Assassinat des moines de Tibhirine

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines trappistes du monastère de Tibhrine en Algérie sont enlevés, séquestrés pendant deux mois, puis assassinés le 21 mai 1996.

Sommaire

[modifier] Le monastère de Tibhrine

Créé à la fin du XIXe Siècle, le Monastère Trappiste se situe prés de Médéa à 90 Km au sud d'Alger dans une zone montagneuse. D'abord domaine agricole puis Abbaye Notre-Dame de l’Atlas. La ferme et les terres sont nationalisées en 1976 mais les moines gardent ce qu’ils peuvent cultiver.[1]

Jean-Marie Rouart décrira les lieux lors de son discours académique à l'Académie française :

« C’était une grande bâtisse un peu austère mais chaleureuse et accueillante, construite en face d’un des plus beaux paysages du monde : les palmiers, les mandariniers, les rosiers se dessinaient devant les montagnes enneigées de l’Atlas. Des sources, une eau claire, irriguaient le potager. Il y avait aussi des oiseaux, des poules, des ânes, la vie. Des hommes avaient choisi de s’installer dans ce lieu loin de tout mais proche de l’essentiel, de la beauté, du ciel, des nuages. Ce n’étaient pas des hommes comme les autres : ils n’avaient besoin ni de confort, ni de télévision. Ce qui nous est nécessaire leur était inutile, et même encombrant.[2] »

[modifier] Les faits

  • Le 14 décembre 1993, 12 ouvriers croates avaient été égorgés à quelques kilomètres du monastère. Les auteurs probablement issus du GIA avaient séparé musulmans et chrétiens, pour ne tuer que ces derniers.[3]
  • Puis le 24 décembre 1993 dans la nuit de Noël: un commando du GIA se présente, menaçant, à la porte du monastère. Le père Christian, qui parle arabe, obtient qu'ils déposent leurs armes. Sayeh Atyah, le chef des islamistes, exige trois choses :
    • que les moines versent de l'argent au GIA en signe de soutien. Refus catégorique du père Christian.
    • que le frère Luc, médecin installé à Tibhirine depuis cinquante ans, aille immédiatement dans la montagne soigner des militants blessés. Le frère Luc se dit prêt à soigner quiconque se présentera au monastère, sans poser de questions, comme l'y autorise le serment d'Hippocrate.
    • que les moines leur remettent le stock de médicaments. Le père Christian refuse, expliquant que le stock est très maigre et réservé aux pauvres.

« Vous perturbez la fête du prince de la paix, la fête de Noël », ajoute le père Christian. L'islamiste, impressionné, se retire, en précisant qu'il enverra ses blessés munis du mot de passe « Christian »[4].

  • Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 à 1 h 30 du matin, un groupe d'une vingtaine d'islamistes se présente et réclament frère Luc. Devant le refus du gardien, ils pénètrent de force et se précipitent alors directement vers le bâtiment où dorment les moines. Après des tractations avec le père Christian, ils réveillent six autres moines. Les islamistes les emmènent de force. Le Père Christian ayant déclaré au commando qu'ils étaient sept moines présents, deux frères restent cachés dans leur chambre et échappent à l'enlèvement. Frère Jean-Pierre et frère Amédée, seuls survivants et témoins directs des évènements de 1993 et 1996, livrent pour la première fois leur récit au micro de Philippe Reltien pour l'émission Interception de France Inter du 8 avril 2007.


Les moines enlevés n'ayant pas été abattus immédiatement, les autorités françaises croient à la possibilité d'une libération rapide. L'armée algérienne recueille des renseignements mais ratent le groupe d'extrême justesse dans cette région de maquis. L'avis des spécialistes est que les moines ont été conduits jusqu'à l'« émir » Zitouni.

[modifier] Les négociations

  • La France décide alors de réagir. Les services de renseignement tentent de retrouver la trace des moines. Philippe Rondot de la DST rencontre Smaïn Lamari, le chef de la Sécurité militaire. Celui-ci lui fait part de l'absence de tout résultat. Philippe Rondot se rend alors à l'ambassade de France à Alger, où il rencontre le chef d'antenne de la DGSE, les services secrets français. Ce lieutenant-colonel assure que deux des moines - les plus âgés - auraient été relâchés sur la route de Bône. La DGSE a d'ailleurs transmis une note ultra confidentielle à ce sujet à Jacques Chirac, en plein sommet anti-terroriste à Charm-el-Cheikh, en Égypte.
  • Le 18 avril, Djamel Zitouni revendique l'enlèvement des moines dans le communiqué n° 43[5] du GIA. Il assure au président Chirac qu'ils sont toujours sains et saufs, mais il réclame la libération d'Abdelhak Layada, détenu en Algérie pour une série d'attentats à la bombe, et termine par cette phrase terrible : « Si vous libérez, nous libérerons ; si vous refusez, nous égorgerons. »
  • Le 30 avril, un certain Abdullah se présente à l'ambassade de France à Alger, porteur d'une cassette audio sur laquelle on entend la voix des moines et d'un texte signé de leurs mains. Le messager est mis en contact avec le représentant de la DGSE. L'entretien va durer une heure et demie. Un système de contacts téléphoniques est mis au point, de telle sorte que le GIA puisse rappeler.
  • Avant d'être raccompagné dans le centre d'Alger avec la voiture blindée de l'ambassade, cet étrange messager recevra un récépissé - publié par le journal Libération - à en-tête de l'ambassade de France. « Aujourd'hui, le 30 avril 1996, à midi, nous avons reçu votre messager, Abdullah, qui nous a remis votre lettre accompagnée d'une cassette. Nous souhaitons maintenir le contact avec vous. »
  • Puis plus de nouvelle. Du coup, la rumeur enfle : des contacts parallèles auraient été noués grâce aux bons offices de Jean-Charles Marchiani alors Préfet du Var. Le 9 mai, un communiqué du ministère des Affaires étrangères français tombe pour démentir toute « tractation » entre la France et le GIA, et, au passage, assure que Marchiani n'a jamais joué les intermédiaires dans ce dossier.
  • Le Vatican, est tenu à l'écart par la France, et lors de son voyage surprise en Tunisie, le 14 avril, le pape Jean-Paul II lance des messages et noue des contacts à propos des moines.
  • Ayant atteint ses objectifs (narguer le gouvernement algérien, envenimer ses relations avec la France et faire parler de lui) le GIA n'a plus besoin des moines.

