Patrocle

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Dans la mythologie grecque, Patrocle (en grec ancien Πάτροκλος / Pátroklos ou Πατροκλῆς / Patroklễs, littéralement « la gloire (κλέος / kléos) du père (πατήρ / patếr) ») est un des guerriers grecs de la guerre de Troie, principalement décrit dans l'Iliade.

Dans le récit homérique, Patrocle est l'ami intime d'Achille (et non son cousin, comme le prétend le film Troie), qu'il accompagne à Troie. Quand les Troyens menacent d'envahir le camp grec, il supplie en vain le héros de reprendre les armes, mais obtient la permission de mener lui-même les Myrmidons au combat. Il parvient à mettre en déroute l'ennemi, mais finit par trouver la mort de la main d'Hector. Fou de douleur, Achille reprendra les armes.

L'amitié de Patrocle et d'Achille est proverbiale. À partir du Ve siècle av. J.-C., les deux jeunes gens deviennent également un symbole des relations pédérastiques, dont se réclament par exemple Alexandre le Grand et Héphaestion.

Nestor et Patrocle sur le manuscrit de l'Iliade de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan (Ve siècle)
Nestor et Patrocle sur le manuscrit de l'Iliade de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan (Ve siècle)

Sommaire

[modifier] Éléments homériques

[modifier] Avant la guerre

Fils de Ménœtios, il est envoyé par son père en Phthie, où il devient le compagnon d'Achille, plus jeune que lui de quelques années. Il est présent, en même temps que son père et Achille, au moment où Nestor vient recruter à la cour de Pélée des guerriers pour l'expédition contre Troie. Invité en même temps que le Péléide, Achille, à partir, Patrocle accepte. Son père lui adresse alors les conseils suivants :

« Achille, par la race, est au-dessus de toi, mon fils ;
Mais il est ton cadet, même s'il t'est supérieur,
À toi de lui parler avec sagesse, de l'instruire
Et de le diriger : il verra bien ce qu'il y gagne[1]. »

[modifier] À Troie

Patrocle, par Jacques-Louis David (1780)
Patrocle, par Jacques-Louis David (1780)

Patrocle est l'écuyer d'Achille (θεράπων / therápôn). L'Iliade hésite quant à son rôle exact : le chant XVII montre les chevaux du Péléide pleurant la mort de leur « brave conducteur[2] », puis Automédon le décrit comme le plus doué à manier ces chevaux[3]. Cependant, Ulysse dans l'Odyssée[4] et Achille lui-même au chant XIX déclarent que le Péléide a pour habitude de conduire lui-même son char. D'autres indices laissent supposer que Patrocle va au combat sur un char séparé, et se bat ensuite aux côtés d'Achille. Il sert également de messager à ce dernier : c'est lui que le Péléide envoie, au chant XI, s'enquérir auprès de Nestor de l'identité du blessé ramené dans le camp achéen. De même, au chant II, c'est Patrocle qui, sur la demande d'Achille, va chercher Briséis pour la remettre à Ulysse. Quand Nestor vient, accompagné de Phœnix, pour implorer Achille de retourner au combat, il prépare le vin et la nourriture pour les invités.

Quand Achille en colère se renferme dans sa tente après son différend avec Agamemnon, Patrocle cesse également le combat. Au chant XVI de l'Iliade (surnommé Πατρόκλεια / Patrókleia, « la Patroclée »), alors que les Troyens supplantent les Grecs et menacent de mettre le feu aux nefs, Achille autorise Patrocle à emprunter ses armes et à aller combattre à la tête de ses Myrmidons. Au cours de son aristie, Patrocle abat plusieurs guerriers, dont Sarpédon, fils de Zeus, avant de rencontrer Hector, guidé par Apollon. Le dieu, enveloppé dans une nuée, frappe Patrocle dans le dos. Patrocle est ensuite blessé, toujours dans le dos, par Euphorbe fils de Panthoos, qui s'enfuit aussitôt en courant. Enfin, Patrocle est achevé par Hector, qui lui enlève ses armes. Ménélas et Ajax le Grand protègent le corps et le rendent à Achille, qui décide alors de reprendre les armes pour venger Patrocle.

Thétis, mère d'Achille, fait boire à Patrocle du nectar et de l'ambroisie pour éviter que son cadavre ne se corrompe. Pendant ce temps, Achille rencontre Hector et le vainc. Il offre ensuite aux Grecs, en l'honneur de Patrocle, un festin à l'issue duquel le mort lui apparaît et le supplie de brûler son cadavre au plus tôt. Le lendemain matin, Achille fait édifier un bûcher pour Patrocle, coupe sa chevelure, sacrifie des bœufs et des moutons, des chiens et des chevaux, ainsi que douze jeunes nobles Troyens.

