Art roman en Saône-et-Loire

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Une vue minimale de ce patrimoine architectural d'une densité exceptionnelle implique que l'on considère au moins deux aspects : d'un côté, le corpus lui-même, c'est-à-dire la liste provisoire, telle qu'on la connaît en 2008, des édifices ecclésiastiques dont tout ou partie remonte à la période dite « romane » ; et, d'autre part, de l'histoire des recherches sur ces bâtiments depuis les années 1880. On proposera ensuite une esquisse de l'histoire des constructions, depuis le IXe siècle.

Sommaire

[modifier] le corpus

Ancien diocèse d'Autun (* = une notice dans le volume de R. Oursel)

Anost Anzy-le-Duc* MH Autun cathédrale* MH
Autun Saint-Nicolas* MH (musée) Ballore Baron*
Baugy* MH Bois-Sainte-Marie* MH Bourbon-Lancy priorale Saint-Nazaire* MH (musée)
Bourg-le-Comte* Bragny-en-Charollais* (Saint-Vincent-Bragny) Briant*
Brion Celle-en-Morvan (La) Chalmoux
Champlecy* Changy* Charbonnat*
Charmoy* IMH Charolles prieuré (musée) Chassy IMH
Chissey-en-Morvan Clessy Colonge-la-Madeleine
Cordesse IMH Cressy-sur-Somme Curbigny* IMH
Curdin* Curgy* MH Decize-les-Maranges IMH
Dettey* Dun (Saint-Racho) Essertenne
Etang-sur-Arroux Grandvaux* Hautefond (grange)
Issy-l'Evêque* Motte-Saint-Jean (La) (logements) Laizy*
Lesme Maltat* Marcigny* IMH
Marcilly-la-Gueurce* Marly-sur-Arroux chap.cim. Martigny-le-Comte IMH
Mesvres* Montceaux-l'Etoile* MH Monthelon
Montmégin* (Semur-en-Brionnais) Montmort* Mornay*
Nochize (mairie) Oyé Palinges* IMH
Paray-le-Monial priorale* MH Paray-le-Monial ch.cimetière* Perrecy-les-Forges* MH
Perrigny-sur-Loire Rigny-sur-Arroux* IMH Saint-Agnan-sur-Loire*
Saint-Aubin-sur-Loire Saint-Bérain-sous-Sanvignes Saint-Bérain-sur-Dheune chap. cimetière IMH
Saint-Denis (Saint-Agnan) Saint-Firmin Saint-Georges (rom. ?) (Saint-Symphorien-des-Bois)
Saint-Germain-en-Brionnais* MH Saint-Jean-de-Trézy Saint-Julien-de-Civry*
Saint-Léger-sous-la-Bussière Saint-Martin-du-Lac Saint-Martin-la-Vallée* (Semur-en-Brionnais) IMH
Saint-Nizier-sous-Charmoy (Les Bizots) (grange) Saint-Pierre-de-Varennes Saint-Pierre-l'Estrier* (Saint-Pantaléon) MH
Saint-Prix (rom. ?) (Dyo) Saint-Romain-sous-Versigny* Saint-Sernin-du-Bois
Saint-Yan anc.égl. IMH Sainte-Radegonde* Sanvignes*
Semur-en-Brionnais* MH Sommant Suin* IMH
Tagnière (La) Tintry Torcy
Toulon-sur-Arroux anc.égl.* MH Trivy Uchon
Vareilles* MH Varenne-l'Arconce* MH Vaudebarrier
Vendenesse-lès-Charolles* Viry* Vitry-sur-Loire IMH

Ancien diocèse de Chalon (* = une notice dans le volume de C. Malo-Dickson)

Abergement-de-Cuisery* Abergement-Sainte-Colombe* Baudrières*
Beaumont-sur-Grosne* Bey* Bissey-sous-Cruchaud*
Bissy-sur-Fley* IMH Bouzeron Brancion* (Martailly-lès-Brancion) MH
Bresse-sur-Grosne (parc du château) Buxy* IMH Cersot*
Chagny MH Chalon cathédrale* MH Chalon Saint-Pierre (vestiges)
Chalon Sainte-Marie (vestiges) Chamilly* IMH Champlieu* (Etrigny)
Chapelle-de-Bragny (chap. du château) IMH Chapelle-sous-Brancion* IMH Chassey-le-Camp*
Chatel-Moron* Chérizet Ciel* IMH
Colombier-sous-Uxelles* (Bresse-sur-Grosne) Cortiambles* (Givry) IMH Cuisery Saint-Pierre* IMH
Culles-les-Roches* Damerey Dennevy
Ecuelles Farges-lès-Chalon Fley*
Frette (La)* MH Germagny* Gourdon* MH
Granges* Grevilly* IMH Huilly-sur-Seille*
Jambles* MH Lalheue* Lancharre* (Chapaize) MH
Breuil (Le) Lessard anc.égl.ruin. Loyère (La)*
Maison-Dieu (Givry) MH (grange) Marigny* Mellecey* IMH
Mercurey IMH Mont-Saint-Vincent* MH Montcoy*
Ormes* Ozenay* MH Puley (Le) prieuré* MH
Ratenelle* Rochette (La)* (Saint-Maurice-des-Champs) Saint-Ambreuil
Saint-Boil* IMH Saint-Christophe* IMH Saint-Forgeuil (Bresse-sur-Grosne)
Saint-Gengoux-le-National* IMH Saint-Jean-de-Vaux* Saint-Julien-de-Sennecey* (Sennecey-le-Grand) MH (musée)
Saint-Laurent-d'Andenay Saint-Marcel priorale MH Saint-Martin-de-Laives* (Laives) MH
Saint-Martin-du-Tartre* Saint-Martin-en-Gâtinois IMH Saint-Maurice-des-Champs* IMH
Saint-Micaud* Saint-Romain-sous-Gourdon* IMH Saint-Vallerin Saint-Vallerin*
Saint-Vincent-en-Bresse* Sainte-Hélène* Santilly*
Sassangy* Sassenay* Saules*
Savigny-sur-Seille* Sercy (chap. du château) MH Simandre* IMH
Tournus abattiale* MH Tournus La Madeleine* IMH Tournus Saint-Laurent* MH (réserve ?  ?)
Tournus Saint-Valérien* IMH (commerce) Vers*


Ancien diocèse de Mâcon (* = une notice dans le volume de J. Virey)

