour dans les colonies, notamment lors de la guerre du Rif.

À la même époque, se crée une Ligue contre l’impérialisme (1924), qui regroupe des communistes, mais surtout des personnalités idéalistes, tels Albert Einstein, Romain Rolland, ou même des travaillistes anglais, dans le but de s’opposer à « l’oppression coloniale », affirmant leur hostilité à toute « discrimination économique, politique et sociale ayant rapport à la race  » et leur soutien à tous « les peuples opprimés  » en vue d’obtenir « l’indépendance nationale complète  » de toutes les colonies.

[modifier] Après 1945, un anticolonialisme de gauche, mais aussi de droite

Mais ce n’est véritablement qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l’anticolonialisme joue un rôle majeur, en liaison avec les mouvements indépendantistes dans les colonies. Ce nouvel anticolonialisme regroupe à la fois les communistes, les mouvements d’extrême gauche, les intellectuels et une partie des catholiques, dans un engagement qui, parfois, va jusqu’à soutenir matériellement les combattants nationalistes, comme en témoignent les porteurs de valises lors de la guerre d’Algérie.

À cet anticolonialisme de gauche, qui pour certains évolue vers un engagement tiers-mondiste, s’ajoute un anticolonialisme de droite, qui affirme la nécessité d’abandonner les colonies au nom de l’intérêt économique de la métropole. Ainsi Raymond Aron ou le journaliste Raymond Cartier dénoncent-ils le coût exorbitant du système colonial, qui empêche de mener à bien la reconstruction en France.

En réussissant, à mesure que les guerres contre les mouvements nationalistes dans les colonies s’enlisaient, à rallier la majorité de l’opinion publique, l’anticolonialisme a joué un rôle majeur dans la disparition des empires coloniaux, survenue pour l’essentiel dans les années cinquante et soixante (voir décolonisation).

[modifier] Article de l'EU

Le fait colonial s'est donc accompagné d'une doctrine : le colonialisme. En réaction est apparue très tôt une critique de la colonisation, qui pouvait être soit une attitude morale, soit une position politique allant de la simple réprobation au scepticisme, puis à la condamnation. Des doctrines ont surgi visant à légitimer cette critique : c'est l'anticolonialisme.

à chaque étape de l'expansion coloniale, correspondent un certain type de colonialisme et un certain type d'anticolonialisme. L'affrontement colonialisme-anticolonialisme est constant. Mais les caractéristiques en varient avec le contexte historique comme aussi avec la nature des arguments opposés.

les mots colonialisme et colonialiste n'apparaissent qu'au début du XXe siècle. Ils prennent très vite une nuance péjorative et, par réaction, provoquent l'apparition des termes anticolonialisme et anticolonialiste. À la différence du terme de colonisation qui concerne une action et son résultat, celui de colonialisme s'applique à la justification du fait colonial et l'anticolonialisme définit une attitude d'hostilité à la colonisation. À partir de 1960, on forgera le mot néo-colonialisme pour caractériser l'ensemble des méthodes qui visent à maintenir une domination économique sur un pays anciennement colonisé. Le vocabulaire s'est donc enrichi pour tenir compte, d'une part, du développement et de la diversité des colonisations, d'autre part, des réactions de l'opinion, d'abord indifférente, puis de plus en plus sensibilisée à l'événement.

