Beowulf

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La première page du Beowulf
La première page du Beowulf

Le Beowulf est un poème épique majeur de la littérature anglo-saxonne probablement composé entre la première moitié du VIIe siècle et la fin du premier millénaire. Écrit principalement à destination d'un public de lettrés chrétiens, il s'inspire de la tradition orale anglo-saxonne et retranscrit une épopée germanique en vers, contant les exploits du héros Beowulf qui donna son nom au poème.

Sommaire

[modifier] Le manuscrit

[modifier] Historique du document

Le poème nous est parvenu grâce à l’unique exemplaire d’une copie du Xe siècle : son premier propriétaire identifié est Lawrence Nowell, un érudit du XVIe siècle[réf. nécessaire]. Le manuscrit apparaît ensuite au XVIIe siècle dans le catalogue des possessions de Sir Robert Bruce Cotton ; malheureusement, la copie est irrémédiablement endommagée pendant l’incendie de sa bibliothèque en 1731.

Le chercheur islandais Grímur Jónsson Thorkelin effectue la première transcription du manuscrit en 1786 et la publie en 1815, sous l’impulsion d’une recherche soutenue par le gouvernement danois. Depuis lors, le manuscrit a souffert encore quelques dommages, et c’est donc la transcription de Thorkelin qui sert généralement de base aux philologues. La fiabilité de la lecture de Thorkelin a été mise en cause, notamment par Chauncey Brewster Tinker dans son édition regroupant les différentes traductions des chercheurs du XIXe siècle (The Translations of Beowulf).

Le manuscrit est connu sous le nom du « manuscrit de Beowulf », ou « Nowell Codex », ou encore « British Library MS Cotton Vitellius » puisqu'il se trouve désormais à la British Library de Londres.

Le récentiste Uwe Topper défend l'idée que le manuscrit daterait seulement de la fin du 17e siècle[1].

[modifier] Le ou les auteurs du poème ; la langue

La question est de savoir si le poème a d'abord été conçu pour la transmission orale par des poètes païens d'origine scandinave et transcrit un ou plusieurs siècles plus tard par des scribes chrétiens ou s'il a été composé par un seul auteur chrétien fortement inspiré par l'héritage scandinave. Une composition s'étendant sur plusieurs générations, avec une transformation du texte au gré des récitants, expliquerait le caractère disjoint du style (dimension qui fait aussi l'originalité de Beowulf selon Seamus Heaney dans l'introduction à la traduction qu'il a publiée de Beowulf en 1999). Le rythme très structuré des vers va également dans le sens de la transmission orale, le rythme offrant une aide précieuse à la mémoire du conteur. Néanmoins, Beowulf témoigne aussi du phénomène de christianisation de l'Angleterre au cours du premier millénaire. Quel que soit le moment où les références à la Bible et à Dieu ont été introduites dans le texte, et quelle que soit la main qui les y a mises, ces références sont la manifestation d'une volonté de promouvoir le monothéisme chrétien par rapport aux pratiques païennes et au polythéisme scandinaves. En tant que texte anonyme, Beowulf témoigne avec une force emblématique de l'importance de la matrice culturelle dont tout texte est issu, et des influences contradictoires qui la composent.

L’orthographe utilisée dans le seul manuscrit qui subsiste permet d’identifier deux variations régionales de l’ancien anglais : l’Anglois (« Anglian ») et le Saxon occidental (« West Saxon ») qui reste ici dominant, comme dans la plupart des textes en ancien anglais de cette période. Pour la copie qui nous est parvenue, il apparaît que deux scribes différents se sont succédé, échangeant leur plume après la première moitié du texte.

[modifier] L'importance historique de Beowulf

De nos jours, Beowulf est considéré comme l'un des plus vieux témoignages écrits de la littérature anglo-saxonne, après l'hymne de Caedmon. L'époque de la composition du poème reste obscure : certains philologues suggèrent que les variations linguistiques sont typiques du début du VIIIe siècle, tandis que d'autres pensent à une époque postérieure, et vont jusqu'à suggérer que l'original n'aurait précédé que de peu de temps la copie qui nous est parvenue.