Ameugny* MH Bergesserin* MH Berzé doyenné* (Berzé-la-Ville) MH (musée)
Berzé-la-Ville IMH Besanceuil* (Bonnay) IMH (privé fermé) Bezornay* (Saint-Vincent-des-Prés) IMH (logement)
Bissy-la-Mâconnaise MH Blanot* MH Bray* IMH
Buffières* Burgy* MH Burnand* MH
Burzy* Bussières (rom. ?) Chânes*
Chapaize* MH Chapelle-Couraud* (St-Jean-du-Bois, Bray) (grange) Chapelle-sous-Dun (La) Vieux Bourg*
Charbonnières anc.égl. (logement) Chardonnay* Charnay-lès-Mâcon*
Chasselas Chassigny-sous-Dun Vieux Bourg Chateauneuf* MH
Chazelles* (Cormatin) IMH Chevagny-sur-Guye Chiddes* IMH
Chissey-lès-Mâcon* MH Ciergues (Donzy-le-National) (cellier) Clermain
Clessé* IMH Cluny abattiale* MH (musée) Cluny Saint-Marcel* MH
Cluny Saint-Odilon Cluny IMH (logement) Collonge-en-Charolais Confrançon (Cortevaix) (logements)
Cotte* (Lournand) (grange) Cray* (Saint-Marcelin-de-Cray) MH Cruzille
Curtil-sous-Buffières* Curtil-sous-Burnand Davayé
Domange* (Igé) MH (caveau dégust.) Donzy-le-National* Donzy-le-Pertuis* MH
Farges-lès-Mâcon* MH Flagy* Fleury-la-Montagne IMH
Genouilly* Germolles-sur-Grosne* Iguerande* MH
Jalogny* IMH Jonzy (Saint-Julien-de-Jonzy) (chap. dans un parc) Laizé* IMH
Leynes Ligny-en-Brionnais* Loché (Mâcon) IMH
Lournand Lys (Chissey-lès-Mâcon) IMH Saint-Clément (Mâcon) IMH (musée)
Mâcon anc. cathédrale Saint-Vincent* MH (musée) Malay* MH Martrat (Le) (Le Rousset)
Massy* IMH Mazille* MH Milly-Lamartine (rom. ?) MH
Montbellet* Mussy-sous-Dun* Nancelle (La Roche-Vineuse) (chap. dans un parc)
Ougy* (Malay) MH Passy* Péronne* IMH
Pierreclos* IMH (chap. château) Romenay Rousset (Le)
Saint-Albain* MH Saint-André-le-Désert Saint-Bonnet-de-Cray* MH
Saint-Clément-sur-Guye* MH Saint-Gengoux-de-Scissé IMH Saint-Hippolyte (Bonnay) MH (ruine)
Saint-Huruge* IMH Saint-Julien-de-Jonzy* MH Saint-Laurent-en-Brionnais* MH
Saint-Martin-Belle-Roche (anc. égl.) IMH Saint-Martin-de-Croix* (Burnand) Saint-Martin-de-Lixy* IMH
Saint-Martin-la-Patrouille* Saint-Maurice-lès-Châteauneuf. (anc.égl.) MH Saint-Oyen* (Montbellet)
Saint-Pierre-le-Vieux* Saint-Point* MH Saint-Quentin (Le Rousset) IMH
Saint-Romain-des-Îles* (Saint-Symphorien d'Ancelles) Saint-Vérand (rom. ?) Saint-Vincent-des-Prés* MH
Saint-Ythaire Sainte-Cécile Salornay
Sancé* Satonnay (rom. ?) (Saint-Maurice-de-Satonnay) Savigny-sur-Grosne
Sigy-le-Châtel* IMH Sologny* IMH Taizé* MH
Tramayes IMH Trambly* IMH Uchizy* MH
Varennes-lès-Mâcon* Vauban* IMH Vaux* (Jalogny)
Vaux-en-Pré* IMH Vérizet (Viré) Villars* (Le) MH
Vineuse* (La) IMH Vinzelles* IMH Viré
Vitry-lès-Cluny

Ancien diocèse de Besançon

Sagy

Ancien diocèse de Lyon

Bantanges Champagnat Melay
Rancy

Actuellement, cette liste comporte un peu plus de 300 édifices ; la poursuite des investigations permettra probablement d'en découvrir encore entre vingt et cinquante (notamment en procédant à un examen systématique du plan cadastral ancien). Comme ce département compte 576 communes, cela signifie que plus d'une commune sur deux contient au moins un édifice roman, aucun autre département français ne paraît receler une telle densité. Certains secteurs sont étonnamment lotis : le canton de Saint-Gengoux-le-National a 19 communes et 22 édifices romans, sans compter trois emplacements reconnus de bâtiments disparus. Classement et inscription ne touchent que la moitié environ de ce total. Plus d'une trentaine (10%) sont désaffectés, sur lesquels vingt-deux sont inaccessibles au public (chercheurs compris).

[modifier] histoire des recherches

  • les pionniers

La première recherche méthodique fut celle de Jean Virey (1861-1953), qui soutint en 1887 sa thèse d'École des Chartes sur « L'architecture romane dans l'ancien diocèse de Mâcon » ; thèse qui fut publiée en trois livraisons dans les Mémoires de la Société Éduenne (1889-1891). Peu après, en 1892, Félix Thiollier publiait à Montbrison L'art roman à Charlieu et en Brionnais, ouvrage comportant des plans, des gravures et une série de bonnes héliogravures.

  • un demi-siècle de « théories générales »

Au fur et à mesure que les recherches de terrain se succédaient, l'on vit fleurir diverses « théories », dont celle des « écoles régionales », ou celle des « routes de pèlerinage » ; pour notre région, l'œuvre qui eut le plus de portée fut celle de l'historien américain Arthur Kingsley Porter (1883-1933) qui publia deux ouvrages énormes : Lombard Architecture (4 vol., 1919), puis Romanesque Sculpture of the Pilgrimage Roads (10 vol., 1923). A.K. Porter est l'inventeur de la notion d'« art lombard », qui eut un si large écho. Ce professeur marqua également la région indirectement, puisque ce fut un de ses élèves qui, le premier, entreprit des recherches archéologiques sur les édifices de la région : Kenneth John Conant (1894-1984), qui arriva à Cluny en 1924, et y séjourna par intermittence jusqu'à sa mort en 1984. Dans le même mouvement, une élève de Conant, Elizabeth Read Sunderland (1910-), entreprit peu après des recherches archéologiques à Charlieu (à partir de 1937). L'autre auteur influent fut l'architecte et autonomiste catalan Josep Puig i Cadafalch (1867-1956), qui publia en 1930 La geografia i els orígens del primer art romànic, ouvrage qui marqua la naissance de la redoutable notion de « premier art roman ».