Bien que la distinction soit parfois délicate, il convient de ne pas confondre les causes de l'expansion coloniale avec les arguments avancés pour la justifier. Les premiers fondateurs de colonies obéissent en effet à des mobiles très divers et ne donnent aucun sens à leur action. Les tentatives de justification ne surgissent que lorsqu'il faut légitimer une expansion coloniale face à ceux qui la condamnent ou n'en comprennent pas l'intérêt. Le conflit colonialisme-anticolonialisme se manifeste donc bien avant l'apparition de ces deux vocables. Toutefois, c'est jouer sur les mots que d'en chercher les origines dans l'Antiquité grecque ou romaine, voire phénicienne. L'origine latine du vocabulaire relatif à la colonisation ou à l'impérialisme a favorisé ce glissement anachronique. En fait, l'affrontement des doctrines ne commence vraiment qu'avec les grandes découvertes, mais il met en jeu des arguments qui varient avec le devenir du fait colonial lui-même. Un certain anticolonialisme ne met en cause que les formes de la colonisation, en dénonçant la violence envers les indigènes dont il prend la défense contre « colons », « affairistes » ou « militaires ». Parfois, il s'agit d'un anticolonialisme systématique, doctrinaire, qui récuse, quelles qu'en soient les modalités, le principe même de la colonisation. Dans d'autres cas, l'anticolonialisme ne se manifeste qu'en faveur des habitants d'origine européenne. Telle est la signification des effets de la révolution américaine du XVIIIe siècle en Europe. Il peut arriver que coexistent paradoxalement anticolonialisme et colonialisme. En Afrique du Sud par exemple, les Boers se dressent contre l'expansion britannique, mais nourrissent à l'égard des Noirs un racisme de type colonialiste. L'anticolonialisme caractérise aussi la politique d'une puissance. Nés d'une insurrection contre une métropole, les États-Unis se sont présentés, tout au moins jusqu'en 1898 environ, comme anticolonialistes. Il leur est arrivé d'ailleurs de jouer de cette attitude à des dates plus récentes, quand elle servait leurs intérêts. Il faut enfin, pour éviter toute confusion, réserver le mot d'anticolonialisme aux résistances qui se manifestent à l'intérieur des pays colonisateurs.

[modifier] L'affrontement des théologiens

L'affrontement commence avec les grandes découvertes et les premières occupations territoriales, et oppose alors des théologiens. C'est d'ailleurs le pape Alexandre VI qui, par la bulle Inter caetera, a, le 3 mai 1493, partagé les mondes découverts et à découvrir entre l'Espagne et le Portugal afin que « la loi catholique et la religion soient exaltées et partout amplifiées et répandues [...] et que les nations barbares soient subjuguées et réduites à la foi ». Jusqu'où pouvait-on aller dans l'oppression d'un peuple par un autre ? Pouvait-on légitimer le droit de colonisation ? Ainsi s'opposent Juan Ginés de Sepúlveda, Bartolomé de Las Casas et Francisco de Vitoria. Pour Sepúlveda (env. 1490-1573), la domination coloniale est un devoir. La guerre faite aux Indiens est une guerre juste en raison de leurs crimes, de leur idolâtrie et de leurs sacrifices humains. D'autre part, il est des hommes que Dieu a condamnés à une situation inférieure. C'est le cas des Indiens, peuple grossier, servile par nature et ainsi légitimement contraint à l'esclavage au profit de nations plus évoluées, comme la nation espagnole. La guerre enfin est le seul moyen d'assurer dans les Indes l'établissement de la religion chrétienne. Las Casas (1474-1566) s'oppose à cette idée. « Racontant ce qu'il a vu », il dénonce « la destruction des Indiens », réclame la suppression du système de l'encomienda, c'est-à-dire de la pratique des commanderies où les indigènes étaient remis à des colons qui pouvaient les utiliser comme esclaves à condition de leur enseigner la religion chrétienne. Or, pour Sepúlveda, l'encomienda était le seul moyen garantissant le développement du christianisme dans les Indes. En 1550, à Valladolid, une controverse met aux prises les deux théologiens devant une commission de lettrés et le Conseil des Indes ; Las Casas l'emporte. Déjà, il avait obtenu des ordonnances limitant les privilèges de l'encomienda. Mais ces « lois nouvelles » ne sont guère appliquées. Francisco de Vitoria (env. 1492-1549), dominicain de Salamanque, pose plus nettement que Las Casas le problème du droit de colonisation dans son mémoire De Indiis. Il rejette plusieurs des thèses avancées pour justifier la conquête des Indes : la domination de l'empereur sur le monde, la souveraineté temporelle du pape sur l'ensemble de la terre, les droits de la découverte, l'obligation de sauver les âmes même par la violence, les péchés des barbares. Cependant, il y a pour Vitoria des titres légitimes à la colonisation. C'est d'abord le droit d'universelle circulation et d'universelle transmigration. Les Espagnols ont donc le droit de passer dans les terres des barbares sans que ceux-ci puissent le leur interdire. À l'aube des temps, tout étant commun, chacun pouvait se rendre où bon lui semblait. Le partage des biens n'abolit pas ce droit. D'autre part, les richesses naturelles étant un bien commun, personne ne peut empêcher les Espagnols de commercer avec les barbares. Qui plus est, « ce qui n'appartient à personne devient d'après le droit des gens la propriété du premier occupant. Ainsi est-il de l'or qui est dans le sol, des perles qui sont dans la mer. » Le droit de naturalisation étant également légitime, personne ne peut empêcher un Espagnol d'acquérir le droit de cité dans une ville « barbare ». Demeure enfin le devoir de propagation de la religion. « Tous ces barbares sont non seulement en état de péché, mais même hors d'état de faire leur salut : il appartient donc aux chrétiens de les redresser et de les diriger. » Une guerre « juste » ne pourra être conduite contre les barbares que si ceux-ci s'opposent à la liberté du commerce et de la prédication. Dans ce cas, « il est permis aux Espagnols de s'emparer des terres et des provinces [...] de faire en vertu du droit de guerre tout ce que l'on a le droit de faire dans une guerre juste ». Entre les théologiens de ce temps, le conflit porte donc sur les titres des Espagnols à la domination du Nouveau Monde et sur la nature des rapports qui doivent s'établir entre les barbares et les conquérants.

