Paul Celan

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Paul Celan, traducteur et écrivain, est peut être le plus grand poète de langue allemande de l'après-guerre, composant une œuvre absolument innovante, consciente de venir après l'événement majeur de l'extermination des juifs d'Europe.

Son nom d'écrivain est l'anagramme de son patronyme Ancel (en roumain), ou Antschel (en allemand)[1]. Paul Celan est né le 23 novembre 1920 au sein d'une famille juive allemande à Cernăuţi (Czernowitz en allemand, Chernivtsi en ukrainien), capitale historique de la province moldave de Bucovine dans l'Empire austro-hongrois (depuis la fin du XVIIIe siècle, redevenue roumaine en 1918, soviétique après l'entrée de l'Armée rouge dans la région en 1944, puis ukrainienne après 1991. Paul Celan est probablement mort à Paris le 20 avril 1970 après s'être jeté dans la Seine, son corps étant retrouvé le 1er mai.

Sommaire

[modifier] Le contexte de sa jeunesse

Il est le seul fils d'une famille juive de Cernăuţi, Bucovine, région faisant alors partie de la Roumanie reunifiée (voir Grande Roumanie). Ses parents, d'origine allemande, Leo Antschel-Teitler et Friederike née Schrager, parlent allemand à la maison. Depuis le XVIIIe siècle, la Bucovine a été une province de l’empire des Habsbourg autrichiens jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918. La communauté multi-ethnique de Cernăuţi, comme celle des autres grandes villes de la région, était à l'époque constituée à peu près de 30% de Roumains (orthodoxes), 30% d’Ukrainiens (orthodoxes), et 30% de juifs ashkenazes (selon un recensement de 1911).

En août 1940, les troupes soviétiques, suite au Pacte germano-soviétique entre l'URSS et l'Allemagne nazie, entrèrent en Bucovine et occupèrent Cernăuţi. En 1941, les Roumains récupérèrent la Bucovine du Nord, participant à l'offensive lancée par les allemands contre l'URSS dirigée à l'époque par le dictateur communiste Staline.

Après la Seconde Guerre mondiale, la partie nord de la Bucovine, entre les fleuves Dniestr et Prut, et qui comprend Cernăuţi, baignée par le Prut, a été annexée par l’Union soviétique, et se trouve de nos jours en Ukraine.

[modifier] Sa vie

À six ans, il suit les cours d'une école élémentaire libérale en langue allemande, et est envoyé ensuite à l'école juive Safah Ivriah. Après sa Bar Mitsva en 1933, Celan rejoint un groupe de jeunesse antifasciste, qui publie un magazine marxiste l'Étudiant rouge. Il étudie ensuite la médecine en 1938 en France, mais retourne en Roumanie, à l’université de Cernăuţi, pour étudier la littérature de langue romane.

En 1942, ses parents qui refusent de se cacher, sont envoyés dans un camp d’internement en Transnistrie (qui était, avant 1940, une autre région de la Roumanie, et reprise en 1941), où, selon certaines sources, son père meurt de typhus et où sa mère est abattue d'une balle dans le dos.

En 1943, Paul est envoyé dans un camp de travail forcé en Moldavie. Il est libéré par les Russes en 1944, change son nom en Paul Aurel, Paul Ancel, et finalement Paul Celan, et vit à Bucarest comme traducteur et éditeur.

En 1947, il quitte la Roumanie pour Vienne en Autriche où il publie son premier livre Le sable des urnes (Der Sand aus den Urnen). Il s’installe finalement à Paris, où il est professeur d'allemand à l'École normale supérieure.

En 1952, il épouse l’artiste Gisèle de Lestrange (catholique), qu'il avait rencontré en 1951, et pour laquelle il a écrit plus de 700 lettres en 19 ans, correspondance publiée en 2001 avec l'aide de son fils Eric. Il écrivit aussi une importante correspondance à une autre femme aimée, Ingeborg Bachmann, qui n'a pas été encore publiée.

Ses premiers poèmes datent de 1940, dans différents périodiques, mais son deuxième livre, Mohn und Gedächtnis (Pavot et mémoire, 1952) assoit sa réputation de poète de l'Holocauste, d'abord en Allemagne, puis dans le monde entier. Son poème le plus connu, Todesfuge (Fugue de la Mort) a pour thème le sort des juifs dans les camps d'extermination.

