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[modifier] Entretien avec Viktor Horsting et Rolf Snoeren

le 13 juillet 2005


Quelle a été votre source d’inspiration pour l’Eau de Parfum Extrême Flowerbomb ? Flowerbomb est une fragrance déjà très puissante et concentrée mais l’Eau de Parfum Extrême est une version encore plus concentrée, qui se révèle plus riche et plus intense. C’est amusant, mais cette fragrance est celle que nous avons créée au départ. L’Eau de Parfum Extrême est donc à l’origine de Flowerbomb.

Lorsque nous mettions au point Flowerbomb, nous avons trouvé que cette fragrance était très puissante. Nous avons donc opté pour une concentration plus légère afin de la rendre un peu plus facile à porter. Nous estimons que nous n’avons rien à apporter à ce parfum car c’est en soi déjà une stratégie gagnante. Si l’Eau de Parfum Extrême Flowerbomb était du miel, il rendrait folles toutes les abeilles !

Qu’est-ce qui différencie l’Eau de Parfum Extrême de Flowerbomb ? Pour nous, Flowerbomb, qui est une fragrance à la fois douce et poivrée, comprend de nombreuses dimensions. La complexité de Flowerbomb est exprimée de manière plus extrême dans la version Eau de Parfum. Nous aimons également l’idée d’un parfum qui, plutôt que de se transformer en une fragrance plus légère, va en sens inverse et devient plus puissant. Dans l’avenir, nous allons probablement créer une version encore plus concentrée.

De quelle manière avez-vous conçu le flacon de l’Eau de Parfum Extrême Flowerbomb ? Nous avons imaginé un flacon en forme de grenade et nous avons trouvé que l’or irait à merveille à la version Eau de Parfum Extrême. L’or est si brillant que le flacon ressemble à un bijou. Ce flacon exceptionnel sera vendu dans un superbe coffret doré durant les vacances de Noël 2005. Cette édition limitée ne comptera que 8 500 exemplaires.

Travaillez-vous différemment lorsque vous créez des parfums et lorsque vous concevez vos collections de prêt-à-porter ? Appréhendez-vous les choses autrement ? Non, il n’y a aucune différence ni aucune séparation entre ces deux mondes. Pour le prouver, nous avons lancé Flowerbomb en même temps que notre collection de prêt-à-porter dédiée au parfum. Nous mettons la même âme et le même esprit dans tout. Nous n’imaginons pas nos défilés, nos parfums et nos produits de beauté individuellement.

Pour vos collections de prêt-à-porter, vous avez des muses comme l’actrice écossaise Tilda Swinton ou l’auteur-interprète Tori Amos. Pensez-vous à une femme en particulier qui pourrait porter vos parfums ?

Le plus important pour nous c’est l’esprit du parfum et le message qu’il transmet. C’est ce que nous voulions faire passer à travers la campagne Flowerbomb, qui a pour égérie le mannequin Isabelli Fontana. Nous n’avons en tête aucune actrice ou muse en particulier. Nous pensons bien sûr à beaucoup de femmes que nous admirons, mais ce que nous voulons transmettre c’est l’esprit, pas un visage précis. Voilà pourquoi le mannequin semble mystérieux sur cette image à la fois belle et très forte. De cette façon, nous laissons libre cours à l’imagination et nous permettons à tout le monde de s’approprier cette image. Avez-vous envisagé un visuel différent pour l’Eau de Parfum Extrême ? Non, il n’y aura que des photos du produit. Il est très important de rester fidèle à l’image de Isabelli Fontana qui est l’icône de Flowerbomb.

Pouvez-vous me parler de Flowerbomb Bomblicious et me décrire les différents produits ? La gamme Bomblicious comprend une lotion parfumée pour le corps, un gel douche et un déodorant qui seront les premiers soins pour le corps Flowerbomb à être commercialisés en même temps que l’Eau de Parfum Extrême en septembre 2005.

