Orphisme (religion)

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Orphée et les animaux sauvages, mosaïque, Dallas Museum of Art
Orphée et les animaux sauvages, mosaïque, Dallas Museum of Art

L’orphisme était un courant religieux de la Grèce antique. Il nous est connu par un ensemble de textes et d'hymnes, ainsi que par quelques attestations archéologiques (« Les lamelles d'or ») sur près de dix siècles. Il semble que l'on puisse faire remonter ses origines au moins au VIe siècle av. J.-C.. Les dernières œuvres "orphiques" datent du Ve siècle de notre ère. Son nom provient d'Orphée, initiateur mythique. Malgré sa célébrité, et toutes les théories que son caractère mystérieux ont fait naître, la connaissance réelle de l'orphisme reste lacunaire et sa figure exacte sujette à caution.

Sommaire

[modifier] Présentation générale

[modifier] Les spécificités de l'orphisme

En effet, l'orphisme n'a jamais existé comme une communauté religieuse constituée au sein du monde grec. Il se présente à nous davantage comme une nébuleuse. De part la dispersion temporelle et géographique des témoignages que nous possédons, le plus souvent littéraires, il est difficile de se représenter le vrai visage historique du mouvement orphique, sinon comme un courant spirituel qui conteste de l'intérieur la religion des Cités grecques et ses valeurs. Celui qui choisit le genre de vie « orphique » se met de lui-même en marge de la société. L'orphisme réutilise les mythes et les grandes figures religieuses grecs (avant tout Dionysos), pour contester l'ordre établi.

Il est intéressant de noter que l'orphisme surgit en Grèce au même moment historique que le bouddhisme en Inde. Sans établir de rapport direct entre les deux philosophies, il est possible non seulement de constater des rapprochements de détails, mais de considérer surtout que la perspective globale est semblable. L'orphisme comme le bouddhisme se préoccupent de la question du « salut » personnel donc « inventent » la notion de personne, et posent la valeur unique de l'individu dont le destin propre devient un sujet d'intérêt et de préoccupation religieux. C'est par la naissance qu'on est inséré dans les cadres de la religion civique grecque. On devient « orphique » par choix. La notion de religion prend donc un tout autre aspect, personnel plutôt que social.

[modifier] Connaissance de l'Orphisme

Notre connaissance de l'orphisme repose sur:

  • Les cosmogonies dites « orphiques »
  • Les hymnes orphiques
  • Le mythe de Dionysos mis à mort par les Titans
  • « Les lamelles d'or » retrouvées dans des tombes et qui sont des "aide-mémoire" pour le voyage dans l'Au-delà du défunt
  • Quelques inscriptions
  • Les témoignages, principalement ceux de Platon, de Théophraste, disciple d'Aristote, et d'Aristophane (Comédie « Les oiseaux »)

Cet ensemble est finalement très disparate. L'orphisme ne se présente guère comme un corps de doctrines unifié. Il s'agit plutôt d'une mouvance. Et naturellement, comme pour l'Antiquité en général, beaucoup de textes ont disparu ou ne sont connus que par des citations, ce qui rend encore plus difficile une vue d'ensemble et coordonnée.

[modifier] Origines et histoire

C'est bien sûr le mythe qui fait remonter l'orphisme à Orphée. D'un point de vue historique, les premières attestations surgissent au VIe et Ve siècles avant notre ère. On attribue à Onomacrite, au service des Pisistratides dans l'Athènes du VIe siècle, la falsification de textes, et la rédaction des premiers poèmes orphiques. Il avait été chargé par les tyrans de réunir les poèmes d'Homère pour assurer la première édition fiable de l'Iliade et l'Odyssée. Il est possible qu'il ne soit pas « l'inventeur » de l'orphisme mais son premier compilateur ou qu'il ait complété de son cru, enrichi, développé, un embryon de littérature antérieure. En effet l'orphisme était tenu en suspicion par de nombreux auteurs antiques, et passait pour un ramassis de superstitions et de charlatanisme. Le discréditer en en attribuant la création à un personnage connu pour son manque de scrupules littéraires était habile mais pas absolument vraisemblable sur le plan historique. Onomacrite agit-il comme un des nombreux pseudépigraphes de l'antiquité, c'est-à-dire de bonne foi, même si nous avons toujours tendance à soupçonner le procédé qui nous choque, ou comme un mystificateur et un plagiaire désireux de tromper son monde ?

Quoi qu'il en soit, Onomacrite se cache derrière Orphée pour délivrer son message. Au mieux, il prétend mettre en forme la parole du poète comme il le fit pour Homère. C'est une différence avec l'aède archaïque qui se donne lui-même pour inspiré.