[modifier] Jeux funéraires

Groupe Pasquino, représentant peut-être Ménélas portant le corps de Patrocle, copie romaine d'après un original hellénistique, Loggia dei Lanzià Florence
Groupe Pasquino, représentant peut-être Ménélas portant le corps de Patrocle, copie romaine d'après un original hellénistique, Loggia dei Lanzià Florence

Après l'incinération de Patrocle, Achille organise des jeux en son honneur, comportant :

  • Une course de char : elle est remportée par Diomède, qui emporte le premier prix d'une esclave et d'un trépied, Antiloque arrive second (en trichant), Ménélas est troisième, Mérion quatrième et Eumélos dernier. Achille adjuge le second prix à celui-ci.
  • Une épreuve de pugilat, remportée par Épéios qui gagne une mule.
  • Une épreuve de lutte, disputée par Ajax le grand et Ulysse. Achille les juge à égalité.
  • Une course à pied, remportée par Ulysse, qui gagne un cratère en argent. Ajax arrive second et reçoit un bœuf, Antiloque troisième, et reçoit un demi-talent d'or, prix prévu initialement, et un deuxième talent d'or pour avoir habilement flatté la course d'Achille aux pieds infatigables.
  • Une hoplomachie (combat en armes), disputée par Diomède et Ajax. Achille les juge à égalité : ils se partagent le poignard, le fourreau et le baudrier de Sarpédon, et Diomède reçoit en sus un poignard de Thrace.
  • Une épreuve de lancer du disque, remportée par Polpœtès, qui gagne le disque lui-même, en fer brut.
  • Une de tir à l'arc, remportée par Mérion, qui gagne dix doubles haches en fer. Teucros, perdant, reçoit dix haches simples.
  • Une de lancer du javelot, qui n'est en fait pas disputée. Achille arrête les deux candidats, Agamemnon et Mérion, en disant que tous savent que l'Atride est le plus fort. Celui-ci remporte un vase, et Mérion un javelot en bronze.

Consignés au livre XXIII de l'Iliade, ces jeux, à l'instar de ceux organisés par Alcinoos dans l'Odyssée, sont l'un des témoignages les plus anciens concernant le sport en Grèce antique.

[modifier] Éléments non homériques

Les mythographes comme le pseudo-Apollodore donnent une autre version du passé de Patrocle. Fils du roi de Locride, il a tué par accident l'un de ses amis, Clysonyme, fils d'Amphidamas, durant une dispute à propos d'osselets, alors qu'il était très jeune. Il doit s'exiler de la cour. Il est recueilli par Pélée, roi de Phthie, qui le donne comme compagnon à Achille. Apollodore en fait ensuite l'un des prétendants d'Hélène, fait peu vraisemblable dans la mesure où beaucoup de soupirants sont de bien meilleur rang que lui.

Les Chants cypriens, une épopée du Cycle troyen, le mentionnent comme l'un de ceux qui vendent Lycaon, l'un des fils de Priam, quand celui-ci est pris par les Achéens. L'Iliade le confirme au chant XXIII (v. 746), alors que Patrocle n'est pas mentionné au chant XXI (v. 34 sqq.). Pindare dans ses Olympiques (IX, 70-79) le montre accompagnant Achille quand ce dernier ravage la ville de Teuthrania, en Mysie. Un vase célèbre montrant Achille pansant la plaie de Patrocle (cf. ci-dessous) illustre peut-être ce point précis.

Ces éléments permettent de supposer que le personnage de Patrocle n'est pas une invention homérique. De plus, au chant I, il est présenté pour la première fois simplement comme « le fils de Ménœtios », accompagnant Achille et ses compagnons (non nommés) quand le héros quitte, furieux, le conseil des rois. Ceci laisse penser qu'il s'agit d'un personnage déjà bien connu du public, qu'il n'est même pas besoin de nommer personnellement ou de présenter. Il est en revanche probable que Patrocle n'était qu'un personnage secondaire, à qui Homère donne une ampleur inédite.

