Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort

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Sébastien-Roch Nicolas, qui prit par la suite le nom de Chamfort, né à Clermont-Ferrand le 6 avril 1740 ou 1741 et mort à Paris le 13 avril 1794 est un poète et un moraliste français.

Sommaire

[modifier] Biographie

Selon ses biographes, Chamfort est le fils naturel de Jacqueline de Montrodeix, née Cisternes de Vinzelles, et de son chanoine. Pour Émile Dousset, il naît en 1740 dans la paroisse de Saint-Genès[1]. Déclaré de parents inconnus, il est alors été adopté par l'épicier François Nicolas et sa femme, Thérèse Creuzet ou Croizet[2], qui auraient, selon Joseph Epstein, perdu leur propre enfant, né le même jour que lui[3].

Selon des traditions plus anciennes, il serait né en 1741, fils d'une paysanne[4], ou d'une dame de compagnie d'une riche famille[5], et d'un père inconnu.

À partir de 1750, il fit ses études comme boursier au collège des Grassins à Paris, et remporta les premiers prix de l'Université. Il s'y montra un élève brillant mais fantasque, qui alla jusqu'à faire une fugue au cours de laquelle il pensa s'embarquer pour l'Amérique. On lui pardonna et il put terminer ses études.

II prit en entrant dans le monde le nom de « Chamfort », à la place, du simple nom de Nicolas qu'il avait porté jusque-là, se fit de bonne heure connaître par des prix de poésie remportés à l'Académie, donna au Théâtre-Français quelques comédies qui réussirent, et s'attacha pour vivre à diverses entreprises littéraires. Sa réputation le fit choisir par le prince de Condé pour être secrétaire de ses commandements; il devint ensuite en 1789 lecteur de Madame Elisabeth, sœur du roi. Avant la Révolution, il fut un des écrivains les plus apprécié par les salons parisiens, brillant et spirituel, il écrivit des pièces de théâtre. Initié à la Franc-maçonnerie en 1778, il fut élu à l'Académie française en 1781 au fauteuil no  6.

À l'été 1781, il entama une liaison avec Anne-Marie Buffon, veuve d'un médecin du comte d'Artois, un peu plus âgée que lui, qui fut le grand amour de sa vie. Au printemps 1783, le couple se retira dans un manoir appartenant à Madame Buffon, où celle-ci mourut brusquement le 29 août suivant.

Dévasté par l'événement, Chamfort écrivit ce poème, où transparaît sa douleur :

À celle qui n'est plus[6]
Dans ce moment épouvantable,
Où des sens fatigués, des organes rompus,
La mort avec fureur déchire les tissus,
Lorsqu'en cet assaut redoutable
L'âme, par un dernier effort,
Lutte contre ses maux et dispute à la mort
Du corps qu'elle animait le débris périssable;
Dans ces moments affreux où l'homme est sans appui,
Où l'amant fuit l'amante, où l'ami fuit l'ami,
Moi seul, en frémissant, j'ai forcé mon courage
À supporter pour toi cette effrayante image.
De tes derniers combats j'ai ressenti l'horreur;
Le sanglot lamentable a passé dans mon cœur;
Tes yeux fixes, muets, où la mort était peinte,
D'un sentiment plus doux semblaient porter l'empreinte;
Ces yeux que j'avais vu par l'amour animés,
Ces yeux que j'adorais, ces yeux que j'ai fermé!

Accueillant avec enthousiasme la venue de la Révolution française, il suivit les États généraux à Versailles. Engagé par Mirabeau comme rédacteur anonyme de son journal, il assista au serment du Jeu de Paume et applaudit à la prise de la Bastille. Éminence grise de Talleyrand et de Mirabeau, dont il rédigeait partiellement les discours et les rapports, il entra avec lui au Club des Trente. Lié à Sieyès, il trouve le titre de sa brochure : Qu'est-ce que le Tiers État?. Par ailleurs, plusieurs journaux l'accueillaient dans leurs colonnes, en particulier le Mercure de France.

Il entra, avec Talleyrand et Mirabeau, la Société de 1789, fondée par La Fayette en avril 1790, où il ne demeura qu'un an, avant de la quitter au moment de la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes, et rejoignit le Club des Jacobins, où il fut élu au Comité de correspondance, avec pour mission d'empêcher l'adhésion des filiales provinciales au Club des Feuillants.