A l"époque suivante, nous connaissons l'orphisme à Athènes à travers la comédie d'Aristophane, les dialogues de Platon et le témoignage de Théophraste. Dans les trois cas, ce n'est pas le mythe orphique de Dionysos qui est mis en avant. Chez Aristophane, nous est présentée une caricature de cosmogonie orphique et une satire des prétentions à une supériorité spirituelle des sympathisants du mouvement (caricaturés sous la figure des oiseaux eux-mêmes). Platon (ainsi que Théophraste), malgré d'indéniables rapports entre l'orphisme et sa propre philosophie, nous présente le mouvement de façon critique. Les « orphéotélestes », disciples d'Orphée, initiés à l'orphisme, nous sont montrés comme des gyrovagues vendant des purifications à un public crédule et avide de garanties spirituelles à bon compte. Loin d'être les porteurs d'un haut enseignement religieux, ils sont décrits comme mi-magiciens, mi-charlatans. Cela ne signifie pas qu'une prédication populaire « orphique » n'ait pas existé, comme plus tard la diatribe stoïcienne serait pratiquée sur les places publiques par des prédicateurs ambulants, mais cela montre que les milieux « intellectuels » tenaient les orphiques en petite estime.

Autres témoignages de la diffusion de l'orphisme, « les lamelles d'or » (ou d'os comme à Olbia). Les plus récentes datent du IIe siècle de notre ère. Elles ont été trouvées dans des tombes. Elles servaient de viatique pour l'au-delà aux sympathisants du mouvement afin qu'ils ne se trompent pas de chemin dans l'Hadès et puissent arriver à Perséphone et confesser leur pureté pour échapper au cycle des renaissances. Même si l'on peut estimer que ce sont des initiés qui s'en vont pour le royaume des morts accompagnés de ces lamelles, elles sont des espèces de talismans qui nous prouvent encore une fois que l'orphisme se situait toujours aux confins de la doctrine, de la pratique et du remède magique.

Bien que la littérature orphique continue à être produite jusqu'au Ve siècle de notre ère, il est absolument impossible de reconstituer ne serait-ce qu'un embryon d'histoire du mouvement orphique. Il est même extrêmement difficile d'identifier un auteur comme orphique au sens strict. Les idées orphiques circulent, sont reprises dans la littérature philosophique, particulièrement néo-pythagoricienne et néo-platonicienne, mais sont accommodées aux idées générales des systèmes et donc modifiées par eux.

Le témoignage des « lamelles d'or » nous incitent à penser à une diffusion certaine des idées et espérances orphiques. Par contre, il serait très exagéré de parler de religion orphique comprise comme culte à mystères, avec son organisation, ses rites, ses lieux de culte... Il n'a rien existé de semblable à une Église orphique ou du moins nous n'en avons aucun témoignage. Qu'il ait existé des initiations orphiques, nous pouvons le déduire de l'existence des lamelles, car il est vraisemblable que seuls des initiés pouvaient placer de tels talismans dans leurs tombes. mais récemment ces témoignages ont été attribué en grande partie à des groupes néo-pythagoriciens [1]. L'orphisme apparait ainsi surtout comme un réservoir de conceptions sur la vie et le destin post-mortem diffusées largement mais non-dogmatiquement dans le monde gréco-romains et librement adaptées par chacun de ceux qui s'y référaient. L'orphisme nous échappe chaque fois qu'on tente de le saisir.

[modifier] Les mythes orphiques

Le mythe central de l'orphisme est celui de la mise à mort de Dyonisos par les Titans. Les milieux orphique sont également produites de nombreuses cosmogonies, très diverses dans le détail, mais s'inspirant d'un schéma général commun ou du moins d'une idée de base commune. Ces cosmogonies font concurrence dans le monde gréco-romain à celle d'Hésiode devenue plus ou moins "canonique". La question est toujours la même: quelle confiance pouvons-nous accorder aux témoignages dont nous disposons? Dans quel contexte sont-ils insérés? Si un témoignage est tardif, voire très tardif, comme celui qui nous expose que les orphisques croyaient que la race humaine était le produit de la suie qui retombaient des dépouilles des Titans foudroyés par Zeus pour avoir mis Dionysos à mort, cela exclut-il l'antiquité de la tradition ou bien est-ce un hasard dû à la conservation des sources que nous n'ayons pas d'attestations anciennes? La question de l'évolution des doctrines orphiques, voire celle de la chronologie de leur élaboration, la reconstitution d'une généalogie, reste sans réponse claire.

