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Tout comme la dénomination de bolchevisme, celle de menchevisme est issue du IIe congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (P.O.S.D.R.) qui siégea pendant un mois à Bruxelles puis à Londres en août 1903 et établit un nouveau clivage fondamental à l'intérieur du mouvement ouvrier russe. Les mencheviks (menchinstvo = minorité) doivent ce qualificatif au fait d'avoir été mis en minorité sur la question des instances dirigeantes du Parti ; en revanche, sur le problème central qui divisait le congrès et concernait la définition de membre du Parti devant faire l'objet du premier paragraphe des statuts, les participants rejetèrent les vues de Lénine et de ses partisans, les bolcheviks (bolchinstvo = majorité), et adoptèrent celles de Martov qui s'affirmait ainsi comme l'un des principaux leaders du menchevisme et devait le rester jusqu'à sa mort en 1923.

Les divergences entre bolchevisme et menchevisme - indissociables dans leur opposition - recouvraient deux conceptions différentes de l'action politique et du Parti. Si le schéma centralisateur de Lénine, exposé en 1902 dans Que faire ?, n'avait pas soulevé plus tôt les querelles passionnées qui éclatèrent lors du IIe Congrès, c'est qu'en fait futurs bolcheviks et mencheviks, regroupés autour du journal Iskra (L'Étincelle), étaient d'accord sur la nécessité primordiale d'un parti clandestin strictement structuré, du moins au stade initial. Ce qui différait, c'étaient les perspectives et la stratégie. Pour les mencheviks, en effet - P. B. Axelrod, l'un des pionniers du marxisme en Russie, s'en explique dans un article demeuré célèbre -, le rôle de la social-démocratie russe était d'accélérer la chute du tsarisme en catalysant la révolution démocratique bourgeoise, en la dirigeant même afin de permettre à son issue l'implantation légale du mouvement socialiste et de la doter d'une infrastructure calquée sur le modèle occidental : syndicats, organisations régionales dont l'une des tâches serait la propagande électorale, caisses d'assurances, bref, tout un réseau d'associations destinées à éduquer la classe ouvrière de Russie et à lui faire acquérir la conscience de classe nécessaire à l'accomplissement ultérieur d'une seconde révolution, la révolution socialiste. Cette conception, diffuse à la veille du IIe Congrès, devait se cristalliser au cours de l'évolution du menchevisme, de 1903 à 1917.

Sommaire

[modifier] La scission de la social-démocratie russe

À la fin de 1903, la rédaction de l'organe central du Parti, l'Iskra, était passée aux mains de mencheviks qui contrôlaient également la Ligue des social-démocrates russes à l'étranger. Animé originellement d'un désir de conciliation des deux fractions rivales, Plekhanov, « le père du marxisme russe », abandonna Lénine, son allié d'hier, pour rejoindre à la fin de 1903 les mencheviks : Martov, Potresov, Zasulic, Axelrod (l'ancienne rédaction de l'Iskra), Alexandrova, Dejc, Trotski. Cette adhésion au menchevisme de tous les leaders de la social-démocratie russe devait avoir pour conséquence l'isolement des bolcheviks sur le plan international. Les dirigeants de la IIe Internationale de toutes tendances faisaient confiance à l'« orthodoxie » des mencheviks exprimée dans leur condamnation du révisionnisme et prenaient position contre les bolcheviks. Ainsi Rosa Luxemburg soutenait-elle en 1904 une thèse sur les problèmes d'organisation très proche du menchevisme d'alors. Il est d'autres points sur lesquels portait cette parenté. L'idée d'auto-activité des masses, partiellement reprise à ceux que les « iskristes » avaient accusés naguère d'« économisme » et qui avaient rejoint les rangs du menchevisme, était issue d'une confiance dans l'action spontanée des masses ouvrières semblable à celle que professait Rosa Luxemburg, et avait pour corollaire la conception du rôle éducatif que devaient jouer les organisations ouvrières. Sur la question agraire, les mencheviks défendirent peu après un programme plus « occidental » que celui de Lénine : la municipalisation des terres (sauf celles des paysans), les grandes propriétés déjà exploitées selon les principes du « capitalisme moderne » devant être placées sous un régime de gestion collective.

