Zone des cinquante pas géométriques

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Le rivage de la mer à la Martinique
Le rivage de la mer à la Martinique

Les cinquante pas géométriques sont, en droit français, un statut juridique pouvant s'appliquer à des parcelles de terrain situées sur le littoral des départements d'outre-mer et qui, aujourd'hui, définissent les conditions particulières d'appartenance de ces parcelles au domaine public maritime artificiel.

Sommaire

[modifier] Régime juridique

Cette zone a une largeur de 81,20 mètres dans le système numérique. À la Réunion, c'est un arrêté du gouverneur du 4 mars 1876 qui en précise l'extension. Elle est calculée à partir de la ligne des plus hautes marées. Mangroves, marais salants et endiguages sont considérés comme faisant partie de l'espace maritime.

Comme elle appartient au domaine public, la zone des cinquante pas géométriques est :

  • inaliénable : l'État ne peut en principe pas la vendre à des particuliers. Toutefois cette vente est possible sous certaines conditions depuis 1996 dans « les espaces urbains et les secteurs occupés par une urbanisation », qui sont délimités par arrêté préfectoral. Ainsi l'État pourra y céder des terrains aux communes qui souhaitent y construire des logements sociaux ou à des particuliers qui y ont déjà fait construire leur habitation principale.
  • imprescriptible : une installation prolongée, même pendant plusieurs dizaines d'années, d'un particulier sur cette zone ne lui confère aucun droit de propriété.

Un établissement public industriel et commercial, l'Agence des Cinquante Pas géométriques[1], a la charge de la gestion de cette zone en Guadeloupe et en Martinique.

[modifier] Historique

Il est très généralement admis que c'est aux Antilles que la réserve des Cinquante pas est née, et cette institution a été étendue aux autres territoires. Cependant l'origine même de cette institution n'est pas établie, et est encore discutée. Pour autant, lorsque le Roi de France réunit les îles à son Domaine en décembre 1674, la réserve des cinquante pas existait déjà. Un texte antérieur à cette date sur le sujet est une concession de terre faite au sieur Urbail de la Charuelle le 5 octobre 1669[2]

Le premier texte de portée générale qui nous soit parvenu sur le sujet est un exposé dressé par le Gouverneur général de Baas à Colbert le 8 février 1874 :
"Je ne sais pas, Monseigneur, si quelqu'un vous a jamais expliqué pourquoi les cinquante pas du ROI ont été réservés dans les isles françaises d'Amérique, c'est-à-dire pourquoi les concessions des premiers étages n'ont été accordées aux habitants qu'à condition qu'elles commenceront à cinquante pas du bord de la mer et que cette ceinture intérieure qui fait le contour de l'isle puisse être donnée en propre à aucun habitant pour plusieurs raisons judicieuses avantageuses pour le bien des colonies.
La première a été pour rendre plus difficile l'abord des isles ailleurs que dans les rades où les ports sont bâtis, car 50 pas de terres en bois debout très épais et très difficile à percer, sont un grand empêchement contre les descentes de l'ennemi.
Secondement, les 50 pas du ROI sont réservés pour faire des fortifications s'il était nécessaire afin de s'opposer aux descentes de l'ennemi et l'on a réservé cette terre pour ne rien prendre sur celle des habitants qui autrement auraient pu demander des dédommagements.
En troisième lieu cette réservé est faite afin que chacun ait un passage libre au long de la mer, car sans cela les habitants l'auraient empêché par des cultures et par des oppositions qui, tous les jours, auraient causé des procès parmi eux.
Quatrièmement, pour donner moyen aux capitaines de navires qui viennent aux isles d'aller couper des bois dans les 50 pas du ROI pour leur nécessité car, sans cela les habitants ne leur permettraient d'en prendre qu'en payant.
La cinquièmeme et la plus essentielle est celle de donner moyen aux artisans de se loger, car comme ils n'ont aucun fonds pour acheter des habitations, et ils n'ont pour tous biens que leurs outils pour gagner leur vie. On leur donne aux uns plus, aux autres moins, de terre pour y batir des maisons mais c'est toujours à condition que, si le ROI a besoin du terrain sur lequel ils doivent bâtir, ils transportent ailleurs leurs bâtiments. Or, sur ces 50 Pas sont logés les pêcheurs, les maçons, les charpentiers et autres personnes nécessaires au maintien dela Colonie"[3]

Cette zone faisait alors partie du domaine royal, régi par l'Edit de Moulins.

Les ordonnances royales du dix-neuvième siècle vont plus particulièrement définir ces cinquante pas, désormais dénommés les cinquante pas géométriques :

  • l'ordonnance du Roi concernant le gouvernements de l'ile de Bourbon et de ses dépendances, du 21 août 1825 ;
  • l'ordonnance du Roi concernant le gouvernements de la Martinique de la Guadeloupe et de ses dépendances, du 9 février 1827;
  • l'ordonnance du Roi concernant le gouvernements de la Guyane française, le 27 août 1828.

De nombreux particuliers se sont progressivement installés sur cette zone. Plusieurs lois ont tenté de pallier les problèmes posés par cette occupation anarchique. En 1955, une loi et son décret d'application[4] ont déclassé la zone des cinquante pas dans le domaine privé de l'État, ce qui permettait d'en vendre certaines portions à des particuliers. En sens inverse, la loi Littoral du 3 janvier 1986[5] a replacé la zone dans le domaine public maritime de l'État, supprimant la possibilité de cession ouverte par la loi de 1955. La loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 a prévu des aménagements au principe d'inaliénabilité de la zone des cinquante pas géométriques afin de régler les problèmes posés par l'utilisation illégale de cette zone par des particuliers.

[modifier] Perception sociale

Il existe une confusion profonde entre le nom de ce régime juridique, et le régime juridique des parcelles littorales. Il faut bien comprendre que si une parcelle précise qui faisait partie des cinquante pas géométriques, a été valablement exclue de ce régime juridique (validation d'un titre par la Commission de vérification, ou vente selon les conditions de la loipar exemple) cette parcelle cesse définitivement d'être soumise au régime des cinquante pas géométriques, et toutes les dispositions nouvelles venant aménager ce régime juridique seront sans effet pour la parcelle considérée. Cependant, de très nombreuses personnes, par confusion entre le régime juridique et la zone géographique, peuvent, parfois de bonne foi, imaginer que les parcelles en question ne peuvent être privées.

Par ailleurs, le décret du 27 avril 1848 a officiellement mis fin à l'esclavage dans les colonies françaises, et la possession de la terre est devenue pour la population noire libérée, une démonstration essentielle de leur liberté. S'appuyant inconsciement sur le cinquième motif de la lettre de de Baas, ceux qui ne pouvaient devenir propriétaires de leur parcelle se sont collectivement appropriés la zone des cinquante pas géométriques au niveau symbolique. A tel point qu'aujourd'hui la privatisation d'une parcelle des cinquantes pas géométriques peut être l'occasion de démonstrations qui peuvent surprendre ceux qui ne connaissent pas l'histoire des Antilles


[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Agence des Cinquante Pas géométriques.
  2. Archives Nationales, Colonies, F.3.249 f° 597-588
  3. Ed. par Mme Monique Chemillier-Gendreau, in "La réserve des cinquante pas géométriques", Annales de la Faculté de Lille, 1962
  4. Loi n° 55-349 du 2 avril 1955 et décret n° 55-885 du 30 juin 1955
  5. Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (Légifrance).