Révolte du papier timbré

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Un exemple d'un des premiers actes produit sur papier timbré  à Quimperlé (9 avril 1674, inventaire après décès rédigé par la juridiction de l'abbaye de Ste Croix de Quimperlé)
Un exemple d'un des premiers actes produit sur papier timbré à Quimperlé (9 avril 1674, inventaire après décès rédigé par la juridiction de l'abbaye de Ste Croix de Quimperlé)

La Révolte du papier timbré est une révolte antifiscale d’Ancien Régime, qui s’est produite dans l’ouest de la France, sous le règne de Louis XIV (d’avril à septembre 1675), et qui prit également un tour antiseigneurial en Basse-Bretagne, sous le nom spécifique de Révolte des Bonnets rouges. Elle est déclenchée par une hausse des taxes, dont celle sur le papier timbré, nécessaire pour les actes authentiques.

Elle est appelée révolte des Bonnets rouges pour sa partie bretonne, car certains insurgés portaient des bonnets bleus ou rouges selon la région, et également « révolte des Torreben » (« casse-lui la tête[1] »[2] »), un cri de guerre qui sert également de signature dans un des codes paysans.

Sommaire

[modifier] Contexte

[modifier] La guerre de Hollande

Louis XIV déclare la guerre aux Provinces-Unies en 1672. Mais, contrairement à la guerre de Dévolution, après une progression rapide, l’armée française est stoppée par les inondations volontaires des Hollandais, et la guerre s’éternise.

La flotte hollandaise menace les côtes françaises, et notamment la Bretagne, en croisant sur ses côtes en avril-mai (après une descente sur Belle-Île en 1673 et une autre sur Groix en 1674[3]), ce qui gêne le commerce breton.

Pour financer la guerre, de nouveaux impôts sont levés :

  • d’abord une taxe sur le papier timbré, en avril 1674, papier rendu obligatoire pour tous les les actes susceptibles d’être utilisés en justice (dont les testaments, contrats de vente et accessoirement, les registres d’état-civil), ce qui augmente le prix des actes pour les particuliers, tout en risquant de diminuer le nombre d’affaires pour les professionnels, d’où un mécontentement général ;
  • le 27 septembre 1674, la vente de tabac est réservée au roi, qui prélève une taxe et en afferme la vente. Les personnes autorisées à revendre le tabac (fermiers et commis) rachètent les stocks aux commerçants qui en vendaient auparavant. La réorganisation des circuits de vente entraine une interruption temporaire de la distribution de tabac à fumer et à chiquer, d’où une autre source de mécontentement ;
  • à la même période, une nouvelle taxe frappe tous les objets en étain (même achetés longtemps avant), ce qui mécontente les paysans aisés, ainsi que les cabaretiers qui répercutent la taxe, d'où une forte hausse sur les prix des consommations ;
  • enfin, une autre taxe, touchant moins de monde, oblige les roturiers possédant un fief noble à verser une taxe tous les vingt ans.

[modifier] Situation en Bretagne

Ces nouveaux impôts et ces menaces s’ajoutent à une situation économique difficile en Bretagne.

La Bretagne est alors très peuplée (environ 10 % de la population du royaume), et épargnée par les disettes et les épidémies depuis les années 1640[4]. Dans les années 1660-1670, elle entre dans une phase de difficultés économiques, largement liées aux premiers effets de la politique de guerre économique de Louis XIV, de l'augmentation sensible et simultanée des impôts, et de faiblesses structurelles [5] : par exemple, diminution des deux tiers du commerce du vin et des toiles d’après le duc de Chaulnes (surnommé "an hoc'h lart":le gros cochon, en breton[6] ), gouverneur de Bretagne[7], les revenus issus de la terre (fermages) diminuent eux aussi d’un tiers, entrainant une déflation généralisée, exceptée des offices[8].

De plus, le système du domaine congéable, qui régit les rapports d'une partie des paysans cultivant la terre et possesseurs, est archaïque, et conduit à une absence d’investissement et d’améliorations des méthodes de culture, aussi bien de la part des paysans que des seigneurs[9]. Ceux-ci, par contre, devant la baisse de leurs revenus depuis 1670, exigent de façon plus pointilleuse leurs autres droits (voir réaction seigneuriale). Mais ce point de vue est contesté par Jean Meyer[10] qui dit que la superposition de la carte de la révolte avec les régions de domaine congéable est « douteuse ». On peut en effet remarquer que des paroisses hors domaine congéable se soulèvent, alors que d'autres, qui en font partie, ne se soulèvent pas. On peut ajouter que la suppression du système n'est pas abordée dans les codes qui nous sont parvenus.

