Utilisateur:Terakalilou

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Niani et Ségou dans le Boloba (Epopée mandingue) et dans la Geste Bambara Kalilou TERA

En mandingue la ville, c’est le grand village, duguba. Mais l’appelle aussi gbalodugu qui peut se traduire comme le lieu des malheurs, des contraintes. Dans la tradition mandingue, la notion de ville s’oppose à baadiya, qui est un emprunt arabe ou à burusi, qui est un emprunt au français. Est-ce à dire que l’origine du phénomène de l’urbanisation remonte à l’islamisation et à la colonisation ? La tradition mandingue connaît la ville en soi ? Quelles les attributd et caractéristiques de la ville ancienne dans l’espace mandingue traditionnel ? Nous nous appuierons sur la tradition orale (les récits et les chants épiques) pour apporter une réponse à ces questions, en référence à deux villes largement chantées par la tradition, en l’occurrence Niani, capitale de l’Empire du Mali (13ème – 15ème siècle AC), et Ségou, capitale du Royaume Bambara du même nom (18ème – 19ème siècle AC). Nous ne nous interdisons pas des références aux autres grandes villes historiques du même espace que sont Kumbi Saleh, capitale de l’Empire du Ghana, Dagajalan, première capitale de Soundjata, Tombouctou, ville universitaire et centre commercial des confins sahariens, Djenné, Sikasso et Kong.


La ville, lieu de concentration humaine

La ville, c’est d’abord une question de taille etb de concentration humaine et la tradition mandingue pour mentionner cette dimension de l’urbanité parle invariablement de la ville aux soixante quartiers, aussi bien en parlant de Dagadjalan, la capitale de Soundjata, que Niani ou Nianiniani, la capitale de ses successeurs musulmans (Kankou Moussa et ses successeurs), Ségou ou Sikasso. Il faut rappeler que ce sont là des villes autour desquelles il y a une tradition orale importante. Le chiffre soixante ne désigne pas en soi un nombre précis. Ce n’est pas le bi-wôrô de la numération post-islamique, mais le manikèmè pré-islamique qui représentait à l’époque la centaine, c’est-à-dire un nombre impressionnant à l’époque. La notion de soixante quartiers est d’abord spatiale. Elle souligne l’étendue de la ville, ce qui suppose un grand nombre d’habitants. Bien sûr, il ne s’agit pas de villes de la taille d’Abidjan. Il s’agit probablement d’agglomérations de cent à deux cent mille habitants comme pour la ville de Sikasso dont la population était estimée à plus de deux centaines d’habitants au moment de la prise de la ville par le colonisateur français. La ville ancienne était structurée en quartiers kin ou sokala souvent séparés les uns des autres par des espaces cultivés et entourés de murailles. Chaque quartier était réservé à un clan, une tribu, une caste ou une ethnie. Ainsi, la ville de Ségou conservé ses quartiers traditionnnels appelés chez les Bambara, Bamananso, le quartier des pêcheurs ou Somonosso, le quartier toucouleur ou Foutakakin. Ailleurs ce les noms des principaux clan qui habitent la ville Vous pouvez trouver Touréla, chez les Touré, Traoréla, chez lzs Traor&, Coulibalyla, chez les Coulibaly. On trouvait aussi noumoutogo, ou le camp des forgerons, ou Foulabougou, le hameau peul, souvent un peu en retrait. Avec l’islamisation, on a souvent observé la division de la ville en deux zones : la zone ani Les quartiers d’habitation des villes étaient souvent


La ville, entrepôt commercial

Le commerce transsaharien assuré par les Arabo-Berbères et son relais trans-soudanais assuré par les MAndé-Dioulas n’est pas étrangers à la naissance des villes dont le noma été retenu par la tradition mandingue. La preuve, c’est que toutes cezs villes se trouvent à des étapes de ce commerce. Les villes les plus anciennes, Koumbi Saleh, Bir Walaten ou Oualata, ou Biro, Aoudaghost, Tombouctou et Gao sont sur la rive sud du Sahara qui était le terminus des caravanes venant d’Afrique du Nord et du Sahara. Quant à Niani, Djenné, Dia, Sikasso, Kong, ce sont les étapes des colporteurs et âniers dioulas. Le célèbre conteur malien, Djeli Baba Cissoko, évoque l’ancienn Tombouctou dans les termes suivants :