Lorsqu'en avril 1905 Lénine convoqua le IIIe congrès du Parti, les mencheviks ripostèrent par une « Conférence pan-russe des militants du Parti », tenue à Genève en avril-mai et qui désigna un comité d'organisation. Les débats portèrent sur le rôle du Parti et des organisations ouvrières en général, au cas où la bourgeoisie russe faillirait à sa mission historique : la social-démocratie se verrait alors contrainte de renoncer à sa tâche de parti d'opposition et devrait s'emparer du pouvoir pour sauver la révolution dans un pays retardataire comme la Russie. Elle entreprendrait ainsi une expérience vouée à l'échec, comme la Commune de Paris, tant que la révolution ne se serait pas propagée dans les pays occidentaux. Mais cette résolution resta dans le domaine des principes.

La révolution de 1905 devait favoriser un rapprochement « sur le terrain » entre les deux courants antagonistes de la social-démocratie russe. Les mencheviks crurent voir dans les soviets qui jaillirent spontanément à la fin de l'année une concrétisation de leur idée d'« organisations ouvrières non affiliées destinées à grouper les travailleurs en fonction de leurs seuls besoins communs socio-économiques et politiques » (I. Getzler), principe adopté lors de la conférence d'avril-mai en même temps que celui d'un « congrès ouvrier » proposé par Axelrod. Durant le soulèvement armé de décembre 1905, les militants mencheviks collaborèrent avec les bolcheviks. Ils s'employèrent dès lors à mettre sur pied en Russie toute une structure d'organisations ouvrières légales, selon le modèle préconisé par les mencheviks et qui englobaient aussi bien les associations calquées sur celles créées en Europe occidentale au milieu du XIXe siècle que des formes plus modernes d'organisation telles que les syndicats.

Au IVe congrès du P.O.S.D.R., qui se réunit à Stockholm en avril 1906, on put croire que les mencheviks allaient reprendre le leadership. Le comité central qui y fut élu comprenait sept mencheviks et trois bolcheviks, alors qu'étaient adoptées les résolutions sur la participation aux élections à la Douma et le programme de la municipalisation des terres, toutes revendications chères aux mencheviks et conformes à leurs principes. Ils devaient cependant perdre le contrôle du comité central dès le congrès suivant à Londres, en 1907.

[modifier] Divisions des mencheviks

La réaction stolypinienne qui s'instaura après l'échec de la révolution de 1905 devait produire un nouveau clivage dans les rangs des mencheviks, qualifiés uniformément de « liquidateurs » par l'historiographie soviétique, tandis que leurs adversaires de l'époque opéraient encore la distinction entre les courants à l'intérieur et à l'extérieur de la Russie. À l'intérieur, les militants mencheviks refusant de participer aux actions des organisations clandestines animées par les bolcheviks préféraient agir au sein des organisations légales où ils n'étaient pas néanmoins à l'abri de toute poursuite. Appelés aussi « légalistes », ils étaient dirigés par Potresov, Levickij (le frère de Martov), Cerevanin et Larin, et disposaient de plusieurs organes : Vozrozdenie à Moscou, Nasa Zarja et Delo Zizni à Saint-Pétersbourg. De leur côté, les mencheviks de l'extérieur, autour de Martov, Dan et Martynov, qui publiaient le journal Golos Socialdemokrata, subissaient depuis 1905 une évolution qui les rapprochait de plus en plus du modèle occidental et de l'« orthodoxie » du marxisme de la IIe Internationale, celle de Karl Kautsky. C'est ainsi qu'ils s'aliénèrent progressivement les sympathies de la gauche dans l'Internationale et plus particulièrement celle de Rosa Luxemburg. Héritiers d'une autre forme de centralisme, celle du parti allemand, ils insistaient pour que les activités légales ou semi-légales fussent soumises au contrôle d'un parti cadre clandestin.