Il reçoit le prix de littérature de Brème, et considère avec ses amis poètes René Char, Edmond Jabès et Nelly Sachs, que le langage doit se libérer de l'Histoire, et doit être utilisé pour mettre des mots qui répondent au silence imposé sur la situation terrible qu'il a vécu. Ses vers deviennent alors de plus en plus cryptés, fracturés et monosyllabiques, se comparant en cela à la musique de Webern. Toute la poétique de Celan tient dans son impératif, à la fois moral et esthétique, de créer ce qu'il appelait une "contre-langue", qui consistait en une mise en accusation implacable et définitive de la langue et de la culture allemandes dont la Shoah était l'aboutissement (cf : Jean Bollack, "Poésie contre poésie", PUF, 2001).

La fausse accusation de plagiat de l'œuvre d’Yvan Goll mené par sa femme Claire Goll le conduit à la dépression nerveuse. Claire Goll fit une campagne de diffamation contre Paul Celan tout le long de sa vie. Il traduisit en effet des poèmes de Yvan Goll. Il traduisit aussi des textes de Jean Cocteau, Henri Michaux, Ossip Mandelstam, Giuseppe Ungaretti, Fernando Pessoa, Arthur Rimbaud, Paul Valéry, René Char, Emil Cioran, André du Bouchet, et Jacques Dupin.

Il reçoit le prix Georg Büchner en 1960, et prononce pour l'occasion un magnifique discours Le Méridien où il présente à travers une lecture du théâtre de Büchner ce que sont pour lui l'art et la poésie.

Il est interné plusieurs fois à partir de 1965 dans un asile psychiatrique, d'où il écrit quelques textes en hébreu.

Il rencontre en 1967 à Todtnauberg le philosophe Martin Heidegger. Il attendit de lui une parole pour les juifs exterminés qui n'est pas venue. Ce silence lui a inspiré le poème Todtnauberg.

Il visite Israël en 1969.

Paul Celan se jette dans la Seine dans la nuit du 19 au 20 avril 1970. On ne retrouvera son corps que le 1er mai.

La mort de ses parents dans les camps nazis et son propre passage dans un camp de travail l'ont profondément marqué. À la fois témoin et victime du nazisme, il contredit la fameuse parole d’Adorno, philosophe post-marxiste, selon laquelle « il ne peut plus y avoir de poésie après Auschwitz »[2].

[modifier] Notes

  1. L'origine de son nom serait le yiddish אַנְשֶׁעל (Anshel), diminutif de l'hébreu אָשֵׁר ʾĀšēr (Ascher), un prénom à l'origine. Ce prénom est porté par un des fils de Jacob et nomme ainsi l'une des douze tribus d'Israël. Ce prénom vient de l'hébreu "Osher" qui signifie heureux. Le yiddish Anshel qui s'écrit en polonais Anczel a été germanisé Antschel. Lorsque Celan est allé à Bucarest en 1945, le nom fut adapté à la graphie roumaine Ancel.
  2. La contradiction n'est sans doute qu'apparente. Adorno comprenait la poésie telle qu'elle a existé en Europe jusqu'au 19e siècle, en tant que loisir, divertissement, prose rimée. Les poèmes de Paul Celan ne cherchent pas à enjoliver, ou à être agréables. Selon ses mots, ils veulent simplement "dire" les choses, le plus "précisément possible" (cf. Le Méridien).

[modifier] Fin de la Fugue de la mort / Todesfuge

(…)
Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland
wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken
der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau
er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau
ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete
er hetzt seine Rüden auf uns er schenkt uns ein Grab in der Luft
er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister aus Deutschland

dein goldenes Haar Margarete
dein aschenes Haar Sulamith

(traduction de l'allemand)

(...)
Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
nous te buvons à midi la mort est un maître d’Allemagne
nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons
la mort est un maître d’Allemagne son œil est bleu
il te touche d’une balle de plomb il te touche juste
un homme habite dans la maison tes cheveux d'or Marguerite
il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel
il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne

tes cheveux d'or Marguerite
tes cheveux de cendre Sulamith

NOTA: La Fugue de la mort fait partie du recueil Pavot et mémoire publié en 1952.

[modifier] Œuvre

[modifier] Les huit recueils publiés

  • Der Sand aus den Urnen / Le sable des urnes, Vienne 1948, publié sous le nom Paul Antschel
  • Mohn und Gedächtnis / Pavot et mémoire, 1952
  • Von Schwelle zu Schwelle / De seuil en seuil, 1955
  • Sprachgitter / Grille de parole 1959
  • Die Niemandsrose / La rose de personne, 1963
  • Atemwende / Changement de souffle, 1967
  • Fadensonnen / Soleils à tisser, 1968
  • Lichtzwang / Force de lumière, 1970

[modifier] La prose

  • Der Meridian / Le Méridien, 1961 (Discours prononcé à la remise du Prix Georg Büchner en 1960)
  • Gespräch im Gebirg / Entretien dans la montagne

[modifier] Les deux recueils posthumes

  • Schneepart (posthume), 1971
  • Zeitgehöft / L'enclos du temps (posthume), 1976