A tombouctou, les hyènes du désert vendaient du selLes dioula du Worodugu vendaient de la kolaLes hommes du pays soninké vendaient de l’orLes tisserand du pays de l’eau vendaient des tissusLes dogons des faalaises vendaient du milLes Peuls du MAcina, du Gourma et du Djelgodji vnaient y vendre bétail et laitLes Bozo et Somonos proposaientv les capitaines du DjolibaTout cela appartenait à Faama Da Monzon

De nos jours encore, les marchés d’Abidjan, de Bamako, de Dakar ou de Ouagadougou ont des quartiers réservés aux produits traditionnels comme le sel et la kola, avec les mêmes dioulas et les mêmes Maures qu’il y a 1000 ans.


La ville, lieu de sécurité

Conformément à leurs sœurs européennes ou moyen-orientales de la même époque, l’image que donne la tradition des villes ouest-africaines ouest-africaines est celle de villes fortifiées, d’espaces clos conçus pour protéger leurs citoyens contre les agressions et enlèvement fréquents dans le pays clair par opposition à la zone forestière, et dissuader les agresseurs extérieures, très nombreux à l’époque. La ville de Niani est ainsi décrite dans la devise du clan Kanté et de Soumahoro, son ancêtre :

Kukuba ni bantanba.Nyani nyani ni Kamasiga Hèrè ma jigi so Niani la ville aux hautes murailles aux contreforts puissantsDevant lesquels l’ennemi s’épuise et finit par douterIl se dira sans: «héla, je n’ai rapporté rapporté de cette action »

Quand Fakoly fut banni par Soummaoro Kanté, il lui dit :

Koli belin, mogolu, Koli belinIl est tombé en disgrâce, bonnes gens, Koly est en disgrâce

Et Fakoly de répondre :

Koli belin, karata te Koly nyogonyaOui, Koly est tombé en disgrâce, Mais une forteresse ne saurait remplacer Koly

Cette conversation révèle l’importance militaire des fortifications et autres citadelles. Plus tard des murailles plus épaisses appelées djin ou tata entouraient toutes les localités importantes du Mmali. Quant à la ville de Ségou, la tradition la décrit comme une ville dont on fermait les portes tous les soirs. La tradition rapporte que pendant le duel entre Bilissi, le héros Peul du Macina et Bakari Djan le héros bambara, les habitants ont préféré fermer le karangada (grand portail à même la muraille par lequel passe le peuple), et le blonbada (porte citadelle munie de meurtrières (flao). Des sentinelles continuellement postées dans des guérites scrutaient l’horizon. A l’intérieur de la ville, trois garnisons de tondjons, soldats de métiers avaient la surveillance de la ville, tandis-que les nanféru ou policiers, ainsi que les kobèsseéré ou police secrète, écumaient les bars et les lieux publics pour assurer la quiétude des citoyens des différents quartiers. Le tata de Sikasso, une muraille qui entourait une ville de plus de 200000 habitants, était assez large pour permettre à deux cavaliers de galoper dessus de front. Les tertres de cette muraille existent encore à Sikasso.


La ville, siège du pouvoir

La ville, c’est aussi et avant tout le siège du pouvoir. A part Tombouctou et Djenné, cités purement marchandes, les villes dont la tradition a retenu le nom furent toutes des capitales politiques. Ecoutons plutôt Djeli Baba Cissoko parler de Ségou :

De la grande mosquée de Tombouctou à Ségou,Tous les hommes obéissaient au faama Da MonzonDu grand fromager de Kouroussa à Ségou,Tous les hommes obéissaient au faama Da MonzonDe lombre du tin de Tingrela à Ségou,Tous les hommes obéissaient au faama Da Monzon(Da Monzon, Epopée de Ségou)

C’est là aussi que résident les garnisons de soldats qui assurent la garde royale et la sécurité de la ville. Le faama de Ségou avait une garde prétorienne de sept cents hommes répartis entre les sept vestibules (blonba wolonfla) que devait traverser le visiteur avant d’arriver à la salle d’audience du faama (faamablon) de ségou.