[modifier] Patrocle et Achille

[modifier] Ami ou amant

Achille pansant Patrocle, kylix à figures rouges du peintre de Sôsias, v. 500 av. J.-C., Staatliche Museen (Berlin)
Achille pansant Patrocle, kylix à figures rouges du peintre de Sôsias, v. 500 av. J.-C., Staatliche Museen (Berlin)

L'amitié d'Achille et de Patrocle est proverbiale. Dès le Ve siècle av. J.-C. cependant, les Grecs y voient davantage : de manière générale, c'est à cette époque que les auteurs grecs ajoutent à des amitiés célèbres (Oreste et Pylade, Thésée et Pirithoos, Héraclès et Iolaos, etc.) une composante pédérastique. En l'espèce, le débat pour les Grecs ne vise pas à savoir si Patrocle et Achille étaient amis ou amants, mais pourquoi Homère reste si réservé sur leur relation, ou encore si Patrocle est l'éromène (bien-aimé) d'Achille ou l'inverse. L'orateur athénien Eschine, dans son Contre Timarque (142-143), déclare ainsi :

« Bien qu'Homère évoque à de nombreuses reprises Patrocle et Achille, il passe sous silence leur désir (ἔρως / érôs) et évite de nommer leur amour (φιλία / philía), estimant que l'intensité extraordinaire de leur affection (εὔνοια / eúnoia) était transparente pour les lecteurs cultivés. Achille déclare quelque part (...) qu'involontairement, il a enfreint la promesse faite à Ménœtios, le père de Patrocle ; Achille avait en effet assuré qu'il ramènerait Patrocle sain et sauf à Opous si Ménœtios l'envoyait à Troie avec lui et s'il le lui confiait. Ce passage montre évidemment que c'est par désir amoureux (érôs) qu'il a pris soin de Patrocle. »

En effet, pour beaucoup des Grecs, l'émotion démesurée dont fait preuve Achille à la mort de Patrocle et son ardeur à le venger ne laissent aucun doute sur la nature de leurs relations : la réserve d'Homère est perçue comme un signe de discrétion. Le tragique Eschyle développe ce motif dans sa tragédie perdue les Myrmidons. Il représente sans détours (fr. 228b Mette) Achille pleurant sur le corps de son ami, célébrant la beauté de ses hanches et regrettant les baisers qu'ils s'échangeaient. Chez Eschyle comme chez Eschine, Achille est l'éraste et Patrocle l'éromène.

Une version qu'on pourrait contester si on part de l'observation de la barbe : portée par Patrocle, Achille en est dépourvu. De fait, on peut penser que Achille est le jeune éromène et Patrocle l'éraste d'un âge plus avancé, d'autant plus que l'admiration consécutive à l'amour est celle de Patrocle pour Achille, ce qui corroborerait la thèse selon laquelle Patrocle est l'amant-éraste et Achille l'aimé-éromène. Bien entendu les deux hommes s'aiment(amour ou amitié) également, ceci est incontestable. C'est ce que Platon exposera et ce qui est expliqué dans le paragraphe suivant.

Cependant, Platon n'est pas de cet avis : dans son Banquet (180a), il fait dire à Phèdre que « ce sont des balivernes, ce que dit Eschyle quand il fait d'Achille l'amant de Patrocle. Achille était plus beau que Patrocle, et même plus beau que tous les héros, il est donc bien plus jeune, comme l'indique d'ailleurs Homère[5]. » Malgré ce désaccord, Phèdre non plus n'a aucun doute sur les relations de Patrocle et Achille.

Néanmoins, par la suite, la tradition se stabilise sur la version d'Eschyle, plus conforme au statut social des deux hommes. Ainsi, Élien déclare : « tandis qu'Alexandre [le Grand] couronnait la tombe d'Achille, Héphaestion couronna celle de Patrocle, laissant ainsi entendre qu'il était le mignon d'Alexandre, comme Patrocle avait été celui d'Achille[6]. » La polémique des Anciens sur le rôle de chacun montre, pour Bernard Sergent, que la relation Achille-Patrocle ne se rattache pas au modèle pédérastique : il s'agit d'une relation entre jeunes gens de même génération.

[modifier] Patrocle, double d'Achille

Patrocle tuant Sarpédon malgré l'arrivée de Glaucos, hydrie protolucanienne du Peintre de Policoro, v. 400 av. J.-C., Musée national archéologique de Policoro
Patrocle tuant Sarpédon malgré l'arrivée de Glaucos, hydrie protolucanienne du Peintre de Policoro, v. 400 av. J.-C., Musée national archéologique de Policoro

Dans sa mort, Patrocle fait figure de double d'Achille. Alors que durant les chants précédents de l'Iliade, Patrocle ne se distingue que par son amitié et son dévouement pour Achille, le chant XVI, la Patroclée, le voit soudainement métamorphosé en héros balayant tout sur son passage au cours d'une aristie. Il tue d'abord Pyræchmès, chef des Péoniens, Aréilycos, Pronoos, Thestor et Éryalos. Il blesse (ou tue) Érymas, Amphotère, Épaltès, Échios, Pyris, Tlépolème, Iphée, Évippe et Polymèle. Puis il rencontre un combattant d'envergure, Sarpédon, chef des combattants lyciens et fils de Zeus. Il le tue dans un duel qui rappelle celui opposant Achille à Memnon, chef des Éthiopiens — combat conté dans l'Éthiopide, l'une des épopées du Cycle troyen, et repris ensuite notamment par Quintus de Smyrne.