Toutefois, dans les années 1930 et 40, les observations systématiques se poursuivirent, et notamment sous la forme de deux nouvelles thèses de l'École des Chartes, celle de Christiane Malo-Dickson, « Les églises romanes de l'ancien diocèse de Chalon » (publiée à Mâcon en 1935) et celle de Raymond Oursel, « Les églises romanes de l'Autunois et du Brionnais » (publiée à Mâcon en 1956). Dans ce dernier livre en particulier est discutée la notion nouvelle (créée par Charles Oursel) d'« église martinienne », expression qui recouvre l'idée d'une « école » autunoise indépendante de celle de Cluny. Ce fut d'ailleurs le même R. Ousel qui mit la main sur la facture du tympan sud de Bois-Sainte-Marie, réalisé dans un atelier proche de la place Saint-Sulpice, tympan qu'Émile Mâle considérait comme une belle réalisation de la sculpture romane (et dont on trouve encore des photographies dans nombre de parutions récentes...).

  • la vague des thèses américaines et allemandes

A partir des années 1960, une série d'étudiants américains arriva en Sâone-et-Loire avec des yeux neufs. Modérément encombrés des « théories » forgées à l'époque précédente, ils s'employèrent à effectuer des observations plus précises, en essayant de déterminer les méthodes et les phases de construction : ce fut le début de ce que l'on a depuis appelé « archéologie monumentale » ; plusieurs n'hésitèrent pas non plus à fouiller les archives, à la recherche de tous les documents (souvent bien plus tardifs) susceptibles de renseigner sur les états successifs des édifices. Ces thèses sont malheureusement pour la plupart demeurées à l'état de microfilms, on peut toutefois trouver un exemplaire papier à la bibliothèque des Archives Départementales de Saône-et-Loire. On doit en particulier mentionner les travaux d'Edson Armi sur Tournus et les ateliers de sculpteurs, et ceux de Walter Berry sur les églises du bassin de l'Arroux. Plus tard (fin des années 1980) commencèrent à arriver des étudiants allemands, davantage encore férus d'exactitude, et effectuant des relevés d'une grande minutie.

En France même, l'histoire de l'art traditionnelle, encore enseignée dans les universités, avaient ses beaux jours derrière elle ; d'un côté, d'aucuns (re)découvrirent que les églises étaient d'abord des lieux de culte et qu'il n'est pas raisonnable de croire que l'on a seulement affaire à des « œuvres d'art » (Carol Heitz), d'autres s'avisèrent qu'il ne sert pas à grand chose d'empiler indéfiniment des monographies et qu'il faut considérer d'abord des ensembles (« corpus ») avant de se lancer dans des analyses de détail, qui n'ont pas de sens en dehors d'un ensemble donné (Léon Pressouyre).

  • l'archéologie de terrain

L'essor général des recherches archéologiques en France à partir des années 1970, qui aboutit finalement à la création de l'INRAP (2002), toucha aussi le Moyen Âge, et des fouilles importantes d'églises romanes furent entreprises (une première) ; citons notamment celles de Saint-Pierre-l'Estrier (C. Sapin), du cloître Saint-Nazaire d'Autun (C. Sapin), de Cluny III (Anne Baud), de Paray (G. Rollier), de Saint-Clément de Mâcon (Alain Guerreau et Christian Sapin), du chœur de Saint-Lazare d'Autun (W. Berry), de Saint-Maieul de Cluny et de Cluny II (A. Baud et C. Sapin). Le nouvel Architecte en Chef, Frédéric Didier, particulièrement intéressé par l'analyse historique des bâtiments, fait régulièrement réaliser des diagnostics archéologiques avant restauration. De tous ces travaux est d'ores et déjà ressortie une moisson d'informations nouvelles, qui, sur bien des points, infirme les croyances antérieures.

[modifier] Esquisse d'histoire des constructions

La nouvelle approche de l'histoire des édifices ecclésiastiques médiévaux en Bourgogne, qui se met en place sous nos yeux, repose sur quatre considérations :

  1. partir d'un corpus, et non de compilations juxtaposées, autrement dit, se préoccuper d'abord des relations entre les sites, les bâtiments et leurs caractéristiques avant de tenter d'expliquer ou de dater quoi que ce soit ; ce qui implique de repérer les formes principales d'organisation de cet ensemble ; c'est ici qu'apparaissent les nouveautés les plus importantes ; (abandon des comparaisons ponctuelles : tel détail dans l'église X « ressemble » à tel autre dans l'église Y : de toute manière, ce procédé plus ou moins arbitraire ne démontre strictement rien) ;
  2. considérer d'abord les constructions (ou l'entretien) comme des activités du clergé, et voir ainsi d'abord dans ces édifices des documents sur l'histoire (mouvementée) du clergé médiéval (puis moderne) en Bourgogne du sud, et donc aussi sur les rapports des clercs entre eux, et avec les laïcs ;
  3. inverser l'hypothèse ancienne (implicite, jamais discutée) selon laquelle les textes mentionnant des églises aux 9 et 10e siècles ne peuvent pas concerner les églises aujourd'hui visibles : l'hypothèse inverse (c'est aussi une hypothèse) apparaît presque aussitôt infiniment plus plausible, ce qui tend à bouleverser la chronologie traditionnelle ;
  4. tenir compte sans réserve des observations archéologiques, en distinguant avec une extrême attention les observations elles-mêmes des interprétations des archéologues.

Cette nouvelle perspective conduit à trois réorientations principales : 1. la chronologie « généralement admise » qui fait débuter l'art roman en Bourgogne vers 1020 (au plus tôt) et qui finit tout vers 1140 est trois fois trop étroite (au moins) ; les premiers édifices « romans » datent des années 960, et les derniers sont du début du XIVe siècle. 2. l'histoire de ces bâtiments ne s'arrête naturellement pas en 1340, mais se poursuit jusqu'à nos jours ; il faut accorder une importance primordiale au moment où sombra définitivement le rôle et le sens de l'église médiévale, alors remplacés par un sens profondément différent : la première moitié du XVIIe siècle ; à partir de là, l'utilisation et le traitement des édifices furent complètement différents, et cette différence a laissé des traces profondes dans ce que nous voyons. 3. si l'on considère l'espace de l'actuel département de Saône-et-Loire, tout montre une césure radicale entre le tiers nord-ouest du département (Charolais, Bourbonnais, Autunois, Morvan : en gros la partie correspondant à l'ancien diocèse d'Autun) et le reste du département ; ces deux parties relèvent d'ensembles bien plus vastes, au nord-ouest et à l'ouest d'un côté, à l'est et au sud d'autre part ; deux ensembles aux caractéristiques sociales extrêmement différentes jusqu'à une date récente, et qui ont connu des évolutions bien distinctes, qu'il est un peu schématique de résumer en parlant de décalage, ou de « retard » de la partie nord-ouest ; mais on peut en toute tranquillité affirmer que ces deux zones ne vivaient pas en synchronie, c'est sans doute la structure majeure du corpus qui nous occupe.