L'orphisme utilise des noms connus du commun des Grecs dans ses mythes:Dionysos, Orphée, Zeus, les Titans, Perséphone.... Ces noms représentent-ils ou non les mêmes réalités que dans lorsqu'ils sont employés dans les mythes usuels ? La réponse est à la fois oui et no, avec dans chaque cas l'obligation de considérer les choses de près. Il est évident que grosso modo la figure orphique de Perséphone n'est pas très différente de la Perséphone connue habituellement. Elle est la Reine des Enfers. Mais elle est aussi la mère de Dionysos pour les orphiques. Donc il est évident aussi que leur Dionysos n'est pas celui d'Euripide. Et de même il faut soigneusement distinguer en l'Orphée du mythe d'Orphée et Eurydice et l'Orphée "orphique". Pourtant ces noms n'ont pas été choisis au hasard. Il s'agit non seulement de renvoyer à du connu pour les Grecs, de leur laisser au moins croire qu'ils sont dans leur monde familier quand ils pénètrent dans celui de l'orphisme, mais il s'agit encore de subvertir de l'intérieur la religion civque. Des noms nouveaux, inconnus, ne feraient pas aussi bien l'affaire. De plus le lien entre figures mythologiques et figures orphiques n'est pas arbitraire: ainsi le mythe fait remonter Orphée des Enfers où il est descendu chercher son épouse. C'est le point de départ de sa filiation avec l'orphisme. Ce mouvement se place sous sa protection tutélaire non seulement parce qu'il est selon la légende un aède inspiré, un poète exceptionnellement doué, un initié, mais, revenu des Enfers, il peut servir à en proclamer les mystères.

Le cas le plus problématique est celui des Titans. Les Titans orphiques sont-ils les mêmes que ceux d'Hésiode? La réponse inclut une divergence d'appréciation sur la nature humaine telle que les orphiques l'exposent et n'est pas sans répercussions sur la manière dont il faut comprendre l'orphisme et juger de ses relations avec le platonisme voire le gnosticisme.

[modifier] Cosmogonies orphiques

Il n'existe pas une, mais des cosmogonies orphiques, à la fois semblables et dissemblables, connues généralement par bribes, citations et résumés donc de manière indirecte comme tout ce qui concerne l'orphisme.

Impossible de reconstituer donc un système de ces cosmogonies, d'en établir la généalogie. Elles ne dérivent pas d'un modèle unique primitif et « originel », mais présentent néanmoins des similitudes conceptuelles qui permettent de les comprendre globalement en opposition à la cosmogonie d'Hésiode (Théogonie) que l'on peut considérer comme classique en Grèce ancienne. Comme l'œuvre du poète d'Ascra en Béotie, elles sont en fait des « cosmo-théogonies ».

La cosmogonie hésiodique part du surgissement de la béance primitive (le Chaos) pour aboutir à l'ordre divin placé sous l'égide du règne sans fin de Zeus.

Les cosmogonies orphiques postulent une unité originelle qui est ensuite brisée puis restaurée potentiellement sous le règne de Dionysos.

Ce thème de la réunification, de la reconstitution, de la réconciliation, fait le lien entre les cosmogonies et le mythe orphique de Dionysos et peut être considéré comme le leitmotiv de l'orphisme.

Plus tard, Éros offre l'empire du monde à Zagreus, première incarnation du Dionysos, un des enfants de Zeus. Les Titans, jaloux et révoltés, s'emparèrent de lui, en le charmant avec des miroirs, le démembrèrent, le firent bouillir et le dévorèrent. Zeus, horrifié par ce crime, foudroya les Titans, et de leurs cendres (ou de la suie ?? ) naquirent les hommes marqués par cette double ascendance.

Une partie des cendres des Titans a donné aux hommes une propension à faire le mal, mais la seconde moitié de ces cendres, émanant de l'énergie divine de Dionysos, leur conféra l'étincelle d'amour du bien.

L'orphisme professe une démarche de purification de l'Homme, dont le divin se combine avec le titan, ce dernier représentant une souillure.

La mère de Zagreus, Perséphone, est folle de rage. Elle interdit que l'homme, marque vivante de la faute des Titans, gagne le monde divin. Elle le condamne à errer de vie charnelle en vie charnelle, par le biais de l'oubli de son origine divine, ce qui se retrouve dans les croyances véhiculant la réincarnation, la métempsycose, notamment développée dans le mythe d'Er, présenté dans le livre X de La République, de Platon.

L'orphisme professait donc que l'homme est d'origine divine (il naît du reliquat d'une race immortelle qui a ingéré du dieu) et d'origine « titane » ; double origine qui correspond, sinon à deux pôles, du moins à deux parts humaines : une part proprement divine, dont il faut se souvenir — c'est le souvenir qui permet d'accéder de nouveau au monde divin —, et une part audacieuse, héritée des titans, et qui lui permet de braver l'ordre établi. Les mystères de L'orphisme ne furent qu'à moitié élucidés mais nous sommes sûr d'une chose c'est qu'ils n'ont pas totalement disparus. Les adeptes de l’orphisme étaient appelés « orphéotélestes ». Ceux-ci étaient des individus qui vivaient éloignés des cités ; ils étaient considérés comme des purificateurs.

