Panoptique

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Kilmainham Gaol, Irlande. Cour intérieure victorienne
Kilmainham Gaol, Irlande. Cour intérieure victorienne
Schéma représentant le principe du panoptique.
Schéma représentant le principe du panoptique.
« La morale réformée, la santé préservée, l'industrie revigorée, l'instruction diffusée, les charges publiques allégées, l'économie fortifiée - le Nœud Gordien des lois sur les pauvres non pas tranché, mais dénoué - tout cela par une simple idée architecturale. »
Jeremy Bentham, Le panoptique, 1780. (L'ouvrage, de 56 pages, est traduit de l'anglais et imprimé par ordre de l'Assemblée législative en 1791.[1])

Le panoptique est un type d'architecture carcérale imaginée par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle. L'objectif de la structure panoptique est de permettre à un individu, logé dans une tour centrale, d'observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils sont observés. Ce dispositif devait ainsi créer un « sentiment d'omniscience invisible » chez les détenus. Le philosophe et historien Michel Foucault a particulièrement attiré l'attention dessus dans Surveiller et punir (1975) en en faisant le modèle abstrait d'une société disciplinaire, inaugurant une longue série d'études sur le dispositif panoptique.

Sommaire

[modifier] Le panoptique selon Bentham

Le panoptique.
Le panoptique.

La réflexion de Bentham prend place dans le cadre d'un renouvellement des cadres de pensée concernant le droit pénal et le sens de l'enfermement, avec les oeuvres de Jonas Hanway, Solitude in Imprisonment (1776), qui argue en faveur de l'isolement carcéral des individus, de John Howard, The State of the Prisons in England and Wales (1777) qui prône la réforme des prisons afin d'en faire des moyens d'amender le prisonnier, et de Cesare Beccaria, Des délits et des peines (1764) [2]. Ce mouvement réformateur aboutit, au Royaume-Uni, au Penitentiary Act de 1779, rédigé par William Eden, William Blackstone et John Howard, mais les prisons envisagées par la loi ne furent jamais construites [3].

L'idée de Bentham dérive de plans d'usine mis au point pour une surveillance et une coordination efficace des ouvriers. Ces plans furent mis au point par son frère Samuel, dans l'objectif de simplifier la prise en charge d'un grand nombre d'hommes. Bentham compléta ce projet en y mêlant l'idée de hiérarchie contractuelle : par exemple, une administration ainsi régie (par contrat, s'opposant à la gestion de confiance) dont le directeur aurait un intérêt financier à faire baisser le taux d'accidents du travail. Le panoptique fut aussi créé pour être moins cher que les autres modèles carcéraux de l'époque en nécessitant moins d'employés. « Laissez-moi construire une prison sur ce modèle », demanda Bentham au Comité pour la réforme pénale, « j'y serai gardien. Vous verrez [...] que les gardiens ne justifieront pas de salaire, et ne coûteront rien à l'État ». Les surveillants ne pouvant être vus, ils n'ont pas besoin d'être à leur poste à tout moment, ce qui permet finalement d'abandonner la surveillance aux surveillés.

Bentham lui-même souhaitait une mise en abîme de la surveillance, les surveillants eux-mêmes devant être surveillés par des surveillants venus de l'extérieur, afin de limiter la maltraitance des détenus et les abus de pouvoir:

« Il y aura, d’ailleurs, des curieux, des voyageurs, des amis ou des parents des prisonniers, des connaissances de l’inspecteur et d’autres officiers de la prison qui, tous animés de motifs différents, viendront ajouter à la force du principe salutaire de l’inspection, et surveilleront les chefs comme les chefs surveillent tous leurs subalternes. Ce grand comité du public perfectionnera tous les établissements qui seront soumis à sa vigilance et à sa pénétration [4] »

Selon Bentham, la tour centrale devait se transformer en chapelle le dimanche, afin de moraliser les criminels [2].

[modifier] Histoire du panoptique

Bentham dévoua une large partie de son temps et presque son entière fortune personnelle à la promotion de constructions de prisons panoptiques. Après de nombreuses années de refus, de difficultés politiques et financières, il parvint à obtenir l'accord du parlement britannique. Le projet avorta cependant en 1811, lorsque le Roi s'opposa à l'acquisition du terrain.

Le modèle le plus proche du panoptique, du temps de Bentham, fut le pénitencier de Pittsburgh (Etats-Unis), ouvert en 1826 selon les plans de l’architecte William Strickland (1788-1854), mais le projet fut abandonné sept ans plus tard [2] Selon Muriel Schmid:

« Dans sa réalisation concrète, le modèle panoptique ne fut pas convaincant : des coûts trop élevés et une mauvaise viabilité furent les principales raisons de son abandon. L’échec de Pittsburgh a signifié la fin du Panoptique en tant que construction architecturale. En conséquence, le débat qui entoure aujourd’hui le projet pénitentiaire de Bentham porte davantage sur des enjeux d’ordre philosophique — le regard, l’observation, le contrôle, la surveillance, etc. — que sur des questions d’ordre purement pratique. Le Panoptique s’inscrit toutefois indiscutablement dans le contexte des réflexions de l’époque traitant des formes de châtiment et d’enfermement dans le processus de réhabilitation des criminels.[2] »

Si le panoptique ne vit pas le jour du vivant de Bentham, plusieurs prisons ont néanmoins adoptées ce modèle, de la Kilmainham Gaol en Irlande à la Twin Towers Correctional Facility de Los Angeles en passant par la prison de la petite Roquette à Paris. La prison de Millbank, à Londres, conçue en 1812 par William Williams et construite par l'architecte Thomas Hardwick, concrétisa partiellement le projet benthamien [3].

