Alain Jouffroy

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Alain Jouffroy est un écrivain et poète français, né en 1928 à Paris.

Sommaire

[modifier] Biographie

Alain Jouffroy est né le 11 septembre 1928, près du Parc Montsouris. Très jeune, son rapport au langage est marqué par le scandale Stavisky et le déclenchement de la révolution de 1936, auquel il assiste par hasard. Du haut de ses huit ans, fasciné par cet épisode, il décide de l'écrire sur des carnets pour pouvoir, après son rapatriement, le raconter à son entourage.

Durant la guerre, réfugié avec sa mère dans un village du Jura, il lit beaucoup et commence à peindre. Mais sa carrière littéraire sera surtout profondément influencée par la lecture des œuvres d'André Breton, qu'il rencontre par hasard en 1946 au Grand Hôtel d'Angleterre de Huelgoat. Devenu, à l'instigation de celui-ci, membre du mouvement surréaliste, il y rencontre le peintre Victor Brauner et les poètes Stanislas Rodanski, Sarane Alexandrian, Jean-Dominique Rey et Claude Tarnaud, avec qui il en est exclu dès 1948 pour "travail fractionnel". De cette expérience douloureuse, dont Henri Michaux et Francis Picabia, qu'il rencontre alors, lui font mesurer le caractère précieux pour sa propre indépendance, se dégagera une trajectoire originale, toujours tendue entre la tentation de l'action collective et celle de l'autonomie poétique, tension qu'il conceptualisera ultérieurement sous les noms de "Société secrète de l'écriture" et d'"individualisme révolutionnaire".

Les années 1950 voient ses travaux d'écrivain et de critique d'art connaître une première reconnaissance. Il collabore alors régulièrement aux magazines Arts et L'Œil. C'est également à cette époque qu'il épouse l'artiste vénitienne Manina (1918-), dont l'assassinat de la fille Nina Thoeren en 1959 lui inspirera, ainsi que le suicide, la même année, du poète et sculpteur Jean-Pierre Duprey, une féconde méditation sur la tragédie existentielle dans la poésie, et une volonté jamais démentie de promouvoir la vitalité du langage.

C'est au tournant des années 1960 que s'affirme pleinement son influence dans l'art d'avant-garde. Marqué par sa rencontre avec Marcel Duchamp et les débuts de sa longue amitié avec Daniel Pommereulle et Matta, il organise en 1960 et 1961, en compagnie de Jean-Jacques Lebel, les Anti-Procès, manifestations contestant la validité de tout jugement, dans un climat politique très dur. Il est alors un des premiers introducteurs en France des artistes du Pop Art, et des poètes de la Beat Generation, dont il fournit en 1965 une anthologie. Réconcilié avec André Breton, il contribue également à rendre accessible la poésie surréaliste dans la collection de poche "Poésie", qu'il fonde alors aux éditions Gallimard.

Les événements de Mai 1968, au cours desquels il déploie une grande activité au sein de l'Union des Écrivains qu'il co-fonde avec Jean-Pierre Faye, sont une première rupture dans sa "Trajectoire" (titre d'un poème qu'il publie en février de la même année en hommage à Régis Debray), en lui fermant durablement les portes de l'intelligentsia parisienne et en le restituant à son indépendance. Alors proche de Louis Aragon, qui lui confie avec une grande liberté des pages des Lettres Françaises, il renouvelle l'opération de mise à jour créative entamée dans la décennie précédente, en défendant les peintres de la Figuration narrative, et en publiant un certain nombre de jeunes poètes qui se révèleront les plus importants de leur époque (ceux du Manifeste électrique aux paupières de jupe, notamment Michel Bulteau et Matthieu Messagier, et ceux du Manifeste froid, entre autres Jean-Christophe Bailly et Serge Sautreau), avec qui il fonde les Éditions étrangères en association avec Christian Bourgois.

Il fournit alors la part la plus significative de son œuvre, aussi bien en critique d'art (Les Pré-voyants, 1974) qu'en poésie (Dégradation générale, 1974 ; Éternité, zone tropicale, 1976). Il publie d'importants essais (De l'individualisme révolutionnaire, 1975, Le Gué, 1977) et un roman autobiographique courageux, inventif et novateur, étrangement ignoré (Le Roman vécu, 1978). Éloigné de la revue Opus International, qu'il a co-fondée en 1968 avec Jean-Clarence Lambert, il dirige de 1974 à 1981 XXe Siècle.