La ville et ses merveilles architecturales

Sur le plan architectural, les empereurs du Mali étaient logés et donnaient audience dans un palais appelé dionfoutou en banco ou en pierres sèches bien construits et comportant beaucoup d’appartements comme cela transparaît dans les contes populaire où l’on parle toujours du labyrinthe que constituait le palais du dugu massa, l’empereur. Le Tarikh el Fettach dit que quand Ibn Batuta vint à Niani, la salle d’audience de l’Empereur comportait un dôme vitré. Outre l’architecture militaire et les palais des tenants du pouvoir, il y avait les fameuses mosquées de style soudanais encore débout et fonctionnels tant à Tombouctou qu’à Djenné et dans toutes les villes anciennes comme Kong et Samatiguila en Côte d’Ivoire et un peu partout au Mali. La tradition cite :

Les mosquées de Tombouctou, Sankoré et Djingarey BerLa fameuse mosquée de DjennéLe tombeau des Askia à GaoLa mosquée de KongLes merveilleux palais de pierre de Koumbi Saleh et de Niani avec leurs dômes vitrés


La ville, lieu de rencontres, de dialogue et de cohésion sociale

La ville, c’est la rencontre de ceux qui n’ont pas la même origine, et n’ont pas non plus les mêmes objectifs. Il y a ceux qui sont venus d’eux-mêmes, et il y a ceux qui ont été amenés là de force (les captifs et les otages). Il y a ceux qui sont de passage et ceux qui y résident de façon permanente. Il y a ceux qui sont servis et ceux que l’on sert. Il y a... Il y a... La ville ancienne était multiethnique. A Ségou, les éleveurs peuls côtoyaient les agriculteurs Bambara ou Sénoufo ; les Maures chevelus du désert et leurs frères Maghrébins avaient leurs quartiers, ainsi que les vendeurs de kola Dioula, et tout ce monde se côtoyait et faisait quotidiennement des échanges au marché de la ville. Au contraire du village généralement mono-ethnique et souvent mono-clanique, les différentes ethnies, les différents clans et castes sont toujours représentés dans la ville. A Dagadjalan, première capitale du Mali, comme à Niani, il y avait des membres des 16 clans de porteurs de carquois du Mandé (tontajon) qui avaient droit au commandement, les membres des huit castes d’artisans ou d’artistes (numu ou forgerons, garanké ou cordonniers, saki ou selliers etc.), et il y avait les clients étrangers et les protégés de ces clans, les mogo-fè-mogo en nombre infini. A la tête de chaque clan, il y avait un chef (kabilatigi), qui représentait son clan à la cour de Niani. Plus le groupe était important en nombre, plus le kabilatigi était puissant. L’harmonie sociale était assurée par des rôles bien définis pour chacun dans le respect mutuel. En outre, entre les clans de même valeur sociale, entre les ethnies et entre les catégories socio-professionnelles, il y avait des alliances à plaisanterie, le sinankuya (étymologiquement l’art de supporter la rivalité ou la compétition). Les Traoré et les Koné, deux clans de porteurs de carquois réglaient tous leurs problèmes et leurs dissensions dans la bonne humeur, en se traitant de tous d’esclaves, sans méchanceté. Il en était de même entre les Touré et les Coulibaly, entre les Ouattara et les mêmes Coulibaly, entre les Peuls et les forgerons, entre les Maures et Arabes et les Malinkés en général, entre les marabouts et les griots, etc. Ainsi, Niani, Ségou ou les autres villes historiques de l’espace mandingues étaient des bènkadiso ou maison de la douceur de vivre, où la cohésion était la règle. Le concept de bènkungoso « la maison de la rencontre de la jungle » que l’on applique à la vie urbaine d’aujourd’hui n’avait point cours. Le nouvel immigrant ou l’étranger de passage n’avait aucun problème d’intégration, car il était d’office logé et pris en charge par ceux qui sont du même clan que lui, ceux de son groupe ethnique ou de sa caste, et à défaut, dans une famille alliée où il avait tous les droits. C’est cette atmosphère qui attire les foules qui a fait de Ségou :

A ségou,Certains précèdent d’autresMais à Ségou,Nul ne peut se passer d’aller.