Mais même si Beowulf reste une fable imaginaire, le poème évoque à plusieurs reprises des événements historiques : le raid du Roi Hygelac chez les Frisons, aux environs de 515 ; la présence de Hrothgar, Hrothulf et Ohthere, des héros légendaires probablement basés sur des personnalités réelles ; de plus, certains événements sont à rapprocher des sources scandinaves comme la Vieille Edda, la Gesta Danorum, les fornaldarsagas, etc. Ces sources reprennent souvent les mêmes héros danois et suédois. Le héros lui-même est probablement inspiré du Bödvar Bjarki, « l'ours de bataille » : le nom de Beowulf est un « kenning » (nom métaphorique) pour l'ours, le « loup des abeilles » (« bee-wolf »). On pense aussi que Beowulf pourrait être à l'origine de la dynastie anglaise des Wuffingas qui régnèrent sur l'Est-Anglie (Suffolk) du VIe au VIIIe siècle, et qu'il avait donc légué à ceux-ci ses lointaines origines scandinaves.

Ces parallèles ont conduit de nombreux chercheurs à considérer les faits décrits dans le poème comme des événements réels, qui se seraient déroulés entre 450 et 600 au Danemark et au Sud de la Suède. Dans ce dernier cas, les fouilles archéologiques ont pu confirmer l'existence de tumuli funéraires désignés par les traditions suédoises, et certains tombeaux ont été identifiés comme ceux d'Eadgils et d'Ohthere dans l'Uppland. De la même manière que le fragment de Finnsburg et d'autres vestiges de poèmes courts, Beowulf a pu être conçu en premier lieu comme document historique pour détailler l'existence de figures importantes, comme Eadgils et Hygelac, ou Offa, roi des Angles sur le continent. La dimension généalogique est importante et traduit la nécessité pour un peuple de fonder ses origines à travers l'origine de ses chefs. En tant que récit historique, basé sur la chronique de hauts faits guerriers, Beowulf contient une forte dimension collective et identitaire.

[modifier] Résumé de l'œuvre

Beowulf challenged by the Coastguard, illustration de Evelyn Paul, 1911
Beowulf challenged by the Coastguard, illustration de Evelyn Paul, 1911

Beowulf est un poème d’exception dans le corpus de la littérature anglo-saxonne. Plutôt que de choisir un sujet chrétien, le poème retrace les hauts faits du héros éponyme, et ses trois principaux combats : Beowulf est un puissant guerrier goth (« Geat », une peuplade au sud de la Suède) qui voyage au Danemark pour débarrasser la cour du Roi Hrothgar d’un terrible monstre mangeur d’hommes, un ettin nommé Grendel. Après l’avoir vaincu, Beowulf double la mise en tuant la mère de Grendel, puis retourne dans les pays des Goths pour se mettre au service de son peuple et de son Roi, Hygelac. Bien plus tard, après avoir succédé au monarque, il meurt lors d’un ultime combat contre un dragon cracheur de feu.

[modifier] 1er combat : Grendel (v. 1-1250)

Beowulf commence avec l'histoire du roi Hroðgar, qui a construit pour ses gens la grande salle de Heorot. Lui-même, sa femme Wealhþeow et ses guerriers y passent leur temps à chanter et à faire la fête, jusqu'à ce que Grendel (que ces chants mettent en colère et que la société ne veut pas admettre parmi elle) attaque le hall puis tue et dévore beaucoup de guerriers de Hroðgar pendant leur sommeil. Hroðgar et ses gens, impuissants contre les attaques de Grendel, abandonnent Heorot. Mais Grendel n'ose pas toucher le trône de Hroðgar, parce qu'il est protégé par un Dieu tout-puissant.

Beowulf, un jeune guerrier, entend parler des difficultés de Hroðgar et, (avec la permission de son roi) quitte sa patrie pour l'aider.