Le groupe des « mencheviks du parti » animé depuis 1908 par Plekhanov se rapprocha des bolcheviks contre les « liquidateurs ». Quant au groupe de la Pravda, journal publié à Vienne par Trotski, il occupait une position intermédiaire entre bolchevisme et menchevisme sans toutefois collaborer avec eux.

La dernière tentative d'unification eut lieu à Paris, en janvier-février 1910, au cours d'une assemblée plénière du comité central. Deux ans plus tard, ce fut la rupture définitive. Tandis que les bolcheviks se proclamaient un parti séparé à la conférence de Prague en janvier 1912, les mencheviks ripostaient par la constitution du « bloc d'août » - ainsi nommé à cause des dates de la conférence qui les réunit à Vienne - et nommaient un comité d'organisation qui demeurera en activité jusqu'en 1917. Conformément au mandat qu'il avait reçu, ce comité se fit le champion de l'unité, protestant auprès de l'Internationale pour qu'elle condamnât les « scissionnistes » et les contraignît à s'aligner. Mais les tentatives d'unification entreprises sous l'égide de l'Internationale échouèrent. Dès lors, les mencheviks, qui admettent dans leurs rangs les divergences d'opinion, perdent encore de leur influence, et les bolcheviks s'insèrent progressivement dans les organisations légales et semi-légales qui avaient été le fief des mencheviks.

Comme dans tous les partis socialistes des pays - belligérants ou non -, la guerre marque un nouveau clivage. La tendance Nasa Zarja, ou « auto-défensiste », estime nécessaire de défendre la Russie contre l'impérialisme allemand. Elle soutient les sections ouvrières de la commission des industries de guerre. Dans l'émigration, les partisans de l'union sacrée et de la défense nationale se regroupent autour de Plekhanov et de sa publication Edinstvo (L'Unité) ; à la IVe Douma, le comité d'organisation garde le contrôle du groupe parlementaire social-démocrate qui s'abstient de voter pour les crédits de guerre. Les mencheviks internationalistes autour de Martov et de Martynov et favorables à la paix participent au mouvement de Zimmerwald (Suisse) et à la convocation en 1917 de la Conférence socialiste de la paix à Stockholm.

[modifier] La révolution de 1917

Lors de la révolution de février 1917, les mencheviks, fidèles à leurs anciens principes, refusent de participer au « gouvernement bourgeois issu de la révolution bourgeoise ». En mars-avril, ils étendent de nouveau leur influence en renforçant leur position dans les organisations périphériques, dans les soviets, notamment celui de Petrograd. Ils y forment un bloc majoritaire avec les socialistes révolutionnaires. Les mencheviks contrôlent plusieurs syndicats clés et font adopter la législation sur les comités d'usine qui contribueront paradoxalement à faciliter l'accession des bolcheviks au pouvoir. La configuration du menchevisme s'est encore quelque peu modifiée. Si Plekhanov est toujours à droite avec Zasulic et Alexinskij dans le groupe Edinstvo, ainsi que Potresov avec le journal Den', on retrouve au centre Tsereteli, Dan et Tchkheidze, cependant que les mencheviks internationalistes autour de Martov et le groupe Novaja Zizn animé par Sukhanov se situent à gauche.

