Robert Desnos

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Robert Desnos est un poète français né le 4 juillet 1900 à Paris, mort le 5 juin 1945 au camp de concentration de Theresienstadt en Tchécoslovaquie.

Sommaire

[modifier] Biographie

Enfant de Paris, Robert Desnos naît le 4 juillet 1900, dans le quartier des Halles où son père est mandataire.

Après le boulevard Richard Lenoir, sa famille habite rue Saint-Martin, puis rue de Rivoli. Ce Paris des artisans et des commerçants apparaîtra abondamment dans toute son œuvre. Ses rêveries sont nourries par le spectacle varié des images que lui offrent aussi bien les affiches que les illustrations de l'Épatant et de l'Intrépide ou les suppléments illustrés du Petit Parisien et du Petit Journal. Une mythologie enfantine prend corps, où se croisent les marins de Victor Hugo, les Indiens de Gustave Aimard et l'insaisissable Fantomas.

Avec le cinéma les aventures livresques deviennent presque réalité. De tout cela Desnos témoignera dans ses récits et ses critiques de films.

À son père qui souhaite lui voir faire des études pour embrasser une carrière commerciale, il oppose son désir farouche de devenir poète et arrête le collège, nanti du brevet. Mis en demeure d'assumer son choix, il vit tant bien que mal de petits boulots, se forge une vaste culture autodidacte et fréquente des jeunes gens dont il partage la révolte contre les massacres de la guerre qui s'éternise de 1914 à 1918, avec le soutien d'une bourgeoisie bien pensante dont Barrès ou Anatole France sont les porte-parole.

Ses premiers poèmes se font l'écho de ses découvertes littéraires — Apollinaire, Laurent Tailhade, Germain Nouveau, Baudelaire, Rimbaud. Certains sont publiés dans de petites revues comme des jeunes.

Malgré ses efforts, il ne réussit pas à entrer en contact avec les jeunes gens du mouvement Dada qui prônent la destruction systématique des valeurs et tentent de perturber le bon ordre social. À son grand désespoir, son service militaire à Chaumont puis au Maroc le tient éloigné de Paris en 1920-1921. Quand il rentre à Paris en 1921, les tapages Dada s'achèvent.


André Breton et Philippe Soupault ont déjà inventé « l'écriture automatique », forme d'expression aussi peu contrôlée que possible par la raison, quand Desnos fait son entrée dans le groupe surréaliste en 1922.

Aussitôt il s'impose par ses exceptionnelles capacités verbales et sa fougue à entrer dans les expériences les plus diverses. Non seulement il pratique sans effort l'écriture automatique mais, dans un état de sommeil proche de celui des médiums, il « parle surréaliste à volonté », le flot de ses paroles étant intarissable, fortement rythmé, les mots s'appelant par affinités sonores. Endormi, il répond aux questions des assistants, amorce des poèmes ou des dessins.

«  Le surréalisme est à l'ordre du jour et Desnos est son prophète », dit Breton. Desnos s'installe alors dans un vieil atelier de la rue Blomet, à Montparnasse, près du Bal Nègre qu'il fréquente assidûment.

Il voue une passion sans espoir à l'émouvante chanteuse Yvonne George, «  la mystérieuse » qui hante ses rêveries et ses rêves, et qui règne sur ses poèmes des « ténèbres ».

Ses activités de journaliste, son refus de se plier à toute discipline de groupe, qu'il s'agiosse de surréalisme ou d'engagement politique, son « narcissisme » que dénonce breton rendent ses rapports de plus en plus tendus avec ses compagnons surréalistes, jusqu'à la rupture en 1929.

Le recueil poétique Corps et bien (1930) fait le bilan de cette période qu'illustrent également les récits Deuil pour deuil (1924) et La liberté ou l'amour ! (1927).

Ses articles sur le cinéma et ses critiques de disques montrent combien il est sensible à ces nouveaux modes d'expression, qui apportent au rêveur solitaire la magie de l'image et la chaleur des voix.

En 1928, Man Ray réalise un court métrage L'Étoile de Mer sur un scénario proposé par Desnos, qui apparaît à la fin du film, accompagné de Kiki de Montparnasse.

