Opium

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L’opium est une préparation psychotrope obtenue à partir du latex du pavot somnifère. Ses effets provoquent notamment une somnolence chez le consommateur.

« L'Opium d'Edgar Poe est un opium imaginé.
Imaginé avant, réimaginé après, jamais écrit pendant. »

— Gaston Bachelard

Sommaire

[modifier] Histoire

Fumeurs d'opium à Londres en 1874
Fumeurs d'opium à Londres en 1874
Français fumeurs d'opium, couverture du Petit Journal du 05 Juillet 1903
Français fumeurs d'opium, couverture du Petit Journal du 05 Juillet 1903

Les Sumériens connaissaient déjà les effets de l'opium comme en témoignent des tablettes gravées datant de 3000 ans avant J.C. et des vestiges du néolithique suggèrent déjà des cultures de pavot somnifère à proximité des villages.[1]

L'image de la capsule du pavot, un enthéogène, fut un attribut des dieux, bien avant que l'opium soit extrait de son latex laiteux. À la galerie des reliefs assyriens au Metropolitan Museum de New York, une divinité ailée d'un palais d'Assurnazirpal II à Nimrud, datée de -879, porte un bouquet de capsules de pavot (prudemment décrites par le musée comme des grenades).

L'opium a été un objet de commerce pendant des siècles pour ses effets sédatifs. Il était bien connu dans la Grèce antique sous le nom d'opion (« jus de pavot ») duquel le nom latinisé actuel est dérivé et déjà à l'époque les médecins mettaient en garde contre les abus potentiels.[1]

Le pavot est introduit en Inde dès le IXe siècle par l'invasion des Arabes et des Perses islamisés et sous le règne des Moghols (1527 à 1707) le commerce d'opium est un monopole d'État.[1]

Son usage se poursuit au Moyen Âge via diverses préparations médicamenteuses dont le laudanum (connu comme « teinture d'opium »), une solution d'opium en alcool à partir du XVIIIe siècle.[1]

Dès le XVIIIe siècle la Chine fait état de phénomène de consommation abusive et en 1729, l'empereur de Chine interdit - sans résultat - les importations d'opium notamment pour ces raisons.

Au XIXe siècle, le trafic d'opium de la Chine depuis l'Inde, particulièrement par les Britanniques est à l'origine des guerres de l'opium. Suite à la Première guerre de l'opium les Britanniques obtiennent la concession exclusive du port de Hong Kong, entamant ainsi ce que les Chinois nomment le « siècle de la honte » et c'est suite à la Seconde guerre de l'opium que l'importation d'opium est de nouveau légalisée en Chine ce qui indignera les ligues de tempérance américaines nourrissant l'esprit de la future politique de prohibition des drogues.[1]

L'opium est réglementé par la Convention internationale de l'opium de 1912 qui est progressivement adapté dans les réglementations nationales comme le loi de taxation des narcotiques Harrison de 1914 aux États-Unis.

La Convention Internationale de l'Opium est révisée par la Convention unique sur les stupéfiants de 1961.

[modifier] Pharmacologie

L'opium a des propriétés sédatives et analgésiques.[2]

Il contient deux groupes d'alcaloïdes à l'origine de ses propriétés : des phénanthrènes (incluant la morphine, la codéine, la thébaïne) et des benzylisoquinolines (incluant la papavérine) qui n'ont pas d'effet significatif sur le système nerveux central.

La morphine est de loin le principal alcaloïde présent dans l'opium, elle représente de 10[2] à 16% du total. Elle rejoint et active des récepteurs µ-opioïdes dans le cerveau, la moëlle épinière et le ventre.

Une consommation régulière, même pour peu de jours, mène à une tolérance et éventuellement à une dépendance physique, avec un syndrome de manque caractéristique et désagréable quand le dosage est brutalement réduit.

[modifier] Utilisation

Il peut être utilisé dans la forme d'élixir parégorique pour traiter la diarrhée.

L'opium peut se consommer de manière mangé ou bu en décoction mais son usage le plus courant consiste à être fumé, souvent à l'aide d'une pipe (où la boule d'opium est préchauffée en étant piquée sur une aiguille), parfois mélangé avec du tabac.

Sa consommation induit un myosis, une baisse de l'amplitude respiratoire, une hypotension et peut provoquer des nausées ou des vomissements.

