Sébastien Rasles

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Sébastien Racle (1657-1724) naquit à Pontarlier (Doubs), dans la province de Lyon, le 4 janvier 1657. Il entra au collège des Jésuites à Dole le 24 septembre 1675. Après avoir terminé son noviciat, il fut nommé professeur de cinquième au séminaire de Carpentras, où il séjourna deux ans ; puis il fut appelé à Nîmes et successivement à Carpentras et à Lyon, où il enseigna la théologie. De là il passa à sa troisième année de probation, et il partit pour le Canada le 23 juillet 1689.

Le père Racle arriva à Québec le 13 octobre, et il fut aussitôt envoyé à la mission abénaquise de Saint-François-de-Sales pour se mettre au courant de la langue des sauvages. « À mon arrivée à Québec, écrivait-il à son frère, je m'appliquai à la langue de nos sauvages. Cette langue est très difficile, car il ne suffit pas d'en étudier les termes et leur signification, et de se faire une provision de mots et de phrases, il faut encore savoir le tour de l'arrangement que les sauvages leur donnent, et que l'on ne peut guère attraper que par le commerce et la fréquentation de ces peuples ».

Le père Racle, qui était doué d'une mémoire prodigieuse, eut bientôt fait de se familiariser avec l'idiome abénaquis, et avec le temps il apprit en outre à parler avec correction l'outaouais, le huron et l'illinois. Le père Rasles était un homme d'une énergie de fer, et il jouissait d'une santé des plus robustes. Il y avait donc en lui tout ce qu'il faut pour réussir, surtout quand ou sait qu'il était mû par un zèle religieux que son départ pour la Nouvelle-France suffit seul à prouver.

Le 13 août 1691, le père Racle partit pour la mission des Illinois qui avaient perdu leur missionnaire. Arrêté pendant plusieurs mois à Michillimakinac, il n'arriva à destination qu'au printemps suivant. Dans une lettre à son frère, il nous fait connaître les mœurs de ces sauvages avec un grand luxe de détails. Il séjourna pendant deux ans au milieu de ces peuplades lointaines, après avoir opéré tout le bien que son ambition pour la conquête des âmes pouvait lui suggérer.

Enfin, en 1693, le père Racle fut appelé à prendre le chemin de la mission abénaquise de Narrantsouack, petit village situé à six milles de Norridgewock, presque vis-à-vis l'embouchure de la rivière Sandy dans le Kennébec. C'est ici qu'il passera les trente dernières années de sa vie, avec ses chers Abénaquis, dont il avait su apprécier les excellentes dispositions tant à l'égard de la religion catholique qu'à l'égard des Français, avec qui ils vivaient dans une douce alliance depuis de longues années.

Étant plus rapprochés des centres anglais, ils entretenaient des rapports plus fréquents et plus suivis avec les négociants de Boston qu'avec ceux de Québec. Les Bostonnais espéraient toujours qu'ils finiraient par s'attacher une nation dont ils pourraient utiliser la valeur et le courage au cours des guerres qui menaçaient d'éclater entre la France et l'Angleterre. De leur côté, les Abénaquis avaient juré fidélité à la France, et ils virent toujours d'un mauvais œil la conduite des Bostonnais à leur égard, qui, pendant un certain nombre d'années, put se résumer en de belles promesses.

Le père Racle était missionnaire avant tout. Ses supérieurs l'avaient envoyé à Narrantsouak pour s'occuper de l'avenir religieux des Abénaquis, et nullement pour y faire de la politique, ou mieux pour aider les Français dans leurs guerres. Il trouva sur les bords de la rivière Kennébee une peuplade déjà christianisée au contact des Jésuites, si bien que ses membres étaient plutôt prêts à sacrifier leur vie que leur religion. Sans être nombreux, ils étaient redoutables et redoutés à raison de leur vaillance. Seulement ils pouvaient manquer de direction. Grisés par la victoire, ils s'acharnaient à tourmenter les vaincus sans se soucier des lois que les peuples civilisés assignent aux vainqueurs. Le missionnaire était le plus souvent incapable de réprimer ces lions en courroux, quelque bonne volonté qu'il y mît.