Un voyage à Cuba en 1928 lui révèle la rumba, les sons, qui allient de façon vivante la poésie à la musique.

Comme le laissent penser The Night of loveless nights ou Siramour, longs poèmes écrits en 1927-1929 mais qui ne paraîtront que plus tard, cette prestigieuse période surréaliste s'achève pour Desnos de façon douloureuse. La mort de son « étoile » Yvonne George en 1929, la rupture avec Breton le renvoient à une solitude profonde.


Avec la crise mondiale de 1929 dont les effets se poursuivent au début des années trente, Desnos doit chercher des ressources sur le journalisme dans la presse écrite ne lui assurent plus.

Youhi Foujita partage désormais la vie du poète. Elle en est la « lumière », mais aussi le souci. Pour elle il écrit des poèmes aux allures de chanson.

Ce n'est qu'en 1933 que, grâce à Paul Deharme, il se lance dans une carrière radiophonique, où son imagination, son humour et sa parole chaleureuse vont faire merveille.

Le 3 novembre 1933, à l'occasion du lancement d'un nouvel épisode de la série Fantômas, il crée à Radio Paris Complainte de Fantômas où la complainte, sur une musique de Kurt Weil, ponctue une série de sketches qui évoquent les épisodes les plus marquants des romans d'Allain et Souvestre. Antonin Artaud qui assure la direction dramatique tient le rôle de Fantômas, tandis qu'Alejo Carpentier est responsable de la mise en onde sonore. Le succès est grand.

Desnos, au sein de l'agence Information et publicité, anime une équipe chargée à la fois d'inventer des slogans publicitaires et des émissions diffusées par le Poste parisien et Radio Luxembourg. Il cherche à la fois à faire rêver ses auditeurs grâce aux capacités suggestives de la radio et à les rendre actifs dans la communication en faisant appel à leurs témoignages.

C'est ainsi qu'en 1938 Des songes remporte un grand succès en reprenant à l'antenne des récits de rêves envoyés par les auditeurs.

Desnos vise à offrir une culture sans frontières : tous les pays du monde sont convoqués, la musique classique voisine avec les chansons populaires et les variétés, Pascal ou Leibniz ont leur place à côté des enquêtes sur les maisons hantées ou les dictons régionaux.

Desnos et Youki habitent rue Mazarine où chaque samedi ils accueillent leurs amis.

Dans cette période heureuse Desnos est conscient de la montée du fascisme en Europe ; la guerre d'Espagne le bouleverse. Faire front lui paraît nécessaire. Aussi, en compagnon de route, accepte-t-il de prêter son concours à des manifestations des Maisons de la culture, et donne-t-il des critiques de disques au journal communiste Ce soir.

Pris par l'activité radiophonique, il délaisse la poésie. Il publie Les Sans cou en 1934, invente des poèmes pour les enfants de ses amis et s'astreint en 1936 à écrire un poème chaque soir. Il cherche surtout à collaborer avec des musiciens : ainsi avec Darius Milhaud pour Pour l'Inauguration du musée de l'homme, avec Arthur Honegger ou Cliquet Pleyel pour des lyrics de film.


Mobilisé en 1939 Desnos fait la « drôle de guerre » convaincu de la légitimité du combat contre le nazisme. Il ne se laisse abattre ni par la défaite de juin 1940, ni par l'occupation de Paris, où il vit avec Youki. Son activité radiophonique ayant cessé, il devient journaliste à Aujourd'hui, journal rapidement soumis à la censure allemande mais où il réussit à publier, « mine de rien » selon son expression, des articles de littérature qui incitent à préparer un avenir libre. La lutte est désormais clandestine. Dès 1942, il fait partie du réseau Agir, auquel il transmet des informations confidentielles parvenues au journal, tout en fabriquant par ailleurs de faux papiers pour des Juifs ou des résistants en difficulté. Sous son nom ou sous le masque de pseudonymes, il revient à la poésie. Après Fortunes (1942) qui fait le bilan des années trente, il s'adonne à des recherches où poème, chanson, musique peuvent s'allier, avec les « couplets » d'État de veille (1943) ou les Chantefables (1944) « à chanter sur n'importe quel air ». Le Bain avec Andromède (1944), Contrée (1944), les sonnets en argot poursuivent, sous des formes variées, la lutte contre le nazisme, car « ce n'est pas la poésie qui doit être libre, c'est le poète ». En 1944, Le Veilleur du Pont-au-Change, signé Valentin Guillois, pousse son vibrant appel à la lutte générale, quand le poète est arrêté, le 22 février.