[modifier] L'anticolonialisme de la Renaissance

À peu près dans le même temps apparaît en France une autre variante de l'anticolonialisme. Elle est suggérée par la multiplication des récits de voyages qui décrivent l'existence de populations à l'état de nature. Le « bon sauvage » devient le thème de cette littérature. Voilà des peuples qui vivaient libres et heureux : nous ne leur apportons que misère, oppression et guerre. Dans les Isles fortunées que chante Ronsard en 1553, il n'y a ni État, ni propriété, ni « Sénat rude », ni « prince inhumain ». Et, après avoir lu les Singularitez de la France antarctique du moine cordelier André Thevet, Ronsard écrit Complainte contre Fortune pour qu'on laisse vivre « sans peine et sans souci » cette « heureuse gent ». Quant à Montaigne, il avance une idée toute simple, qu'on retrouve continuellement dans une sorte d'anticolonialisme spontané et d'une prudence toute paysanne. « J'ai peur que nous n'ayons les yeux plus grands que le ventre et plus de curiosité que nous n'avons de capacité. Nous embrassons tout, mais nous n'étreignons que le vent. » Il dépouille les conquistadores de leur fausse gloire en rappelant qu'avec « les foudres et tonnerres de nos pièces et harquebouses », on triomphe sans honneur de « peuples nuds ». Au lieu de violence il fallait user de douceur, « polir » et « défricher » ce qu'il y avait de « sauvage » chez ces peuples, mais aussi « conforter les bonnes semences que nature y avait produit » : Montaigne se place au côté des victimes (les Indiens) contre leurs bourreaux. Il est bien informé, car, non seulement il a lu les récits des voyageurs, mais encore il a rencontré en Guyenne nombre d'aventuriers qui revenaient du Brésil ou de Floride. Aussi évoque-t-il les civilisations indiennes, l'intelligence de ces hommes « qui ne devaient rien en clarté d'esprit naturelle et en pertinence ». La description de villes comme Cuzco et Mexico lui permet de dire « qu'ils ne nous cédaient non plus en industrie ». « Quant à la dévotion, observance des lois, bonté, libéralité, loyauté, franchise, il nous a bien servi de n'en avoir pas tant qu'eux : ils se sont perdus par cet avantage et vendus et trahis eux-mêmes. » Rabelais a rêvé aussi d'une colonisation humaine, libératrice. Les peuples colonisés sont comme « enfant nouvellement né ». Il faut les « alaider, bercer, esjouir ». « Comme arbre nouvellement planté les fault appuyer, asceurer. » Découverte de peuples nouveaux et différents, abandon de toute conception hiérarchique des civilisations, condamnation des violences et des rapines, confiance en l'homme où qu'il habite et de quelque race qu'il soit, tels sont les thèmes qui inspirent les écrivains français de la Renaissance. Ne peut-on pas parler d'un anticolonialisme humaniste ? Les grandes utopies des XVIe et XVIIe siècles, de Thomas More, Francis Bacon ou de Campanella, s'inspirent également des récits de voyageurs. Les « Utopiens » sont de « bons sauvages » qui ne connaissent pas la propriété privée et dont le communisme, modèle d'une civilisation sans oppression, a été détruit par les conquérants.