Quand l'Assemblée constituante se sépara, il quitta les Jacobins et se présenta, en vain, à l'Assemblée législative, avant de se consacrer à la pulication des Tableaux de la Révolution française. À l'époque, il appelle à une radicalisation de la Révolution.

Opposé, comme Robespierre à la guerre contre l'autriche, il rallie cependant la Gironde, plus « par affinité de personne que par choix politique »[7]. Le 19 août 1792, le ministre de l'Intérieur, Jean-Marie Roland de La Platière le nomma bibliothécaire de la Bibliothèque nationale, cependant que Manon Roland l'accueillait dans son salon.

Pour s'être réjoui de la mort de Marat, il fut dénoncé le 21 juillet 1793 par un employé de la bibliothèque et emprisonné aux Madelonnettes, le 2 septembre, avec son neveu, l'abbé Barthélemy. Relâché deux jours plus tard sur ordre du Comité de sûreté générale, il demeura sous surveillance et tenta en vain de se disculper. Le 9 septembre, il démissionna de la Bibliothèque nationale.

Toutefois, de nouveau menacé d'arrestation, il essaya de se suicider, le 14 novembre et fut sauvé par une intervention chirurgicale. Il ne s'était pas remis de ses blessures quand, fin janvier 1794, les poursuites à son encontre furent abandonnées, et, très affaibli, s'éteignit le 13 avril suivant.

Il fit une carrière d'homme de lettres qui le conduisit à l'Académie, mais très tôt contracta une maladie vénérienne dont il ne guérit jamais véritablement et qui le tint dans un état valétudinaire tout le reste de sa vie.

L'œuvre la plus célèbre et la seule lue de Chamfort a été publiée en 1795 par son ami Pierre Louis Ginguené : Maximes et pensées, caractères et anecdotes, tirée des notes manuscrites qu'il avait laissées de Maximes et Pensées et de Caractères et Anecdotes. L'amertume de ces écrits annonce déjà Ambrose Bierce ou George Bernard Shaw. Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort souhaitait les publier sous le nom de Produits de la civilisation perfectionnée.

La mort de Chamfort représente le comble du suicide raté. Ne supportant l'idée de retourner en prison, il s'enferme dans son cabinet et se tire une balle dans le visage. Le pistolet fonctionne mal et, s'il perd le nez et une partie de la mâchoire, ne parvient pas à se tuer. Il se saisit alors d'un coupe-papier et tente de s'égorger mais malgré plusieurs tentatives ne parvient pas à trouver d'artère. Il utilise alors le même coupe-papier pour « fouiller sa poitrine » et ses jarrets. Épuisé, il perd connaissance. Son valet, alerté, le retrouvera dans "une mare de sang". Malgré tous ces efforts pour se supprimer, on parviendra à sauver Chamfort qui mourra quelques mois plus tard d'une humeur dartreuse.