La révolte est très souvent menée par des femmes. À cette époque, la législation royale est de plus en plus draconienne à l'encontre des femmes, tous leurs droits sont diminués, aussi bien leurs droits économiques que civils (elle ne peuvent plus choisir leur époux par exemple)[11]. Ceci heurte dans un pays où la femme occupe traditionnellement une place très importante, et on en trouve mention dans les codes paysans.

Enfin la Bretagne est un Pays d'États, où l’impôt sur le sel, la gabelle n'existe pas, et où les nouveaux impôts doivent être acceptés par les États depuis l’acte d'Union de la Bretagne à la France. En 1673, les États avaient, outre un don gratuit de 2,6 millions de livres, acheté la suppression de la Chambre des domaines (qui privaient certains nobles de droit de justice) pour la même somme[12] et racheté les édits royaux instituant les nouveaux impôts, plus diverses autres dépenses en faveur du pouvoir royal pour un total énorme de 6,3 millions de livres[13]. Un an après, les mêmes édits sont rétablis, sans consultation des États[14]. Et c'est par le Parlement de Bretagne que Louis XIV fait enregistrer la taxe sur le papier timbré en août 1673, et la taxe sur le tabac en novembre 1674 [15], au mépris des « libertés bretonnes » (c'est ainsi que les Bretons de l'époque appelaient leurs privilèges en vertu du Traité d'union de la Bretagne à la France[16]).

Les nouvelles taxes touchent plus les paysans et le petit peuple des villes que les privilégiés[17], et font craindre une introduction de la gabelle. Tout cela crée un large front de mécontentement contre la brutalité inédite de l'État royal[18].

[modifier] Déroulement

[modifier] Émeutes urbaines

Le soulèvement débute à Bordeaux : du 26 au 30 mars, la ville est aux mains des émeutiers. Les garnisons insuffisantes empêchent César d’Albret, gouverneur de la ville, de rétablir l’ordre, les bourgeois refusent la levée des milices. À partir du 29, les paysans des environs arrivent à Bordeaux pour prêter main-forte aux émeutiers. Le parlement de Bordeaux rend un arrêt de suspension des nouvelles taxes sous la pression populaire. La nouvelle atteint rapidement Rennes et Nantes qui se soulèvent début avril ; d’autres villes du sud-ouest se soulèvent également pour les mêmes raisons (émeutes à Bergerac les 3 et 4 mai[19], etc.). Le 6 avril, le roi fait une déclaration d’amnistie pour les émeutes de Bordeaux, son gouverneur n’ayant pas les moyens de reprendre la ville en main.

En Bretagne, les émeutes urbaines réellement spontanées se limitent aux deux grandes villes, Rennes et Nantes[20]. Partout le schéma est le même : les bureaux de papier timbré ou de marquage de la vaisselle en étain sont pillés, des affrontements ont lieu au cri de Vive le roi sans la gabelle ! Un premier soulèvement a lieu à Rennes le 3 avril, mais le calme est vite ramené par le procureur au Parlement. Une nouvelle émeute a lieu le 18 avril (au moins dix morts), qui se propage le lendemain à Saint-Malo, où les troubles sont "légers" d'après Auguste Dupouy[21], ce qu'il explique par le fait que "les Terre-Neuvas étaient partis ou en partance", puis le 23 à Nantes, et à nouveau le 3 mai à Rennes et Nantes. D'autres villes sont touchées: Guingamp, Fougères, Dinan, Morlaix[22].

Les milices bourgeoises sont peu fiables, et passent quelquefois à l’émeute. Le 8 juin, les troupes envoyées pour ramener le calme provoquent la colère de Nantes (sous l’Ancien Régime, toute troupe est logée chez l’habitant, à sa charge : or, Nantes comptait parmi ses privilèges l’exemption du logement des gens de guerre), durant trois jours (9 au 11 juin) : le duc de Chaulnes est assiégé dans son manoir, mais donne l’ordre de ne pas tirer, puis fait évacuer les troupes. Il subit des humiliations si importantes (insultes, absence de possibilité de réaction, l’évêque est pris en otage et échangé contre une émeutière prisonnière le 3 mai) qu’il cache, à partir de la fin juin, la réalité de l’agitation au roi dans ses rapports[23]. Une dernière fois, le bureau du papier timbré est mis à sac le 19 juillet à Rennes.