[modifier] La mort des moines

  • Le 21 mai, le communiqué n° 44 du GIA annonce : « Nous avons tranché la gorge des sept moines, conformément à nos promesses. Que Dieu soit loué, ceci s'est passé ce matin. » Mais le gouvernement algérien se refuse à confirmer l'information. Ce n'est que neuf jours plus tard qu'il annoncera la découverte des corps (en fait uniquement les têtes).
  • Les têtes des moines ont été retrouvées près de Médéa. Visiblement, ils avaient été enterrés puis déterrés. Les têtes reposaient sur un fond de satin blanc et sont chacune accompagnées d'une rose.
  • Après les obsèques à la nouvelle cathédrale d'Alger, ils seront enterrés, conformément à leur désir, au monastère de Tibhirine. Ce massacre suscitera une très forte émotion en France. Il causera sans doute aussi la mort politique de Zitouni, dont le radicalisme est condamné par certains de ses compagnons d'armes. A tel point que le bulletin du GIA basé à Londres, El Ansar, qui devait publier des révélations sur les négociations avec la France, cessera de paraître.

[modifier] Les sept moines assassinés

(Source des biographies:Biographie des Moines[6])

  • Dom Christian de Chergé, prieur de la communauté depuis 1984, 59 ans, moine depuis 1969, en Algérie depuis 1971.
  • Le Frère Luc Dochier, 82 ans, moine depuis 1941, en Algérie depuis 1947. Médecin, il a exercé pendant la deuxième guerre mondiale avant de prendre la place d'un père de famille nombreuse en partance pour un camp de prisonniers en Allemagne. Présent cinquante ans à Tibhirine, il a soigné tout le monde gratuitement, sans distinction. Déjà en juillet 1959, il avait été enlevé par les membres du FLN (Front de Libération Nationale)
  • Le Père Christophe Lebreton, 45 ans, moine depuis 1974, en Algérie depuis 1987.
  • Le Frère Michel Fleury, 52 ans, moine depuis 1981, en Algérie depuis 1985. Membre de l'Institut du Prado, il était le cuisinier de la communauté.
  • Le Père Bruno Lemarchand 66 ans, moine depuis 1981, en Algérie et au Maroc depuis 1990.
  • Le Père Célestin Ringeard, 62 ans, moine depuis 1983, en Algérie depuis 1987. Son service militaire fait en Algérie le marqua pour le reste de sa vie, car notamment, en tant qu'infirmier, il soigna un maquisard que l'armée française voulait achever.
  • Le Frère Paul Favre-Miville, 57 ans, moine depuis 1984, en Algérie depuis 1989. Il était chargé du système d'irrigation du potager du monastère.

[modifier] La polémique

(Sources :Article du Monde)

  • Qui a enlevé les moines ? Un commando des Groupes islamiques armés (GIA) ou de faux « terroristes » travaillant pour le compte de la sécurité militaire algérienne ?
    • Des allégations extrêmement précises ont été avancées par d’anciens membres de l’Armée nationale populaire (ANP) et de la Direction du Renseignement et de la Sécurité (DRS), mettant en cause le rôle direct des responsables de la DRS dans la manipulation du GIA et dans l’enlèvement des sept moines.
    • S'agissait-il de faire basculer l'opinion publique française du côté du pouvoir algérien ?
  • Quel a été le rôle des services de renseignements français, dont un - la DST - collaborait étroitement et de longue date avec son homologue algérien ?
  • A t on voulu faire taire le journaliste français Didier Contant, mort bizarrement au cours de son enquête sur l'assassinat des 7 moines de Tibhirine.
  • "Les proches des sept moines ont droit à la vérité", a réitéré le père Veilleux, fin mars 2006 à Paris, alors que l'avocat de la partie civile, Me Patrick Baudouin, dénonçait l'"opacité anormale" et la "lenteur excessive" dans l'instruction menée par le juge Jean-Louis Bruguière.

[modifier] Bibliographie

[modifier] Liens internes

[modifier] Liens externes

[modifier] Références

  1. Le Monastère, description dans l'Humanité
  2. Discours académique de J.M Rouart
  3. Article de Abbaye Cistercienne d'Oka
  4. Article de Abbaye Cistercienne d'Oka
  5. communiqué n° 43 du GIA
  6. Biographie des Moines
Autres langues