Selon Neil Davie,

« l’échec du Panoptique, du moins au début, faisait partie d’un échec plus large du mouvement de réforme pénal dans son ensemble. Ce dernier échouera à maintes reprises dans sa tentative de convaincre les milieux gouvernementaux que la construction de prisons pour forçats était préférable à la transportation de ces derniers aux colonies pénales d’outre-mer, ou à leur incarcération dans d’anciens navires de guerre reconvertis en pénitenciers flottants (hulks), amarrés au bord de la Tamise ou près des chantiers navals.[3] »

[modifier] Le panoptisme depuis Foucault

Michel Foucault s'y intéressa en 1975, inaugurant un regain d'intérêt pour celui-ci. Il y vit une technique moderne d'observation transcendant l'école, l'usine, l'hôpital et la caserne, ou encore un « diagramme » de la « société disciplinaire ». Foucault définit le diagramme en tant que « fonctionnement abstrait de tout obstacle ou frottement... et qu'on doit détacher de tout usage spécifique » [5], ce qui lui permet de parler d'un Panoptisme.

Des variations autour du panoptisme peuvent être vues de nos jours, participant de façon moins bruyante que leur équivalent pénal, à la « société de surveillance ». Selon Gilles Deleuze:

« Quand Foucault définit le Panoptisme, tantôt il le détermine concrètement comme un agencement optique ou lumineux qui caractérise la prison, tantôt il le détermine abstraitement comme une machine qui non seulement s'applique à une matière visible en général (atelier, caserne, école, hôpital autant que prison), mais aussi traverse en général toutes les fonctions énonçables. La formule abstraite du Panoptisme n'est plus « voir sans être vu », mais imposer une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque.[6] »

[modifier] Prisons panoptiques

L'intérieur de la prison Presidio Modelo, à Cuba, construite sur le modèle du panoptique
L'intérieur de la prison Presidio Modelo, à Cuba, construite sur le modèle du panoptique

[modifier] Divers

  • 1984 de George Orwell est un roman qui s'inspire largement du principe de panoptique
  • Xavier Mauméjean reprend cette idée architecturale dans le Panopticon de son roman, La Vénus anatomique
  • Michel Agier est un illustre diffuseur de l'idée de panoptique, notamment dans son classique Faire ville, aujourd'hui, demain, réflexions sur le désert, le monde et les espaces précaires.

[modifier] Références

  1. Panoptique : mémoire sur un nouveau principe pour construire des maisons d’inspection, et nommément des maisons de force, éd. Étienne Dumont, Paris, 1791. Cet œuvre est reproduite intégralement dans une édition de Mille et Une Nuits, Paris, 2002.
  2. abcd Muriel Schmid, La mascarade des coupables : le jeu des masques dans Le Panoptique de Bentham, Laval théologique et philosophique, Volume 60, numéro 3, 2004, p. 543–556
  3. abc Davie, Neil (2005) « Des "corps dociles" ? Le Panoptique de Jeremy Bentham en théorie et en pratique ». In: L'Un sans l'autre : racisme et eugénisme dans l'aire anglophone. Collection "Racisme et eugénisme" . L'Harmattan, Paris, France, pp. 207-230. ISBN 274758741X
  4. Le panoptique pp.10-11, cité par Muriel Schmid, ibid.
  5. Michel Foucault, Surveiller et punir, p.207
  6. Gilles Deleuze, Foucault, Editions de Minuit, 1986/2004, p.41
  7. Koolhaas, R. (2002) « Project for the renovation of a panoptic prison ». In T.Y. Levin, U. Frohne and P. Weibel (eds.) CTRL[SPACE]: Rhetorics of Surveillance from Bentham to Big Brother. ZKM Centre for Art and Media: Karlsruhe, 120-127. Cité par Hille Koskela, « ‘Cam Era’ — the contemporary urban Panopticon. » in Surveillance and Society, volume 1, n°3, « Foucault and Panopticism Revisited. »

[modifier] Bibliographie

  • Jeremy Bentham, Panoptique (traduit par Christian Laval, Mille et une nuits, 2002)
  • Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975
  • Sean McConville, A History of English Prison Administration I: 1750-1877, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1981
  • Robin Evans, The Fabrication of Virtue : English Prison Architecture 1750-1840, Cambridge, Cambridge University Press, 1982
  • Janet Semple, Bentham’s Prison. A Study of the Panopticon Penitentiary, Oxford, Clarendon Press, 1993

[modifier] Liens externes