[modifier] Du mercantilisme à la Révolution française

Désormais et pour près de trois siècles, la colonisation est liée au mercantilisme. Il faut augmenter le numéraire intérieur en achetant aussi peu que possible à l'extérieur et en favorisant les industries nationales pour développer les exportations. Des débouchés sont nécessaires. Dès lors les mercantilistes sont favorables à l'expansion coloniale. On ne renonce pas aux motivations d'hier (l'apostolat), mais on y ajoute les besoins du commerce. C'est ce qu'écrit Antoine de Montchrestien dans son Traité de l'économie politique (1615), où il associe les deux préoccupations : « comme Dieu lui même promet à ceux qui cherchent son royaume d'y ajouter par-dessus le comble de tout bien, il ne faut point douter qu'outre la bénédiction de Dieu qui viendrait à ce grand et puissant État pour des entreprises si pieuses, si justes et si charitables [...] il s'ouvrirait par ce moyen, tant ici que là-bas, de grandes et inépuisables sources de richesses. » Cette conception prédomine en France et en Angleterre. Le colonialisme mercantiliste tend à faire des colonies des dépendances économiques de la métropole. Il est en Angleterre à l'origine de l'Acte de navigation (1651) et en France du régime de l'« exclusif ». Il faut empêcher en effet la production des colonies de concurrencer celle de la métropole, écarter toute intervention d'un tiers entre la colonie et sa métropole, contraindre les colonies à ne commercer qu'avec la métropole. Telle est l'opinion qui prévaut encore au XVIIIe siècle. Pour l'Encyclopédie, « les colonies n'étant établies que pour l'utilité de la métropole », elles « doivent être sous sa dépendance et par conséquent sous sa protection » et « le commerce doit être exclusif aux fondateurs ». C'est aussi l'opinion de Montesquieu : « L'objet de ces colonies, écrit-il est de faire le commerce à de meilleures conditions qu'on ne le fait avec les peuples voisins avec lesquels tous les avantages sont réciproques. » Si seule la métropole peut négocier avec la colonie, c'est que « le but de l'établissement a été l'extension du commerce, non la fondation d'une ville ou d'un nouvel empire ».

Cependant, des philosophes mettent en cause le principe même de la colonisation, en particulier le droit de l'occupant. « Si un Taïtien débarquait un jour sur vos côtes, s'écrie Diderot, et s'il gravait sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : ce pays appartient aux habitants de Taïti, qu'en penserais-tu ? » La bible de l'anticolonialisme au XVIIIe siècle est l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes de l'abbé Raynal. Le succès de l'ouvrage, paru en 1770 sans nom d'auteur, a été considérable : en un quart de siècle, trois éditions, une trentaine de réimpressions, sans parler des contre-façons et des traductions en anglais, en espagnol et en allemand. Raynal, qui avait eu de nombreux collaborateurs, dont Diderot, a mesuré toute l'importance du fait colonial : « Il n'y a point eu d'événement aussi intéressant pour l'espèce humaine en général et pour les peuples de l'Europe en particulier. » Il revient sur le thème du « bon sauvage ». De toute façon, il faut reconnaître la diversité des civilisations. Née du désir de s'enrichir et toujours accompagnée de violences, la colonisation n'a pas pour objet de « civiliser ». Toutefois, la doctrine de Raynal est très incertaine. D'un côté, il prône un anticolonialisme virulent et lance des appels à la révolte (« Barbares européens ! [...] J'ai pris les armes contre vous : j'ai baigné mes mains dans votre sang. ») ; et, dans le même temps, il reconnaît l'intérêt que présentent les colonies et regrette le retard de la France. Il est favorable à une forme pacifique de pénétration et, ne réclamant pas une abolition radicale et immédiate de l'esclavage, il n'envisage que sa suppression progressive. Il condamne l'exclusif, le monopole et le système des grandes compagnies privilégiées et exalte la liberté, « âme du commerce ». Il rejoint ainsi l'anticolonialisme des libéraux qui apparaît avec les physiocrates. Dès 1755, Gournay propose d'ouvrir à tous le trafic des Indes en supprimant la Compagnie des Indes. C'est également l'opinion que développe Morellet dans son Mémoire sur la situation actuelle de la Compagnie des Indes. Mais, pour d'autres physiocrates, les colonies n'offrent aucun intérêt. « La nation à laquelle ses colonies feront faux bond la première sera la plus heureuse si elle sait se conduire selon les circonstances. Elle y perdra beaucoup de soins et de dépenses et y gagnera des frères puissants et toujours prêts à la seconder au lieu de sujets onéreux » (marquis de Mirabeau). « Les colonies sont comme des fruits qui tiennent à l'arbre jusqu'à ce qu'ils en aient reçu une nourriture suffisante, alors ils s'en détachent » (Turgot). Dans le même temps s'affirme un courant abolitionniste. En réaction se forme un parti colonial autour du Club Massiac. S'efforçant d'intéresser à sa cause les armateurs, il est avant tout un syndicat de défense des planteurs. Ces controverses n'intéressent qu'une infime partie de l'opinion. Les problèmes coloniaux ne sont pas au premier plan de l'actualité et les cahiers de doléances sont à ce point de vue très discrets.