Beowulf et ses hommes passent la nuit à Heorot. Après qu'ils se sont endormis, Grendel entre dans le hall et les attaque, dévorant un des hommes de Beowulf. Celui-ci, qui fait semblant de dormir, grimpe sur Grendel lui saisit le bras par une prise et tous deux se battent avec une telle force qu'on croit que la salle va tomber sur eux. Les hommes de Beowulf tirent leurs épées et se ruent à son aide, mais une sorte de magie secourt Grendel et empêche les épées de lui faire du mal. Finalement, Beowulf arrache le bras de Grendel de son corps et Grendel court chez lui pour mourir.

[modifier] 2e combat : la mère-ogresse (v. 1251-1904)

La nuit suivante, après avoir célébré la mort de Grendel, Hroðgar et ses hommes dorment dans Heorot. Mais la mère de Grendel apparaît, attaque le hall et tue le guerrier le plus fidèle de Hroðgar, Æschere, pour venger la mort de son fils.

Hroðgar, Beowulf et leurs hommes suivent la mère de Grendel jusqu'à son repaire sous un lac sinistre. Beowulf se prépare à la bataille ; il se voit offrir une épée, Hrunting, par un guerrier du nom d'Unferð. Après avoir stipulé avec Hroðgar un certain nombre de conditions au cas où il mourrait (y compris qu'il s'occuperait de la famille de Beowulf et qu'Unferð hériterait de ses biens), Beowulf plonge dans le lac. Là, il est rapidement découvert et attaqué par la mère de Grendel. Incapable de lui faire du mal à cause de son armure, elle le traîne au fond du lac. Là, dans une caverne contenant le corps de son fils et les restes de beaucoup d'hommes que tous deux ont tués, la mère de Grendel lutte contre Beowulf.

La mère de Grendel semble l'emporter au début, alors Beowulf, constatant que l'épée (Hrunting) que lui a donnée Unferð ne peut faire du mal à son ennemie, s'en débarrasse d'un geste de colère. Encore une fois, Beowulf est préservé par son armure des attaques de son adversaire et, saisissant une puissante épée, ancienne arme forgée par les Géants, dans l'arsenal de la mère de Grendel (épée dont le poème nous dit qu'aucun autre homme n'aurait pu la soulever dans une bataille), il la décapite. Explorant plus avant le repaire, Beowulf découvre le corps de Grendel, lui tranche la tête et revient avec elle à Heorot, où Hroðgar dans sa reconnaissance le comble de présents.

[modifier] 3e combat : le dragon des Goths (v. 1905-3182)

Beowulf et le dragon, dessin d'un livre d'enfant, Stories of Beowulf (H. E. Marshall), publié à New York, 1908, E. P. Dutton & Company.
Beowulf et le dragon, dessin d'un livre d'enfant, Stories of Beowulf (H. E. Marshall), publié à New York, 1908, E. P. Dutton & Company.

Beowulf revient chez lui et devient finalement roi de son propre peuple. Un jour, vers la fin de la vie de Beowulf, un esclave vole une coupe d'or dans le repaire d'un dragon à Earnaness pour racheter sa liberté. Quand le dragon s'en aperçoit, il quitte sa grotte plein de fureur, mettant le feu à tout ce qu'il aperçoit. Beowulf et ses guerriers accourent pour lutter contre le dragon, mais un seul d'entre eux, un jeune homme courageux du nom de Wiglaf, reste pour aider Beowulf, car les autres sont trop effrayés. Avec l'aide de Wiglaf Beowulf tue le dragon, mais lui-même meurt des blessures qu'il a reçues. Le trésor du dragon est enlevé de la grotte et, ironiquement, n'est pas distribué aux gens de la ville qui s'attendaient à le recevoir, mais est enterré dans le tumulus de Beowulf - aussi utile dans la terre qu'il l'avait été au-dessus d'elle.

[modifier] Tolkien et Beowulf

J. R. R. Tolkien travailla dans sa jeunesse à la traduction de Beowulf, et pratiqua le texte pendant toute sa vie professionnelle (il était professeur de langue et littérature anglo-saxonnes).

Ce texte lui servit d'inspiration dans plusieurs passages de son œuvre. Par exemple, certains spécialistes considèrent que la description de Grendel est proche de celle de Gollum. De même, le vol de la coupe du dragon qui, par la suite, incendie un village, rappelle l'épisode de Bilbo et Smaug dans Bilbo le Hobbit. On peut encore mentionner les derniers épisodes de l'histoire de Túrin, qui s'inspirent de l'affrontement de Beowulf et du dragon.