Ce qui donne le schéma chronologique suivant :

  1. Les constructions des 6e-8e siècles sont presque inconnues ; on ne peut cependant pas douter que la région était couverte d'églises dès le VIe siècle ; au demeurant, la quantité impressionnante de « sarcophages mérovingiens » observés en Châlonnais - Mâconnais (Gaillard de Sémainville) montre que les artisans de cette époque maîtrisaient convenablement l'extraction, la taille et le transport de blocs de pierre de taille respectable. Jusqu'à présent, les observations n'ont porté que sur Saint-Pierre-l'Estrier à Autun et Saint-Clément à Mâcon : édifices périurbains de taille modeste, mais où l'on note des éléments qui traduisent la recherche d'un décor assez sophistiqué.
  2. 840-940. Il faut renoncer aux expressions aussi variées qu'incertaines comme « art préroman », « art ottonien », et autres « premier art roman », qui ne renvoient à rien de précis. De même que la minuscule caroline s'est mise en place dans la première moitié du 9e et a duré, avec un minimum de variations, jusqu'à la fin du 12e, on doit partir de l'idée d'un mouvement continu de la construction durant cette même période, que l'on peut convenir d'appeler simplement romane. Pour notre région, le travail pionnier de Christian Sapin (1986) est le point de départ de toute réflexion. Cet auteur a identifié cinq édifices : # l'abside de Saint-Georges de Couches (fin 8e), # le massif occidental de Saint-Andoche d'Autun, # les restes de l'ancienne église Saint-Martin de Mellecey, # les traces de la chapelle du Mont-Dardon, # les ruines de Saint-Martin de Mesvres, tous éléments datables de la fin du IXe siècle. Il faut revoir bien d'autres chronologies, et s'attaquer à des édifices plus importants ; le premier état de l'abbaye de Charlieu (fouillé avant 1940 avec les méthodes de l'époque) est certainement antérieur à l'arrivée des Clunisiens en 932 ; la nef, la croisée et une partie du chœur de Perrecy-les-Forges sont assurément aussi de la fin du 9e ; quant à la crypte de Tournus, on ne peut manquer de remarquer qu'elle n'est pas du tout homogène, et que la partie centrale est, elle aussi, très probablement de la fin du 9e. Il est certain que nombre d'églises rurales plus modestes demandent aussi à être redatées, un exemple assez clair étant celui de Saint-Point, qu'il faut également attribuer à cette phase.
  3. 940-980. On a remarqué depuis assez longtemps que la région connut un vif essor à partir des années 940, et encore plus nettement après 960 (mais il faut mettre à part la zone nord-ouest). Personne ne doute que Cluny II fut construit sous l'abattiat de Maieul, c'est-à-dire aux alentours de 960-980. Alain Guerreau a découvert un texte qui montre que la reconstruction de la cathédrale Saint-Vincent de Mâcon était achevée vers 980. Et tous les indices laissent penser que la majeure partie de Saint-Philibert de Tournus était terminée avant 980 (translation de reliques et grandes cérémonies de 979, qui constituent un des rares points fixes de la chronologie de Tournus, comme l'avait déjà bien montré Virey en 1932). C'est à cette phase qu'il faut attribuer la prédilection pour l'opus spicatum, présent dans nombres d'édifices modestes (Saint-Clément-sur-Guye, Saint-Huruge, Bonnay et Prayes - détruits -), mais aussi d'autres édifices bien datés par les textes de donation, comme Massy ou Domange. À quoi il faut ajouter tout ou partie d'édifices comme Uchizy, Vaux, Chevigne, Bezornay, Burgy, Saint-Vincent-des-Prés. Au sud-ouest, c'est de cette phase que date le chœur de Bois-Sainte-Marie, directement inspiré de l'église de Charlieu de la période antérieure.
  4. 980-1040. Cet essor de la partie sud-est de la zone dura jusqu'au milieu du XIe siècle ; durant cette période, Cluny étendit rapidement son influence, tandis que les évêques de Mâcon et Chalon reprenaient en main le patrimoine ecclésiastique. Il faut attribuer à cette phase 980-1050 une grande quantité de constructions - reconstructions, encore que les critères propres à cette période ne soient pas établis avec netteté ; aucune nouveauté technique significative, mais une généralisation de procédés rares (mais pas absents !) à la période précédente, comme le layage soigné des parements décoratifs (montants de portes et fenêtres) ou les coupoles sur trompes. Peut-être des bâtiments comme Laizé, Chardonnay, Saint-Martin-de-Lixy, Passy, Saint-Martin-de-Croix, Le Villars, Laives, Lancharre I. La petite église de Burnand peut appartenir à l'époque précédente, ou à celle-ci, les fresques étonnantes qui ont été découvertes en 1986 sont des environs de l'an 1000. Plus à l'ouest, c'est l'influence dès lors dominante de Cluny qui est à l'origine de la construction de la première priorale de Paray-le-Monial (bizarrement dénommée Paray II par les archéologues) : les fouilles de Gilles Rollier ont bien fait apparaître le plan de l'église construite à partir du début du 11e, et achevée dans les années 1120.
  5. 1040-1140. À partir des années 1040, et plus encore 1060, s'ouvrit une phase de batailles de plus en plus violentes entre les clunisiens et les évêques et chanoines de Chalon et surtout de Mâcon. Ces derniers voyaient leur autorité, et leurs revenus, mis à mal par l'impérialisme clunisien, et réagirent fermement, en dépit du soutien pontifical à Cluny. Comme on sait, tout se termina par l'excommunication presque simultanée de l'évêque de Mâcon, Bérard de Chatillon, et de l'abbé de Cluny, Ponce de Melgueil (1124). Cette rivalité de plus en plus forte fut certainement un des principaux moteurs des constructions dans toute la région durant cette période, chacun des protagonistes cherchant à manifester son pouvoir et son autorité par une emprise rituelle et liturgique plus spacieuse et plus voyante. Avec un zeste d'exagération, on peut parler de « folie des grandeurs ». Le cas le plus universellement connu étant la construction de Cluny III que l'on attribue à l'initiative d'Hugues de Semur. Quant aux porches richement décorés de la cathédrale Saint-Vincent de Mâcon et de Perrecy-les-Forges, ils furent conçus comme une réponse à l'invasion clunisienne, comme d'ailleurs l'exceptionnel autel d'Avenas, ainsi que la reprise des travaux à Tournus (croisée et chœur). Sans preuve décisive, mais avec une bonne probabilité, on attribue aux clunisiens l'invention de l'arc brisé à la fin du XIe siècle, Cluny III en étant la première mise en œuvre (ce que contestent les historiens de la cathédrale de Durham...). La floraison, ponctuelle mais importante, de la sculpture sur pierre dans les sites que l'on vient de mentionner apparaît ainsi comme le produit d'un contexte bien particulier, de même que l'apparition de l'arc brisé.