Durant la Révolution, il ne s'agira pas tant des colonies elles-mêmes que du statut de leurs habitants. Le « Périssent les colonies ! » de Robespierre ne peut être interprété comme l'expression d'un anticolonialisme systématique. C'est la réponse aux défenseurs des colons pour qui l'application aux colonies de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen signifierait la fin du système colonial. Ces colons étant prêts à la sécession (ils la feront aux Antilles avec l'aide des Anglais), ils sont anticolonialistes dans la mesure où ils entendent rompre avec une métropole révolutionnaire, et en même temps fanatiquement colonialistes dans leurs rapports avec les hommes de couleur et les esclaves. En fait, Paris est à la remorque des événements. Le 24 septembre 1791, la Constituante abandonne aux assemblées coloniales, composées essentiellement de représentants de colons blancs, le droit de régler la condition des hommes de couleur libres. Quant à la suppression de l'esclavage par la Convention (4 févr. 1794), elle ne fait que sanctionner une situation de fait. Toutefois avec la Révolution apparaît une interprétation nouvelle de l'assimilation, à savoir l'octroi à tous les habitants des colonies (quelle que soit leur origine) de la totalité des droits que possèdent les métropolitains.

[modifier] L'anticolonialisme des libéraux

Le colonialisme mercantiliste connaît des difficultés économiques, car si les colonies de plantations peuvent s'adapter au système, il n'en est pas de même des colonies de peuplement où les difficultés politiques sont insurmontables : la révolte des Américains en est la manifestation extrême (les Américains du Nord à la fin du XVIIIe siècle et les Américains du Sud un demi-siècle plus tard). Cependant, le colonialisme mercantiliste résiste encore, car il sert les intérêts des armateurs, mais il se heurte de plus en plus à l'anticolonialisme des libéraux fondé sur l'idée de l'inutilité des colonies. L'indépendance des États-Unis n'a pas nui à l'économie britannique. Au contraire, les relations commerciales entre les deux pays ont augmenté. Dans une conversation avec l'abbé Raynal, Arthur Young avait déjà observé que « toutes les possessions d'outre-mer ou lointaines sont des sources de faiblesse et qu'il serait sage d'y renoncer ». Dans le sillage d'Adam Smith et de l'utilitariste Bentham, les radicaux anglais opposent à la théorie colonialiste de la dépendance les bienfaits de la liberté commerciale. Cet anticolonialisme libéral, qui sera ultérieurement celui des manchestériens « Little Englanders », coexiste en Angleterre avec un mouvement humanitaire abolitionniste. Mais les deux mouvements ne se confondent pas. Sur le continent, et particulièrement en France, les événements semblent justifier cette défiance envers les colonies : affaire de Saint-Domingue et dislocation de l'empire espagnol. Les contemporains ont l'impression qu'une ère coloniale se termine. En 1814, Sismondi déconseille à la France la reconquête de Saint-Domingue. Si le Cours complet d'économie politique de J.-B. Say est de 1803, son influence s'est surtout exercée après 1815 (six éditions jusqu'en 1841). « Les vraies colonies d'un peuple commerçant, écrit J.-B. Say, ce sont les peuples indépendants de toutes les parties du monde. Tout peuple commerçant doit désirer qu'ils soient tous indépendants pour devenir plus industrieux et plus riches, car plus ils seront nombreux et productifs, plus ils présenteront d'occasions et de facilités pour les échanges. Les peuples deviennent alors pour nous des amis utiles et qui ne nous obligent pas de leur accorder des monopoles onéreux ni d'entretenir à grands frais des administrations, une marine et des établissements militaires aux bornes du monde. Un temps viendra où l'on sera honteux de tant de sottise et où les colonies n'auront plus d'autres défenseurs que ceux à qui elles offrent des places lucratives à donner et à recevoir, le tout aux dépens du peuple. » Or, après la chute de l'Empire, cette attitude correspond aux intérêts des notables ruraux soucieux avant tout de l'exploitation de leurs terres, des manufacturiers qui ne conçoivent pas encore que les colonies peuvent leur assurer matières premières et débouchés, des betteraviers désireux de protéger une production encore fragile contre la concurrence du sucre de canne. Tel est l'état d'esprit des « anticolonistes » qui, au début de la monarchie de Juillet, s'opposent au développement de la conquête de l'Algérie. Ainsi, en France et en Angleterre apparaît, avec des variantes et des nuances, ce que Henri Brunschwig a appelé la conception d'une « colonisation anticolonialiste » : éviter de nouvelles conquêtes, ne pas risquer des conflits européens pour des questions coloniales, favoriser l'évolution vers le self-government des colonies de peuplement.