L'opium permet également la production légale de morphine. Il permet aussi la production illégale d'héroïne et les abus de drogue viennent davantage de ses dérivés que de l'opium proprement dit.

[modifier] Fabrication

L'opium est extrait du pavot (papaver somniferum)
L'opium est extrait du pavot (papaver somniferum)

Il s'extrait de la capsule gonflée à son maximum mais non encore arrivée à pleine maturité du pavot somnifère (Papaver somniferum L. ou le synonyme paeoniflorum). Pour récolter l'opium, on incise le péricarpe des capsules mûrissantes après la chute des pétales avec un couteau à une ou plusieurs lames et de formes variées selon les régions du monde. L'incision exsude un latex blanc, laiteux, qui sèche en une résine brune. Enfin, pour récolter la résine séchée qui constitue l'opium brut, on racle les capsules à l’aide d’une large lame incurvée. Celle-ci doit rester humide afin que le latex ne s’y accumule pas à l'excès.

C'est de ce latex, une fois séché que l'on extrait la morphine qui sert de base à l'héroïne. L'héroïne se présente sous la forme d'une poudre blanche ou brune.

[modifier] Aspects économiques et politiques

L'opium utilisé pour l'industrie pharmaceutique (extraction de la morphine) provient des Indes où il existe des cultures licites destinée à cet usage.[1]

[modifier] Production illicite

Dans l'imaginaire collectif cette production est attachée au Triangle d'or.

La production est aujourd'hui principalement localisée en Afghanistan. Après une forte baisse en 2001 en raison de l'interdiction de sa culture par les talibans, la production est revenue à la "normale".

[modifier] Afghanistan

Afghanistan
Afghanistan

En 1979, lors de l'invasion soviétique, l'Afghanistan ne produit qu'une centaines de tonnes d'opium mais dix ans de guerre provoquent une explosion de la production liée à deux facteurs: l'absence de contrôle du territoire par le gouvernement central qui laisse la voie libre aux contrebandiers et les bombardements qui réduisent les surfaces cultivées et poussent les paysans vers des cultures plus rapidement rentables.[3]

Quand les Soviétiques quittent le nord du pays en 1989, les réfugiés reviennent et dans leur besoin de ressources pour la reconstruction continuent la lucrative production d'opium. Entre 1992 et 1994, le chaos se développe dans le pays et des affrontements violents ont lieu pour contrôler la production d'opium.[3]

En 1994, les talibans commencent à prendre le contrôle du territoire et dans l'attente de ressources alternatives pour les paysans fournies par la communauté internationale, ils perçoivent une taxe sur la production d'opium qui reste relativement stable pour diminuer nettement en 2001 suite à l'interdiction de semence promulguée par Mollah Omar. Le gouvernement des Talibans est ensuite renversé militairement en 2001 par les États-Unis qui placent Hamid Karzaï à la tête du pays. Depuis la fin 2002, la production a de nouveau repris à la hausse.[3]

Selon l'UNODC, en 2006, 92 % de la production mondiale d'opium provenait d'Afghanistan et excède de 30 % la consommation. Selon les chiffres de 2004, la production d'opium était réalisée dans 32 provinces du pays et l'économie de l'opium représentait 2,8 milliards de dollars US, équivalant à 60% du PIB afghan (calculé sur l'économie légale seulement) et contribuant ainsi à un tiers de l'économie afghane.

En 2006, la production a augmenté de 49 % et les surfaces cultivées de 59 % (165 000 hectares de terres, contre 104 000 hectares en 2005) ce qui représente plus de la moitié des terres cultivables en Afghanistan. Le chiffre avancé pour l'année 2007 établit un nouveau pic avec 8400 tonnes d'opium produites.