D'un autre côté, les dernières années du 11e et le début du 12e virent le début de l'essor dans la zone nord-ouest (en gros la partie du département correspondant à l'ancien diocèse d'Autun). Il reste cependant délicat d'attribuer des bâtiments à cette première phase (en dehors des deux cas particuliers cités plus haut), peut-être Montmort ou Saint-Romain-sous-Versigny. Sans doute les parties les plus anciennes d'Anzy-le-Duc, comme la crypte. Peut-être aussi la priorale Saint-Nazaire de Bourbon-Lancy, certainement plus récente que ne le laisserait supposer son apparence quasi carolingienne.

  1. La phase suivante dura à peu près de 1120-1130 à 1240. Le « modèle » clunisien écrasait tout le reste, même si une forte originalité se maintint dans le diocèse d'Autun. Tandis que dans ce diocèse, il s'agit de la phase centrale de l'essor médiéval, et donc de la plupart des constructions romanes, dans le reste de notre zone, on entra dans une assez longue période de stagnation, qui ne prit fin que vers le milieu du 13e et qui correspondit donc surtout à des ajouts et à des reconstructions partielles.

Le bâtiment emblématique de cette phase est la nouvelle cathédrale Saint-Lazare, construite vers 1125-1145. La technique et la qualité atteintes d'emblée témoignent de la date relativement tardive. Mais on a trop rarement examiné ce phénomène rare et paradoxal d'une seconde cathédrale au XIIe siècle : la structure des cathédrales doubles caractérise les 4e-7e siècles, dès le 9e cette forme était très généralement abandonnée ; lorsque des édifices du « groupe épiscopal » subsistaient (comme dans le cas voisin de Lyon), ils étaient réduits au rang de lieux de culte secondaires. Que le clergé autunois ait repris ce modèle totalement anachronique est un indice de plus de la situation très étrange de cette zone au regard de l'évolution générale. Paray est instructif pour d'autres raisons. Depuis les fouilles de Gilles Rollier, et les observations détaillées des élévations subsistantes, la chronologie du site a été bouleversée. La première priorale de Paray fut sans doute entreprise au début du 11e, mais ne fut achevée (tour nord de la façade) qu'au début du 12e, ce qui en dit long sur l'indigence des institutions ecclésiastiques de la zone avant le 12e (et qui éclaire aussi l'intérêt qu'il y a à dater des édifices à cinq ou dix ans près). La nouvelle construction fut sans doute suscitée, comme à Autun, par le retournement de la conjoncture. Mais les premiers travaux (déambulatoire) n'eurent probablement pas lieu avant les années 1140, au mieux, et n'avancèrent que très lentement. Que la majeure partie du transept et la totalité de la nef soient bretturées indiquent que l'on ne peut guère les placer avant les années 1220, car on ne voit pas comment cette nouvelle technique serait apparue avec précocité dans cette zone. Or la plupart des commentateurs se sont extasiés sur l'analogie entre Paray et Cluny III, beaucoup en faisant des édifices contemporains. Il faut aujourd'hui admettre qu'entre les deux chantiers, il y a un demi-siècle d'écart au début, et sans doute plus d'un siècle à l'arrivée. Ce qui montre l'intérêt des comparaisons visuelles utilisées comme critère majeur de datation.

Dans les diocèses de Chalon et Mâcon, l'arc brisé se répandit largement, et des techniques de mise en œuvre plus soignées se généralisèrent, les murs diminuèrent progressivement d'épaisseur. Il y eut encore de nombreuses constructions, mais dans bien des cas il s'agit de compléments ou de réfections partielles (qui ont pu d'ailleurs aussi bien toucher la nef et laisser subsister le chœur et le clocher, que l'inverse). À cet égard, le dernier ouvrage de Christian Sapin, qui cherche assez systématiquement à distinguer au moins deux phases dans les édifices étudiés, apporte de substantielles nouveautés ; on peut cependant se demander si, dans la majorité des cas, l'auteur ne sous-estime pas l'écart chronologique entre les deux phases qu'il distingue (en rajeunissant la partie la plus ancienne et en vieillissant la partie la plus récente). Ce fut sans doute la phase principale de la sculpture du Brionnais (peut-être autour de 1200 pour les édifices que l'on place en fin de liste, Semur et Châteauneuf). Ce fut également à cette époque que les bourgeois de Cluny se mirent à édifier en grand nombre des maisons en pierre aux façades de luxe, décorées de ces fameuses « claires-voies », dont l'étude systématique a été entreprise par Jean-Denis Salvèque.

