Réforme de l'orthographe allemande de 1996

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Signe de nom de rue à Aix-la-Chapelle appliquant la dernière réforme orthographique de l'allemand.
Signe de nom de rue à Aix-la-Chapelle appliquant la dernière réforme orthographique de l'allemand.

La réforme de l'orthographe allemande de 1996 (en allemand Rechtschreibreform), en vigueur depuis la mi-1998 et obligatoire depuis juillet 2005, est destinée à simplifier l'apprentissage de l'orthographe allemande. Elle concerne des domaines variés : les Fremdwörter (mots d'emprunt), les mots composés, les irrégularités orthographiques, la césure, la capitalisation, la virgule.

Sommaire

[modifier] Histoire

En 1980 le Cercle de travail international pour l'orthographe fut fondé qui accueillit des linguistes allemands, autrichiens et suisses. Deux Conversations de Vienne eurent lieu en 1986 et 1990 et y furent invités des représentants des pays et régions germanophones. En 1992, le Cercle publia ses propositions de réforme et la troisième Conversation de Vienne de 1994 en recommanda officiellement l'adoption. Le 1er juillet 1996, l'Allemagne, la Suisse, l'Autriche et le Liechtenstein s'engagèrent à adopter la réforme. Toutefois, le Luxembourg, dont l'une des langues officielles est l'allemand, n'a pas apposé sa signature à la réforme.

Avalisée par l'unanimité des Länder allemands, cette réforme est entrée en vigueur en Allemagne le 1er août 1998. L'ancienne graphie devait y rester valable — mais déconseillée — jusqu'au 31 juillet 2005.

En 1997, une commission interétatique pour l'orthographe allemande fut créée. Sur l'ordre des ministres de l'éducation des Länder, elle avait pour mission d'accompagner l'introduction de nouvelles règles et de clarifier des cas de doutes éventuels. Son successeur est le Rat für deutsche Rechtschreibung (Conseil pour l'orthographe allemande) qui a commencé son travail le 17 décembre 2004. Il a élaboré des recommandations de modifications, surtout dans les domaines des mots composés et de la capitalisation. Dans nombre de cas ces modifications signifient un retour vers l'ancienne graphie.

Le 2 mars 2006, les ministres de l'éducation des Länder ont approuvé les recommandations du conseil.

[modifier] Changements concernant la graphie

Nota : dans les exemples, l'ancienne graphie est indiquée entre parenthèses à titre de comparaison.

  • Le ß (= ss) s'emploie uniquement après une voyelle longue ou une diphtongue. bisschen (bißchen) Fass (Faß) du musst (du mußt)

    mais toujours

    Grüße bloß beißen

    Ce changement ne concerne pas la Suisse, qui avait déjà aboli le ß dans les années 1930.

  • L'orthographe de certains mots dérivés est rapprochée de la racine, et celle de mots de la même famille est homogénéisée. On notera que le changement en profite pour utiliser, le cas échéant, une consonne double après les voyelles courtes.
    ''essenziell'' à partir de ''Essenz'' (''essentiell'')
    ''aufwändig'' à partir de ''Aufwand''  (''aufwendig'' restera possible)
    ''nummerieren'' comme ''Nummer'' (''numerieren'')
    ''Tipp'' comme ''tippen'' (''Tip'')
    ''platzieren'' comme ''Platz'' (''plazieren'')
    
  • L'orthographe de certains mots « difficiles » est simplifiée par homologie
    ''Känguru'' comme ''Gnu'', ''Karibu'' (''Känguruh'')
    ''rau'' comme ''genau'', ''blau'' (''rauh'')
    
  • Trois consonnes consécutives dans les mots composés ne sont jamais réduites à deux :
    ''Geschirrrückgabe'' (ou alternativement ''Geschirr-Rückgabe'') de ''Geschirr''+''Rückgabe'' (''Geschirrückgabe'')
    ''Stofffarbe'' (ou ''Stoff-Farbe'') de ''Stoff''+''Farbe'' (''Stoffarbe'')
    
