Sacré

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Le sacré (opposé à profane) est une notion permettant à un groupe ou une société humaine de créer une séparation spirituelle et/ou morale binaire entre différents éléments qui la composent, la définissent ou la représentent (objets, actes, idées, valeurs...), ou ternaire : entre ce qui relève du monde humain, ce qui en est rejeté car tabou, et ce qui en est protégé car relevant du divin, le sacré. La dichotomie sacré / profane ne repose sur aucun fondement étymologique.

  • Sacré signifie étymologiquement un objet de culte qui peut être mythologique ou théologique c'est à dire religieux ou idéologique, c'est à dire non religieux .
  • Est profane étymologiquement ce qui est situé hors du temple. Sacré et profane ont au moins en commun le fait de pouvoir être non religieux.

Distinguer par exemple une musique sacrée d'une musique profane est un non sens : toute musique suppose une conduite consacrée religieuse ou profane où le sacré est toujours sans doute source d'inspiration.

Sommaire

[modifier] Définition de la notion

À l'origine, le terme est utilisé dans les groupes humains basés sur l'initiation ou la révélation pour en décrire les éléments constitutifs et fondateurs, ainsi que tout ce qui leur est relié (manifestations, organisations, etc.). Par exemple, dans la plupart des religions le sacré désigne tout ce qui a trait au divin, à ses manifestations sur terre et au clergé qui organise son culte.

Dans le christianisme, l'expression le sacré désigne spécialement l'Eucharistie.

Cette notion est aujourd'hui utilisée de façon plus générale dans d'autres contextes : une nation peut définir comme sacrés ses principes fondateurs ; une société peut définir comme sacrées certaines de ses valeurs ; etc. Les anthropologues contemporains disent d'ailleurs que la notion de sacré est trop floue pour pouvoir être utilisée dans l'étude des religions — même s'ils continuent à travailler dessus.

Les éléments du sacré sont généralement considérés comme intouchables : leur manipulation, même en pensée, doit obéir à certains rituels bien définis. Ne pas respecter ces règles, voire agir à leur encontre, est généralement considéré comme un péché ou crime réel ou symbolique : c'est ce qu'on nomme un sacrilège. Le pire des sacrilège est la profanation, qui est défini comme l'introduction d'éléments profanes dans un enceinte sacrée (réelle ou symbolique).

Notons que la notion de « sacré » ne se trouve pas dans toutes les sociétés.

« Ce qui est sacré c’est le respect de la vie. La spiritualité c’est le respect de l’essentiel : aimer la vie, aimer toutes les vies.  »
    — Bruno San Marco

Le Bouddha et la pagode Shwezigon en  Birmanie (Myanmar)
Le Bouddha et la pagode Shwezigon en  Birmanie (Myanmar)

Pour Durkheim[1], les représentations religieuses sont en fait des représentations collectives : l'essence du religieux ne peut être que le sacré, tout autre phénomène ne caractérise pas toutes les religions. Le sacré, être collectif et impersonnel, représente ainsi la société elle-même.

« Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent, et les choses profanes étant celles auxquelles ces interdits s'appliquent et qui doivent rester à l'écart des premières. La relation (ou l'opposition, l'ambivalence) entre Sacré et Profane est l'essence du fait religieux.  »
    — Émile Durkheim

[modifier] Le sacré selon Mircéa Eliade

[modifier] Les hiérophanies

« On pourrait dire », écrit Mircea Eliade, « que l'histoire des religions, des plus primitives aux plus élaborées, est constituée par une accumulation de hiérophanies […] L'occidental moderne éprouve un certain malaise devant certaines formes de manifestations du sacré : il lui est difficile d'accepter que, pour certains êtres humains, le sacré puisse se manifester dans des pierres ou dans des arbres. Or, […] il ne s'agit pas d'une vénération de la pierre ou de l'arbre en eux-mêmes. Les arbres sacrés ne sont pas adorés en tant que tels ; ils ne le sont justement que parce qu'ils sont des hiérophanies, parce qu'ils “montrent” quelque chose qui n'est ni pierre ni arbre, mais le sacré, le ganz anderes[2]. »

Et Eliade d'ajouter :

« On n'insistera jamais assez sur le paradoxe que constitue toute hiérophanie, même la plus élémentaire. En manifestant le sacré, un objet quelconque devient autre chose, sans cesser d'être lui-même, car il continue de participer à son milieu cosmique environnant. Une pierre sacrée reste une pierre ; apparemment (plus exactement : d'un point de vue profane) rien ne la distingue de toutes les autres pierres. Pour ceux auxquels une pierre se révèle sacrée, sa réalité immédiate se transmue au contraire en réalité surnaturelle[3]. »

Mais hormis ces considérations sur l’aspect duel de l’objet sacré, Eliade, en dépit d’une œuvre considérable dédiée au sujet, ne dit, en revanche, jamais rien sur la nature probable de « cet autre chose », invisible, qui irradie, effectivement, de l’objet en question. Quant aux forces qui déterminent le profane « à devenir une hiérophanie, ou a cessé de l'être à un moment donné[4] », Eliade reconnaît explicitement que « le problème dépasse la compétence de l'historien des religions[5]».

Stonehenge au solstice d'été en  Angleterre (non loin de Salisbury, Comté de Wiltshire)
Stonehenge au solstice d'été en Angleterre Angleterre (non loin de Salisbury, Comté de Wiltshire)

Aussi, force est de constater, avec Daniel Dubuisson, que l’approche eliadienne, compte tenu de son incapacité foncière à définir « quels principes, quelles règles, quels mécanismes régissent la disposition et l'organisation[6]» de ce phénomène, conduit l’historien des religions sur une voie sans issue.