D'abord prisonnier au camp de Compiègne, il est déporté au camp de Flöha en Saxe, puis évacué sous la poussée des Alliés en mai 1945 au camp de Terezin en Tchécoslovaquie. Épuisé par les mauvais traitements et les marches forcées, il y meurt du typhus le 8 juin 1945, avec l'ultime réconfort d'être reconnu par Josef Stuna et Alena Tesarova, deux jeunes Tchèques qui assistaient les déportés mourants.

Ainsi Robert Desnos sortait-il de l'anonymat d'un simple numéro de matricule tatoué sur son bras. À peine la nouvelle de sa mort était-elle connue qu'une légende prit naissance. D'un poème qu'il avait écrit en 1926 J'ai tant rêvé de toi, la dernière strophe, à travers des traductions en tchèque et en français, devint pour la conscience collective l'ultime message du poète à la femme aimée sous le titre Le Dernier Poème. La voix de Robert Desnos résonne désormais dans un poème qui a cessé de lui appartenir pour devenir la voix de tous.


[modifier] Réclame et Fantomas

Il rédige de nombreuses réclames notamment pour la radio, ainsi que le feuilleton Fantomas et des notices pharmaceutiques.

Hostile au stalinisme, Desnos est un poète engagé. En 1928, il aide le romancier Alejo Carpentier à s'échapper de Cuba, où le tyran Machado l'avait emprisonné. Avec celui-ci, il sera l'un des pionniers de la création radiophonique en France. Dès 1934, il participe au mouvement frontiste et adhère aux mouvements d'intellectuels antifascistes. Il abandonne vite ses positions pacifistes, convaincu que, devant la montée des périls, la France doit se préparer à la guerre. Il est l'un des rares intellectuels français à partir au front par conviction. Ainsi écrit-il à sa femme Youki, en janvier 1940 : « J'ai décidé de retirer de la guerre tout le bonheur qu'elle peut me donner : la preuve de la santé, de la jeunesse et l'inestimable satisfaction d'emmerder Hitler. »

[modifier] Occupation

Durant l'Occupation, il continue à écrire dans la presse, notamment dans le quotidien fondé par Henri Jeanson Aujourd'hui. Quand ce journal prend une orientation collaborationniste, il décide d'y rester et d'essayer de continuer à utiliser sa plume de journaliste pour essayer d'inviter ses concitoyens à la dignité et à l'espoir. Cela, des critiques moqueuses par exemple de Louis-Ferdinand Céline, une gifle au collaborateur Alain Laubreaux (qui avait insulté Jean Marais) lui valent des inimitiés qui tentèrent de le faire passer pour juif, à une époque où cela équivalait à être déporté dans des camps d'extermination. Son activité journalistique lui permet surtout de couvrir ses activités de résistant actif : il est membre du réseau AGIR et de l’équipe des Éditions de Minuit, fondées par Vercors.

Le 22 février 1944, on l'avertit que la Gestapo va venir le prendre mais il refuse que ce soit Youki (qui se drogue à l'éther) qui subisse les représailles et éventuellement la torture. Il est incarcéré à Compiègne. Malgré les interventions de ses amis, parmi lesquels Georges Suarez, directeur d'Aujourd'hui, il sera déporté au camp de Flöha en Saxe, où il restera un an. Libéré, il s'éteint au camp de concentration de Térézin de misère, d’épuisement et du typhus, non sans nous laisser à travers sa correspondance avec sa femme Youki, encore une fois une leçon de courage, d'amour et de liberté. « Ce n'est pas la poésie qui doit être libre, c'est le poète ».

Robert Desnos est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris.