[modifier] Soulèvement dans l' Ouest de la Bretagne

L’exemple des villes est suivi, à partir du 9 juin, par les campagnes de Basse-Bretagne : la révolte connait plusieurs foyers, de la baie de Douarnenez à Rosporden, Briec et Châteaulin. Les 3-4 juillet, la révolte atteint les environs de Daoulas et Landerneau, le 6 elle est aux alentours de Carhaix, le 12 de Brasparts à Callac et Langonnet[24], et une dernière vague se manifeste les 27-28 aux alentours du Faouët, à Lanvénégen par exemple, à l'occasion du pardon de Saint-Urlo. Les villes ne participent pas, mais sont attaquées : Pontivy est prise le 21 "par 2000 paysans qui absorbent ou répandent le contenu de 400 muids de la ferme des devoirs", mais délivrée "par ses bourgeois" le 21 juin [25],; le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, est obligé de s’abriter à Port-Louis.

Les paysans se révoltent lorsque se répand le bruit que la gabelle va être introduite dans la province. La jacquerie éclate au milieu de la zone du domaine congéable, précisément là où ce régime est le plus dur[26]. Le duc de Chaulnes reconnait que « les seigneurs chargent beaucoup [les paysans] ». Les châteaux sont assiégés et pillés, ainsi que les bureaux du papier timbré ou des devoirs (taxe sur les boissons), les nobles attaqués et tués (le bilan est difficile à établir).

Le maximum de violence est atteint fin juillet-début août dans le Poher, où Carhaix et Pontivy, villes non-fortifiées, sont attaquées et pillées. Les paysans sont commandés dans cette région par un notaire, Sébastien Le Balp. Début septembre, il investit et pille, avec 600 Bonnets Rouges, le château du Tymeur et en brûle tous les papiers et archives. Il est tué par surprise d'un coup d'épée par Charles Maurice de Percin, marquis de Montgaillard, son prisonnier, la nuit du 3 septembre, la veille du soulèvement général prévu. Sa mort met fin à l'insurrection.

[modifier] Les codes paysans

Les paysans révoltés établissent des codes et règlements, sous plusieurs noms (code paysan, pessovat – ce qui est bon –...). On en connaît 8. Ils préfigurent, par leur contenu, les cahiers de doléances de la Révolution française. Le Règlement des 14 paroisses, probablement établi à l'église Notre-Dame de Tréminou, est le plus connu. Il semble prendre la place de différents textes antérieurs[27]. Rédigé en français, il engage les habitants de quatorze paroisses et doit être affiché aux carrefours et lu lors des sermons du dimanche (comme les proclamations royales). Il ne remet pas en cause le régime politique, mais demande que les paysans soient représentés aux États provinciaux (article 1); appelle au retour au calme et à la fin des violences (articles 2 et 3), mais la ville de Quimper et les paroisses environnantes sont menacées de blocus si elles ne ratifient pas le code (article 13) ; au nom de la liberté armorique, il proclame l’abolition des droits de champart et corvée prétendus par les gentilhommes (article 4), mesures des plus audacieuses, le champart étant la principale ressource des seigneurs ; cet article reflète aussi la dégradation récente de la situation paysanne devant l’augmentation des exigences seigneuriales, allant au-delà du droit et des coutumes[28]. Dans les articles suivants (6 à 9), les demandes sont surtout anti-fiscales, une exigence de justice et d’arrêt des abus est faite, mais dans le cadre de la justice seigneuriale (article 10), donc sans remise en cause du système existant. L’article 5 demande même des mariages mixtes entre nobles et paysans, avec le droit pour les femmes nobles de choisir leur mari (le droit des femmes à choisir leur mari avait été aboli sous le règne de Louis XIV). L'article 11 est également notable, avec une demande d'interdiction de la chasse entre le 1er mars et la mi-septembre.

[modifier] Reprise en main et répression

Toutes les villes fortifiées forment autant d’îlots de résistance (Concarneau, Pont-l'Abbé, Quimper, Rosporden, Brest et Guingamp). Dans cette dernière ville, trois émeutiers, dont une femme, sont pendus[29]. La « punition » commence à Nantes, où les troupes séjournent trois semaines, et où le meneur Goulven Salaün, un valet de cabaret bas-breton, est pendu. Les missionnaires, notamment Julien Maunoir et les jésuites sont aussi utilisés, et font hésiter de nombreux paysans, ce qui permet d’attendre l’arrivée des troupes. Celles-ci arrivent fin août, et opèrent à partir d’Hennebont et Quimperlé. À Combrit, 14 paysans sont pendus au même chêne [30]. Les chefs capturés sont exécutés après avoir été torturés. La campagne dure tout le mois de septembre.

