Système complexe

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

De nombreux systèmes sont constitués d'un grand nombre d'entités en interaction, on les qualifie de complexes lorsqu'un observateur ne peut prévoir le comportement ou l'évolution d'un tel système par un raccourci de calcul. Ainsi une réaction chimique, comme la dissolution d'un grain de sucre dans du café, est simple car on connaît à l'avance le résultat : quelques équations permettent de décrire exactement l'évolution, sans avoir besoin d'attendre la fin de l'expérience pour savoir comment cela se passe. Au contraire, les cellules nerveuses de notre cerveau, une colonie de fourmis ou les agents qui peuplent un marché économique sont autant de systèmes complexes car le seul moyen de connaître l'évolution du système est de faire l'expérience, éventuellement sur un modèle réduit.

De par la diversité des systèmes complexes, leur étude est interdisciplinaire. Deux approches complémentaires sont utilisées : certains scientifiques aux prises avec un système complexe particulier cherchent à le comprendre, d'autres cherchent des méthodes et définitions générales applicables à de nombreux systèmes différents.

Les systèmes complexes sont donc un contre-exemple au réductionnisme : malgré une connaissance parfaite des composants élémentaires d'un système, il est aujourd'hui impossible de prévoir son comportement, autrement que par l'expérience ou la simulation. Cet écueil ne vient pas nécessairement de nos limites de calcul (c'est le champ d'étude de la théorie de la complexité « computationnelle »), d'un comportement aléatoire, ou de la sensibilité aux conditions initiales (qui est étudiée par la théorie du chaos). Cette limitation vient plus généralement de l'impossibilité de mettre le système en équations solvables et prédictives. Ce qui est primordial, est le nombre de paramètres, et le fait que chacun d'entre eux peut avoir une influence essentielle sur le comportement du système. Pour prévoir ce comportement, il est nécessaire de tous les prendre en compte, ce qui revient à effectuer une simulation du système étudié.


Étymologiquement, compliqué (du latin cum pliare, empiler avec) signifie qu'il faut du temps et du talent pour comprendre l'objet d'étude, complexe (du latin cum plexus, attaché avec) signifie qu'il y a beaucoup d'intrications, que "tout est lié" et que l'on ne peut étudier une petite partie du système de façon isolée. Les systèmes complexes sont généralement compliqués, mais le contraire n'est pas vrai.

Sommaire

[modifier] Définition

Un système complexe est un système composé d'un grand nombre d'entités en interaction locale et simultanée. On exige le plus souvent que le système présente la majorité des caractéristiques suivantes. Ce qui montre qu'il n'existe pas de définition formelle largement acceptée de ce qu'est un système complexe.

  • Le graphe d'interaction est non trivial : ce n'est pas simplement tout le monde qui interagit avec tout le monde (il y a au moins des liens privilégiés).
  • Les interactions sont locales, de même que la plupart des informations, il y a peu d'organisation centrale.
  • Il y a des boucles de rétroaction (en anglais feedback) : l'état d'une entité a une influence sur son état futur via l'état d'autres entités.
  • Les entités peuvent être elles-mêmes des systèmes complexes : une société est composée d'humains eux-mêmes composés de cellules.
  • Le système est ouvert et soumis à un extérieur, il y a des flux d'énergie et d'information sur la frontière, cette dernière peut être floue (par exemple, en considérant le système complexe "un humain", à partir de quel instant la nourriture ou l'air absorbés font-ils partie du corps ?).

[modifier] Exemples

  • Une colonie de fourmis échange des phéromones et bâtit une fourmilière, mais aucune fourmi n'a conscience de la fourmilière.
  • Un réseau de gènes interagit par activations et inhibitions, un ensemble de gènes activés définit un tissu : les gênes activés et inhibés ne sont pas les mêmes dans les cellules de la peau ou dans celles d'un muscle.
  • La dynamique d'une cellule est constituée de protéines en réactions chimiques, son évolution permet une adaptation au milieu.
  • Le cerveau est un ensemble de neurones qui se transmettent des impulsions électriques.
  • La bourse voit des courtiers effectuer des transactions, qui créent des phénomènes globaux tels que bulles ou krachs.
  • Un tas de sable provoque des collisions entre les grains qui font naître des avalanches.

Citons encore un vol d'étourneaux ou un troupeau de moutons, la propagation d'une épidémie, d'une rumeur ou du bouche-à-oreille sur un nouveau produit, des robots modulaires, des réseaux de criminalité, le développement d'un embryon.

Donnons enfin quelques systèmes complexes artificiels : un réseau pair à pair, un réseau ad-hoc, des mécanismes de cryptographie partagées ou de robustesse aux attaques, un système multi-agents.

L'un des exemples les mieux formalisés est celui d'un automate cellulaire.

[modifier] Comportement

Un système complexe présente la plupart des comportements suivants. Ce qui permet réciproquement de définir ce qu'est un système complexe : c'est un système présentant un grand nombre des comportements suivants. Noter qu'il est inhabituel de définir une classe d'objets à étudier à partir de leur comportement plutôt qu'à partir de leur constitution.