La lotion pour le corps est une crème très voluptueuse, légère, veloutée, onctueuse et irisée. Le gel douche rose possède une merveilleuse texture et le déodorant parfumé, qui reprend le flacon facetté est d’une grande fraîcheur. Ces trois produits ont un fort pouvoir olfactif. La lotion dévoile des notes de patchouli, le gel, fleuri, exhale une senteur de rose et le déodorant fuse de bergamote fruitée.

Nous travaillons actuellement sur des produits presque indécemment luxueux pour l’année prochaine, comme une poudre pour le corps dans un énorme pot chatoyant, facetté tel un gros cristal. La poudre sera vendue avec une grande houppette, un accessoire un peu démodé que nous aimons beaucoup.

Qu’est-ce qui distingue les soins pour le corps Bomblicious de ceux déjà présents sur le marché ? Tout d’abord, ils ont la même senteur que Flowerbomb ! Le parfum lui-même est reconnaissable entre mille. Ce n’est pas que les autres ne le soient pas, mais pour nous, Flowerbomb est vraiment différent. Lorsque vous croisez dans la rue quelqu’un qui porte ce parfum, vous le reconnaissez immédiatement, et ça c’est très bon signe. Nous aimons l’idée qu’il raconte une histoire et qu’il possède des dimensions supplémentaires du fait de son nom : « Flowerbomb ». Il nous parle de la façon dont nous pourrions voir la vie, en étant positif et actif. En ce sens, il reflète notre travail en général. Nous essayons d’inspirer les gens par le rêve.

Comment a été perçu le nom « Flowerbomb » ? De nombreuses personnes nous demandent pourquoi nous avons choisi ce nom et ce qu’il signifie. Les réactions sont très positives et il nous semble que le message passe vraiment bien. Tout particulièrement en Amérique, où nous pensions que le nom susciterait la controverse. Les gens comprennent que nous n’essayons pas de leur vendre une bombe mais que nous tentons au contraire de la désamorcer. L’idée, c’est de lancer comme un nouveau genre de « flower power ». Il nous semble qu’on oublie un peu vite que des termes comme « bombe explosive » ou « bombe sexuelle » ont eux aussi été controversés. Nous apprécions le fait d’avoir inventé nous-mêmes le terme « Flowerbomb ».

Comment avez-vous trouvé le nom « Bomblicious » ? Nous estimions que nos produits étaient tout simplement délicieux !

Bomblicious évoque tout ce qu’une salle de bains peut avoir d’envoûtant. Comment vous représentez-vous l’environnement de ces soins pour le corps ? Ils font vraiment penser au style hollywoodien d’autrefois, mais le design, la manière dont la gamme a été imaginée et la façon dont elle sera présentée dans les boutiques sont très raffinés. Tous les produits rose pâle seront exposés sur un présentoir spécial qui ressemble à une coiffeuse à tiroirs recouverte de miroirs. C’est à la fois très féminin, très moderne et très sobre. Le packaging est conçu pour refléter l’intégralité du concept Flowerbomb.

Pour le packaging justement, avez-vous travaillé avec le directeur artistique Fabien Baron ? Tout à fait. Fabien est très talentueux et connaît tellement de choses. Il n’a pas peur des traditions et nous partageons la même façon de penser. Il comprend que, bien que nous soyons une nouvelle marque, nous aimions utiliser les éléments existants et nous inspirer des grandes maisons traditionnelles et des icônes célèbres. Nous voulions faire comme si ce concept existait depuis longtemps, mais en même temps, il avait besoin d’une image nouvelle et moderne. Nous pensons avoir vraiment bien réussi.


Avez-vous songé à ajouter du maquillage à votre gamme ? Nous adorerions créer du maquillage car la beauté occupe une place si importante dans notre monde. Nous ne concevons pas uniquement des vêtements. Nous racontons une histoire et un rêve dans lesquels la beauté et le parfum jouent un rôle aussi considérable que les vêtements eux-mêmes.