En France, dans l' Aquitaine et la Gascogne, l’arrivée des troupes et leur séjour de quelques semaines suffit généralement à ramener le calme. À Bordeaux, le parlement revient sur son arrêt de suspension des taxes le 18 novembre : la ville est punie par l’obligation d’accueillir dix-huit régiments durant l’hiver (les soldats et les officiers étaient logés chez l’habitant, à la charge complète de la ville[31]), ce qui aurait coûté près d’un million de livres à la ville[32]. De plus, le château Trompette est agrandi et sa garnison augmentée, ce qui augmente le pouvoir symbolique et militaire du roi sur la ville, qui voit par ailleurs la porte Sainte-Croix (au sud de la ville) détruite. Autre mesure symbolique : les cloches des églises Saint-Michel et Sainte-Eulalie sont confisquées

En Bretagne, le bilan de la répression est difficile à chiffrer, en effet le roi ordonne la destruction de toutes les archives judiciaires concernant la rébellion et, de ce point de vue, cette répression reste la moins connue de toutes les grandes rébellions du XVIIIe siècle[33], et aucune étude de fond sur le sujet n'a été menée.

Pour Delumeau, la promesse d’amnistie est assez largement appliquée et la répression reste mesurée et moins de 80 des chefs passèrent en justice[34], le duc de Chaulnes ne croyant pas à l'efficacité d'une répression féroce[35]. De nombreuses personnes recherchées s’enfuient à Paris ou à Jersey. La répression est également peut-être moins forte que souhaitée par crainte de l'isolement des soldats en pays de bocage[36]. D’autres auteurs, s’appuyant sur d'autres éléments [37], jugent que la répression a été féroce. C’est le cas de J. Cornette[38], c'est également le cas de Garlan et Nières (1975), dans leur conclusion revue en 2004[39].

Les principaux responsables sont envoyés devant une commission extraordinaire du parlement, les présidiaux pouvant juger exceptionnellement en dernier ressort, ce qui aboutit à de rapides condamnations à mort. Dès octobre 1676, des condamnations aux galères[40] et à la peine de mort[41] sont prononcées envers les responsables.

Les communautés villageoises sont sommées de livrer les meneurs sous peine de représailles collectives, les cloches ayant sonné le tocsin sont déposées et plusieurs églises sont décapitées avec interdiction de les remonter [42]. Le 12 octobre, le duc de Chaulnes entre à Rennes, avec 6000 hommes, logés chez l’habitant (voir dragonnades) : durant un mois, la ville subit les violences de la troupe, puis d’autres prennent leurs quartiers d’hiver. Les habitants de la rue Haute sont expulsés, un tiers de la rue est démolie. Le parlement est exilé à Vannes le 16 octobre (exil qui dure jusqu’en 1690 et ne peut retourner à Rennes que contre un subside extraordinaire au roi de 500.000 livres[43], tout comme le parlement de Bordeaux, exilé à Condom le 22 novembre, puis à Marmande et La Réole (lui aussi ne revient à Bordeaux qu’en 1690)[44]. Toute résistance politique à l’absolutisme est annihilée. Les États de Bretagne acceptent l’année suivante une augmentation du don gratuit de 15 %, et toutes les demandes financières ultérieures du gouvernement, sans oublier les gratifications aux ministres, en particulier à Colbert et sa famille.

La Bretagne doit subvenir entièrement aux besoins des troupes de répression, puis d’une armée de 20 000 hommes (ce dernier point en représailles aux doléances des États de novembre 1675)[45].

Le 5 février 1676 (enregistré le 2 mars par le Parlement), Louis XIV accorde son amnistie, avec plus de 150 exceptions réparties dans presque toute la Basse-Bretagne (voir le document:[1]).

[modifier] Les transactions

La résolution de la révolte est aussi judiciaire. En juillet 1675, les insurgés de vingt paroisses de Scaër à Berrien, avaient assiégé et pillé le château du Kergoët, en Saint-Hernin, près de Carhaix. Le propriétaire, Le Moyne de Trévigny, seigneur du Kergoët, était réputé lié à ceux qui avaient amené en Bretagne les impôts du timbre et du tabac. Une transaction entre les paroisses et Le Moyne de Trévigny est approuvée par les États de Bretagne en octobre 1679.

