L'Attrape-cœurs

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L'Attrape-cœurs (The Catcher in the Rye) est un roman de J. D. Salinger. Publié aux États-Unis en 1951, plus de 60 millions d'exemplaires ont été vendus à ce jour et il s'en vendrait environ 250 000 chaque année.

Il constitue l'une des œuvres les plus célèbres du XXe siècle et un classique de la littérature, à ce titre enseigné dans les écoles aux États-Unis et au Canada, bien qu'il soit critiqué en raison de certains des thèmes abordés (prostitution, décrochage scolaire, homosexualité) et du niveau de langue (langage familier et souvent injurieux).

Édition 'Le livre de poche' - 1976
Édition 'Le livre de poche' - 1976

Sommaire

[modifier] Résumé

Le roman, écrit à la première personne, relate la période où Holden Caulfield, expulsé du collège Pencey Preparatory trois jours avant les vacances de Noël, retourne à la maison familiale, à New-York. Il déambulera en ville avant de devoir annoncer la nouvelle à ses parents.
Âgé de dix-sept ans, Holden est plein d’incertitudes et d’anxiété, à la recherche de lui-même. Il vit son passage à l'âge adulte et comprend qu'il perd l'innocence de l'enfance. L'une des plus belles images de l'auteur pour exprimer ce passage est lorsque Holden demande au chauffeur de taxi où vont les canards lorsque l'étang gèle.
Salinger dans ce roman décrit avec ironie et justesse la société américaine des années 1950.

[modifier] Analyse

Tout le roman, son contenu, son style, le caractère du personnage principal, sont inscrits dans les premières phrases.

« Si vous avez réellement envie d’entendre cette histoire, la première chose que vous voudrez sans doute savoir, c’est où je suis né, ce que fut mon enfance pourrie et ce que faisaient mes parents et tout avant de m’avoir, enfin toute cette salade à la David Copperfield, mais à vous parler franchement, je ne me sens guère disposé à entrer dans tout ça. »

[modifier] Le contenu

Ainsi, pour ce qui est du contenu, le narrateur sait que l’on attend de lui une biographie. Mais, selon un procédé tout à fait unique, il interpelle le lecteur, pour tout de suite le prévenir qu’il ne racontera pas son histoire comme il est fait d’ordinaire, qu’il ne se pliera pas au protocole habituel et ne respectera pas les règles du genre.
S’il ne faut donc pas espérer un récit traditionnel, il s’agit pourtant bien, quand même, de l’histoire d’une vie.
Le livre n’est autre que le récit à la première personne de seulement quarante-huit heures de la vie d’un adolescent new yorkais, Holden Caulfield, quelques jours avant les vacances de Noël. Mais ce sont quarante-huit heures au cours desquelles il sort des rails qui lui étaient fixés, quarante-huit heures où se concentre toute sa vie passée et où son avenir bascule. Le narrateur s’en défend bien : « Je ne vais pas vous faire entièrement ma saleté d’autobiographie ni rien. » Il se contentera de raconter de façon chronologique l’emploi du temps de deux journées : le jour de son départ de l’école de Pencey et le lendemain, son errance dans la ville. Mais ce rapport heure par heure, ce compte-rendu détaillé de tous ses faits et gestes, bien qu’il soit strictement chronologique, s’ouvre vers des parenthèses et des digressions qui, finalement, constitueront bel et bien une autobiographie de Holden.
Au bout du compte, nous posséderons les renseignements qui permettent de connaître son environnement familial et social, nous saurons quelles sont ses relations à ses parents, à ses camarades, à ses professeurs, à son grand frère, désigné par les initiales D.B., qui travaille à Hollywood et roule en jaguar, et à sa petite soeur d’une dizaine d’années, Phoebe, le seul être vivant pour lequel il semble éprouver tout à la fois de l’admiration et de l’affection, en un mot de l’amour. Il y a aussi son petit frère, Allie, mais celui-ci est mort, et sans doute est-il largement fantasmé.

[modifier] Le style

Le style du roman est d’emblée indiqué dans la première phrase : c’est un style parlé, et même relâché, plein de tics de langage, avec des mots approximatifs, des tournures familières, voire vulgaires, et des expressions dévalorisantes à toutes les lignes. Rien que sur la première page, on trouve « mon enfance pourrie », « toute cette salade », « ma saleté d’autobiographie » et « ce truc idiot ».
De plus, il y a cette interpellation étonnante, ce « vous » qui dès les premiers mots happe le lecteur et le bouscule, le place en position inconfortable, entre curiosité et connivence. C’est à vous, lecteur, que ce récit s’adresse, directement et sans artifice.
Cependant, peu à peu, au fur et à mesure qu’il avance dans le livre, le lecteur se rend compte que ce « vous » est un autre, et qu’en fait le texte se présente plutôt comme la transcription écrite d’un long récit enregistré au magnétophone. Dès lors, si ce n’est pas lui qui est pris à partie, le lecteur se trouve porté à une nouvelle interrogation : qui est ce « vous » auquel Holden s’adresse ? Cette question crée un effet de suspens car on devine que la réponse ne sera fournie qu’à la dernière page du livre.