Après avoir tué Sarpédon, Patrocle poursuit sur sa lancée, et décide de s'attaquer à Troie elle-même. Il s'agit de la seule occurrence, avant celle d'Achille, d'un héros décidant seul de lancer l'assaut contre les murs de la ville. L'épisode est typique d'Achille, et laisse suggérer un report des thèmes du Péléide vers Patrocle. Celui-ci continue sa trouée meurtrière, tuant Échéclos, Adraste, Autonoos, Périmos, Épistor, Mélanippe, Élasos, Moulios et Pylartès. Homère déclare alors que « les Achéens auraient pris Troie aux hautes portes grâce à Patrocle » (v. 698-699) s'il n'était arrêté par Apollon. Le dieu lui déclare, établissant le parallèle, que :

« (...) Le destin ne veut pas
Que la cité des fiers Troyens soit prise par ta lance,
Ni par celle d'Achille, un héros bien plus fort que toi[7]. »

Patrocle recule ensuite d'un pas, avant de reprendre le combat et de trouver rapidement la mort. Comme Achille, il est tué par un mortel (Pâris pour Achille, Euphorbe puis Hector pour Patrocle) aidé par un dieu (Apollon dans les deux cas). Tous deux tombent sous les murs de Troie, où ils sont inhumés. Dans les deux cas, une longue bataille (durant une journée entière) a lieu sur leur corps, protégé par Ajax. Enfin, les jeux funéraires donnés par Achille en l'honneur de Patrocle surprennent par leur grandeur, disproportionnée à la naissance de Patrocle. De fait, ils sont l'exacte réplique des jeux qui seront donnés en l'honneur d'Achille.

[modifier] Patrocle, double d'Antiloque

Double d'Achille dans sa mort, Patrocle est aussi le double d'Antiloque, fils de Nestor. Antiloque est un autre ami très cher du Péléide, précisément celui qui est chargé par les Achéens de lui annoncer la mort de Patrocle. Antiloque meurt de la main de Memnon, qui lui ôte ses armes. Achille furieux décide de venger sa mort, et provoque l'Éthiopien en duel, épisode comparable en tout point à la mort de Patrocle et à la vengeance d'Achille.

[modifier] Sources

[modifier] Notes

  1. Homère, Iliade [détail des éditions] [lire en ligne] (XI, 786-789). Extrait de traduction de Frédéric Mugler aux éditions Actes Sud, 1995.
  2. Iliade (XVII, 426-428).
  3. Iliade (XVII, 476).
  4. Homère, Odyssée [détail des éditions] [lire en ligne] (XXIV, 39-40).
  5. Extrait de la traduction de Maël Renouard, Rivages & Payot, 1995.
  6. Élien, Histoire variée (XII, 7). Extrait de la traduction d'Alessandra Lukinovitch et d'Anne-France Morand, Belles Lettres, 2004.
  7. Extrait de la traduction de Frédéric Mugler.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Article connexe

[modifier] Bibliographie

  • D. S. Barrett, « The Friendship of Achilles and Patroclus », in Classical Bulletin, no 57 (1981), p. 87-93.
  • (en) Jonathan S. Burgess, The Tradition of the Trojan War in Homer and the Epic Cycle. Baltimore & Londres, Johns Hopkins University Press, 2001 (ISBN 0-8010-7890-X).
  • (en) Kenneth J. Dover, Greek Homosexuality, Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts), 1989 (1re édition 1978) (ISBN 0-674-36270-5).
  • (en) David M. Halperin, « Heroes and their pals » in One Hundred Years of Homosexuality and Other Essays on Greek Love, Routledge, coll. « The new Ancient World », 1990 (ISBN 0-415-90096-4), p. 75-87.
  • Bernard Sergent, Homosexualité et initiation chez les peuples indo-européens, Payot, coll. « Histoire », Paris, 1996 (ISBN 2-228-89052-9), p. 287-298.
  • (en) Dale S. Sinos, Achilles, Patroklos and the meaning of φίλος, Innsbruck, 1980 (ISBN 3851245490).

[modifier] Lien externe

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