En août 1675, sept habitants de Plomeur sont mandatés pour traiter avec Monsieur du Haffont pour le dédommager du pillage de son manoir situé à Plonéour-Lanvern. La transaction aboutit à un accord devant notaire. Un accord semblable est passé avec les habitants de Treffiagat. En juin 1676, les sommes dues sont réduites de moitié. Le mois suivant, des habitants de Plonéour-Lanvern et de Plobannalec sont mis en demeure de fournir 8 tonneaux de grains pour remplacer le blé pillé. En 1692, le fils de Monsieur du Haffont, décédé entre-temps, se plaint de n'avoir toujours pas reçu un sou de dédommagement. D'autres contentieux de ce type traîneront devant les tribunaux jusqu'en 1710 au moins[46].

[modifier] Bilans historiques

L’ampleur de la révolte est exceptionnelle pour le règne de Louis XIV :

« Ce qui se passe (…) est tout bonnement inouï dans le contexte de l'époque. Concevables à l'époque de Louis XIII, les événements ne le sont plus depuis l'arrivée au pouvoir de Louis XIV, et restent d'ailleurs absolument uniques, à l'échelle du royaume, entre la Fronde et 1789, si l'on excepte bien entendu le cas très particulier des camisards cévenols. »
    — Alain Croix[47]

Durant le règne de Louis XIV, c’est la révolte où les autorités locales ont le plus laissé faire les émeutiers. Ceux-ci sont certes spontanés, mais s’organisent rapidement, et rallient des groupes de plus en plus larges au sein de la société. À coté du pillage, on observe, ce qui est singulier, des prises d’otages et la rédaction de revendications[48].

Arthur Le Moyne de La Borderie voit dans la révolte du papier timbré une révolte anti-fiscale contre les nouveaux impôts. Il récuse par contre les explications et les propos du duc de Chaulnes qui rapporte les « mauvais traitements » des gentilshommes bretons envers les paysans. Il explique que la colère des paysans révoltés se tournent contre les nobles pour deux raisons : ils constituent pendant longtemps la seule force de maintien de l'ordre disponible dans les campagnes, et leurs châteaux servent de cibles, faute d'agents du fisc[49].

Enfin, il rapproche certaines observations faites en 1675 (« les passions mauvaises, les idées extrêmes et subversives qui fermentent nécessairement dans toutes les masses révoltées » qui en arrivent « au communisme et aux violences contre les prêtres ») des événements survenus durant la Commune de Paris : « Tant il est vrai que rien n'est nouveau sous le soleil et que les passions populaires, une fois affranchies du frein social, se précipitent d'un seul bond au gouffre de la barbarie », en citant le curé de Plestin (« Les paysans se croyaient tout permis, réputaient tous biens communs, et ne respectaient même plus leurs prêtres: en certains lieux, ils voulaient les égorger, en d'autres, les expulser de leurs paroisses ») : pour lui, la révolte de 1675 est aussi un épisode de la lutte des classes.

L’historien soviétique Boris Porchnev a travaillé essentiellement sur le riche fonds Séguier, qu’il avait à sa disposition à Léningrad. Il décrit lui aussi cette révolte comme anti-fiscale, temps fort de la lutte des classes, mais il en élargit les causes à une révolte contre les prélèvements des seigneurs fonciers (nobles et ordres religieux). Il propose également une analyse patriotique bretonne de ce soulèvement en citant un article de N. Ia. Marr[50] qui fait un parallèle entre la situation des Bretons en France et les « allogènes » caucasiens en Russie tsariste. Boris Porchnev écrit:« Le rattachement définitif de la Bretagne à la France, confirmé par les États de Bretagne, avait eu lieu en 1532. Peut-on parler d'asservissement national et de lutte de libération nationale des Bretons, étant donné que la noblesse bretonne s'était déjà entièrement francisée et que, au fond, seuls demeuraient Bretons les paysans ? La réponse est contenue dans l'état actuel du problème breton en France. En dépit d'une dénationalisation continue d'une partie des Bretons, ce problème demeure typique des "minorités nationales" et ne saurait être résolu dans les conditions d'un régime bourgeois »[51] . Boris Porchnev s'appuie sur un article de N. Ia. Marr "Le parler de la minorité nationale bretonne" qui fait un parallèle entre la situation des Bretons en France et les "allogènes" caucasiens en Russie tsariste où il écrit:« C'est un problème de minorité nationale, à moins qu'on ne le désigne, comme il l'eut fallu, carrément national... Mais quel que soit le nom qu'on donne à la question bretonne: nationale, minorité nationale ou allogène, à notre avis, il est douteux qu'elle puisse être résolue à l'amiable ou, plutôt, une solution à l'amiable n'aboutirait à rien. Une lutte est en vue dont les éléments actifs viendront des masses laborieuses de la population de Bretagne, des paysans unis à la classe ouvrière et de leur intelligentsia. [52] Boris Porchnev conclut: "Nous trouvons justement dans le XVIIème siècle les racines historiques lointaines de cette lutte". » [53] Enfin, pour lui, la révolte de 1675 annonce 1789.