Il serait donc injuste de faire peser sur ses épaules une responsabilité qu'il ne pouvait ni ne voulait assumer. Tel fut le cas pour le père Racle, qui était un homme de paix et de prière et non un homme de guerre. Malgré tout l'ascendant dont il jouissait sur les Abénaquis, malgré toutes ses recommandations, ils abusèrent souvent de leurs victoires, plutôt dans un but de vengeance que de pillage. Les mœurs des Amérindiens étaient à peu près identiques sous ce rapport, et les Iroquois alliés des Anglais, ne le cédaient pas aux autres en férocité et en barbarie. Qui a jamais songé à rendre les Anglais responsables de leur conduite ? Cependant on a accusé le père Rasles d'avoir poussé les Abénaquis dans la voie du massacre après la bataille. On l'a accusé aussi, et sans plus de raisons, d'avoir invité son peuple à s'emparer des postes anglais pour en faire bénéficier le gouvernement français ?

Quelque temps après l'arrivée du père Racle à Narrantsouak, le gouverneur de la Nouvelle-Angleterre demanda une entrevue avec les Abénaquis. Ceux-ci consentirent, mais à condition que le missionnaire y assistât, afin de s'assurer que tout se fît sans préjudice à la religion et à la couronne de France. Le père dut se rendre au lieu de l'entrevue. « Je me trouvai, dit-il, où je ne souhaitais pas être, et où le gouverneur ne souhaitait pas que je fusse ». Après avoir sollicité les Abénaquis de rester neutres, le gouverneur prit à part le père Racle, et lui dit : « Je vous prie, monsieur, de ne pas porter vos Indiens à nous faire la guerre ». Ce à quoi répondit le missionnaire : « Ma religion et mon caractère de prêtre m'engagent à ne leur donner que des conseils de paix ».

Ce langage était sincère, car à quoi eût-il servi à cet homme de Dieu d'inciter les sauvages à lever la hache de guerre contre les Anglais ? Eût-ce été dans le but de servir les intérêts de la religion ? Hélas ! il ne le savait que trop bien : la guerre pour les Indiens n'était qu'une occasion pour assouvir leurs cruautés et exercer leurs vengeances. Ces procédés ne sont pas inscrits au code catholique. Eût-ce été pour avancer les intérêts matériels de sa mission ? Mais les Abénaquis tiraient une grande partie de leur subsistance dans la Nouvelle-Angleterre, et leur commerce d'échanges se faisait surtout à Boston.

Non, le père Racle ne peut être accusé, avec quelque semblant de raison, d'avoir poussé ses gens à guerroyer contre les Anglais. Seulement il est facile de concevoir qu'étant Français, il lui eût été facile de les empêcher de prendre fait et cause pour les Français, dont ils étaient les alliés depuis les premiers temps de la colonie. Tout ce qui se dégage de la correspondance échangée avec le gouverneur ou l'intendant de la Nouvelle-France, ne sort pas du domaine des recommandations au sujet du sort des Abénaquis et de l'importance de conserver leur affection. Si, d'un côté, le gouvernement du Canada rendait quelques services à ces Indiens, ceux-ci ne pouvaient pas s'en tenir à une alliance stérile. Le père Rasles pouvait leur rappeler leur devoir à cet égard, sans manquer à son rôle de missionnaire.

Cependant les Anglais le rendaient responsable de l'intervention à main armée des guerriers abénaquis. Ils mirent sa tête à prix, offrant jusqu'à quatre mille livres sterling pour se procurer ce chef précieux. Les sauvages résistèrent à toutes les séductions, et, comme pour éviter toute tentative, ils devinrent encore plus fervents, et plus dévoués au père. Leur attachement devint de plus en plus étroit, au fur et à mesure que les années s'avançaient.

Un jour, le bruit se répandit que les Anglais avaient envahi le quartier où demeurait le missionnaire. Ils décidèrent aussitôt de poursuivre les envahisseurs et de les traquer jusque dans leurs derniers retranchements, dût-il leur en coûter la vie. Mais c'était une fausse alerte. De pareilles scènes se renouvelèrent souvent, et toujours les sauvages se montrèrent disposés à défendre leur missionnaire. Prévoyant qu'un jour ou l'autre il lui arriverait malheur, ils lui proposèrent de s'enfoncer plus avant dans les terres vers Québec, mais il leur dit : « Quelle idée avez-vous de moi ? Me prenez-vous pour un lâche déserteur ! Hé ! que deviendrait votre foi si je vous abandonnais ? Votre salut m'est plus cher que la vie ». Au père de la Chasse qui était venu le voir à Narrantsouack, et lui conseillait de mettre sa vie en sûreté, il disait : « Mes mesures sont prises, Dieu m'a confié ce troupeau, je suivrai son sort, très heureux de m'immoler pour lui ».