  1. 1240-1340. La mode gothique effleura à peine la région, sauf dans le Chalonnais (plus ouvert aux influences septentrionales) ; seuls édifices connus : la nouvelle cathédrale de Mâcon et l'église Saint-Pierre de cette ville (détruites pendant la Révolution) et Notre-Dame de Cluny. À Chalon, on se contenta de remodeler la cathédrale romane. À Autun, une tentative de reconstruction gothique de l'ancienne cathédrale Saint-Nazaire s'enlisa après quelques travées. Mais presque partout, on continua cependant de construire des bâtiments de type roman, seuls quelques détails (de décor ou d'appareil) trahissant la date réelle. La zone la plus concernée fut probablement le Charollais, où la majorité des églises romanes datent de cette phase ultime, notamment caractérisées par des arcs brisés extrêmement pointus, comme à Collonge-en-Charollais, Grandvaux, Champlecy. Mais on trouve des édifices de cette période un peu partout, comme l'ancienne église de Saint-Yan sur les bords de la Loire (entièrement bretturée), ou celle de Saint-Albain sur les bords de la Saône (haut du clocher gothique). On sait que la dernière partie de Paray, l'étage supérieur du clocher, était de style gothique, peut-être second quart du XIVe siècle. On note au passage que l'extrême longévité des formes romanes est depuis longtemps admise pour les édifices du Jura, il faudra bien y arriver pour la Bourgogne. Signalons encore que la plupart des flèches en pierre qui surmontent nombre de clochers romans ne peuvent guère être antérieures à cette phase, elles n'ont absolument rien de « roman », même si le mode de construction ne les distingue pas de leur soubassement : elles expriment des formes et un mode d'organisation de l'espace gothiques.
  2. Enfin, la « fin du Moyen Âge », entendue au sens large (1340-1600), vit essentiellement des adjonctions de chapelles, généralement des fondations à vocation plus ou moins funéraire (dans un certain nombre de cas, des absides furent reconstruites, avec une croisée d'ogives en lieu et place de la voûte en cul-de-four). L'inventaire de ces ajouts ne semble pas avoir été jamais entrepris. Beaucoup d'églises, sinon toutes, reçurent alors un décor sculpté abondant sous forme en particulier de statues de saints, un certain nombre sont conservées. Le cardinal Rolin entrepris de très importants travaux à la cathédrale d'Autun qui, à l'extérieur, prit l'aspect d'une cathédrale gothique (flèche en pierre, arcs-boutants, toit à forte pente). Les troubles de la Guerre de Cent ans n'ont pas laissé de traces bien identifiables, et la population sur place n'a pas cessé de chercher à entretenir ses bâtiments. Il en alla tout différemment pour les Guerres de Religion (1560-1598), où l'abandon et l'absence d'entretien furent généraux, d'où résultèrent de considérables dégâts : on peut estimer qu'en 1600, la majeure partie des églises de la région étaient en ruine ou très endommagées.
  3. 17e-18e s. La première moitié du XVIIe siècle marqua une césure radicale, tant au plan matériel qu'à celui de la signification, césure qui a été pour le moins sous-estimée, en général simplement ignorée. À la suite des Guerres de Religion, les couches dominantes de la société adoptèrent une autre attitude à l'égard de l'Église, désormais considérée comme un simple outil d'encadrement des masses rurales. Ce ne fut pas Bonaparte, mais Louis XIV qui transforma le clergé en corps de fonctionnaires au service de l'État. Les évêques gallicans n'étaient plus qu'un instrument du pouvoir monarchique, et les curés, les exécutants locaux de la volonté des intendants (voyez l'obligation de tenir des registres paroissiaux). Dans un premier temps, il fallut remettre les églises en fonctionnement, et l'on fit en général au plus vite et au moindre coût. Ce fut alors qu'apparurent sur ces bâtiments des types de couverture (bon marché) que l'on n'avait jamais utilisés auparavant comme les pierres (« laves »), ou le bois (bardeaux). On rebadigeonna rapidement les intérieurs en gris ou en beige, les enduits extérieurs furent rétablis à l'aide de matériaux rustiques. Au cours des 17e et 18e siècles, l'aristocratie comme le clergé se préoccupèrent plutôt de leur confort ordinaire. Les aristocrates envahirent une partie de la nef de leurs sièges et de leurs fauteuils, là où auparavant il n'y avait qu'un espace vide ; le clergé se construisit presque partout ces horribles sacristies que l'on voit encore, pour y entreposer plus commodément les nappes d'autel et tout l'attirail des vêtements liturgiques ; les uns comme les autres cherchèrent à se donner de la lumière, et l'on agrandit les fenêtres partout où l'on put. Pour impressionner les foules, on construisit, toujours à peu de frais, de grands décors de bois peint à l'arrière des autels.

Les ecclésiastiques plus puissants profitèrent de la nouvelle richesse que leur apporta le retournement général de la conjoncture à partir des années 1740 pour entreprendre une réorganisation de leur espace bâti. Le cas le plus célèbre est celui de Cluny, où le grand prieur Dom Dathoze décida de détruire la plus grande partie des bâtiments conventuels médiévaux pour les remplacer par un nouvel ensemble au goût du jour. On doit souligner qu'en termes de démolitions, les moines furent les premiers, et qu'ils éliminèrent, au total, bien plus de choses que les clunisiens de la fin du 18e. À Autun, les chanoines, pour installer un nouveau décor dans le chœur de Saint-Lazare, détruisirent le mausolée de Saint-Lazare, œuvre majeure de la sculpture romane, firent disparaître les sculptures romanes du porche oriental (avec la fameuse Ève) et camouflèrent le tympan roman sous le plâtre, à l'occasion de quoi ils décapitèrent le Christ (1766) ; puis ils rasèrent tout simplement l'antique cathédrale Saint-Nazaire. L'évêque Talleyrand (1754-1838) était tout sauf une exception (évêque d'Autun de 1788 à 1790). On ne doit pas oublier non plus que les évêques, dans le souci pragmatique d'adapter le réseau paroissial aux évolutions démographiques, firent passer quelques succursales au rang d'églises, mais surtout dégradèrent beaucoup d'édifices en simples chapelles, sans revenu ni desservant, ce qui marqua le vrai début de leur ruine irrémédiable.

  1. de 1790 à 1905. Les secousses de la période révolutionnaire ne firent guère plus qu'accentuer les évolutions antérieures. Le monachisme apparaissait anachronique à la quasi totalité de la population, et personne ne contesta le moins du monde la suppression des ordres puis la vente de leurs biens. Dans les centres où le poids de l'institution ecclésiastique avait généré, souvent depuis le XVe siècle, un anticléricalisme croissant, eurent lieu quelques destructions de caractère avant tout symbolique, comme le percement de la nef de l'abattiale de Cluny, ou les destructions mâconnaises, celle de l'église des chanoines nobles de Saint-Pierre (honnis), puis de la cathédrale elle-même. Là où les moines s'étaient depuis des décennies sécularisés, comme à Tournus, il ne se passa à peu près rien. Durant un demi-siècle, l'élite française fit preuve d'une complète indifférence à l'égard de la religion ; ce qui eut pour conséquence concrète l'absence d'entretien des bâtiments durant cette période : vers 1840, les édifices du culte étaient délabrés.