Des tablettes retrouvées dans des tombes, des références dans les livres, au XXI° siècle, voilà ce qu'il reste des « orphiques ». Des gravures ainsi que des tablettes narrant quelques faits furent découvertes par l'archéologue français Bruno Le Tebet et son équipe en 1973.

[modifier] L'orphisme et les monothéismes

Il ne semble pas que l'orphisme soit un jalon entre paganisme et christianisme [2].

[modifier] L'orphisme et Pythagore

Les recoupements entre l'orphisme et la fraternité créée par Pythagore témoignent que cette religion influençait fortement le philosophe de Samos, lui-même influença le Socrate de Platon, lequel s'en rapprochait et s'en éloignait au gré des idées qu'il développait. Plusieurs discussions présentées par Platon sont d'influence pythagoricienne : Timée, Phédon, et au moins les livres VII et X de La République. Ce dernier, notamment avec le mythe d'Er, est très nettement d'influence orphique.

[modifier] L'orphisme vu par les post-pythagoriciens

  • Platon raille ou célèbre l'orphisme, comme il le fait également de Pythagore et des pythagoriciens, selon l'œuvre.

Par ailleurs, l'orphisme a inspiré la trame des Oiseaux d'Aristophane : se fondant sur une de leur théogonie, qui professe que le premier dieu (Phanès) est sorti d'un « œuf », Aristophane fait naître de l'œuf primordial... des oiseaux (v. 698-702).

[modifier] Références

  1. G. Pugliese Carratelli, LES LAMELLES D'OR ORPHIQUES, Les Belles lettres, Paris, 2003.
  2. Cf. R. Sorel, Orphée et L'orphisme, PUF, Paris, 1995.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Bibliographie

  • (es) Alberto Bernabé Pajares, « Tendencias recientes en el estudio del Orfismo », dans Ilu. Revista de Ciencias de las Religiones no 0 (1995), p. 23-32 [lire en ligne].
  • Philippe Borgeaud (éd.), Orphisme et Orphée - en l’honneur de Jean Rudhardt, Genève, 1991.
  • Marcel Detienne, Dionysos mis à mort, Gallimard, collection « Tel », Paris (ISBN 2070742121).
  • Mircea Eliade, Naissances mystiques, Paris 1959.
  • (de) Alexander Fol, « Die thrakische Orphik oder Zwei Wege zur Unsterblichkeit », dans Die Thraker. Das goldene Reich des Orpheus. Ausstellung 23. Juli bis 28. November 2004, Kunst- und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland, éd. Philipp von Zabern, Mayence, 2004, p. 177-186 (ISBN 3-8053-3341-2).
  • (en) William Keith Chambers Guthrie, Orpheus and Greek religion. A Study of the Orphic Movement, New York 1952.
  • Louis Moulinier, « Orphée et l'orphisme à l'époque classique », Annales. Économies, sociétés, civilisations, t. XIII, 1958, p. 178-180.
  • R. Pettazzoni, « Les Mystères Grecs et les religions à mystère de l’antiquité. Recherches récentes et problèmes nouveaux », dans Cahiers d’Histoire Mondiale, II, 2 et 3, Paris, 1955, p. 303-312.
  • (es) Marco Antonio Santamaria Alvarez, « Orfeo y el orfismo. Actualización bibliográfica (1992-2003) », dans Ilu. Revista de Ciencias de las Religiones du no 0 (1995) au no 8 (2003) [lire en ligne].
  • Reynal Sorel :
    • Orphée et l'orphisme, PUF, collection « Que sais-je ? », Paris, 1995 (ISBN 2130472109),
    • Critique de la raison mythologique, PUF, collection « Thémis », Paris, 2000 (ISBN 2130505333).
  • Jean-Pierre Vernant, Mythe et religion dans la Grèce Antique, Seuil, coll. « Librairie du XXIe siècle », Paris, 1990 (ISBN 202010489X).
  • (en) Martin Litchfield West, Orphic Poems, Oxford, 1983.

[modifier] Liens externes

  • Philippe Borgeaud, Claude Calame et André Hurst, « L’Orphisme et ses écritures. Nouvelles recherches », dans un numéro de la Revue de l'histoire des religions sur l'orphisme (RHR 4/2002) [lire en ligne].
  • « Orphici », dans le dictionnaire de Daremberg et Saglio (1877).