Ce qui devait arriver, arriva. Un jour, une armée de onze cents hommes, composée d'Anglais et de sauvages leurs alliés, tomba à l'improviste sur le village de Narrantsouack, alors sans défense. Le massacre fut presque général. Le père Racle fut tué avec sept Abénaquis qui lui avaient fait un rempart de leurs corps, au pied d'une grande croix plantée par ses soins au centre du village. L'ennemi se retira après avoir brûlé l'église et les cabanes sauvages. Le lendemain, on trouva le cadavre du jésuite percé de coups, la chevelure enlevée, le crâne défoncé, les membres mutilés. Les Abénaquis s'emparèrent de la précieuse dépouille et l'inhumèrent à l'endroit même où, la veille, il avait célébré le saint sacrifice de la messe. Le 23 août 1724 vit la consommation de cet odieux attentat. Le père Rasles était dans la soixante-septième année de sa vie, dont il avait consacré trente-quatre aux missions chez les sauvages.

Le père de la Chasse, qui l'avait plus particulièrement connu, a laissé de lui ce beau témoignage. « Le P. Racle joignait aux talents qui font un excellent missionnaire, les vertus que demande le ministère évangélique pour être exercé avec fruit parmi nos sauvages... Il était infatigable dans les exercices de son zèle : sans cesse occupé à exhorter les sauvages à la vertu, il ne pensait qu'à en faire de fervents chrétiens… Nonobstant les continuelles occupations de son ministère, il n'omit jamais les saintes pratiques qui s'observent dans nos maisons. Il se levait et faisait son oraison à l'heure qui y est marquée. Il ne se dispensa jamais des huit jours delà retraite annuelle... Il ne souffrait pas que personne lui prêtât la main pour l'aider dans ses besoins ordinaires, et il se servit toujours lui-même. C'était lui qui cultivait son jardin, qui préparait son bois de chauffage, sa cabane et sa sagamité, qui rapiéçait ses habits déchirés, cherchant par esprit de pauvreté à les faire durer le plus longtemps possible. La soutane qu'il portait lorsqu'il fut tué, parut si usée et en si mauvais état à ceux qui l'en dépouillèrent, qu'ils ne daignèrent même pas se l'approprier, comme ils en curent d'abord le dessein. Ils la rejetèrent sur son corps, et elle nous lut renvoyée à Québec. Autant il se traitait durement lui même, autant il était compatissant et charitable pour les antres. Il n'avait rien à lui, et tout ce qu'il recevait, il le distribuait aussitôt à ces pauvres néophytes. Aussi la plupart ont-ils donné a sa mort des démonstrations de douleur plus vives que s'ils eussent perdu leurs parents les plus proches. »

L'opinion générale à cette époque voulait que le père Racle fût immolé en haine de la foi. M. l'abbé de Rellemont, supérieur des Sulpiciens de Montréal, à qui on avait demandé d'appliquer au défunt les suffrages accoutumés, répondit que c'était faire injure à un martyr que de prier pour lui.

En 1833, Mgr Fenwick fit ériger, à l'endroit même où fut enterré le père Racle, un modeste monument à la mémoire du pieux martyr. La première pierre fut posée le 23 août, jour anniversaire de sa mort, en présence des chefs des principales tribus sauvages disséminées dans son immense diocèse. Ce monument atteste aux yeux des générations futures combien fut précieuse auxt yeux des hommes la mémoire de ce jésuite qui préféra la mort plutôt que d'abandonner son troupeau chéri.

[modifier] Références

  • DIONNE, Narcisse-Eutrope. Serviteurs et servantes de Dieu au Canada, 1904.
  • Répertoire général du clergé canadien, par ordre chronologique depuis la fondation de la colonie jusqu'à nos jours, par Mgr Cyprien Tanguay, Montréal : Eusèbe Senécal & fils, imprimeurs-éditeurs, 1893.