[modifier] Traductions en français

[modifier] Parmi les 8 recueils publiés

  • Pavot et mémoire, trad. Valérie Briet, Christian Bourgois, 1987.
  • De seuil en seuil, trad. Valérie Briet, Christian Bourgois, 1991.
  • Grille de parole, trad. Martine Broda, Christian Bourgois, 1991.
  • La Rose de personne, trad. Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979.
  • Renverse du souffle, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Seuil, 2003.
  • Soleils de fils jamais traduit intégralement (en préparation)
  • Contrainte de lumière, trad. Bertrand Badiou et Jean-Claude Rambach, Belin, « L’extrême contemporain », 1989.

[modifier] Parmi les deux recueils posthumes

  • Schneepart (1971, posthume), poèmes, trad. André du Bouchet, Mercure de France, 1978 (rééd. 1986).
  • Enclos du temps, trad. Martine Broda, Clivages, 1985.

[modifier] Choix de poèmes

  • Poèmes, trad. John E. Jackson, Unes, 1987.
  • Strette et autres poèmes, trad. Jean Daive, Mercure de France, 1990.
  • Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Gallimard, « Poésie », 1999.

[modifier] La prose

  • Entretien dans la montagne, Verdier (2001)

Le Méridien et autres proses, Le Seuil (2003)

[modifier] Correspondance

[modifier] Les destinataires

A déjà été publié, en allemand et en français, en partie ou totalité, la correspondance avec :

  • Nelly Sachs
  • Franz Wurm
  • Erich Einhorn
  • sa femme Gisèle Celan-Lestrange et son fils Eric
  • Hanne et Hermann Lenz
  • Diet Kloos-Barendregt
  • Peter Szondi
  • Ilana Shmueli

Correspondance non publiée avec :

  • Ingeborg Bachmann

[modifier] Publications allemandes

  • Paul Celan - Nelly Sachs Briefwechsel, hrsg. von Barbara Wiedemann, Frankfurt/Main 1993
  • Paul Celan - Franz Wurm Briefwechsel, hrsg. von Barbara Wiedemann in Verbindung mit Franz Wurm, Frankfurt/Main 1995
  • Paul Celan - Erich Einhorn:"Einhorn: du weißt um die Steine...", Briefwechsel, Berlin 1999
  • Paul Celan - Gisèle Celan-Lestrange Briefwechsel, Mit einer Auswahl von Briefen Paul Celans an seinen Sohn Eric, Aus dem Französischen von Eugen Helmlé, hrsg. und kommentiert von Bertrand Badiou in Verbindung mit Eric Celan, Anmerkungen übersetzt und für die deutsche Ausgabe eingerichtet von Barbara Wiedemann, Erster Band: Die Briefe, Zweiter Band: Kommentar, Frankfurt/Main 2001 (Rezension [1])
  • Paul Celan - Hanne und Hermann Lenz Briefwechsel, hrsg. von Barbara Wiedemann in Verbindung mit Hanne Lenz, Frankfurt/Main 2001
  • Paul Celan:"Du mußt versuchen, auch den Schweigenden zu hören" - Briefe an Diet Kloos-Barendregt, Handschrift - Edition - Kommentar, hrsg. von Paul Sars unter Mitwirkung von Laurent Sprooten, Frankfurt/Main 2002
  • "Paul Celan. Die philosophische Bibliothek. La bibliothèque philosophique", Catalogue raisonné des annotations établi par Alexandra Richter, Patrik Alac, Bertrand Badiou, Editions Rue d´Ulm/Presses de l’École normale supérieure, Paris 2004. ISBN 2-7288-0321-8
  • Paul Celan - Peter Szondi Briefwechsel. Mit Briefen von Gisèle Celan-Lestrange an Peter Szondi und Auszügen aus dem Briefwechsel zwischen Peter Szondi und Jean und Mayotte Bollack, hrsg. von Christoph König. Frankfurt/Main 2005. ISBN 3-518-41714-2

[modifier] Publications françaises et traductions

  • Paul Celan-Nelly Sachs, Correspondance, trad. Mireille Gansel, Belin, « L’extrême contemporain », 1999.
  • Paul Celan / Gisèle Celan-Lestrange, Correspondance, éditée et commentée par Bertrand Badiou avec le concours d’Éric Celan, Le Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 2001.
  • Paul Celan / Ilana Shmueli, éditée, commentée et traduite par Bertrand Badiou, le seuil, "La Librairie du XXIe siècle", sept.2006

[modifier] Mise en musique

Songbook (1991), textes chantés par Ute Lemper sur une musique de Michael Nyman

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens internes

[modifier] Liens externes