Avez-vous des projets de lancement de parfums et de produits de beauté pour homme ? Absolument. Avec un peu de chance, le parfum pour homme sera prêt d’ici la fin de l’année prochaine, en 2006.

Avez-vous déjà trouvé un nom pour ce parfum pour homme ? Oui, nous en avons trouvé un, mais bien évidemment nous ne voulons pas le dévoiler. Nous avons déjà plein d’idées pour ce parfum. Ce sera une histoire totalement différente de Flowerbomb. Nous apprécions le fait de pouvoir raconter des histoires différentes.

Après avoir lancé votre premier parfum et travaillé à la conception d’autres produits, que pensez-vous de votre collaboration avec une entreprise aussi gigantesque que L’Oréal ? C’est magnifique, nous sommes si contents. Cela nous donne envie d’en faire encore plus ! L’équipe L’Oréal avec laquelle nous travaillons est très motivée. Franck Salzwedel, le responsable international de la marque, est exceptionnel et très présent. Il ne se contente pas de faire son travail, il y met toute son âme et tout son cœur. Nous avons travaillé longtemps et avec acharnement sur le projet Flowerbomb et nous en sommes très fiers, car les résultats sont excellents et ils correspondent exactement à ce que nous voulions. La commercialisation de Flowerbomb à si grande échelle est très gratifiante et, maintenant que cela semble si bien fonctionner, c’est encore plus merveilleux ! Actuellement, nous disposons de 700 points de vente internationaux, et ce chiffre devrait être multiplié par deux d’ici la fin de l’année.

Beaucoup de gens pensent que le fait de travailler avec un tel géant nous oblige à faire des compromis. Mais étrangement, c’est tout le contraire qui se produit. En fait, c’est L’Oréal qui a rendu tout cela possible. Notre collaboration avec eux est absolument parfaite, parce que nous avons une totale liberté. De plus, ils ont compris où nous voulions aller et ils ont capté l’essence même de notre marque et de notre créativité. Bref, travailler avec L’Oréal nous a permis d’affiner encore plus notre conception de Viktor & Rolf.

Cette expérience nous a appris beaucoup de choses. Vous savez, lorsque vous vous investissez autant que nous l’avons fait dans une image, un flacon, un nom et une fragrance, ce n’est pas anodin. Avec ce produit, c’est la première fois que les nombreuses personnes qui n’assistent pas aux défilés parisiens entendent parler de Viktor & Rolf. Nous devons donc leur transmettre instantanément le bon message.

Et vous seriez étonné de savoir tout ce qu’on peut faire lorsque l’on y parvient. Il est impossible de passer à côté de Flowerbomb sans le voir, et là encore, cela est dû à l’influence d’un géant comme L’Oréal, qui peut faire en sorte que le produit soit correctement mis en valeur dans les boutiques. D’ailleurs, le lancement de Flowerbomb chez Saks à New York, sur la Cinquième Avenue, a été pour nous une expérience totalement nouvelle. On nous a dit que Flowerbomb est actuellement le produit qui se vend le mieux là-bas, ce qui est très gratifiant.

J’ai entendu dire que L’Oréal a été fasciné par votre talent hors du commun et par votre manière de vous en servir. Ils trouvent cela très original. Le fait d’avoir choisi de travailler avec nous prouve combien ils sont ouverts d’esprit.

Dans quelle mesure le lancement de Flowerbomb a-t-il contribué au succès des collections de prêt-à-porter Viktor & Rolf ? Il a grandement contribué à faire connaître notre marque et notre nom. Mais l’univers de la mode et celui de la beauté sont bien distincts l’un de l’autre. Le monde de la mode est si fermé que pénétrer dans l’univers de la beauté a été pour nous un véritable défi. Ce parfum nous permet finalement de toucher un plus grand nombre de gens.