  • Certaines graphies alternatives sont acceptées
    ''Albtraum'' (''Alptraum'')
    
  • Un certain nombre de Fremdwörter (mots d'origine étrangère) sont germanisés, mais la graphie traditionnelle reste valable
    'Delfin'' (''Delphin'')
    ''Krepp'' (''Crêpe'')
    ''Tunfisch'' (''Thunfisch'')
    ''Jogurt'' (''Joghurt'')
    ''Fonologie'' (''Phonologie'')
    

[modifier] Capitalisation

Le but est de rendre logique la capitalisation : les substantifs prennent systématiquement la majuscule et les autres entités grammaticales sont (si possible) écrites en minuscules.

  • Les adjectifs ordinaux substantivés s'écrivent avec la majuscule :
    ''der Dritte'' (''der dritte'')   
    
  • Les substantifs dans les expressions figées prennent la majuscule :
    ''des Weiteren'' (''des weiteren'')
    ''im Allgemeinen'' (''im allgemeinen'')
    ''in Acht nehmen'' (''in acht nehmen'')
    
  • Les noms de langues avec préposition prennent la majuscule : auf Dänisch (auf dänisch)
  • Les adjectifs dans les expressions qui forment un nom, sans toutefois être une entité à part entière (notamment un titre honorifique, un nom de race ou d'espèce, un événement historique ou un jour spécial), prennent la minuscule :
    ''erste Hilfe'' (''Erste Hilfe'')
    ''das schwarze Brett'' (''das Schwarze Brett'')
    ''die schwarze Magie'' (''die Schwarze Magie'')
    ''die schwarze Messe'' (''die Schwarze Messe'')
    

    mais toujours

    ''der Nahe Osten''
    ''der Zweite Weltkrieg''
    ''Erster Bürgermeister''
    
  • Les adjectifs tirés de noms propres prennent normalement la minuscule : das ohmsche Gesetz ou, alternativement, das Ohm'sche Gesetz (das Ohmsche Gesetz)
  • Les pronoms personnels dans les lettres prennent la minuscule :
    ''du'' (''Du'')
    
  • Les noms de moments de la journée prennent toujours la majuscule :
    ''heute Abend'' (''heute abend'')
    ''gestern Abend'' (''gestern abend'')
    
  • Après le deux-points, la capitalisation est libre

[modifier] Séparation en plusieurs mots

S'écrivent en plusieurs mots

  • Les verbes dont la particule est un nom, un infinitif, un participe ou un adverbe :
    ''Rad fahren'' (''radfahren'')
    ''kennen lernen'' (''kennenlernen'')
    ''auseinander gehen'' (''auseinandergehen'')
    
  • Les verbes dont la particule est un adjectif que l'on peut modifier (par ex. préfixer de ganz ou le mettre au comparatif) :
    ''fern(er) liegen'' (''fernliegen'')
    

    mais toujours

     ''fernsehen'' (''fernsehen'')
    
  • Les participes dont l'infinitif s'écrit en plusieurs mots :
       ''allein erziehend'' < ''allein erziehen'' (''alleinerziehend'')
    
  • Certaines expressions figées :
    ''im Stande sein'' (''imstande sein'')
    ''in Frage Stellen'' (''infrage stellen'', encore valable)
    

Le trait d'union

  • peut être utilisé dans les mots composés pour en simplifier la lecture :
    ''Irak-Krieg'' (''Irakkrieg'')
    ''Geschirr-Rückgabe'' (''Geschirrückgabe'', mais ''Kaffee-Ersatz'')
    
  • doit être utilisé pour relier nombres et lettres :
    ''28-jährige'' (''28jährige'')
     ''4-fach''     (''4fach'')
    

[modifier] Utilisation de la virgule

La virgule devient optionnelle

  • entre propositions reliées par und et oder :
    ''Ich trinke und er redet Käse.'' (''Ich trinke, und er redet Käse.'')
    