[modifier] Histoire d'un « dernier poème »

Après la guerre, est publié dans la presse française un « dernier poème de Desnos », qui apparaît comme l'essence même de la poèsie concentrationnaire :

J'ai tellement rêvé de toi
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi,
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres,
D'être cent fois plus ombre que l'ombre,
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée.

1945

En réalité, ce texte est le résultat d'une traduction approximative à partir du tchèque de la dernière strophe d'un poème de Desnos paru avant la guerre, J'ai tant rêvé de toi :

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant
Et de baiser sur cette bouche la naissance
De la voix qui m'est chère ?

J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
En étreignant ton ombre
A se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
Au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante
Et me gouverne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps
Sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé
A toutes les apparences de la vie
Et de l'amour et toi, la seule
qui compte aujourd'hui pour moi,
Je pourrais moins toucher ton front
Et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.

J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu'il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu'à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l'ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.

Corps et biens, 1930

Que s'est-il passé ? Desnos a-t-il recopié, comme on le dit parfois, ce poème de 1930, sur un morceau de papier d'emballage trouvé sur lui ? Puis, ce poème aurait paru dans la presse tchèque de la Libération ? Quoiqu'il en soit, ces deux versions se répondent en écho. Un poème d'amour prémonitoire, qui fait sa place à l'ombre et un bref poème de fin de vie, où l'ombre a pris le dessus.

[modifier] Robert le diable

En 1971, Jean Ferrat interprète Robert le diable, poème dédié par Louis Aragon à la mémoire de son ami tragiquement disparu. La chanson avait été créée, auparavant, par Christine Sèvres (1931-1981), alors épouse de Ferrat :

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne…

Poème de Louis Aragon et musique de Jean Ferrat : Ferrat chante Aragon, 1 CD, compilation, réédition 1992, Barclay RecordsChristine Sèvres, 1 CD, compilation, réédition 1994, Disques Temey.

[modifier] Des poèmes célèbres

La Fourmi, un des poèmes du recueil Chantefables et Chantefleurs, a été mis en musique, pour la première fois, par Joseph Kosma et enregistré par Juliette Gréco en 1950 :

Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.

Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.

Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.

Eh ! Pourquoi pas ?


Le Pélican

Le Capitaine Jonathan,
Étant âgé de dix-huit ans
Capture un jour un pélican
Dans une île d'Extrême-orient.

Le pélican de Jonathan
Au matin, pond un œuf tout blanc
Et il en sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.

Et ce deuxième pélican
Pond, à son tour, un œuf tout blanc
D'où sort, inévitablement
Un autre, qui en fait autant.

Cela peut durer pendant très longtemps
Si l'on ne fait pas d'omelette avant.


Extrait des Couplets de la rue Saint-Martin, État de veille (1942) :

Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin,
Je n'aime rien, pas même le vin.

Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
C'est mon ami, c'est mon copain.
Nous partagions la chambre et le pain,
Je n'aime plus la rue Saint-Martin.

[modifier] Œuvres

s:Accueil

Voir sur Wikisource : Robert Desnos.

  • Rrose Sélavy (1922-1923)
  • Le Pélican
  • L’Aumonyme (1923)
  • Langage cuit (1923)
  • Deuil pour deuil (1924)
  • La Liberté ou l'Amour (1927)
  • Les Ténèbres (1927)
  • Corps et biens (1930)
  • Sans cou (1934)
  • Fortunes (1942)
  • État de veille (1943)
  • Le vin est tiré (1943)
  • Contrée (1944)
  • Le Bain avec Andromède (1944)
  • L'Honneur des poètes (1943)
  • Chantefables et chantefleurs (1970), publication posthume
  • Destinée arbitraire (1975), publication posthume
  • Nouvelles-Hébrides et autres textes (1978), publication posthume
  • Rue de la Gaité / Voyage en Bourgogne / Précis de cuisine pour les jours heureux, œuvres illustrées par Lucien Coutaud (1947)
  • La Complainte de Fantômas (1954), publication posthume.
  • Le Veilleur du pont-au-change
  • Le Souci (1943)

[modifier] Bibliographie

  • Rosa Buchole, L'évolution poétique de Robert Desnos, Bruxelles, Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, 1956.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes et références