C’est pour cette raison que nous tenions à le lancer simultanément en Europe et aux États-Unis. Cela nous semblait très important pour le message que nous voulions faire passer. C’est une organisation tout à fait inhabituelle, mais L’Oréal l’a rendue possible, et cela fonctionne. En comparaison, il est quelquefois frustrant de constater combien la mode, que nous adorons pourtant, semble limitée. Dans l’univers de la mode, tout semble se passer à plus petite échelle, juste entre nous.

Pensez-vous que ceux qui s’habillent en Viktor & Rolf vont se précipiter pour acheter Flowerbomb, ou s’agit-il d’une clientèle complètement différente ? Nous pensons que quelques aficionados le feront, mais la clientèle de Flowerbomb est beaucoup plus vaste. Cela est dû au marché, qui est lui-même bien plus grand. Les habitudes d’achat ne sont pas les mêmes pour les parfums et pour les vêtements, à plus forte raison les vêtements de créateurs. Il est beaucoup plus facile de trouver et d’acheter du parfum. Selon nous, le grand avantage du parfum est de vous propulser directement dans le rêve. Il vous suffit d’acheter le flacon, et c’est tout.

Avec les vêtements, le rêve est moins aisément accessible. Pour nous, les défilés et le succès qu’ils rencontrent sont extrêmement importants, car les vêtements font partie de l’univers que nous voulons créer. Mais lorsque vous ne trouvez que certains vêtements dans les boutiques, ce message ne passe pas tout de suite. Voilà pourquoi il est si agréable d’avoir notre propre boutique : nous pouvons présenter la collection dans son ensemble, et dans son environnement particulier.

A ce propos, en avril dernier, vous avez ouvert à Milan, Via Sant’Andrea, une boutique où tout est sens dessus dessous. Vous devez être satisfaits de posséder votre propre boutique ? Nous en sommes très heureux. Tout le monde fait son shopping à Milan. C’est une ville très cosmopolite, et notre clientèle vient du monde entier. Notre boutique est d’un style très classique, avec un grain de folie. Nous voulions lui donner l’aspect d’un vieux salon de couture français. Nous avons travaillé sur ce thème, en étroite collaboration avec l’architecte Siebe Tettero, et avec Sherrie Zwail, de Szi Design, qui ont magistralement concrétisé notre idée jusque dans ses moindres détails. Pour faire quelque chose qui ait l’air d’être sens dessus dessous, il suffit de partir d’un concept classique que tout le monde comprend, connaît ou imagine, et de le chambouler. Ajoutez-y de nombreux détails, comme des lustres en cristal qui montent du sol, et des fauteuils gris de style néoclassique accrochés à un plafond ressemblant à un plancher de chêne. Ainsi, vous obtiendrez un monde totalement inversé.

Où implanterez-vous votre prochaine boutique ? Nous n’avons rien prévu dans l’immédiat.

Les vêtements de créateurs se vendent difficilement. Pensez-vous que cela soit dû à la situation économique ? La situation économique n’est pas la seule raison, car il y a encore énormément de gens aisés qui peuvent s’offrir des vêtements de créateurs. Ce problème trouve son origine dans une tendance plus globale. Le développement de chaînes comme Zara et H&M remet en question toute la signification de la mode à l’heure actuelle. Les articles à la mode, ou considérés comme tels, sont beaucoup plus accessibles et abordables qu’il y a, disons, quinze ans. Lorsque nous étions enfants, il n’y avait qu’une seule boutique proposant des vêtements à la mode à un prix abordable. De nos jours, les créateurs ne sont plus du tout perçus de la même façon, et nous nous apercevons que les vêtements de créateurs sont aujourd’hui ce que la haute couture était hier. C’est pour cela que notre originalité est notre meilleure arme. Nous, nous sommes capables de créer des articles vraiment uniques.