[modifier] Le caractère du personnage

Le caractère du personnage, lui aussi apparaît clairement dès le début du récit, ne serait-ce que par sa façon de s’exprimer, mais également par son comportement. Holden se démarque de ses camarades de son âge qui, tous, assistent au match de foot de fin d’année. « Vous pouviez entendre leurs gueulantes, profondes et terrifiantes du côté de Percey, parce que pratiquement toute l’école était là, excepté moi. »
Holden est à part, en dehors, et selon ses propres termes « terrifié » par cette activité pourtant hautement fédérative qu’est le sport dans un collège de garçons. Holden n’est pas comme les autres, en somme il n’est pas « normal ».
Est très révélatrice également de sa personnalité la façon qu’il a de tout dénigrer, d’exagérer les détails sans importance et de traiter comme insignifiantes les choses qui en réalité le touchent. Dans ses outrances, il perd le sens des proportions et de la mesure, et cette indifférenciation lui permet de jouer l’indifférence. Il aime monter des bobards, se présenter sous de faux noms, faire croire des choses qui ne sont pas, mais lui-même, à ce jeu, perd le sens du réel. Sans doute souffre-t-il d’une trop grande sensibilité dont il se protège par une exagération systématique qui lui permet de tout mettre sur le même plan. En réalité, il a peur de ses émotions, qu’elles soient positives ou négatives, « elles le tuent ». C’est une de ses expressions favorites, qu’il faudrait presque prendre au pied de la lettre.

Les êtres humains n’éveillent en lui que du dégoût, de l’incompréhension, de l’agacement, parfois, au mieux, de la compassion mêlée d’écœurement. Il semble qu’il y ait toujours une distance infranchissable, un magma mou, entre lui et les autres. Une chose, pourtant anodine, le préoccupe et il y revient plusieurs fois : que deviennent les canards de Central Park lorsque le lac est pris par le gel ? Cette image remplace une interrogation informulée qui inconsciemment doit hanter le personnage : que deviennent les hommes lorsqu’ils perdent tout contact chaleureux avec les autres et lorsque la glace peu à peu les enserre ?
Étranger au monde et à lui-même, Holden ne sait pas quel mal le ronge. Ses difficiles relations aux autres deviennent même impossibles lorsqu’il aborde les filles, car la sexualité tout à la fois le fascine, l’obsède et le terrifie. Ainsi s’explique l’épisode à l’hôtel avec la prostituée qui le traite de « couilles sèches ».
On le comprend peu à peu, Holden représente un cas clinique, chez qui peuvent se repérer, de plus en plus manifestes, les signes de la maladie psychique. Si tout ne s’éclaire véritablement qu’à la fin, on ne trouve pourtant rien d’autre dans la dernière page que la confirmation de ce que l’on pouvait pressentir depuis le début lorsque Holden, sans détour, annonçait ce que serait son récit : « Je vais seulement vous parler de ce truc idiot qui m’est arrivé au dernier Noël, juste avant que je tombe malade et qu’on m’envoie ici pour me retaper. »

[modifier] La construction

Ainsi apparaît la construction du livre, en boucle, la fin reprenant en les précisant les éléments d’information du début mais il y a entre les deux l’épaisseur d’une vie, et la saisie sur le vif d’un cas clinique et sa démonstration. Cependant, s’il y a du suspens dans le roman, il n’y a pas de surprise. Il s’agit bien en effet de la chronique d’un désastre annoncé.
La clé du roman est donnée par M. Antolini, ce pédagogue un peu hors normes qui aime la philosophie et la poésie et qui comprend, sans doute mieux que d’autres, cet âge incertain et fragile qu’est l’adolescence. Seul ce vieux professeur a su approcher la vérité de Holden : « Franchement je ne sais que diable te dire, Holden [...] J’ai l’impression que tu marches vers une sorte de terrible, terrible chute... » Lui seul a pressenti la catastrophe — et, bien malgré lui, l’a précipitée en voulant aider Holden, lui témoigner son affection, sa tendresse.
Anormal, cafardeux, inhibé, déprimé, mythomane, obsédé sexuel, impuissant, maniaco-dépressif, névrosé, schizophrène,... les termes du langage courant ou de la langue psychiatrique ne manqueraient pas pour étiqueter le personnage. Mais précisément, le livre n’est pas un catalogue. C’est de l’intérieur, et de façon intime, que nous comprenons ce dont souffre Holden, car le texte écrit là n’est autre que le discours vivant d’un adolescent qui a basculé dans la folie. « Ce truc idiot » qu’il raconte, c’est la façon dont il a dérapé, comment, d’un long mouvement continu et inéluctable, il est parti à la dérive. Nous le voyons progressivement perdre ses attaches et insensiblement s’enfoncer. Ce livre est l’histoire d’un naufrage.