La cohésion ainsi créée amenait les différentes ethnies à des échanges par le biais des mariages et des liens d’amitié. Garba Maama, célèbre guerrier Peul du Macina du temps de Da Monzon ne s’est-il pas donné comme devise Pullo Seegu, Bambara Kunaari « Peul à Ségou et Bambara dans le Kounari (province peule) ? Chez lui en pays peul du Macina, il ne communiquait jamais qu’en bambara et à Ségou, son serviteur Pulori lui servait de traducteur car là, il parlait seulement peul.


La ville, lieu de production de biens

Dans une telle atmosphère, la production de biens de consommation et leurs échanges constituaient les occupations principales des citadins. Le triptyque de l’agriculture, du commerce et de la sécurité était la préoccupation des gouvernants.

Que ceux qui s’adonnent à l’agriculture,S’adonnent à l’agriculture.Que ceux qui s’adonnent au commerce,S’adonnent au commmerce.Que ceux qui s’adonnent à guerre,,S’adonnent à la guerrre.Laissez-moi évoquer Djata,Certes Djata a les choses en main.

Forgerons, bijoutiers, cordonniers, tisserands, tailleurs, travailleurs du bois, vanniers, ... produisaient les biens dont les citadins avaient besoin. De la campagne environnante, On apportait à la ville, le bétail et les céréales dont les populations avaient besoin pour se nourrir, et on y achetait des produits d’importation et de l’artisanat local très développé. Chaque activité est dévolue à une caste donnée ou à une ethnie. Aujourd’hui encore, n’est pas maquignon ou vendeur de moutons qui veut. N’est pas boucher qui veut. Ceux dont les ancêtres avaient ces activités continuent à les exercer aujourd’hui encore à Bamako, à Abidjan ou à Konakry.

Ceux qui forgent des daba,Les forgerons qui forgent les dabas,Les forgent pour nous permettre de cultiver Celles qui tournent de l’argile,Les potières qui tournent les poteries,Font des récipients pour mettre nos repas Ceux qui tannent le cuir,Les cordonniers qui travaillent la peau,Font pour nous des sandales, des babouches et des bottes pour nous chausser Ceux tissent des tissus, Les tisserands qui tissent les toiles, Font pour nouspour nous des pagnes, des couvertures et des tapis Etc. (Hymne aux artisans, tradition de Ségou)

Sont évoqués dans cette chanson, tous les artisans de l’époque : les bijoutiers, les brodeurs, les coiffeuses, les menuisiers, ... La variété des tissus et la richesse des motifs de décoration en disent long sur le développement textile de l’époque, avec les pagnes tagafé, des couvertures, birifani des tapis de sol kosso, des écharpes dissa et lankanna, de différences textures, motifs et couleurs (koba, kalan, walanin etc.)


La ville, oasis de prospérité

Le corollaire d’un tel contexte caractérisé par la paix, le développement de la production agricole, animalière et artisanale ainsi que des activités commerciales est la prospérité. En outre, avec la production d’or (toutes les pépites extraites dans l’ensemble de l’empire ou du royaume était réservé au trône, et la poudre revenait aux orpailleurs), assurait des revenus substantiels aux citoyens. Il y avait une prospérité généralisée telle qu’exprimée dans ces vers du Boloba, l’épopée mandingue.

Scandale, ô scandaleIci, les guenons portent de l’or autour des reins,Scandale, ô scandaleAu temps du Mansa, c’est la prospérité

La sagesse mandingue dit que les chances des hommes sont attachées les unes aux autres, et que plus une communauté est nombreuse, plus ses membres ont de chance. Cela se vérifie par la généralisation de la prospérité dans les villes anciennes comme Tombouctou ou Djenné dont l’architecture est le témoin vivant d’un faste passé.