Depuis que vous avez commencé à travailler ensemble, il y a douze ans, votre originalité ne cesse d’étonner. En êtes-vous conscients, et si oui, cela vous vient-il naturellement ? Cette singularité a-t-elle quelque chose à voir avec le fait que vous viviez aux Pays-Bas, un peu à l’écart ? Peut-être. Nous pensons que la complexité joue un grand rôle dans notre travail. Cela se passe à plusieurs niveaux. Vous dites que nos défilés étonnent tout le monde, et c’est exactement ce que nous voulons. Vous comprenez, les défilés sont une sorte de spectacle. Les vêtements eux-mêmes sont aussi très importants, mais le public ne comprend pas toujours nos intentions. Il est facile de dire qu’une collection est d’avant-garde ou extravagante, et ensuite, impossible de se débarrasser de cette étiquette. Les gens se mettent à penser que nous ne faisons pas dans le commercial, et nous avons parfois le plus grand mal à leur faire comprendre qu’ils se trompent. Alors nous nous efforçons de leur montrer qu’il est possible d’être grand, commercial et original à la fois. Il y a des hauts et des bas.

Les spécialistes de la mode savent que vous faites de merveilleux vêtements, magnifiquement confectionnés, qui s’inspirent souvent de concepts classiques, et que l’on peut porter dans la vie de tous les jours. Cela fait plaisir à entendre. Nous avons parfois l’impression que les gens n’apprécient que le côté théâtral de nos créations.

Depuis vos débuts, vous avez participé à de nombreuses expositions, je pense en particulier à votre rétrospective, au Musée de la Mode, à Paris, en 2003. Que ressentez-vous lorsque vous voyez votre travail exposé dans un musée ? En fait, c’est comme ça que nous avons débuté. La toute première fois, c’était aussi à Paris, au Musée d’Art Moderne de la Ville, en 1993. Au bout d’un certain temps, nous étions tellement impliqués dans le monde de l’art que cela a commencé à nous déranger, car nous nous voyions plutôt comme des créateurs de mode. Nous avons donc décidé de nous présenter comme tels, de peur de tomber dans l’oubli. C’est ainsi que nous nous sommes lancés dans la haute couture. Toutefois, trouver d’autres moyens d’expression que la mode a toujours été important pour nous.



En juin 2005, vous avez organisé au Japon, en collaboration avec le Kyoto Costume Institute, une exposition mêlant l’art et la mode. Cette exposition, intitulée « Colors », a rencontré un franc succès. Je crois que vous travaillez actuellement sur une exposition qui aura lieu à l’Hermitage de Saint-Pétersbourg en juin 2006 ? Les conservateurs de l’Hermitage nous ont contactés après avoir vu notre exposition de Paris en 2003. Au Japon, nos créations voisinaient avec des vêtements d’époque. En Russie, nous proposerons un concept différent. Il est très difficile d’exposer des vêtements dans un musée, car la mode ne doit pas perdre son côté vivant. A Paris, nous avons réussi ce challenge. Pour l’instant, l’exposition de Saint-Pétersbourg n’en est encore qu’aux toutes premières étapes de son organisation.

Quelle est pour vous la frontière entre l’art et la création de vêtements ? Laissez-moi vous répondre en vous parlant de ce que nous pensons de la mode dans les musées. Nous ne nous sommes jamais posé la question, mais on nous demande très souvent si nous nous considérons plutôt comme des artistes ou comme des créateurs de mode. Nous avons toujours dit que ce n’est pas parce qu’un vêtement est grand et original que c’est de l’art. Même si vous mettez ce vêtement dans une galerie d’art, cela ne deviendra pas de l’art pour autant. C’est simplement un formidable moyen de communication. Beaucoup se demandent pourquoi nous travaillons autant avec des musées. Cela nous permet de toucher plus de gens, de leur faire partager notre manière de voir les choses. Et c’est beaucoup plus démocratique que les défilés, qui ne s’adressent qu’à environ 500 personnes. Nous pensons que l’essence même de notre travail le rend parfaitement adapté aux musées. Lors de notre rétrospective, nous avons voulu montrer que nous pouvions marier vêtements et images animées. Notre idée, ce qui a insufflé de la vie à nos créations, c’était le parallèle avec le zoo : voici le lion, et voici maintenant la jungle d’où il vient ! Aimez-vous concevoir des costumes ? Nous venons justement de concevoir les costumes d’un magnifique ballet moderne de Bob Wilson. Il y avait les costumes, la lumière, et les danseurs. C’est tout. Nous n’avons rencontré Bob Wilson qu’une seule fois, au tout début des répétitions, et il nous a raconté tout ce qu’il y avait à savoir sur le ballet. Il s’est montré très ouvert, et nous a laissés totalement libres. Dès qu’il a vu nos esquisses, il a répondu : « OK, faisons ça ». Pour tout vous dire, les costumes que nous avons imaginés pour les quatre danseurs, et les talons hauts dont nous les avons dotés, ont obligé Bob Wilson à revoir toute la chorégraphie.