A partir de cette date débutèrent deux mouvements inverses, aux conséquences déterminantes pour le sujet qui nous occupe : d'un côté, quelques intellectuels s'émurent de la situation d'édifices qui, à leurs yeux, entraient de plein droit dans la catégorie (alors récente, on l'oublie trop) d'« œuvre d'art », ils entreprirent de dresser des listes d'édifices méritants, et même de commencer à les décrire ; cette préoccupation se traduisit en pratique par le début des activités de protection et de restauration, incarnées par les figures emblématiques de Prosper Mérimée (1803-1870) et Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879). Dans notre région, les dessins célèbres d'Émile Sagot furent réalisés entre 1830 et 1863. Le premier chantier important fut celui de la reconstruction de la façade de l'ancienne cathédrale de Chalon entre 1827 et 1844, par le lyonnais Antoine Chenavard (1787-1883), qui laissait très mal augurer de la suite. À Tournus, la première campagne de restauration de Charles Questel eut lieu de 1845 à 1850 (beaucoup de dégâts dans le chœur). À Mâcon, les restes de l'ancienne cathédrale furent restaurés par Guillemin entre 1847 et 1855 (le tympan roman retrouvé sous une couche de plâtre en 1850). À Autun, Robelin puis Dupasquier travaillèrent de 1837 à 1845. Viollet-le-Duc dirigea une restauration très énergique de 1860 à 1873. Dans le même temps, une fraction du clergé, d'abord très minoritaire, mais gagnant rapidement du terrain, entreprit une opération méthodique de reconquête, que l'on associe souvent, par approximation, au nom d'une institution créée au XVIIe siècle, mais qui connut sa plus grande gloire au 19e, la « Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice ». On vit ainsi dans les villes comme dans les campagnes s'activer de nouvelles générations de curés, et l'une de leurs préoccupations majeures fut la construction de nouvelles églises, modernes, plus vastes, plus hautes. Lorsque ces desseins furent menés à terme, l'effet fut presque toujours la destruction de l'édifice antérieur. En Saône-et-Loire, on peut évaluer à plus de deux cents le nombre d'édifices médiévaux qui furent ainsi anéantis en très peu de temps (avec l'aide et la bénédiction des autorités civiles et religieuses), principalement sous le Second Empire, et encore sous les débuts de la IIIe République, tandis que deux cents autres étaient plus ou moins gravement endommagés. Aucune autre période ne fut aussi néfaste pour les bâtiments médiévaux. Mais, si le clergé était à peu près partout aussi agressif, le soutien qu'il reçut des élites et des populations locales fut très variable ; dans une grande partie de la Sâone-et-Loire, le mouvement dit de « déchristianisation » était largement entamé vers 1850, et se conjugua à de fortes traditions anticléricales (notamment dans toute la partie médiane du département, Châlonnais, Clunisois, Mâconnais). Dans bien des cas, les curés, au prix de grands efforts, ne parvinrent pas à faire mieux qu'à obtenir des reconstructions partielles, qui détruisirent seulement les nefs, souvent les absides. Si la Sâone-et-Loire compte encore plus de trois cents édifices en tout ou en partie romans, on le doit d'abord à l'anticléricalisme du XIXe siècle.

  • 10. depuis 1905. Tous les édifices consacrés au culte catholique à cette date passèrent dans le domaine public (des communes ou de l'État). Cela eut peu de conséquences immédiates. Le mouvement de destruction / reconstruction tira à sa fin (démolition de Prayes en 1910), les destructions que l'on repère ça et là furent surtout celles d'édifices ne servant plus au culte (ancienne église de Bonnay vers 1925, ancienne église de Maizeray dans les années 1960 !). André Ventre (1874-1941), qui avait travaillé avec Antonin Selmersheim (1840-1910, auteur notamment de la reconstruction de l'église de Dun), mais se rendit surtout célèbre par ses gares et ses monuments aux morts, travailla à Tournus de 1908 à 1915 où il causa de nouveaux dégâts irréparables, en faisant méthodiquement gratter tous les enduits anciens et en faisant scier les poutres en bois qui servaient de tirants depuis la construction ; ce fut lui qui donna à la grande nef son allure actuelle, en ajustant les pierres en petit appareil des piles avec des joints en ciment débordant, et en faisant colorer ces pierres avec du mercurochrome dilué. À dire vrai, il partageait les goûts de son époque, et même de bons médiévistes comme Jean Virey ou Léonce Lex plaidaient continuellement pour l'élimination des « vieux enduits ». Ce qu'il faut bien appeler « l'idéologie de la pierre nue » se développa à la fin du XIXe siècle et sévit rudement durant la plus grande partie du 20e, les destructions absurdes ayant culminé dans les années 1960 et 70. On cite souvent l'acharnement du Père Dargaud à Paray qui, contre l'avis de toutes les autorités, parvint en 1929 à entreprendre le « décapage » de la priorale, qui ne fut finalement achevé qu'en 1952, laissant un édifice proprement écorché, et qui se mit à noircir rapidement. Mais combien d'églises plus modestes furent encore défigurées par le clergé dans les années 1970, comme Charnay et Sancé dans les environs de Mâcon... D'un autre côté, il faudrait analyser en détail la politique de « classement » et d'« inscription » qui se poursuivit durant tout le siècle. On se rendrait compte que la valeur intrinsèque des édifices tint de moins en moins de place, au profit de considérations d'opportunité, d'abord pour constituer le support de mesures administratives de protection en cas de danger (cas bien connu de l'intervention de Gabriel Jeanton pour sauver la chapelle Saint-Laurent à Tournus), mais de plus en plus pour répondre aux demandes d'élus locaux en mal de subventions. Si bien que les listes actuelles sont complètement hétérogènes, incluant des édifices mineurs et laissant de côté des bâtiments bien plus significatifs.

On doit enfin rappeler les principales « découvertes », c'est-à-dire des réapparitions de décors rendus invisibles par des enduits ou des dalles, et retrouvés en général à l'occasion de restaurations. On a déjà signalé les remises au jour des tympans de Mâcon et d'Autun. En 1887, l'abbé Jolivet eut la perspicacité d'identifier et de commencer à dégager les fresques, aujourd'hui mondialement célèbres, du doyenné clunisien de Berzé-la-Ville. En 1948, le Chanoine Grivot identifia la tête du Christ du tympan d'Autun dans les réserves du Musée Rolin. En 1971 furent remises à la lumière les grandes peintures de Gourdon. En 1986 ce fut la minuscule église de Burnand qui livra un ensemble de peintures extraordinaire, qui atteste une nouvelle fois que même les églises rurales les plus modestes étaient, au moins dans le chœur et l'abside, entièrement peintes. En 2001 réapparurent les splendides mosaïques du déambulatoire de Tournus, enterrées depuis le début du XVIIIe siècle. D'autres édifices livrèrent des peintures en moins bon état, et en cours de restauration, comme La Chapelle-sous-Brancion ou Buffières. Depuis plus d'une vingtaine d'années, les restaurations ont pris un cours nouveau, qui s'écarte des errements de la période antérieure. L'attention à tous les éléments encore en place, et la réflexion historique reprennent progressivement le dessus. De très bons architectes, comme Pierre Raynaud (Tournus) ou Henri Gignoux (Mâcon), ont réalisé des restaurations de grande qualité, comme à Passy, à Saint-Romain-sous-Gourdon, à Marly-sur-Arroux. Surtout, la Saône-et-Loire a eu la chance exceptionnelle de voir arriver un nouvel Architecte en Chef des Monuments Historiques, Frédéric Didier, plus attentif à l'histoire qu'aucun de ses prédécesseurs, ouvert, intelligent et d'un dynamisme étonnant, grâce auquel il parvient à vaincre l'inertie pesante des populations locales et de leurs élus, attachés souvent avec âpreté à un état des lieux « traditionnel », en général médiocre et guère plus ancien que l'entre-deux-guerres. Grâce à lui, la Sâone-et-Loire est en passe de retrouver un visage roman un peu moins éloigné de l'original. La restauration intérieure de Paray constitue une réussite impressionnante.