Pour Alain Croix, la révolte est un affrontement entre la bourgeoisie et ses alliés d'une part, l'Ancien Régime d'autre part, comme lors de la Révolution française, « à une échelle différente. La pression en faveur du changement est modeste en Bretagne, et l'originalité de la situation de la province l'isole de toute manière dans le vaste royaume de France : il n'y a d'ailleurs pas ailleurs l'équivalent des révoltes de 1675 »[54]. Il lie également la révolte aux différences de l’économie bretonne, maritime et ouverte au commerce, et de l’économie française, aux intérêts continentaux[55].

Roland Mousnier met également en avant l’archaïsme du système seigneurial breton comme cause de la révolte, qu’il juge essentiellement anti-fiscale[56].

[modifier] Conséquences à moyen et long terme

Outre la réduction au silence des États et du parlement, la reprise en main permet également l’établissement d’une Intendance de Bretagne (la Bretagne était la dernière province à ne pas connaître cette institution représentante du pouvoir central) que les États de Bretagne avaient jusqu'alors toujours réussi à éviter[57].

La Bretagne entière est ruinée en 1679 par l'occupation militaire selon les États[58].

En Basse-Bretagne, les zones révoltées sont aussi celles qui furent favorables aux Bleus lors de la Révolution française, et qui virent la crise la plus importante des vocations religieuses au XIXe siècle. Elles correspondent également aux zones du « communisme rural breton », ainsi qu'aux zones où la langue bretonne est la plus vivante[59].

Un pardon, célébré le quatrième dimanche de septembre en l'église Notre-Dame de Tréminou, commémore cet épisode de l'histoire bretonne.

[modifier] L'image des Bonnets rouges de nos jours

Dans les années 1970, la révolte des Bonnets rouges a été présentée comme une étape de la lutte du peuple breton pour son émancipation[60]. C’est dans cette optique « régionaliste » que se situe la pièce de théâtre de Paol Keineg, Le Printemps des Bonnets rouges (1975). Le Parti communiste organise une fête à Carhaix afin de célébrer le tricentenaire de la révolte.

En décembre 2005, le préfet du Finistère refuse l'installation d'un panneau touristique[61], présentant la ville de Carhaix, sur le bord de la route nationale, au motif qu’il s’y trouve la représentation d'un insurgé de la Révolte des Bonnets rouges.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Bibliographie

  • Jean Bérenger. La révolte des Bonnets rouges et l’opinion internationale, article paru dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome LXXXII, n°4, 1975, p 443-458
  • Léon de la Brière, Madame de Sévigné en Bretagne, Éditions Hachette, Paris, 1882;
  • Serge Duigou, La Révolte des Bonnets rouges en pays bigouden, Éditions Ressac, Quimper, 1989;
  • Serge Duigou, Les coiffes de la révolte, Éditions Ressac, Quimper, 1997.
  • Serge Duigou, La révolte des pêcheurs bigoudens sous Louis XIV, Editions Ressac, Quimper, 2006.
  • Yves Garlan et Claude Nières, Les révoltes bretonnes de 1675, Éditions Sociales, Paris, 1975;
  • (br) Loeiz Herrieu et autres, Istoér Breih pe Hanes ar Vretoned , Dihunamb, Lorient, 1910, 377 p. (pages 247 à 250).
  • Charles Le Goffic, Les Bonnets rouges , La Découvrance, 2001;
  • Jean Lemoine, La Révolte du Papier timbré ou des Bonnets rouges, Plihon, Rennes, H. Champion , Paris, 1898;
  • (br) Ober, Istor Breizh betek 1790 ;
  • Armand Puillandre, Sébastien Le Balp - Bonnets rouges et papier timbré , Éditions Keltia Graphic- Kan an Douar, Landelo-Speied, 1996.
  • Pour resituer un cadre plus général, voir Roland Mousnier, Fureurs paysannes, Paris : 1967, ou Jean Nicolas, La Rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris : Seuil, 2002.

