Bruges-la-Morte

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Bruges-la-Morte est un roman de l'écrivain belge d'expression française Georges Rodenbach (1855-1898), considéré comme un chef d'œuvre du symbolisme, publié d'abord en feuilleton dans les colonnes du Figaro du 4 au 14 février 1892, puis en volume en juin de la même année, chez Flammarion.

Cet ouvrage, dont le personnage central est la ville de Bruges [1] elle-même, remportera un grand succès, rendant son auteur célèbre du jour au lendemain, et contribuera grandement à la renommée de la cité flamande.

Mais pour avoir décrit Bruges sous un aspect nostalgique et avoir mené campagne contre le projet de Bruges-port de mer, ou Zeebruges, Georges Rodenbach est toujours personna non grata dans sa ville d'élection.

Né à Tournai, en Wallonie, déclinant des thèmes flamands en langue française, comme Verhaeren, Georges Rodenbach, premier écrivain belge à réussir à Paris, annonce toutes les contradictions de la Belgique actuelle. Son cousin, le poète Albrecht Rodenbach était d'ailleurs l'un des chantres d'une Flandre nationaliste en voie d'émancipation.

Sommaire

[modifier] L'avertissement

Dans l'avertissement placé en tête de son livre, Rodenbach écrit :

« Dans cette étude passionnelle, nous avons voulu aussi et principalement évoquer une Ville, la Ville comme un personnage essentiel, associé aux états d'âme, qui conseille, dissuade, détermine à agir.
Ainsi, dans la réalité, cette Bruges, qu'il nous a plu d'élire, apparaît presque humaine... Un ascendant s'établit d'elle sur ceux qui y séjournent. Elle les façonne selon ses rites et ses cloches.
Voilà ce que nous avons souhaité de suggérer : la Ville orientant une action ; ses paysages urbains, non plus seulement comme des toiles de fond, comme des thèmes descriptifs un peu arbitrairement choisis, mais liés à l'événement même du livre.
C'est pourquoi il importe, puisque ces décors de Bruges collaborent aux péripéties, de les reproduire également ici, intercalés entre les pages : quais, rues désertes, vieilles demeures, canaux, béguinage, églises, orfèvrerie du culte, beffroi, afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l'influence de la Ville, éprouvent la contagion des eaux mieux voisines, sentent à leur tour l'ombre des hautes tours allongée sur le texte. »

[modifier] Résumé de l'œuvre

s:

Bruges-la-Morte est disponible sur Wikisource.

Inoccupé, solitaire, Hugues Viane, un veuf de quarante ans, dont le veuvage a été comme un automne précoce, passe toutes ses journées dans sa chambre, une vaste pièce au premier étage, dont les fenêtres donnent sur le quai du Rosaire, à Bruges. Il s'est installé dans la cité flamande cinq ans auparavant, après la mort, au seuil de la trentaine, de sa femme, après dix années de bonheur, dont il ne parvient pas à se consoler. Il lit un peu - des revues, de vieux livres -, fume beaucoup et rêvasse devant la fenêtre ouverte, perdu dans ses souvenirs.

Hugues Viane mène à Bruges avec Barbe, sa pieuse servante, une vie calme et retirée, cultivant soigneusement sa douleur et ses souvenirs. Il ne parvient pas à se faire à son veuvage, se répétant à lui-même : « Veuf ! Être veuf ! Je suis le veuf ! », mot irrémédiable et bref, d'une seule syllabe, sans écho, mot impair et qui désigne bien l'être dépareillé. Ce n'est certainement pas par hasard qu'il a choisi cette ville. Personnage principal et omniprésent, la ville s'associe à son chagrin, s'assimilant même à l'épouse morte : « À l'épouse morte devait correspondre une ville morte. Son grand deuil exigeait un tel décor ».

Hugues sort chaque soir pour une promenade dans la ville, recommençant toujours le même itinéraire, suivant la ligne des quais, d'une marche indécise, un peu voûté déjà, ses yeux fanés regardant loin, très loin, au-delà de la vie. Et comme Bruges aussi est triste en ces fins d'après-midi, il l'aime ainsi.

Un soir, cependant, en sortant de Notre-Dame, où il se plaît à venir souvent, à cause de son caractère mortuaire - il y a partout, sur les parois, sur le sol, des dalles tumulaires avec des têtes de mort, des noms ébréchés, des inscriptions rongées aussi comme des lèvres de pierre -, Hugues, plus triste que jamais, qui, d'ordinaire, remarque à peine les passants, si rares d'ailleurs, éprouve un émoi subit en voyant une jeune femme inconnue arriver vers lui. À sa vue, il s'arrête net, comme figé, puis, après un moment d'hésitation, abandonnant le quai qu'il descendait, il se met soudain à la suivre à travers le dédale embrumé des rues de Bruges. Miracle presque effrayant d'une ressemblance qui va jusqu'à l'identité, il retrouve sa femme morte dans l'inconnue. Et tout - sa marche, sa taille, le rythme de son corps, l'expression de ses traits, le songe intérieur du regard - lui restitue l'image vivante de celle qu'il a aimée.