[modifier] Socialisme et anticolonialisme

À ce colonialisme va s'opposer un anticolonialisme aux aspects bien divers et parfois contradictoires. En Angleterre, par exemple, les libéraux n'ont pas désarmé et, en 1881, la politique annexionniste de Disraeli est condamnée par les électeurs. Cette opposition s'en prend à une certaine conception de l'Empire et l'échec électoral de Chamberlain en 1906 signifie le rejet de l'impérialisme douanier qu'il avait préconisé. L'anticolonialisme britannique, y compris celui des travaillistes, ne se distinguera guère de la tradition libre-échangiste des radicaux.

En France, tout au moins jusqu'en 1914, l'anticolonialisme est plus diversifié. La conjoncture politique l'explique autant que la réflexion doctrinale. Si, par exemple, les catholiques s'opposent à Jules Ferry, c'est qu'ils veulent indirectement porter un coup à sa politique scolaire. Aussi les arguments avancés ici ou là sont-ils contradictoires : inquiétude de l'opinion en raison de la participation des soldats du contingent à des expéditions lointaines, coût des colonies en hommes et en argent, crainte d'une diversion par rapport aux affaires européennes (question d'Alsace-Lorraine), méfiance envers les militaires et les milieux d'affaires.

C'est du socialisme que va sortir l'anticolonialisme le plus systématique. Karl Marx, qui n'est pas le contemporain de la grande poussée coloniale, a mis en lumière la place de l'exploitation coloniale dans le processus de l'accumulation primitive. Les capitaux investis dans les colonies sont en mesure « de rendre des taux de profit plus élevés ». En bref, Karl Marx justifie en quelque sorte les motivations économiques du colonialisme. À propos de l'Inde, qu'il avait particulièrement étudiée, Marx a mis l'accent sur les deux aspects contradictoires de la domination britannique : d'une part, elle détruit, « fracassant toute la structure de la société indienne » ; d'autre part, elle crée, en unifiant le pays, en développant les chemins de fer, les conditions d'une étape nouvelle. Mais « les Indiens ne récolteront les fruits de ces germes de société nouvelle qu'a éparpillés parmi eux la bourgeoisie britannique que lorsque, en Grande-Bretagne, les classes à présent au pouvoir auront été remplacées par le prolétariat industriel, ou lorsqu'ils seront eux-mêmes devenus assez forts pour rejeter totalement le joug des Britanniques. »