[modifier] Quelques extraits

  • « Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne, voilà je crois, toute la morale. »
  • « C’est une vérité incontestable qu’il y a en France sept millions d’hommes qui demandent la charité, et douze millions hors d’état de la leur faire. »
  • « Dans le monde, vous avez trois sortes d'amis : vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent. »
  • « La plus perdue des journées est celle où l'on n'a pas ri. »
  • « En vivant et en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze »
  • « Donner est un plaisir plus durable que recevoir, car celui des deux qui donne est celui qui se souvient le plus longtemps »
  • « Si tu es soupçonné d'une faute que tes juges aient pu commettre, tu es un homme perdu »
  • « Tout homme qui à quarante ans n'est pas misanthrope n'a jamais aimé les hommes » (Sacha Guitry pastichera cette citation en remplaçant misanthrope et hommes par misogyne et femmes)
  • « Quiconque détruit un préjugé, un seul préjugé, est un bienfaiteur du genre humain »
  • « En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin » !
  • Le tsar Pierre 1er, étant à Spithead, voulut savoir ce que c'était que le châtiment de la cale qu'on inflige aux matelots. Il ne se trouva pour lors aucun coupable. Pierre dit : « Qu'on prenne un de mes gens. - Prince, lui répondit-on, vos gens sont en Angleterre, et par conséquent sous la protection des lois. »
  • Dans les malheurs de la fin du règne de Louis XIV, après la perte des batailles de Turin, d'Oudenarde, de Malplaquet, de Ramillies, d'Hochstet, les plus honnêtes gens de la cour disaient : « Au moins le roi se porte bien, c'est le principal. »
  • Un courtisan disait, à la mort de Louis XIV : « Après la mort du roi, on peut tout croire. »
  • A propos des choses de ce bas monde, qui vont de mal en pis, M... disait : « J'ai lu quelque part, qu'en politique il n'y avait rien de si malheureux pour les peuples que les règnes trop longs. J'entends dire que Dieu est éternel ; tout est dit. »
  • Un énergumène de gentilhommerie, ayant observé que le contour du château de Versailles était empuanti d'urine, ordonna à ses domestiques et à ses vassaux de venir lâcher de l'eau autour de son château.
  • Dans une dispute que les représentants de Genève eurent avec le chevalier de Bouteville, l'un d'eux s'échauffant, le chevalier lui dit : « Savez-vous que je suis le représentant du roi mon maître ? – Savez-vous, lui dit le Genevois, que je suis le représentant de mes égaux ? »
  • Un Français avait été admis à voir le cabinet du roi d'Espagne. Arrivé devant son fauteuil et son bureau : « C'est donc ici, dit-il, que ce grand roi travaille ! – Comment, travaille ! dit le conducteur : quelle insolence ! ce grand roi travailler ! Vous venez chez lui pour insulter Sa Majesté ! » Il s'engagea une querelle où le Français eut beaucoup de peine à faire entendre à l'Espagnol qu'on n'avait pas eu l'intention d'offenser la Majesté de son maître.

[modifier] Publications

Ses écrits les plus estimés au XIXe siècle selon le Dictionnaire Bouillet sont :

  • Éloge de Molière, couronné (1769) ;
  • Éloge de La Fontaine (1774) ;
  • La jeune Indienne ;
  • le Marchand de Smythe, comédies ;
  • Mustapha et Zéangir, tragédie.

Plusieurs de ses ouvrages se sont perdus, entre autres un Commentaire sur La Fontaine (il n'en a paru qu'une partie dans les Trois Fabulistes, 1796).

Ses œuvres ont été rassemblées :

Chamfort brillait surtout par l'esprit : on a fait sous le titre de Cliam-fortiana un recueil de ses bons mots, 1800.

[modifier] Sources

[modifier] Notes et références

  1. Émile Dousset, Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort, un moraliste du XVIIIe siècle et son temps, p. 16. Il rejette ainsi l'hypothèse d'une naissance au château des Vinzelles à Theix.
  2. Claude Arnaud, Chamfort : A Biography, et chapitre 1, p. 4-6.
  3. « Chamfort, an introduction » par Joseph Epstein, p. XI in Claude Arnaud, Chamfort : A Biography
  4. Artaud de Montor, Encyclopédie des gens du monde, Treuttel et Würtz, 1844, p. 351; François-Xavier Feller, Biographie universelle des hommes qui se sont fait un nom par génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, Paris & Lyon, J-B Pélagaud, 1867, tome 2, p. 446.
  5. Auguste Alexandre Ducrot, Le Correspondant, 1843, p. 506.
  6. Œuvres complètes de Chamfort, Paris Chez Maradan, 1812, tome II, p. 406
  7. C. Arnaud, Chamfort, 1988.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

  • Claude Arnaud, Deke Dusinberre, Joseph Epstein, Chamfort : À Biography, University of Chicago Press, 1992, 340 p. (ISBN 0226026973)
  • Émile Dousset, Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort, un moraliste du XVIIIe siècle et son temps , Fasquelle, 1943, 235 p.
  • P J Richard, Aspects de Chamfort, J. D'Halluin, 1959
  • Julien Teppe, Chamfort, sa vie, son œuvre, sa pensée, P. Clairac, 1950, 166 p.

[modifier] Liens externes


Précédé par
Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye
Fauteuil 6 de l’Académie française
1781-1794
Suivi par
Pierre-Louis Roederer