[modifier] Sources

  • Boris Porchnev , Les buts et les revendications des paysans lors de la révolte bretonne de 1675, paru dans Les Bonnets Rouges, Union Générale d'Éditions (collection 10/18), Paris, 1975 ;
  • Arthur Le Moyne de La Borderie , La Révolte du Papier Timbré advenue en Bretagne en 1675, réédité dans Les Bonnets Rouges, Union Générale d'Éditions (collection 10/18), Paris, 1975 ;
  • Joël Cornette. Histoire de la Bretagne et des Bretons, tome 1, Paris : Seuil, 2005.
  • James B. Collins, La Bretagne dans l'État royal, Presses universitaires de Rennes, 2006.

[modifier] Notes

  1. Garland (Yvon) et Nyères (Claude), Les Révoltes bretonnes. Rébellions urbaines et rurales au XVIIe siècle, p. 75 : « le mot breton torr e benn signifie "casse-lui la tête" ; on se servait pour cela du bâton à grosse tête appelé penn bazh »
  2. Joël Cornette, dans son Histoire de la Bretagne et des Bretons, tome 1, Paris : Seuil, 2005, traduit par « Casse-tête » ; mais p 615, il donne une autre traduction avec « c'est-à-dire sous peine d'avoir la tête cassée »
  3. Jean Delumeau. Histoire de la Bretagne. Toulouse : Éditions Privat, 1969, réédité en 2000. p 292
  4. Alain Croix. La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles, p. 283-350
  5. Croix (Alain), article « Bonnets rouges » in Dictionnaire du patrimoine breton (sous la direction d'Alain Croix et Jean-Yves Veillard), Editions Apogée, 2000, p.152
  6. (br)Istoér Breih pe hanes ar Vretoned (p. 248)
  7. Depping. Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV. Paris, 180, tome 1 p 498
  8. Yves Garlan et Claude Nières, Les révoltes bretonnes de 1675, Éditions Sociales, Paris, 1975, p 26-27
  9. Joël Cornette, op. cit., p. 229
  10. Jean Meyer et R. Dupuy, « Bonnets rouges et blancs bonnets », Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, Tome 82, 1975, pp. 405-426
  11. J.B. Collins, p. 308
  12. Cornette, p 606
  13. James B. Collins, p. 242.
  14. Histoire de la Bretagne et des pays celtiques, Skol Vreizh, tome 3, p. 104.
  15. Croix (Alain), L'Âge d'or de la Bretagne, Ouest-France Université, 1993, p. 521
  16. Voir James B. Collins, p. 180, et textes des codes paysans.
  17. Collectif, Histoire de la Bretagne et des pays celtiques, Skol Vreizh, tome 3, p. 104.
  18. J. Cornette, op. cit., p. 607
  19. Charles Durand. La révolte du papier timbré advenue à Bergerac en 1675, paru dans Bulletin de la société historique et archéologique du Périgord, tome XXI (1894), p 389-404
  20. Jean Delumeau. Histoire de la Bretagne, p 291
  21. Auguste Dupouy, Histoire de Bretagne, p. 262, Éditions Boivin, 1932, réédité par Éditions Calligrammes, Quimper, et Édtions Ar Morenn, Le Guilvinec, 1983
  22. (br)Istoér Breih pe hanes ar Vretoned (p. 249)
  23. Olivier Chaline. op. cit., p 323-324
  24. Le 14 juillet, le tambour rassembla les paroissiens de Langonnet qui marchèrent sur l'abbaye à la suite de quelques exaltés, bien décidés à exiger du seigneur abbé levée de tous ses droits sur la population. Les moines jugèrent prudent de signer une transaction avec leurs vassaux, et l'orage fut apaysé, Henri Guiriec, La Région de l'Ellé -Bas et Haut Ellé, p.75
  25. Auguste Dupouy, Histoire de Bretagne, p. 265, Éditions Boivin, 1932, réédité par Éditions Calligrammes, Quimper, et Édtions Ar Morenn, Le Guilvinec, 1983
  26. Joël Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, tome 1, p 612
  27. Garlan & Nières, Les révoltes bretonnes p. 70-78
  28. Joël Cornette, , Histoire de la Bretagne et des Bretons, tome 1, p 618
  29. La révolte du papier timbré advenue en Bretagne en 1675
  30. Collectif, Histoire de la Bretagne et des pays celtiques, Skol Vreizh, tome 3, p. 110.
  31. Dix-huit régiments, dont dix de cavalerie, font leur entrée le 17 novembre à Bordeaux :