  • auto-organisation et émergence de propriétés ou de structures cohérentes, apparition de motifs (c'est une forme mineure de connaissance car ce n'est pas totalement prédictif comme l'est une loi). Cette caractéristique est souvent exigée pour qualifier un système de complexe.
  • robustesse locale et fragilité (ou contrôlabilité) à moyenne échelle : puisqu'il y a de nombreux liens (éventuellement créés ou remaniés par le système lui même), si un élément est affecté par un événement extérieur ses voisins le seront aussi. Il s'ensuit que le système est souvent plus robuste à une petite perturbation locale qu'il ne le serait sans les liens. Mais du même coup, modifier globalement le système (et donc potentiellement le contrôler) peut être fait grâce à une perturbation moins grande que dans le système sans liens. Bien cibler cette perturbation est cependant très difficile. Les virus (issus d'une longue sélection naturelle) sont un bon exemple : avec une dizaine de gènes, un virus est capable de modifier profondément (jusqu'à la mort...) un organisme de plusieurs dizaines de milliers de gènes, et ce en ne s'attaquant au départ qu'à une minorité de cellules.
  • brisure de symétrie : la connaissance d'une partie du système ne permet pas d'affirmer que le reste du système est en moyenne dans le même état
  • plusieurs comportements possibles sont en compétition, certains sont simples, d'autres chaotiques (désordonnés). Le système est souvent à la frontière entre les deux et alterne ces deux types de comportement ;
  • plusieurs échelles temporelles et spatiales apparaissent, il y a ainsi une hiérarchie de structures.

[modifier] Applications

Chaque fois que l'on étudie un système complexe particulier, par exemple les populations et localisations de différentes espèces de poisson dans une zone de pêche, la méthodologie des systèmes complexe donne des angles d'attaque sur ce système. Sur cet exemple, elle aidera à prendre les bonnes décisions de régulation de la pêche : quand, où, combien de poisson autoriser à la pêche pour maximiser la quantité de poisson pêchée sur le long terme ?

On découvre régulièrement de nouveaux systèmes complexes naturels grâce à l'affinement des moyens d'investigation, mais cette science espère aussi aider à la compréhension globale de systèmes artificiels. Si l'on considère, comme objectifs successifs de la science face à un système, "comprendre, prédire, contrôler, concevoir", on peut aussi étudier des systèmes complexes artificiels, intégrer les concepts issus de cette approche dans la conception de nouveaux systèmes. En particulier dans des environnements difficiles, comme en présence de bruit ou lorsque quelques entités ont un comportement anormal, les idées issues des systèmes complexes peuvent aider à renforcer la robustesse des systèmes construits. Elle servent également à produire des modèles évolutifs ou adaptatifs, voire qui s'auto organisent.

Certains systèmes sont bien trop complexes pour que l'on puisse établir des résultats généraux, ou bien font intervenir d'autres mécanismes que ceux auxquels s'intéresse l'étude des systèmes complexes. Ils montrent néanmoins la richesse de cette approche, qui peut apporter des réponses partielles ou suggérer des angles d'étude même sur ces systèmes.

Cette science recourt naturellement à de nombreuses simulations et peut donc donner des recommandations sur leur conduite. Certains affirment qu'un recours à une analyse numérique poussée permettrait de résoudre la plupart des systèmes complexes. L'expérience montre que ce n'est guère le cas (même si les simulations reproduisent certains comportements), car les lois restent inconnues. Il reste donc des concepts à identifier, c'est une science jeune.


Voir aussi la version anglaise, ainsi que la fouille de données.

[modifier] Citations

« Au fond... la musique, si on la prend note par note
C'est assez nul. » Philippe Geluck, Le Chat.

[modifier] Voir aussi

  • Systèmes dynamiques Les systèmes complexes sont un cas particulier de système dynamique : les deux domaines s'intéressent au comportement qualitatif et global du système, non à une résolution exacte. Dans ce cadre, les systèmes complexes peuvent exhiber des comportements chaotiques dont l'exemple type est l'Effet papillon.
  • Système multi-agents Il ne faut pas confondre système complexe et système multi-agents. La science des systèmes multi-agents cherche à créer un comportement spécifique, à concevoir et non à comprendre, prédire ou contrôler le comportement d'un système imposé. Il y a d'autres différences : les systèmes multi-agents ont une tâche assignée, peuvent forcer une organisation en marquant les agents, sont un paradigme de programmation. Les agents y évoluent dans un environnement.
    Un système complexe a généralement toutes ses entités identiques, celles-ci ne font que réagir (pas d'initiative), et leur constitution interne importe peu.
  • Une réaction chimique est simple malgré le grand nombre de molécules et d'interactions en jeu, car elle est parfaitement prédite par quelques équations. La taille du système n'est donc pas un critère de complexité.
  • Physique statistique La physique statistique étudie des particules extrêmement simples, comme les atomes d'un gaz (les entités d'un système complexe peuvent être plus élaborées). Elle s'intéresse au comportement limite lorsque le nombre de particules tend vers l'infini, alors que la science des systèmes complexes a toujours un nombre fini d'éléments, typiquement de 100 à quelques millions. L'entropie (qui est gross modo une mesure du désordre) n'est pas non plus un critère de complexité : un gaz a une forte entropie car un nombre impressionnant de configurations possibles pour les atomes le constituant, et pourtant il n'est pas complexe : son comportement est facile à décrire, à l'aide d'outils statistiques.
  • La science des effets non linéaires englobe celle des systèmes complexes. Cette appellation semble n'être utilisée qu'en physique, pourtant de nombreuses autres disciplines étudient des systèmes complexes : mathématiques, informatique, chimie, biologie, économie...
  • Les grands réseaux d'interaction s'intéressent uniquement au graphe des interactions et à son évolution. Ces considérations purement topologiques ouvrent une discpline prometteuse.
  • La théorie des jeux a été appliquée largement à l'économie, un système avec un grand nombre d'agents dans des interactions variées. Elle est l'une des approches possibles des systèmes complexes.