La ville, lieu de développement des activités intellectuelles et universitaires

Les activités intellectuelles islamiques étaient caractéristiques des villes soudano-sahéliennes. N’oublions pas que le ressort principal de l’urbanisation est le commerce et que commerce et Islam ont toujours été étroitement liés. Koumbi Saleh, Niani, comme Ségou, avaient leurs quartiers berbéro-arabes et musulmans, avec le marché la mosquée et les écolex coraniques (les villes ivoiriennes contemporaines ont la même caractéristique). Tombouctou, Djenné, Kong furent célèbres pour leurs écoles coraniques, leurs marabouts et leurs universités islamiques fréquentées par de nombreux étudiants de la sous-région et même du Maghreb. Voici comment la tradition parle de Tombouctou, de Djennné et de Kong :

Tombouctou la ville des 3333 saintsDjenné, la ville des 100 marabouts, amis de DieuKong et ses écoles coraniques

Il faut mentionner les nombreuses écoles de griots, dont la célèbre école de Kela près de Kangaba au Mali, ou celle de Niagassola en République de Guinée actuelle. Aujourd’hui comme il y a sept siècles de jeunes griots de toute la sous-région font leur formation en éloquence, en connaissances historiques, en généalogie des grandes familles, en chant et en instruments de musique. Nous n’oublions pas l’omniprésence et le rôle éminent qu’on joue et continuent de jouer les cinq clans maraboutiques du Mandé, mori kanda loolu , et l’hymne aux marabouts, kala-ta-mori, ou marabout à la plume.


La ville, lieu de raffinement et de créations artistiques

Ces écoles de griots ont formé de grands artistes dans tous les domaines. L’éloquence des Malinkés et des Bambaras est légendaire. Le bien dire (kumanin cènyi) est aussi important que la substance du dire (kuma kolo). C’est poorquoi, jamais un noble ne se hasarde à parler en public. Il confie ses idées, la substance de son dire à un griot qui se charge de le bien dire. Ainsi, parler devient un véritable art majeur et chaque du griot parleur est un chef-d’œuvre poétique. La musique connaît un développement prodigieux. Les instruments de musique se diversifient, s’enrichissent et se raffinent. Au luth traditionnel de diverses tailles et factures (jurukelen ou luth à une corde, juru naani ou luth à quatre cordes, juru woloonfila ou luth à sept cordes), s’ajoute le violon (soku), la violoncelle (kirinè), les différentes harpes dont le bolong, et la kora. Les instruments à vent sont aussi variés. Il s’agit des différentes trompes et trompette, ainsi que les flûtes. Les instrument à percussion sont nombreux. Il y a le balafon et différents tambours et tamtams (bara ou grosse caisse, jenbe ou tambour, taman ou tambour d’aisselle, lonkan ou petit tambour d’aisselle joué avec les doigts, etc.). Les styles et genres sont variés. La musique des griots, jelifôli ne se confond pas avec la musique populaire des jeunes, celle des femmes, celle des différentes catégories socio-professionnelles (numufôli ou musique des forgerons, sènèfôli ou musique des agriculteurs), dozofôl iou musique des chasseurs... Il faut mentionner les musiques de circonstance, à savoir celle des sorties de masques, des cérémonies de circoncisions ou d’excision... Les chœurs et les ensembles musicaux faisaient fortune car ils très sollicités pour les mariages, lesd naissances et toutes les circonstances joyeuses de la vie. Les arts scéniques se sont considérablement développés. Le théâtre traditionnel ou kotèba, les prestations des bouffons sacrés ou korèduga, ainsi que les marionnettes ou tchèko, faisaient la joie des foules de spectateurs. Connaissances étaient perpétrées et retransmises de père en fils ou à travers des écoles comme je l’ai mentionné plus haut. La musique faisait partie intégrante de la vie de cour :

Tientiguiba Danté et Ngordi Diabaté jouaient pour le faama à Ségou, du luth à une corde nuit et jourPour le faama, on jouait du luth à quatre cordesPour le faama, on jouait du luth à six cordesPour le faama, on jouait du violon et de la violoncelleEt le roi était accoudé sur un grand canapé, alors qu’il était continuellement massé par six serviteurs

Les beaux boubous des hommes et des femmes brodés à la main, les belles tresses des femmes, les beaux bijoux, les pommades et les nombreux parfums et encens encore utilisés par les femmes de culture mandingue pour se parfumer et parfumer leurs maisons sont la preuve d’un raffinement notable des mœurs.