C’est Bob Wilson qui a produit ce merveilleux ballet, baptisé « 2 Lips & Dancers and Space », avec le Netherlands DansTheatre III. Sa troupe est composée de quatre danseurs d’âge mûr, dont l’un a plus de 60 ans. Il s’agit d’un ballet itinérant dont la première représentation a été donnée à Luxembourg, et qui devrait terminer son périple à New York à la fin de l’année.

Parlez-moi de votre vie à Amsterdam ? Au début de l’année, nos ateliers, nos bureaux et notre showroom dédié à la haute couture ont déménagé dans une magnifique maison datant de 1903. Elle est située tout près de la plus chic des rues commerçantes d’Amsterdam. Sa façade porte notre emblème en or, pour que tout le monde sache où nous trouver ! Nous possédons deux chiens très différents l’un de l’autre. L’un est un mélange de Jack Russell croisé avec quelque chose de très rapide, et l’autre est un teckel. A Amsterdam, nous n’avons pas une vie sociale trépidante. Lorsque nous sommes dans cette ville, nous nous consacrons davantage à notre travail. Nous y venons lorsque nous voulons nous concentrer et nous éloigner du reste. Nous nous trouvons très bien dans notre maison d’Amsterdam, car elle est située à dix minutes de l’aéroport, ce qui facilite nos voyages.

Voyagez-vous beaucoup ? Trouvez-vous le temps de prendre des vacances ? Nous voyageons énormément, surtout pour le travail. En mars, pour le lancement de Flowerbomb, nous sommes allés aux États-Unis. Ensuite, nous avons enfin pu prendre des vacances, en Polynésie française. Ce séjour a été formidable.

Votre dernière collection automne/hiver s’inspire de la chambre à coucher et des soins pour le corps après le bain. Cela veut-il dire que vous conseillez la relaxation, le repos et les bains ? Cela permet de s’évader, de rêver. Se prélasser au lit est un moyen de s’évader.

Extérieurement, vous semblez tous deux très détendus. Êtes-vous stressés, en réalité ? Je pense que nous sommes très nerveux de nature, ce qui peut induire le stress. Mais comme nous sommes introvertis, cela ne se voit pas vraiment.

Vous avez un sens de l’humour extraordinaire, mais vous êtes toujours très pince-sans-rire. Nous sommes heureux que vous soyez sensible à notre humour. Nos plaisanteries échappent à beaucoup de gens.

Vous êtes extrêmement attentifs au moindre détail. Diriez-vous que vous êtes du genre à vouloir tout contrôler ? Les détails sont si importants pour nous que nous en devenons un peu maniaques. C’est drôle d’ailleurs, car la veille du lancement de Flowerbomb, nous sommes allés à une soirée, ce qui est assez inhabituel pour nous. Ce soir-là, on nous a posé une liste de questions, parmi lesquelles celle-ci : « Quelle est votre plus grande crainte ? » Nous avons répondu : « Perdre le contrôle ». Et pendant la présentation de Flowerbomb, le lendemain, il y a eu un désordre incroyable dans les coulisses. Nous avions fait boire tous les mannequins, parce que nous voulions les mettre dans l’ambiance et cela a fonctionné, comme vous le savez. Mais en coulisses, nous avons vécu un véritable enfer. Les bijoux coûtaient des millions, et les mannequins étaient ivres… Nous nous sentions comme pris dans un cyclone et nous avons totalement perdu le contrôle ! Enfin, heureusement, nous avons remporté un grand succès. Le fait d’être deux vous aide-t-il à vous sentir plus forts ? Travailler ensemble nous paraît complètement naturel et nous rend plus forts. Nous sommes presque toujours d’accord. En fait, être deux nous permet d’aller plus loin, parce que nous pouvons discuter des choses ensemble.