Production afghane d'opium selon l'UNODC
Année 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2006 2007
Nb tonnes 2300 2200 2800 2700 4565 3300 200 3400 3600 4200 6100 8400

Sources : UNODC, Office des Nations unies contre la drogue et le crime[4],[5]

[modifier] Birmanie

L'opium y est introduit par des minorités ethniques venues de Chine qui en font un usage traditionnel et dont la production reste réduite.[3]

En 1949, les forces nationalistes du Kuomintang (KMT), vaincues par les communistes chinois se refugient dans ce qu'il est courant d'appeler le triangle d'or et contrôlent dès 1954 la frontière avec la Chine et la Thaïlande obligeant les tribus locales à leur verser un impôt sous forme d'opium.[3]
Au début des années 1960, le KMT installe des raffineries de morphine-base et d'héroïne.[3]
Le gouvernement militaire de Birmanie tente de créer des milices d'autodéfense pour lutter contre le KMT ; ces milices sont un échec et dissoute en 1973 mais les armes distribuées lors de leur formation ne sont pas rendues et servent à installer les « Roi de l'opium » (Chan Shee-fu et Lo Hsing Han).[3]

À la fin des années 1960, c'est le Parti communiste birman qui s'empare du nord-est de la Birmanie grâce aux appuis de la Chine, le Parti communiste birman s'appuiera de plus en plus sur les revenus de l'opium à mesure que l'aide chinoise décline.[3]
Durant les années 1970 et la première moitié des années 1980, la production d'opium continue de se développer.[3]
Puis à partir de 1986, la situation économique se dégrade rapidement aboutissant en 1988 à des manifestations populaires sévèrement réprimés. Une nouvelle junte arrive au pouvoir (State Law and Order Restoration Council).[3]
En 1989, le Parti communiste birman subit des remous qui aboutissent à sa dissolution. La junte en place en profite pour négocier avec les groupes qui en sont issus afin qu'ils conservent leurs prérogatives territoriales, leurs armes et la liberté de circulation contre l'argent du trafic d'opium  ; argent que la junte militaire réinvestit en armement pour se protéger des opposants.[3]

Chan Shee-fu contrôle la frontière avec la Thaïlande à la tête de la Mong Tai Army malgré une guerre - entretenue par la junte militaire - avec une faction rivale. Le 1er janvier 1996, il annonce pourtant sa reddition et démobilise ses troupes vraisemblablement suite à des accords secret avec le pouvoir en place, notamment la cession d'une partie de ses activités de transformation d'héroïne.[3]

En 1997, le State Law and Order Restoration Council devient le State Peace and Development Council sans changer la nature de son régime ou son implication dans le trafic d'opium et mène une politique largement favorable aux Wa, une ethnie ayant aidé la junte dans sa lutte contre Chan Shee-fu. Cette politique place Wei Shao Kang à la tête des Wa et leur réserve les meilleures terres via des transferts de populations. Sous l'impulsion de Wei Shao Kang, les Wa diversifient leur activité (méthamphétamine, MDMA) et la production d'opium baisse régulièrement depuis 1996.[3]

[modifier] Législation

Depuis le début du XXe siècle, il y a beaucoup de règlements nationaux et internationaux encadrant la production et la distribution de substances narcotiques. L'utilisation pharmaceutique de l'opium et de ses dérivés est strictement contrôlée et tout autre emploi le plus souvent interdit depuis la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 qui remplaça la Convention Internationale de l'Opium de 1912.

[modifier] Aspect culturel

Calcutta 1945.
Calcutta 1945.

Fumer de l'opium est souvent associé avec les communautés d'immigrants chinois autour du monde, avec leurs fumeries d'opium, caractéristiques célèbres de beaucoup de quartiers chinois.

Le népenthès de L'Odyssée dite drogue de l'oubli contenait sans doute de l'opium.[1]

Dans son livre Critique de "La philosophie du droit" de Hegel, publié en 1844, le philosophe Karl Marx compare la religion à un opium du peuple.

Enfin, selon le chanteur et poète Renaud, "la bagnole, la télé et le tiercé, c'est l'opium du peuple de France, lui supprimer, c'est le tuer, c'est une drogue à acoutumance".

[modifier] Références

  1. abcdefg Denis Richard, Jean-Louis Senon, Marc Valleur, Dictionnaire des drogues et des dépendances, Larousse, 2004 (ISBN 2-03-505431-1)
  2. ab Yves Pélicier, Guy Thuillier, La drogue, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1972 (réimpr. septième édition) (ISBN 2-13-044843-7)
  3. abcdefghijklm Alain Labrousse, Géopolitique des drogues, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2004 (ISBN 2-13-054186-0)
  4. L'Afghanistan produira 92 % de l'opium mondial en 2006, Le Monde, 04/09/2006
  5. Kandahar miné par l’héroïne bon marché, Libération, 07/01/2008

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

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[modifier] Bibliographie