Une seconde rupture intervient dans son œuvre et sa pensée au début des années 1980, moment de sa séparation avec sa troisième femme Adriana Bogdan et d'une rencontre progressive mais passionnée avec la civilisation extrême-orientale. Nommé conseiller culturel auprès de l'Ambassade de France à Tokyo, poste qu'il occupe de 1983 à 1985 et dans le cadre duquel il organise les deux premiers sommets culturels franco-japonais, il y trouve surtout l'occasion de développer une curiosité ancienne pour le bouddhisme zen. Son souci d'efficacité du langage se trouve alors intensifié par celui d'un rapport non-virtuel au réel, qui nourrit sa préoccupation de l'indépendance créative des individus et s'exprime dans sa notion fondatrice d'Externet.

Son retour en France le voit durablement marginalisé au sein du milieu intellectuel, en dépit de la création du Club avec Félix Guattari, société informelle regroupant entre 1987 et 1989 plusieurs dizaines d'artistes et écrivains autour de la rénovation de la notion de communauté ; et de sa rencontre avec le peintre Christian Bouillé dont l'œuvre, plus qu'aucun autre, renouvelle son regard. Depuis le début des années 1990, il a entamé une œuvre significative de Posages à la frontière du collage et du montage, et entretient toujours un vif dialogue avec le monde extrême-oriental, où son œuvre est relayée par celle de ses amis Gôzô Yoshimasu et Makoto Oôka. Sa pensée, progressivement condensée en une méditation poétique héritière de Nietzsche et de Rimbaud, a également trouvé une nouvelle résonance dans une génération de jeunes écrivains, un temps regroupés au sein du mouvement Avant Post.

Alain Jouffroy a obtenu en 2006 le prix Goncourt de la Poésie pour l'ensemble de son œuvre.

[modifier] Choix bibliographique

Alain Jouffroy a publié plus de 120 livres, dont notamment :

  • Poésie : Aube à l'antipode (Le Soleil Noir, 1966), Trajectoire (Gallimard, 1968), Liberté des libertés (Le Soleil Noir, 1971), Dégradation générale (Seghers, 1974), Eternité, zone tropicale (Christian Bourgois, 1976), New York (Fall, 1977), L'Ordre discontinu (Le Soleil Noir, 1979), Eros déraciné (Le Castor Astral, 1989), Moments extrêmes (La Différence, 1992), L'Ouverture de l'Etre (La Différence, 1995), C'est aujourd'hui toujours (Gallimard, 1999), C'est, partout, ici (Gallimard, 2001), Vies précédé de Les Mots et moi (Gallimard, 2003), Trans-Paradis-Express (Gallimard, 2006), Être-avec (La Différence, 2007).
  • Romans : Le Mur de la vie privée (Grasset, 1960), Un rêve plus long que la nuit (Gallimard, 1963), Le Temps d'un livre (Gallimard, 1966), L'Usage de la parole (Fayard, 1971), Le Roman Vécu (Robert Laffont, 1978), L'Espace du malentendu (Bourgois, 1987); Dernière recherche de l'âme, demain (Editions du Rocher, 1997), Conspiration (Gallimard, 2000), Le Livre qui n'existe nulle part (La Différence, 2007).
  • Critique d'art : Une Révolution du Regard (Gallimard, 1964), L'Abolition de l'art (Claude Givaudan, 1968), Les Pré-voyants (La Connaissance, 1974), Le Monde est un tableau (Jacqueline Chambon, 1998), Objecteurs/Artmakers (Joca Seria, 2000), XXe siècle, essais sur l'art moderne et d'avant-garde (Fage, 2008). Et également des monographies sur Henri Michaux, Victor Brauner, Martial Raysse, Antonio Recalcati, Marcel Duchamp, Joan Miro, Topino-Lebrun, Piero di Cosimo, David, Gérard Schlosser, Gérard Fromanger, Scanavino, Wifredo Lam, Vladimir Velickovic, Peter Klasen, Milos Sobaïc, Enrico Baj, Francis Picabia, Yves Klein...
  • Essais sur la littérature : La Fin des Alternances (Gallimard, 1970), L'Incurable retard des mots (Pauvert, 1972), La Séance est ouverte (Editions étrangèrs, 1974), La Vie réinventée, l'explosion des années 20 à Paris (Laffont, 1982), Arthur Rimbaud et la liberté libre (Le Rocher, 1991), Avec Henri Michaux (Le Rocher, 1992), Stanislas Rodanski, une folie volontaire (Éditions Jean-Michel Place, 2002).
  • Essais : De l'individualisme révolutionnaire (10/18, 1975), Le Gué (Bourgois, 1977), Manifeste de la poésie vécue (Gallimard, 1994).
  • Entretiens: Une petite cuiller dans le bol. Du Surréalisme à l'Externet en passant par l'individualisme révolutionnaire, entretiens avec Gianfranco Baruchello, Renaud Ego, Malek Abbou (Paroles d'Aubes, 1998)