Où puisez-vous votre inspiration ? Dans la musique ? Dans les films ? Tout nous inspire. Notre inspiration est un mélange de ce que nous lisons et de ce que nous voyons. Nous ne la trouvons jamais dans un seul film ou dans un seul livre. Vous dites souvent que chacun d’entre nous est capable de transformer le négatif en positif. Parvenez-vous à appliquer ce principe dans votre vie de tous les jours ? Je crois que nous ne sommes pas les gens les plus positifs de la planète, c’est pourquoi nous avons besoin de tels principes pour nous sentir plus optimistes.

Pour quelle raison dites-vous que vous êtes pessimistes ? En fait, nous portons en nous une certaine mélancolie et notre travail nous aide à rester positifs et à aller de l’avant. Cela nous motive, nous nous disons mutuellement : « Allez, bouge-toi ! ». Je pense que c’est ça qui fait notre force. Le travail est notre meilleure arme, il nous oblige à faire les choses. Nous nous poussons l’un l’autre à agir.

Parlez-moi de votre extraordinaire collection automne/hiver 2005/2006. Vous vous êtes inspirés de l’univers de la chambre à coucher, et avez fait appel à l’auteur-interprète Tori Amos. Nous connaissons Tori Amos depuis deux ans, et sommes allés à l’un de ses concerts parce que nous sommes de grands fans de cette chanteuse. Elle a un talent incroyable, et nous avons beaucoup de points communs avec elle. Après la magnificence du lancement de Flowerbomb, nous voulions faire quelque chose de plus intime, un autre type d’émotion. Nous avons pensé à l’intimité, au plaisir d’être entre nous, de nous relaxer et de nous sentir en sécurité. Comme quand on est seul, allongé sur son lit, à lire ou à écouter de la musique.

Nous voulions partager cela avec le public, nous voulions que notre collection soit un peu comme une histoire que l’on raconte aux enfants pour les endormir. C’est pour cela que nous avons contacté Tori Amos. Elle a eu une idée merveilleuse : écrire une chanson tout spécialement pour le défilé. Elle s’est basée sur le Livre de Salomon, le plus ancien poème d’amour qui existe. C’était en parfaite harmonie avec ce que nous imaginions. Le mélange chanson/vêtements a donné un résultat magnifique. Ces vêtements s’inspirent tous des lits, des draps ou des couettes. Il y a des vestes matelassées, des lits ambulants avec des oreillers intégrés… Bref, du plus petit détail à la plus vaste impression d’ensemble, tout évoque la chambre à coucher. Par ailleurs, travailler avec Tori a été un réel plaisir. Elle nous rappelait Tilda Swinton, par sa volonté à fixer ses propres règles.

Bien entendu, nous avons échangé nos points de vue au téléphone avant le défilé, mais il n’y a eu aucune répétition. Nous ne savions même pas ce qu’elle allait chanter. C’est merveilleux de rencontrer quelqu’un qui est sur la même longueur d’onde que vous. Comment comptez-vous développer la marque Viktor & Rolf ? L’idéal serait de diversifier nos activités et de nous exprimer par le biais des vêtements, des chaussures, des accessoires et même de la lingerie… bref, tous les articles ayant un rapport avec la mode. Nous faisons déjà des cravates et des foulards pour les hommes