Toutefois, la pensée socialiste a été pendant longtemps hésitante. Pour ceux qui se plaçaient dans la tradition saint-simonienne, la colonisation était une forme de l'exploitation des richesses universelles. Pour d'autres, c'était la possibilité de réaliser outre-mer les rêves d'une cité merveilleuse. Certains enfin voyaient dans le départ des ouvriers vers les colonies un moyen pour eux d'échapper à l'exploitation capitaliste. La IIe Internationale n'accorde que peu d'intérêt aux questions coloniales. Sans doute est-il affirmé que « la politique coloniale n'a d'autre but que d'augmenter les profits de la classe capitaliste et de maintenir le système capitaliste en dilapidant la valeur et le sang du prolétariat ». La condamnation est nette aussi dans la brochure que Paul Louis publie en 1905 et qui s'intitule précisément Le Colonialisme. Mais, dans la pratique politique, il y a beaucoup de fluctuations. Un socialiste allemand comme Edouard Bernstein justifie l'expansion coloniale. La position de Jaurès a très sensiblement évolué. Il considère d'abord comme un fait que « tous les peuples sont engagés dans la politique coloniale ». Mais il rêve d'une expansion coloniale pacifique. Puis son anticolonialisme se précise à mesure que mûrit son socialisme. Le rassemblement des affairistes autour du Parti colonial l'éclaire et la violence des guerres coloniales l'indigne. Mais surtout, dès lors que les peuples colonisés manifestent leur volonté d'indépendance, la domination cesse à ses yeux d'être légitime. Comme chez la plupart des socialistes français de ce temps, il y a chez Jaurès la survivance de l'idée jacobine de l'assimilation conçue comme une évolution des sujets vers le statut de citoyens. Mais finalement, Jaurès affirme qu'il y a contradiction entre l'idéal socialiste et l'existence « de nations esclaves, de nations mutilées, asservies ou même humiliées et mortifiées ». Les socialistes et les syndicats manifestent contre les guerres coloniales (en France contre la guerre du Maroc, en Italie contre la guerre de Libye). Ils associent la lutte contre les expéditions d'outre-mer à la lutte contre le capitalisme. Mais leurs motivations sont confuses et souvent contradictoires, et mettent rarement l'accent sur l'indépendance des peuples colonisés.

Par contre, avec Lénine et l'Internationale communiste, l'anticolonialisme s'insère dans une doctrine et dans une pratique politique d'ensemble. L'expansion coloniale qui aboutit au partage du monde est, pour Lénine, une des caractéristiques de ce qu'il appelle « l'impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Les peuples coloniaux acceptent de moins en moins l'oppression. Il est du devoir et de l'intérêt des prolétariats des pays métropolitains de manifester une solidarité de fait avec les peuples colonisés. D'un anticolonialisme nuancé, hésitant, mal dégagé de l'idée que les peuples « avancés » doivent avoir un rôle émancipateur, nous passons ici à un anticolonialisme qui associe dans une même stratégie révolutionnaire les prolétaires des pays colonisateurs et les peuples des pays colonisés. Le premier congrès de l'Internationale communiste appelle à la rébellion « les esclaves coloniaux d'Afrique et d'Asie ». Une des vingt et une conditions d'admission à la IIIe Internationale précise que « tout parti appartenant à la IIIe Internationale a pour devoir [...] de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies ». Ce soutien implique l'affirmation du principe des droits des peuples coloniaux et dépendants à disposer d'eux-mêmes.

Le fait colonial est donc antérieur aux doctrines colonialistes qui le légitiment et à l'anticolonialisme qui le condamne. Avec l'effondrement du système colonial, le colonialisme appartient au passé dans la mesure où il ne survit pas dans les motivations théoriques du néo-colonialisme.

Dans l'histoire de l'anticolonialisme, on a observé bien des positions intermédiaires entre ce qui ne fut qu'une réprobation humanitaire et sentimentale et le refus total allant jusqu'à la solidarité avec les peuples colonisés. Cependant, le système colonial n'a pas succombé sous les coups des anticolonialistes métropolitains. Ils ont joué un rôle dans les événements qui ont conduit à la fin des empires coloniaux. Ils ont miné en quelque sorte les arrières des colonialistes, les obligeant à se battre sur deux fronts. Mais le fait déterminant a été la résistance des peuples colonisés. À mesure qu'elle s'affirmait et prenait le caractère d'un mouvement de libération nationale, le colonialisme abandonnait l'une après l'autre ses motivations doctrinales et l'anticolonialisme se faisait plus agressif et plus efficace.

Jean BRUHAT