  • pour séparer une proposition infinitive :
    ''Ich versuche es zu machen.'' (''Ich versuche, es zu machen.'')
    

    Toutefois elle doit être gardée pour lever les ambigüités :

    ''Er empfiehlt, ihr zu helfen.''
    ''Er empfiehlt ihr, zu helfen.''  
    

[modifier] Césure

  • La césure se fait par syllabe :
    ''da-rum'' (avant : ''dar-um'')
    ''Lis-te'' (avant : ''Li-ste'')
    
  • La syllabe ck ne se coupe plus :
    ''We-cker'' (avant : ''Wek-ker'')
    

[modifier] Polémique

Une polémique enfle, en Allemagne, au sujet de la réforme. Dès 1998, le Land de Schleswig-Holstein avait voté le retour à l'orthographe classique. Le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung prit une décision similaire en 2000. En août 2004, ce fut au tour des éditeurs Spiegel et Springer, ainsi qu'au journal Süddeutsche Zeitung d'annoncer similaire intention ; le ministre-président de la Bavière et chef du parti démocrate-chrétien CSU, Edmund Stoiber, se déclara défenseur de l'ancienne orthographe.

Les détracteurs de la réforme pointent différents problèmes
  • Les incohérences de la réforme, notamment :
    • la suppression, par exemple, du ph en faveur de f dans les Fremdwörter mais pas d'autres irrégularités : Orthografie ;
  • la perte étymologique dans les Fremdwörter : Portmonee renseigne peu sur son origine ;
  • les règles sur la capitalisation : die Übrigen/die anderen ;
  • la classification fautive de certains mots : dans es tut mir leid, leid n'est pas un substantif mais bien un adjectif, pourtant la réforme exige de le capitaliser (es tut mir Leid) ;
  • l'incohérence de la césure We-cker (avant Wek-ker). Le ck, lettre double, appartient aux deux syllabes (Silbengelenk). La nouvelle césure laisserait croire que la première syllabe est ouverte, donc longue ;
  • la production d’ambiguïtés : badengehen, "subir un échec", et baden gehen, "aller se baigner", s'écrivent tous deux baden gehen ;
  • l'invention de nouveaux mots en guise d'un changement orthographique : nummerieren s'ajoute à numerieren (encore correct). De plus, certains ajouts (Zierrat) se prononcent différemment de leur ancienne orthographe (Zierat) ;
  • le caractère arbitraire et « anti-démocratique » de certaines simplifications, l'évolution naturelle de la langue devant être seule à la source des réformes orthographiques ;
  • la nécessité de « traduire » les auteurs allemands pour les écoliers et lycéens ou alors le risque qu'ils apparaissent vieillis ;
  • la difficulté des parents, formés à l'ancienne graphie, à aider leurs enfants.
Les défenseurs de la réforme soutiennent en revanche
  • qu'une bonne partie des difficultés orthographiques ont été supprimées ;
  • qu'un retour à l'orthographe classique occasionnerait à nouveau des coûts importants pour les collectivités publiques et les entreprises ;
  • qu'un retour à l'orthographe classique serait source de confusion pour les écoliers, formés à la nouvelle orthographe ;
  • qu'elle a permis de retirer la compétence linguistique à une entreprise privée, pour la remettre aux États.
  • qu'une partie des critiques sont infondées : que baden gehen signifie à la fois "subir un échec" (avant badengehen) et "aller se baigner" (avant baden gehen) était déjà le cas dans certaines formes conjuguées (ich gehe baden) ; aussi aucune nouvelle ambigüité réelle n'a été ajoutée.

Il semble que, au-delà des arguments techniques, la controverse soit alimentée par des raisons sentimentales. Cela procède non seulement d'un attachement à la langue et à ses finesses, mais d'une résistance symbolique à la réforme, dans un contexte où un nombre important d'Allemands s'estiment lésés par les réformes économiques et sociales du gouvernement rouge-vert de Gerhard Schröder, ou, au contraire, d'une volonté tout aussi symbolique de modernisation.