Un certain nombre de ces ouvrages ont récemment été réédités chez Gallimard et aux éditions du Rocher.

  • Sur Alain Jouffroy :
    • Philippe Sergeant, Alain Jouffroy, l'instant et les mots (La Différence, 1986)
    • Alain Jouffroy, poésie vécue, catalogue établi par Malek Abbou (Lyon, Musée de l'Imprimerie, 1999)

Et on consultera également avec profit :

  • Sarane Alexandrian, L'Aventure en soi (Mercure de France, 1990)
  • Jean-Christophe Bailly, Tuiles détachées (Mercure de France, 2004)
  • « André Breton et le surréalisme international », Opus international, 123-124, avril-mai 1991

[modifier] Filmographie

Détruisez-vous (scénario et dialogues du film de Serge Bard, production Zanzibar, 1968), L'Abolition de l'art (scénario, tournage et montage, produit par la galerie Claude Givaudan, 1968 ; disponible à la cinémathèque du Centre Pompidou), Ciné-Tracts (en collaboration avec Jean-Luc Godard, 1968), Actua I (en collaboration avec Philippe Garrel, 1968 ; film disparu).

Alain Jouffroy a également joué dans La Collectionneuse d'Eric Rohmer (1967), et participé en tant que scénariste ou coréalisateur à de nombreux films documentaires consacrés à l'art moderne, dont L'Art et la Machine d'Adrien Maben ou encore Hans Bellmer récemment réédités en DVD et disponible à la cinémathèque du Centre Pompidou.

[modifier] Citations

  • "Écrire, c'est se tirer une balle dans les mots." (Aube à l'antipode)
  • "Si je regarde une échelle appuyée contre un mur, même si cette échelle est blanche, le mur bleu, entrouverte la fenêtre à côté et nuageuses les vitres derrière les barreaux noirs, je ne pense pas à l'art." (L'Abolition de l'art)
  • "Écrire fait accepter l'obscurité comme la loi intime qui lie les hommes." (Dégradation générale)
  • "Il faudrait un jour convoquer tous les individus de la terre aux États Généraux du Doute : il en résulterait une révolution, plus foudroyante, plus large que les Déclarations des Droits de l'Homme de 1789 et de 1793. Seul un état-major d'amants passionnés pourrait les convoquer avec une certaine chance de succès." (Le Roman vécu)
  • "Nous devrions tous éprouver, à chaque seconde, le plaisir de n'être que des corps, et de ne plus avoir à supporter l'omnipotence d'un savoir absolu, métaphysique ou politique." (Le Roman vécu)
  • "Pendant trente mois, j'ai vécu entre deux langues, comme dans un vide linguistique intersidéral. Les choses, les gens qui m'entouraient, les objets, les fleurs, les arbres m'apparaissaient pour la première fois dans leur illisible vérité, dépouillés de toute espèce d'étiquetage verbal. L'état mental ainsi provoqué n'exigeait même plus d'expression écrite. Le silence, le rire sont devenus ma seule boussole." (Eros déraciné)
  • "On fait toujours comme si cela n'avait pas une importance décisive : toute création poétique est anticipée par une expérience, que j'appelle poésie vécue." (Manifeste de la poésie vécue)

[modifier] Sources et liens

Les archives d'Alain Jouffroy sont conservées aux Archives Nationales de la Critique d'art de Châteaugiron, près de Rennes, pour les textes sur l'art moderne et contemporain. Et à l'I.M.E.C de Caen pour les œuvres poétiques et romanesques, les projets inédits, une partie de la correspondance. L'ensemble de ces archives est consultable sur simple demande auprès des autorités concernées ou de l'auteur. Il existe également un nombre important d'entretiens radiophoniques et d'émissions de radio réalisées par Alain Jouffroy sur l'art et la littérature dans les archives de l'I.N.A.

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