Victimes d'une tactique trop souple et trop indécise qu'ils critiqueront eux-mêmes lors de leur congrès, en août 1917, les mencheviks renoncent à l'un de leurs principes essentiels et entrent dans le deuxième gouvernement de coalition (mai 1917). Cette décision, frappée d'anathème par l'Internationale tout entière, « détourna presque totalement l'énergie et l'attention de ses membres les plus capables du combat politique » (L. Haimson). Alors qu'à leurs débuts ils avaient vigoureusement condamné le révisionnisme et son corollaire le ministérialisme, ils accomplissaient, en siégeant au gouvernement, un acte semblable à celui de Millerand participant au cabinet Waldeck-Rousseau. Non contents de cette première expérience, les mencheviks la renouvelèrent en juillet puis en septembre ; ils prenaient diffusément conscience de la nécessité de saisir seuls un pouvoir qui leur était offert par les masses. Mais ils avaient trop tardé ; les secteurs de l'opinion qui leur étaient encore favorables pendant les journées de juillet se lassèrent de cette temporisation et se détachèrent d'eux. Le pourcentage des voix qu'ils recueillirent dans les instances représentatives ne cessa de baisser.

Dans les jours qui suivirent immédiatement la révolution d'Octobre, Martov et Dan tentèrent de négocier avec les bolcheviks. Des pourparlers en vue de la création d'un gouvernement de coalition eurent lieu entre bolcheviks modérés, socialistes révolutionnaires et mencheviks sous la pression du syndicat des cheminots favorable à ces derniers. Ils devaient échouer. Exclus définitivement du pouvoir, les mencheviks se refusèrent néanmoins à faire chorus avec les socialistes révolutionnaires de droite pour condamner le gouvernement soviétique, pensant pouvoir assumer le rôle de « conscience de la révolution » dans les soviets. Mais ils en furent exclus le 4 juin 1918 sur décision du comité exécutif central. Leurs journaux (Novij Luc, Vpered) étant interdits, ils continuèrent à survivre dans une semi-légalité jusqu'à la fin de la guerre civile. Certains d'entre eux - Majskij, Martynov, Cicerin, Trojanovskij, Khincuk, Vysinskij - se rallièrent au bolchevisme. Cette adhésion ou ce refus d'opposition systématique étaient motivés par la conviction que la seule éventualité en dehors du bolchevisme était la contre-révolution. Lorsque s'instaura la N.E.P. (Nouvelle Politique économique) en 1921, les mencheviks qui ne s'étaient pas ralliés furent incarcérés puis envoyés en exil.

Toutefois, malgré les hésitations d'« intellectuels » qui ont souvent caractérisé les mencheviks et motivé leurs atermoiements devant la prise du pouvoir, il est une république où ils gouvernèrent de 1918 à février 1921 : la Géorgie. Quand l'Armée rouge entra en Géorgie, une partie des dirigeants prit le chemin de l'exil, l'autre, à la demande instante de Lénine, resta dans le gouvernement pendant une brève période, avant d'en être chassée par Staline.

À l'étranger, les exilés ne tardèrent pas à créer une organisation, à publier une plate-forme puis un journal Socialisticeskij Vestnik, qui parut d'abord à Berlin, à Paris à partir de 1933 et ensuite à New York. Ils continuèrent également à prendre part au mouvement socialiste international, participèrent notamment en 1922 à la conférence des trois Internationales qui se réunit à Berlin, pour rejoindre finalement les rangs de l'Internationale socialiste.

En Union soviétique même, les mencheviks végétèrent jusqu'au début des années trente sous forme de petits groupes clandestins qui servirent de prétexte en 1931 au procès du prétendu bureau fédéral du comité central du P.O.S.D.R. accusé d'activités contre-révolutionnaires et d'avoir préparé une intervention contre l'Union soviétique.

Georges Haupt

[modifier] Bibliographie

F.-X. COQUIN, La Révolution russe, coll. Que sais-je ?, P.U.F., 7e éd. 1982

M. FERRO, La Révolution russe de 1917, Flammarion, Paris, 3e éd. 1989

I. GETZLER, Martov, Cambridge Univ. Press, New York, 1967 ; « Les Mencheviks », in Le Contrat social, no 2-3, 1968

S. M. SCHWARZ, The Russian Revolution of 1905, New York, 1967