[modifier] Perspectives

L’auteur ne nous laisse guère d’espoir, sauf peut-être si Holden, d’avoir si longuement raconté sa vie, de s’être confié — même dans le cadre d’une institution — découvrait que ce qui peut le raccrocher au monde, c’est la parole. Ses derniers mots maladroitement expriment cela :

« Tout ce que je sais, c’est que tous ceux dont j’ai parlé me manquent pour ainsi dire [...] C’est drôle. Ne racontez jamais rien à personne. Si vous le faites, tout le monde se met à manquer. »

Holden comprendra peut-être que le manque est le revers de l’attachement, que c’est parfois douloureux, mais que c’est toujours mieux que le vide. Peut-être apprendra-t-il à ne plus avoir peur et à exprimer ses sentiments. Peut-être enfin, comme pour les canards de Central Park, quelqu’un viendra-t-il le chercher et le délivrer de son enfermement ?


[modifier] Controverse

Ce livre marquera J. D. Salinger : après s'être exilé dans une maison isolée, l'auteur n'écrit plus rien depuis 1965.

L'Attrape-cœurs a été censuré et interdit aux moins de 16 ans aux États-Unis. Il est demandé aux professeurs d'expliquer et d'analyser le livre avec les élèves.

[modifier] Références dans la culture populaire

Les références à L'Attrape-cœurs sont nombreuses et variées dans la culture populaire. De plus, le roman s'est retrouvé lié à certains assassinats célèbres qui ont gonflé la controverse et l'intérêt du public.

  • L'assassin de John Lennon, Mark David Chapman, avait sur lui un exemplaire du roman avant de tuer l'ex-membre des Beatles. Les policiers qui arrêtèrent Chapman découvrirent une dédicace de Lennon, signée quelques heures plus tôt.
  • John Warnock Hinckley Jr., qui a fait une tentative d'assassinat sur le président Ronald Reagan en mars 1981, avait aussi L'Attrape-cœurs.
  • Le groupe punk-rock étatsunien Green Day a écrit une chanson nommée Who wrote Holden Caulfield? (Qui a écrit Holden Caulfield ?)
  • Dans la bande-dessinée Daredevil, Bullseye lit ce livre au Caïd.
  • Le titre du roman est mentionné dans le chanson de 1989 de Billy Joel, We Didn't Start the Fire.
  • Le groupe français Indochine a écrit une chanson nommée « Des fleurs pour Salinger ».
  • Dans l'anime Ghost in the Shell: Stand Alone Complex, une grande partie de l'intrigue principale tourne autour de L'Attrape-coeurs : on peut y voir une relecture de l'œuvre dans un monde futuriste.
  • Ce livre est mentionné dans le troisième tome de It Girl de Cecily von Ziedesar.
  • Dans Complots, film avec Mel Gibson et Julia Roberts, les pseudos-meurtriers ayant la mémoire effacée collectionnent, sans savoir pourquoi, les exemplaires du livre L'Attrape-cœurs (en référence au meurtrier de John Lennon).
  • Dans l'anime du manga Paradise Kiss de Ai Yazawa, lors de sa première apparition, on aperçoit l'héroïne qui lit L'Attrape-cœurs.
  • Dans la chanson Get it Right de The Offspring, il est fait mention du personnage d'Holden Caulfield.

Pour plus de références culturelles à L'Attrape-cœurs, voir la page de la version anglaise : [1]

[modifier] Bibliographie

Il existe deux traductions françaises de ce roman. La première est signée Jean-Baptiste Rossi (romancier plus connu sous le pseudonyme de Sébastien Japrisot) et la seconde est due à Annie Saumont. Jean-Baptiste Rossi, âgé de 22 ans, avait publié chez Robert Laffont trois ans plus tôt son premier roman : Les Mal Partis. J. D. Salinger — qui maîtrisait parfaitement le français — avait félicité le jeune traducteur.

Traduction par Jean-Baptiste Rossi

  • Paris : R. Laffont, 1953, 255 p. (Pavillons)
  • Paris : le Livre de poche, 1967, 384 p. (Le Livre de poche ; 2108). Réimpr. 1969
  • Paris : le Livre de Poche, 1982, 384 p. (Le Livre de poche ; 2108).
  • Paris : Librairie générale française, 1984, 282 p. (Le Livre de poche ; 2108). ISBN 2-253-00978-4

Traduction par Sébastien Japrisot

Traduction par Annie Saumont