[modifier] Extrait

Unferth, fils d'Ecglaf, qui occupait une place d'honneur aux pieds du roi danois, prit la parole. L'entreprise de Beowulf le gênait fort, car il ne pouvait supporter la pensée qu'aucun être vivant pût acquérir plus de distinction que lui-même. Aussi aborda-t-il ce sujet épineux:

« Es-tu ce même Beowulf qui se mesura à Breca et fit la course avec lui en haute mer, dans ce concours à la nage où, soit par présomption, soit par hardiesse folle, vous risquâtes tous deux votre vie au dessus de l'abîme ? Il ne se trouva personne, ami ou ennemi, pour vous dissuader d'accomplir ce misérable exploit de nager en mer.[...] Mais Breca fut le plus fort. [...]Voilà pourquoi, bien que tu aies toujours remporté la victoire dans la bataille, je m'attends à de pauvres prestations si tu oses guetter de tout près Grendel une nuit entière. »

[modifier] Éditions et traductions

Les éditions du texte vieil-anglais sont nombreuses. On mentionnera essentiellement :

  • La vieille édition de F. Klaeber, qui fut longtemps le texte de référence : Beowulf and the Fight at Finnsburg, Boston, 1922.
  • Le texte établi, traduit et commenté par Bruce Mitchell et Fred Robinson, qui représente aujourd'hui le texte de référence, et qui est accompagné de plusieurs outils pour l'étude du texte, en particulier un excellent article sur les comparaisons possibles entre Beowulf et l'archéologie : Beowulf, Oxford, Blackwell, 1998, xiv + 318 p.
  • Une édition, avec traduction en anglais moderne et plusieurs outils pour l'étude du texte (dont une base de données recensant tous les mots du poème), sur le site de l'Unviersité McMaster au Canada : (en)[1]

Les traductions en anglais moderne sont tout aussi nombreuses. Les plus remarquables sont :

  • L'ouvrage de G. N. Garmonsway et J. Simpson, Beowulf and its Analogues, Londres, Dent, 1968: la traduction du poème est accompagnée de traductions de textes (scandinaves ou autres) relatant des épisodes parallèles à ceux de Beowulf, qui ont pu lui servir de modèle ou s'en inspirer.
  • Celle de Michael Alexander, Beowulf, A Verse Translation, Londres, Penguin, 1973 : une traduction en vers qui tente d'être fidèle à l'allitération du vers vieil-anglais.
  • Celle de E. T. Donaldson, reprise dans le volume de Joseph F. Tuso, Beowulf : The Donaldson Translation, Background and Sources, Criticism, New York et Londres, 1975 : une traduction en prose, accompagnée d'un choix d'articles critiques (en anglais) sur l'œuvre.
  • Celle de J. Porter, Beowulf : Text and Translation, Hockwold-cum-Wilton, 1991 : une traduction littérale mot à mot avec le texte original en regard, très utile quand on ne connaît pas le vieil-anglais.
  • Celle de Seamus Heaney (prix Nobel de littérature en 2001), en vers, très fidèle à l'original, et qui tente de restituer en partie le rythme du vers vieil-anglais : Beowulf, A New Translation, Londres, 1999.

Il existe deux traductions françaises :

  • Celle de Jean Queval, en prose, avec une longue introduction de bonne qualité : Beowulf, l'épopée fondamentale de la littérature anglaise, Gallimard, 1981.
  • Celle d'André Crépin, accompagnée du texte vieil-anglais et d'une étude fouillée du poème, difficile à se procurer car elle est parue dans une collection allemande peu diffusée en France : Beowulf : édition diplomatique et texte critique, traduction française, commentaires et vocabulaire, Göppingen, 1991.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Sources

  1. http://www.ilya.it/chrono/pages/beowulffr.html Uwe Topper, Le manuscrit de Beowulf ne date-t-il que de la fin du XVIIe siècle?, 2001.
  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Beowulf ».