Mais, marchant comme un somnambule, suivant toujours l'inconnue, machinalement, sans savoir pourquoi et sans plus réfléchir, il finit par la perdre de vue à un carrefour, où plusieurs directions s'enchevêtrent. Hugues garde de cette rencontre un grand trouble. Maintenant, quand il songe à sa femme, c'est l'inconnue de l'autre soir qu'il revoit ; elle est son souvenir vivant, précisé. Elle lui apparaît comme la morte plus ressemblante.

Hugues Viane voudrait revoir l'inconnue. Il s'enfonce dans les rues mortes, les ruelles tortueuses, espérant la voir déboucher, brusque, à quelque angle d'un carrefour. Cette attente dure une semaine, et un lundi – le même jour précisément que la première rencontre – il la revoit, qui s'avance vers lui, de la même marche balancée. Il la suit jusqu'au Théâtre, où il la voit entrer, mais la perd de nouveau. Espérant la retrouver dans le public, il achète une place pour assister à la représentation, mais il ne la retrouve pas, tout déconcerté, inquiet, triste, commençant à regretter son action irréfléchie. Hugues finit par découvrir, à la fin de la pièce, lorsque, après la scène des Nonnes, dans un décor de cimetière, Helena s'anime sur son tombeau et, rejetant linceul et froc, ressuscite, que son inconnue c'est elle. Il sait son nom : Jane Scott, qui figure en vedette sur l'affiche. Elle réside à Lille, venant deux fois par semaine, avec la troupe dont elle fait partie, donner des représentations à Bruges.

Hugues Viane, cherchant dans le visage de l'actrice la figure de la morte, la revoit, converse avec elle. Le sortilège de la ressemblance opère. Il va la visiter souvent, chaque fois qu'elle joue, l'attendant à l'hôtel où elle descend. Pendant de longues minutes, il la regarde, avec une joie douloureuse, emmagasinant ses lèvres, ses cheveux, son teint, les décalquant au fil de ses yeux stagnants. Pour s'illusionner aussi avec sa voix, il baisse parfois les paupières, il l'écoute parler, il boit ce son, presque identique à s'y méprendre, sauf par instant un peu de sourdine, un peu d'ouate sur les mots. C'est comme si l'ancienne parlait derrière une tenture.

Hugues Viane devient l'amant de Jane. En la regardant, il songe à la morte, aux baisers, aux enlacements de naguère. Il espère reposséder l'autre, en possédant celle-ci. Et il ne tromperait même pas l'Épouse, puisque c'est elle encore qu'il aimerait dans cette effigie et qu'il baiserait sur cette bouche telle que la sienne. Mais, la ville austère lui reproche sa liaison...

Hugues installe Jane dans une maison riante qu'il a louée pour elle au long d'une promenade qui aboutit à des banlieues de verdures et de moulins. En même temps, il l'a décidée à quitter le théâtre. Il s'abandonne désormais à l'enivrement de cette ressemblance de Jane avec la morte, comme jadis il s'exaltait à la ressemblance de lui-même avec la ville. Son amour d'autrefois qui semble si loin et hors de l'atteinte, Jane le lui a rendu. Comme sa vie avait changé ! Il n'est plus triste. Il n'a plus cette impression de solitude dans un vide immense.

Jane voudrait bien voir la maison de Hugues, parce qu'elle a depuis un certain temps decidé d'en hériter. À l'occasion d'une procession religieuse, qui passera sous ses fenêtres, elle s'invite pour dîner chez lui. Lorsque Jane voit la tresse toujours conservée de la femme morte, elle la prend, riante et la met autour de son cou.

« Hugues criait : "Rends-moi ! rends-moi !..." Jane courait, à gauche, à droite, tourbillonnant autour de la table. Hugues dans le vent de cette course, sous ces rires, ces sarcasmes perdit la tête. Il l'atteignit. (...) Jane ne riait plus. Elle avait poussé un petit cri, un soupir comme le souffle d'une boule expirée à fleur d'eau. Etranglée, elle tomba. »
    — Bruges-la-Morte, pp. 104-105, Babel, Actes Sud/Labor

[modifier] Thèmes

La chère disparue ou le mythe d'Eurydice.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Dans son roman Bruges la vive Dominique Rolin donnera une vision différente de la ville de Bruges

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