Novlangue

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Le novlangue (newspeak en anglais) est la langue officielle de l’Océania inventée par George Orwell pour son roman 1984 (publié en 1949). Il est une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l’expression des idées subversives et à éviter toute formulation de critique (et même la seule « idée » de critique) de l’État. S’opposant à l’ancilangue, « langue ancienne ».

Sommaire

[modifier] Principes

L’idée fondamentale du novlangue est de supprimer toutes les nuances d’une langue afin de ne conserver que des dichotomies qui renforcent l’influence de l’État. Un rythme élevé de syllabes est aussi visé, avec l’espoir que la vitesse des mots empêche la réflexion.

De plus, si la langue possède le mot « bon », il est inutile qu’elle ait aussi le mot « mauvais ». On crée le concept « mauvais » en ajoutant un préfixe marquant la négation (cela donnera « inbon »). La grammaire est aussi simplifiée, ainsi le pluriel est toujours marqué par un s (on dit des « chevals » et des « genous ») ; les verbes se conjuguent tous de la même manière.

Un verbe doit toujours dériver du nom correspondant quand il existe. Dans la version anglaise, to cut (couper) est ainsi remplacé par to knife (sachant que knife signifie couteau).

Ces caractéristiques du novlangue, censées modifier la langue à des fins de manipulation, existent dans des langues agglutinantes qui permettent d’exprimer toutes les nuances de la pensée humaine, comme le japonais ou l’espéranto. Sa critique du remplacement de tous les termes « mauvais, répugnant, dégoûtant, exécrable, infect… » par un simple « inbon » manque de souplesse pour un anglophone, mais le procédé est utilisé dans les langues agglutinantes en communication quotidienne, et parfois en poésie. Le novlangue surprend surtout un anglophone s’adressant à d’autres anglophones disposant eux aussi d’un vocabulaire de 30 000 mots et plus. Notons qu’Orwell connaissait l’espéranto via son long séjour chez sa tante Ellen Kate Limouzin, femme d’Eugène Lanti, l’un des fondateurs et principaux moteurs de l’espéranto ouvrier. Le novlangue caricature les langues anglaises simplifiées, en particulier l'anglais basic.

L’idée sous-jacente au novlangue est que si quelque chose ne peut pas être dit, alors cette chose ne peut pas être pensée durablement faute de renforcement par l’échange. La question soulevée par cette supposition est de savoir si nous définissons toujours la langue ou sommes parfois « formatés » par elle. Par exemple, peut-on ressentir l’idée de liberté si nous ignorons ce mot ? Cette théorie est liée à l’hypothèse Sapir-Whorf et à la formule de Ludwig Wittgenstein : « Les limites de ma langue sont les limites de mon monde ».

[modifier] Doublepensée

Icône de détail Article détaillé : Doublepensée.

Outre la suppression des nuances, le novlangue est une incarnation de la double-pensée.

La double signification des mots possède le mérite (pour ses créateurs) de dispenser de toute pensée spéculative, et donc de tout germe de contestation future. Puisque les mots changent de sens selon qu’on désigne un ami du parti ou un ennemi de celui-ci, il devient évidemment impossible de critiquer un ami du parti, mais aussi de louer un de ses ennemis.

Prenons pour exemple le mot « blancnoir ». Quand il qualifie un ennemi, il exprime son esprit de contradiction avec les faits, de dire que le noir est blanc. Mais lorsqu’il qualifie un membre du Parti, il exprime la soumission loyale au Parti, l’aptitude à croire que le noir est blanc, et plus encore, d’être « conscient » que le noir est blanc, et d’oublier que cela n’a jamais été le cas (grâce au principe de « doublepensée »).

Une autre idée de la novlangue est d’associer deux termes différents en un seul mot afin que la pensée de l’un soit irrémédiablement associée à la pensée de l’autre : "crimesex"…

[modifier] Exemples de mots

  • Miniver : (ministère de la vérité).
  • Doublepensée : capacité à accepter simultanément deux points de vue opposés et ainsi mettre en veilleuse toute pensée critique.
  • Plusbon : meilleur.
  • Doubleplusbon : mieux.
  • Crimesex : activité sexuelle pratiquée sans but de reproduction.
  • Canelangue : qualifiant un opposant : verbiage ; qualifiant un membre orthodoxe du parti : éloquence.

[modifier] Exemple de piège par les mots ?

«  J’ai été frappé de me heurter au fait que les mêmes interlocuteurs qui, en situation de bavardage, faisaient des analyses politiques très compliquées des rapports entre la direction, les ouvriers, les syndicats et leurs sections locales, étaient complètement désarmés, n’avaient pratiquement plus rien à dire que des banalités dès que je leur posais des questions du type de celles que l’on pose dans les enquêtes d’opinion — et aussi dans les dissertations. C’est-à-dire des questions qui demandent qu’on adopte un style qui consiste à parler sur un mode tel que la question du vrai ou du faux ne se pose pas. Le système scolaire enseigne non seulement un langage, mais un rapport au langage qui est solidaire d’un rapport aux choses, un rapport aux êtres, un rapport au monde complètement déréalisé.  »
    — Pierre Bourdieu, Intervention au Congrès de l’AFEF, Limoges, 30 octobre 1977, parue dans Le français aujourd’hui, 41, mars 1978, p. 4-20 et Supplément au n° 41, p. 51-57. Repris dans Questions de sociologie, Les éditions de Minuit, 1980, p. 95- 112

[modifier] Voir aussi

[modifier] Références

[modifier] Notes