Ce que nous pouvons affirmer à l'heure actuelle, à partir des travaux d’Eliade, à propos des hiérophanies et des forces qui émanent de la chose sacrée, c'est qu'elles existent, qu'elles agissent, sans plus.

[modifier] La nature relationnelle des hiérophanies

« La seule chose qu'on puisse affirmer valablement » à propos du sacré, écrit Eliade, « c'est qu'il s'oppose au profane[7] ».

Selon Albert Assaraf une telle explication reste fondamentalement à la périphérie du phénomène. « Autant, dit-il, expliquer le feu – comme le faisaient autrefois les aristotéliciens – en l’opposant à l’eau ; la terre, en l’opposant à l’air…[8]»

Toujours selon cet auteur, la grande erreur d’Eliade – erreur d’où découleront les séries d’impasses précitées – est précisément là, dans sa tentative d’expliquer le sacré en l’opposant au profane, comme si sacré et profane étaient deux entités différentes que rien ne peut rapprocher alors que sacré et profane découlent d’un phénomène commun : à savoir la propension qu'ont les signes de lier et de délier les hommes.

«  C’est en raison de notre prédisposition innée, dit-il, à classer les objets du monde selon une échelle de force [verticale], qu’une simple pierre finit par désigner quelque chose de "tout autre" qu’elle-même. Et ce "tout autre", c’est le lien ; c’est la quantité d’énergie ligative qui se dégage d’un signe à un moment donné de son histoire.[9] »

Même Eliade, fait remarquer Albert Assaraf, n’est pas sans admettre implicitement l’origine relationnelle du sacré :

«  Il subsiste, écrit Eliade, des endroits privilégiés, qualitativement différents des autres : le paysage natal, le site des premières amours, ou une rue ou un coin de la première ville étrangère visitée dans la jeunesse. Tous ces lieux gardent, même pour l'homme le plus franchement non-religieux, une qualité exceptionnelle, « unique » : ce sont les « lieux saints » de son univers privé, comme si cet être non-religieux avait eu la révélation d'une autre réalité que celle à laquelle il participe par son existence quotidienne[10]. »

« Paysage natal », « site des premiers amours », « une rue ou un coin de la première ville étrangère visitée dans la jeunesse », ne sont-ce pas là tout simplement des objets d’attachements initiaux que l’esprit humain place très haut sur une échelle imaginaire verticale ?

Il paraît urgent de rappeler, en lisant ces lignes, que l'expérience du sacré est celle de la transcendance: l'ouverture sur l'absolu. Il est évident qu'une telle notion ne peut pas être définie puisque le fini n'a pas la capacité de décrire l'infini. Ainsi que René Guénon l'a souligné, l'on ne peut avoir recours qu'à une formule négative: "l'infini est ce qui n'a pas de limite". Affirmer que La nature du sacré est mystérieuse serait un pléonasme. Aussi est-il aisé de comprendre que Mircéa Eliade ait dû utiliser une comparaison approximative en évoquant ce qui n'est qu'un sentiment de la notion de sacré. Une confusion est-elle possible lorsque l'éminent historien des religions ajoute: "Le Monde n'est pas un Chaos mais un Cosmos (...) cette oeuvre divine garde toujours une transparence, elle dévoile spontanément les multiples aspects du sacré. Le Ciel révèle directement, "naturellement", la distance infinie, la transcendance du dieu. La Terre, elle aussi est transparente: elle se présente comme mère et nourricière universelle. Les rythmes cosmiques manifestent l'ordre, l'harmonie, la permanence, la fécondité. Dans son ensemble, le Cosmos est à la fois un organisme réel, vivant et sacré: il découvre à la fois les modalités de l'Etre et de la sacralité."

Pour conclure cette brève intervention, l'ouvrage de Monsieur Albert Assaraf, dont le titre Le Sacré, une force quantifiable? annonce une assimilation du qualitatif au quantitatif, pourrait avantageusement s'intituler La Lumière est-elle obscurité?

Cela dit, attention à ne pas confondre l'"expérience" du sacré et la "force" qui irradie de l'objet sacré. L'une est, effectivement, impossible à définir comme il est impossible de définir ce que l'on ressent face au bleu du ciel ; l'autre, en revanche, comme l'explique Albert Assaraf, est parfaitement quantifiable suivant une échelle de force de 1 à 10, de la même manière que la longueur d'onde du bleu du ciel est parfaitement quantifiable.

[modifier] Utilisation courante

Le terme est parfois utilisé par extension, éventuellement par des non-croyants, pour qualifier des valeurs qui paraissent essentielles à une civilisation (exemple : Le respect de la propriété est une chose sacrée, etc.).

Il apparaît en ce sens dans la Marseillaise (hymne national de la France France)au 6e couplet :

Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs !
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs !

[modifier] Notes et bibliographie

  1. Émile Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912 — lire en ligne et Émile Durkheim - De la définition des phénomènes religieux[pdf] lire en ligne
  2. Mircéa Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1957, p. 17.
  3. Ibid., p. 18.
  4. Cf. Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, Payot, 1964, § 4
  5. Mircea Eliade, Le sacré…, op. cit., p. 12.
  6. Daniel Dubuisson, Mythologies du XXe siècle, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1993, p. 259.
  7. Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, Payot, 1964, p. 12.
  8. Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, Paris, Editions Babylone, 2006
  9. cf. Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, op. cit., p. 42.
  10. Mircea Eliade, Le sacré et le profane, op. cit., pp. 27-28.
wikt:

Voir « sacré » sur le Wiktionnaire.

René Guénon, "Le règne de la quantité et les signes des temps" éd. Gallimard 1994.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes