Piaget et l'éducation

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Piaget et l'éducation
Piaget et l'éducation

Le nom de Jean Piaget est intimement associé à constructivisme, psychologie génétique et épistémologie génétique, psychologie de l'intelligence et psychologie de l'enfant. Cependant, si on lui reconnaît de l'intérêt pour l'enfant épistémique, on lui attribue un désintérêt pour l'enfant psychologique, pour l'affectivité, le facteur social et l'éducation. Or, de récentes études effectuées par Constantin Xypas redécouvre un autre Piaget, psychanalyste, sociologue et éducateur.

Sommaire

[modifier] A la recherche de l'autre Piaget

En 1923, un jeune suisse de 27 ans, connu jusqu’alors pour ses travaux en malacologie, publiait un livre qui devait faire date dans l'histoire de la psychologie : Le langage et la pensée chez l’enfant. En 1983, paraissait Psychogenèse et histoire des sciences (PUF), livre post mortem avec lequel Piaget, vieillard, clôt son entreprise intellectuelle. 1923-1983 : au terme de soixante ans d’une longévité scientifique hors du commun, Piaget laisse une œuvre exceptionnelle tant par son volume – entre 8000 et 10000 pages publiées à un rythme soutenu –, que par sa diversité thématique : sciences naturelles, psychologie, épistémologie, philosophie, sociologie, éducation…

Un tel génie a ébloui ses contemporains, mais la démesure de son œuvre les a d’autant plus fatigué que sa pensée, desservie par un style ardu, n’a cessé d’évoluer. Ainsi, de plus en plus de lecteurs, pour connaître « ce que Piaget a vraiment dit », se sont détournés de sa lecture pour recourir qui aux manuels de psychologie, qui aux ouvrages de vulgarisation. Progressivement, la connaissance de son oeuvre s’est appauvrie et son image altérée. Au pire, Piaget est réduit à n’être que le psychologue des stades de l’intelligence, au mieux, un épistémologiste austère ignorant l’affectivité, négligeant le poids de la socialisation et ne s’intéressant à l’éducation que de manière marginale. Or, cette image est tronquée, car à côté de l’épistémologiste, il existe un Autre Piaget (L’Harmattan, 2001), psychanalyste, sociologue et éducateur.

[modifier] Piaget psychanalyste ?

Après avoir lu les écrits de Freud en allemand - ils n’étaient pas encore traduits en français -, et assisté à Zurich aux conférences de Carl Gustav Jung et du Pasteur Oskar Pfister, psychanalyste, éducateur et ami personnel de Freud, le jeune Piaget a suivi une thérapie didactique avec Sabina Spielrein avant d’exercer lui-même l’activité de psychanalyste. En 1919, à la demande du Dr Théodore Simon, il fait connaître la psychanalyse à Paris en séance plénière de la Société Alfred Binet et, en 1920, à l’âge de 24 ans, il est reçu membre de la Société suisse de psychanalyse. Il le restera pendant 16 ans.

Sur la scène psychanalytique internationale, la présence de Piaget est rare mais remarquée : 1922, il participe au 7e Congrès international de psychanalyse, à Berlin, en présence de Freud ; 1933, il contribue à la 8e Conférence des psychanalystes de langue française, à Paris ; 1971, il est conférencier invité au congrès de la Société américaine de psychanalyse.

Sur le plan théorique, la contribution du Maître de Genève est loin d’être négligeable. Dans Les stades du développement affectif selon Piaget (L’Harmattan 2001), Xypas expose – pour la première fois – une théorie de l’affectivité d’autant plus originale qu’elle inclut la genèse des sentiments moraux, la construction de l’échelle de valeurs et la formation des idéaux.

Enfin, dans les années 1960 et 1970, des psychanalystes américains se réclament piagétiens, René A. Spitz étant le plus représentatif de cette mouvance. Il est significatif que son ouvrage De la naissance à la parole (PUF, 1968) se termine par « L’école genevoise de psychologie génétique et la psychanalyse : analogies et dissemblances » (p.233-278).

[modifier] Piaget sociologue ?

Voici les faits. Piaget a non seulement enseigné la sociologie à la prestigieuse Faculté des sciences économiques et sociales de Genève (1939-1952), mais il a aussi publié une dizaine d’articles entre 1928 et 1947 dont certains ont été réédité sous le titre Études sociologiques (Droz, 1965).

Mais alors que la théorie piagétienne de l’affectivité constitue une critique radicale du freudisme et une tentative de le remplacer par une théorie unifiée du psychisme humain alliant intelligence, affectivité, socialisation et morale, la sociologie piagétienne est plus modeste. Dans certains cas, elle constitue le versant social de son constructivisme, comme dans « Logique génétique et sociologie » (1928), et « Les opérations logiques et la vie sociale » (1945). Dans d’autres, elle prolonge ses travaux sur Le jugement moral chez l’enfant (Alcan, 1932) en examinant « Les relations entre la morale et le droit » (1944/4), « Le développement moral de l’adolescent dans deux types de sociétés : sociétés primitive et société ‘moderne’ » (1947/9), ou encore les « Social factors in moral development » (1947/7). Dans d’autres enfin, elle complète sa théorie éducative : « Problèmes de la psychosociologie de l’enfance » (1960).

C’est peut-être pour cette raison que peu de sociologues de métier se réfèrent à Piaget, avec l’exception notable de Claude Dubar qui, dans La socialisation (A. Colin, 1991), consacre son premier chapitre à « La socialisation de l’enfant dans la psychologie piagétienne et ses prolongements sociologiques » (pp. 9-32). Il y qualifie la position de Piaget de « relationniste-constructiviste » (p. 17).

[modifier] Piaget éducateur ?

La réponse réside pour partie dans ses engagements et pour partie dans son œuvre. La carrière de Piaget s’est déroulée pour l’essentiel à l’Institut J.-J. Rousseau, une école normale privée où il rejoint Édouard Claparède et Pierre Bovet pour former des instituteurs et militer pour l’école active et l’éducation nouvelle.

Parallèlement à ses nombreuses obligations universitaires à Genève, à Lausanne et plus tard à Paris, Piaget assume la direction du Bureau international d’éducation pendant 39 ans (1929-1968). Sous sa direction, la vocation du BIE consiste à promouvoir la compréhension entre les peuples par delà les nationalismes et les idéologies politiques. Pour atteindre sa finalité pacifiste, le BIE misait alors sur l’éducation de la jeunesse, la formation des enseignants et le dialogue entre Ministres de l’Instruction publique des pays membres.

Cette dimension militante de Piaget s’accompagne de conférences sur l’éducation, écrits injustement oubliés que Xypas a réédité sous le titre : Jean Piaget, L’éducation morale à l’école. De l’éducation du citoyen à l’éducation internationale (Anthropos, 1997). Ce livre vient ainsi compléter les textes moins engagés que le Maître a lui-même réédités dans Psychologie et pédagogie (Médiations, 1969) et Où va l’éducation ? (Médiations, 1972).

Cependant, ces trois recueils sont loin d’épuiser la pensée éducative de Piaget comme le démontre Xypas dans son Piaget et l’éducation (PUF, 1997), où il présente l’ensemble des écrits concernant à des degrés divers l’éducation. Ils s’échelonnent entre 1930 et 1976, et embrassent trois champs : le premier par ordre d’apparition et de volume concerne l’éducation de la personne (construction d’une la personnalité autonome, éducation à la liberté intellectuelle et morale, socialisation, éducation morale, citoyenneté, pacifisme et compréhension internationale ; le deuxième porte sur l’école notamment, la pédagogie active, la relation maître-élève, les sanctions et les récompenses dans la classe et la formation des enseignants ; le troisième, enfin, sur l’éducation mathématique, l’éducation scientifique, l’éducation artistique, l’enseignement de l’histoire, l’enseignement des langues vivantes…

[modifier] Pourquoi Piaget s’est-il intéressé à l’éducation ?

La réponse est à chercher dans son histoire de vie. On y découvre un enfant précoce, un adolescent sensible tourmenté par une crise religieuse, révolté par l’absurdité de la guerre, donc pacifiste, rebelle à l’ordre bourgeois. Le jeune Piaget est un réformateur idéaliste qui se donne le projet de réconcilier, au-delà des Églises, rationalité scientifique et foi en Christ, et de donner, au-delà de Kant, une assise scientifique à la morale.

C’est ce projet qui, en 1932, donna naissance au Jugement moral chez l’enfant et qui explique son engagement au BIE. Dit autrement, Piaget a voulu combattre la guerre, le nationalisme et les idéologies totalitaires par une révolution éducative (cf. L’autre Piaget).

S’agit-il d’une utopie ? Certes, en son temps, l’éducation qu’il prônait n’a pas permis d’éviter ni la Deuxième guerre mondiale, ni les régimes totalitaires. Mais l’éducation agit à très long terme et la prise de conscience qui s’opère sous nos yeux au niveau mondial – concernant les droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, le respect des minorités, le respect de la différence, la protection de notre planète, le Tribunal Pénal International jugeant les tortionnaires de pays lointains…– correspond à la lente transformation de l’humanité en vue de laquelle Piaget éducateur milita au BIE pendant quatre décennies.

[modifier] Bibliographie

  1. Dubar, C. (1991). La socialisation". Paris: A. Colin.
  2. Piaget, J. (1923). Le langage et la pensée chez l’enfant.Neuchatel:Delachaux et Niestlé.
  3. Piaget, J.(1932). Le jugement moral chez l'enfant. Paris: Alcan.
  4. Piaget, J.(1965). Etudes sociologiques. Paris: Droz.
  5. Piaget, J.(1972). Psychologie et pédagogie. Paris: Médiations.
  6. Piaget, J.(1972). Où va l'éducation?.Paris: Médiations.
  7. Piaget, J.(1983). Psychogenèse et histoire des sciences. Paris:PUF.
  8. Piaget, J. (1997a). L’éducation morale à l’école. De l’éducation du citoyen à l’éducation internationale. Textes réunis et annotés, préface et postface de Constantin Xypas. Paris: Anthropos.
  9. Spitz, R. (1968). De la naissance à la parole. Paris :PUF.
  10. Xypas, C. (1997b). Piaget et l’éducation. Paris : PUF.
  11. Xypas, C. (2001a). L’autre Piaget. Cheminement intellectuel d’un éducateur d'humanité. Paris : L’Harmattan.
  12. Xypas, C. (2001b). Les stades du développement affectif selon Piaget. Paris: L’Harmattan.