[modifier] Problèmes actuels

  • Comme signalé au début, l'état des connaissances, même s'il a progressé au cours des vingt dernières années, ne répond pas aux exigences actuelles. Les moyens alloués aux travaux nécessaires sont dérisoires, les quelques très rares chercheurs compétents qui y consacrent leur temps sont obligés à un bricolage permanent : comment s'étonner alors qu'un simple inventaire général ne soit pas encore réalisé complètement ? En fait, sur place, personne ne paraît même se douter de l'invraisemblable déficit des savoirs, la plupart des responsables locaux savent à peine distinguer un édifice roman d'un édifice gothique - mais à quoi bon ? Que la majeure partie des recherches actuelles soient le fait d'allemands, voire de japonais, n'inquiète personne. Pourtant, les nouveaux moyens techniques (informatique, photographie numérique, tachéomètres électroniques) offrent des possibilités pratique d'enregistrement et de traitement que personne n'aurait imaginées voici vingt ans ; il est regrettable que ces pistes ne puissent pas être exploitées méthodiquement.
  • Du côté de l'entretien et des restaurations, si des progrès très importants ont été enregistrés, la situation générale est loin d'être satisfaisante. D'un côté, le désengagement rapide de l'État est un facteur de découragement et de désordre, les collectivités territoriales n'ont pas vocation à prendre des décisions pour des monuments dont le sens n'est perceptible qu'au niveau européen, tant il est vrai que l'« art roman » ne prend son vrai sens qu'à cette échelle. Il est démoralisant de voir des édiles ignares, et en général contents de leur ignorance, non seulement discuter des plans de restauration d'édifices de réputation internationale à partir de considérations de commodité d'accès aux boutiques locales, mais prendre des décisions sur cette base. L'idéologie de la pierre nue continue ses ravages, notamment pour les toits, que l'on s'efforce encore, à grands frais, de recouvrir de pierres, alors qu'il s'agit d'un parti anachronique (historiquement absurde), techniquement erroné (pas d'étanchéité) et bien plus onéreux que la tuile, qui s'impose à tous égards. La restauration générale des enduits, à l'intérieur et à l'extérieur, se heurte toujours à des résistances d'autant plus opiniâtres qu'elles sont mal fondées. Les moellons calcaires, indûment exposés aux intempéries, se délitent dangereusement, mais les architectes qui veulent replacer les enduits indispensables sont contraints à des batailles épuisantes. D'une manière générale, il faut bien se dire qu'une église médiévale était le contraire d'une grange, c'était domus dei, la maison de dieu : on faisait le plus « luxueux » que l'on pouvait, on employait les matériaux les plus « nobles » dont on disposait, la pierre, la tuile en particulier ; et tout était enduit, badigeonné, et largement peint. Un point est entièrement hors de discussion : les murs étaient tous enduits, et les nefs étaient voûtées ou plafonnées (planches clouées), on ne voyait jamais la charpente. Il n'y a jamais eu de « laves » sur les toits des églises médiévales.
  • On peut cependant terminer sur quelques notes optimistes. Depuis peu en effet, le développement d'internet et le travail des historiens professionnels ont permis la mise en ligne de documents originaux susceptibles de rendre de signalés services à tous ceux qui poursuivent des recherches dans ce domaine. D'un côté, la conservatrice des Archives Départementales de Sâone-et-Loire, Isabelle Vernus, a fait réaliser la numérisation complète des plans du cadastre ancien des communes de tout le département (dit cadastre napoléonien) et ces plans sont disponibles en ligne ; ce qui permet une analyse précise de la configuration au sol de tous les bâtiments avant les grandes campagnes de démolition / restauration du XIXe siècle ; la mise en ligne presque simultanée du cadastre actuel rend la comparaison encore plus facile et précise. D'un autre côté, l'équipe C.N.R.S. des médiévistes de Dijon (Eliana Magnani et Marie-José Gasse-Grandjean) a effectué la numérisation en mode texte de la plupart des chartes bourguignonnes édités, et les fichiers sont librement téléchargeables ; grâce à quoi on dispose enfin de la possibilité d'exploiter méthodiquement sinon exhaustivement la grande masse des textes produits par les institutions ecclésiastiques qui nous occupent : on peut s'attendre de ce côté-là également à des développements significatifs. Les responsables locaux qui affirment vouloir contribuer à la « mise en valeur » de ce « patrimoine » seraient bien avisés de s'apercevoir que l'intérêt de cet ensemble réside moins dans l'esthétique (« les églises de charme », comme on l'entend parfois...) que dans son sens propre, c'est-à-dire historique, que les visiteurs cherchent le plus souvent dans ces édifices, et que l'on ne pourra leur exposer que lorsqu'on le connaîtra à peu près...

[modifier] Bibliographie sommaire

  • ANGHEBEN, Marcello, Les chapiteaux romans de Bourgogne. Thèmes et programmes, Turnhout, 2003.
  • ARMI, Edson, Design and construction in Romanesque architecture. The first Romanesque architecture and the pointed arch in Burgundy and northern Italy, Cambridge, 2004.
  • GOUJON, Pierre (éd.), La Saône-et-Loire, de la préhistoire à nos jours, Saint-Jean-d'Angély, 1992.
  • HAMANN, Matthias, Die burgundische Prioratskirche von Anzy-le-Duc und die romanische Plastik im Brionnais, Würzburg, 1998.
  • JANNET-VALLAT, Monique (éd.), D'ocre et d'azur. Peintures murales en Bourgogne, Dijon, 1992.
  • KRÜGER, Kristina, Die romanischen Westbauten in Burgund und Cluny. Untersuchungen zur Funktion einer Bauform, Berlin, 2003.
  • REICHE, Jens, Architektur und Bauplastik in Burgund um 1100, Petersberg, 2002.
  • REVEYRON, Nicolas (éd), Le renouveau des études romanes, Paray-le-Monial, 2000.
  • SAPIN, Christian, La Bourgogne préromane, Paris, 1986 ; Bourgogne romane, Dijon, 2006.

Ces ouvrages font mention de la plupart des travaux antérieurs, et l'on trouvera la référence de toutes les monographies en consultant l'excellente Bibliographie Bourguignonne http://www.bm-dijon.fr/c106.htm