    • départ le 29 novembre : Roure (cavalerie) et Navarre (infanterie) ;
    • départ le 1er décembre : Fiumarcon (dragons), Rivarol et Villeneuve (cavalerie) et Schomberg-Cavalerie, Castres (infanterie) et Schomberg-Infanterie
    • départ le 11 décembre : régiment de Champagne (infanterie)
    • départ le 12 décembre : La Rabilière (cavalerie)
    • départ le 31 décembre : Tessé (dragons), Le Bret, Lahas et Lachau (cavalerie)
    • départ le 10 janvier : Normandie et La Marine (infanterie)
    • départ le 29 mars : Navaille (infanterie)
    • départ le 30 mars : Sault (infanterie).
    Liste dans Archives historiques de la Gironde, tome 41. 1906. p 256
  32. Olivier Chaline, op. cit., p 323-324
  33. Collins (James B.), La Bretagne dans l'État royal, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 249-250.
  34. Delumeau, Histoire de la Bretagne, p 292
  35. Olivier Chaline. op. cit., p 325
  36. Jean Croix, article '"Bonnets rouges" dans Dictionnaire du patrimoine breton, Editions Apogée, 2000, p 153.
  37. Chaulnes écrit au roi « Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins du poids qu'on leur donne », une lettre de Mme de Sévigné
  38. Joël Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, Seuil, 2005, tome 1, p 624, note 37.
  39. « Le pouvoir (…) punit certes (…) les élites (…) mais se montra beaucoup plus sévère à l'égard des paysans révoltés. Notre publication d'un jugement du siège présidial d'Hennebont montre bien que, quand le duc de Chaulnes écrivait: « Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins du poids qu'on leur donne », ce n'était pas une simple « amplification rhétorique », même si c'était une « phrase malheureuse » (Mousnier)
  40. Armand Puillandre, Sébastien Le Balp - Bonnets Rouges et papier timbré , p. 87
  41. Armand Puillandre, Sébastien Le Balp - Bonnets Rouges et papier timbré , pp. 88 et 89
  42. Croix (Jean), article « Bonnets rouges » dans Dictionnaire du patrimoine breton, Editions Apogée, 2000, p. 153.
  43. La Borderie dans Les Bonnets rouges, 10/18, p. 155 et 161.
  44. Olivier Chaline. op. cit., p 321
  45. «Le roi décide de remplacer les troupes envoyées pour mater la révolte par une armée de 20000 hommes, à la charge de la province pour la durée de l'hivernage» Quéniart (Jean), La Bretagne au XVIIIe siècle, Ouest-France Université, 2004, p. 19
  46. Serge Duigou, La Révolte des Bonnets rouges en pays bigouden, Éditions Ressac, Quimper, 1989
  47. Alain Croix dans L'âge d'or de la Bretagne 1532-1675 Ouest-France Université, 1993, p.522
  48. Olivier Chaline. op. cit., p 326
  49. La révolte du papier timbré advenue en Bretagne en 1675
  50. Le parler de la minorité nationale bretonne, dans Œuvres choisies, vol. IV, p. 211 (en russe)
  51. Boris Porchnev, Les buts et les revendications des paysans lors de la révolte bretonne de 1675
  52. N. la. Marr : (Euvres choisies. . vol. IV, p. 211 (en russe)
  53. Boris Porchnev, Les buts et les revendications des paysans lors de la révolte bretonne de 1675
  54. Alain Croix, op. cit. p. 536
  55. Alain Croix, op. cit. p.533
  56. Mousnier, Fureurs paysannes, 1967
  57. Quéniart (Jean), La Bretagne au XVIIIe siècle Ouest-France Université, 2004, p.19 et sq.
  58. J.B. Collins, p. 240 (4e remontrance) les mouvements de troupes ont ruiné la province entières. Ils sont particulièrement préoccupés par les dégâts causés dans les grandes "bourgades" et les villages.
  59. Le Coadic (Ronan), Campagnes rouges de Bretagne, Skol Vreizh, 1991, p. 4 et sq.
  60. Joël Cornette, op. cit., p. 604
  61. Voir le panneau interdit.
Bon article La version du 28 avril 2007 de cet article a été reconnue comme « bon article » (comparer avec la version actuelle).
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