La ville, lieu des loisirs

La prospérité matérielle a comme corollaire le développement des loisirs et la tradition n’est pas muette sur ce sujet. Un couplet du Boloba sur la vie urbaine dit :

Qu’est-ce qui fait le plaisir de la vie urbaine ?La grande vadrouille, la grande vadrouilleQuand dix te boudent, dix te sourientEt c’est la grande vadrouille, la grande vadrouille

Le monde des tondjons de Ségou était surtout citadin car les garnisons étaient basées en ville et les nuits des soldats étaient égayées de virées nocturnes dans les différents bars et cabarets de la ville et de parties de méchoui de chien arrosé de boisson forte. D’ailleurs les liqueurs fortes telles que l’hydromel avaient leurs propres devises et à la cour royale, on chantait :

Quiconque consomme la boissonNe connaît pas la peur Quiconque consomme la boissonEnfant ou adulteQuiconque consomme la boissonNe connaît pas la peur

Les loisirs ne se limitaient pas à des tournées d’alcooliques, mais aussi à toutes sortes de réjouissances et de spectacles, parfois d’une qualité sublime. Les danses étaient très variées. Il y avait les danses populaires, celles des jeunes, celles des différentes classes d’âge, des différentes catégories socioprofessionnelles, les danses de circonstance et les arts théâtraux pour égayer les soirées chaudes au clair de lune ou à la lumière de lampes à huile à cent mèches. Et c’était la cité radieuse, celle du rêve réalité, car c’est la cité des hommes. Des hommes humains. Humains dans le sens le plus positif. Ces hommes étaient créaient. Protégés par des gouvernants conscients de leur rôle sacré, ils créaient des richesses, des connaissances, de l’art, des loisirs, bref, de la culture pour le bénéfice de tous, sans distinction d’origine, d’ethnie ou de religion, dans l’harmonie et le respect mutuel.


Niani, Ségou et Abidjan

Telles étaient les villes anciennes d’avant la colonisation, telles qu’apparaissent dans la tradition orale. C’était Koubi, chanté par le chant Wagadu-Nyamey, Niani chanté par le Boloba, et Ségou chanté par le récit de Da Monzon. C’était aussi Tombouctou, Gao et Djenné, largement décrits par les historiens Arabes et arabisants, ou Sikasso et Kong dont ont été témoins le conquérant colonial. La ville post-coloniale ouest-africaine en général, Abidjan en particulier, garde-t-elle quelque chose de ses ancêtres pré-coloniaux ? Il suffit de jeter un coup d’œil sur la structure d’Abidjan, pour se convaicre que la ville moderne est la continuité de ses devancières pré-coloniaux avec ses quartiers administratifs et résidentiels que sont les communes du Plateau et de Cocody à mettre en paralllèle avec les quartiers impériaux des mansa et des faama, les quartiers populaires à prédominance dioula que sont Treichville, Adjamé et Abobo, quartiers marchés avec leurs nombreuses mosquées. Il suffit de voir le caractère cosmopolite d’Abidjan, avec cependant une nette prédominance mandingue, l’animation des marchés et leur organisation, la spécialisation des activités, pour imaginer l’atmosphère des villes marchés d’autrefois. Les techniques commerciales et artisanales elles-mêmes ont peu changé. Les marchands, artisans et autres prestataires de services sont le plus souvent les descendants de ceux d’antan et utilisent très souvent les mêmes techniques, parfois quelque peu modernisées pour s’adapter au marché. La cohabitation des différentes ethnies et communautés est, comme dans l’ancien temps, facilitée par les alliances ancestrales qui n’ont rien rien perdu de leur vitalité et des alliances nouvelles sur ceb modèle. La création intellectuelle et artistique est très variée et d’une grande richesse, vu le caractère composite de al population et des cultures d’origine. Sans fermer les yeux sur la parenthèse politique de la dernière décennie caractérisée par l’instrumentalisation des différences ethniques et communautaires pour l’acquisition et la conservation du pouvoir, nous osons affirmer que la ville d’Abidjan contient les promesses d’une ville radieuse, les prémices d’une nouvelle nation riche de ses composantes multiples, enracinée dans une tradition millénaire et ouverte au monde et à la modernité.