Nègre

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Pour les articles homonymes, voir Nègre (homonymie).
Sur cette affiche en anglais provenant de Londres vers 1844, on peut lire le terme de « Negro Melodies »
Sur cette affiche en anglais provenant de Londres vers 1844, on peut lire le terme de « Negro Melodies »

Nègre est un substantif masculin et un adjectif, désignant des personnes à la peau noire.

Le substantif, dans les pays francophones, dérive du portugais nero ou de l'espagnol negro (noir). Le terme ibérique est à l'origine descriptif, mais acquiert en français une connotation péjorative, emportant l'idée d'une population inférieure et vouée à l'esclavage.

Des chercheurs l'utilisent rapidement pour désigner les populations africaines ou d'origine africaine : (Carl von Linné, Buffon ou Blumenbach); ils considèrent à cette époque les « nègres » comme une variante particulière de l'espèce humaine[1]. Buffon considère ainsi que les variétés humaines sont issues d'une souche initiale qui s'est adaptée selon les milieux habités, et qu'après plusieurs générations, un groupe d'hommes blancs dans un environnement particulier deviendrait noir. « A la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, cependant, un nombre croissant d’auteurs, surtout parmi les partisans de l’esclavage, affirment que les races constituent autant d’espèces distinctes[1] ». Le mot « nègre » devient ainsi le marqueur de théories pseudo-scientifiques cautionnant l'esclavage en faisant des « nègres » des populations inférieures.

L'adjectif « nègre » sera aussi utilisé aussi au XXe siècle comme terme regroupant l'ensemble des populations africaines ou d'origine africaine, et retrouvera alors sa qualité purement descriptive de la spécificité d'une culture parmi d'autres : Picasso parlera alors de l'art nègre, et s'en inspirera. Une évolution similaire s'est produite aux États-Unis avec la version anglophone du mot : negro, descriptif, opposé à nigger, péjoratif.

Le poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire a forgé le mot négritude[2]. Parmi les "quelques autres" se trouvent Léopold Sédar Senghor qui a beaucoup promu le terme, et Ebénézer Njoh-Mouellé qui en fait une lecture bien plus critique, lui reprochant de masquer par des spécificités mineures l'universalité des aspirations culturelles humaines.

Sommaire

[modifier] Étymologie

Le mot « nègre » arrive dans la langue française en 1516, de l’espagnol ou du portugais : le mot est dérivé du latin niger, « noir ». Le mot negro en espagnol signifie également « noir ». Le mot « Nègre » est rare en français avant le XVIIIe siècle. Il s'impose au XVIIIe siècle avec le développement de la traite des Noirs — et comme un mot scientifique à travers les théories raciales de Voltaire, Hume, Kant ou Cuvier.

Le terme anglais nigger, hautement péjoratif, a été emprunté au français et a donné lieu à de nombreuses variantes (negar, neegar, nigga, neger ou encore niggor).

[modifier] Origine

La Géographie vivante d’Onésime Reclus, cours préparatoire et CM1 en 1926
La Géographie vivante d’Onésime Reclus, cours préparatoire et CM1 en 1926

Le terme « nègre » apparaît au XVIe siècle et désigne une personne à la peau noire, dite mélanoderme et, de ce fait, plus particulièrement originaire d'Afrique sub-saharienne. Les Portugais ont été les premiers Européens à avoir déporté des noirs comme esclaves dans leurs propres pays, en 1442. Après la Reconquista, les Portugais ont chassé les occupants arabes et ont fait des prisonniers. Des Arabes ont alors proposé d’échanger ces prisonniers contre des esclaves.

Les Espagnols ont été les premiers Européens à déporter des Noirs comme esclaves, aux Amériques. Ils désignent alors les noirs par le mot negro, qui signifie « noir » en espagnol, comme l'illustre une scène du film Amistad. Le premier sens du mot « nègre » est donc celui d'« esclave noir » et est lié aux théories raciales subséquentes qui font des noirs, un peuple d’esclaves. En français, on désignait ces populations d’abord par le mot neir (1080) puis par le mot « noir ». L’emploi du mot « nègre » était cependant rare avant le XVIIIe siècle, ce qui montre bien le caractère spécifique de ce mot. Il apparait en effet comme un mot pseudo-scientifique, pour cautionner l´esclavage. À travers les théories raciales de Kant, Voltaire, Hume, Rousseau et d´autres philosophes qui rapprochent les Noirs des animaux.

Avant l'esclavage, on désignait également les personnes mélanodermes comme des « maures », même si tous les maures ne sont pas noirs. Le terme « nègre » a diverses variantes : « négro », « négrillon », etc. Le mot nègre a aussi été utilisé dans des théories raciales concernant la colonisation de l’Afrique. Adolf Hitler aussi utilise ce terme pour référence au noir : ainsi, dans son livre Mein Kampf, il désigne la France comme un pays de nègres.

Avec l'abandon officiel de la politique raciste par les pays européens, le mot a été remplacé par « Noir », avec une majuscule éventuelle quand on souhaite insister sur l'idée de peuple (vers 1960). Les expressions politiquement correct telle que « personne de couleur » ou, dans le langage familier, le plus contestable anglicisme « black », sont devenues courantes.

En Haïti, qui fut la première République noire au monde et qui fut fondée par des esclaves évadés (les marrons), le mot créole Nèg désigne encore aujourd'hui un « gars », indépendamment de la couleur de sa peau.

[modifier] Article « Nègre » du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, Larousse de 1872

« C’est en vain que quelques philanthropes ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi intelligente que l’espèce blanche. Quelques rares exemples ne suffisent point à prouver l’existence chez eux de grandes capacités intellectuelles. Un fait incontestable et qui domine tous les autres, c’est qu’ils ont le cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux que l’espèce blanche, et comme, dans toute la série animale, l’intelligence est en raison directe des dimensions du cerveau, du nombre et de la profondeur des circonvolutions, ce fait suffit pour prouver la supériorité de l’espèce blanche sur l’espèce noire. Mais cette supériorité intellectuelle, qui selon nous ne peut être révoquée en doute, donne-t-elle aux blancs le droit de réduire en esclavage la race inférieure ? Non, mille fois non. Si les nègres se rapprochent de certaines espèces animales, par leurs formes anatomiques, par leurs instincts grossiers, ils en diffèrent et se rapprochent des hommes blancs sous d’autres rapports et nous devons en tenir grand compte. Ils sont doués de la parole, et par la parole nous pouvons essayer de les élever jusqu’à nous, certains d’y réussir dans une certaine limite. Du reste, un fait physiologique que nous ne devons jamais oublier, c’est que leur race est susceptible de se mêler à la nôtre, signe sensible et frappant de notre commune nature. Leur infériorité intellectuelle, loin de nous conférer le droit d’abuser de leur faiblesse, nous impose le devoir de les aider et de les protéger.  »
    — Pierre Larousse , Article Nègre, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1872)

Le XXe siècle montrera par la suite que cette infériorité n'a rien d'atavique et doit tout à des habitudes culturelles : baignés dans un milieu occidental, nombre de noirs, en France comme aux Etats-Unis d'Amérique, feront de brillantes carrières politiques (Gaston Monnerville...) ou professionnelles (Philip Emeagwali...).

[modifier] Revendications identitaires

Certains défenseurs des droits des Noirs ou de l'égalité entre les hommes ont tenté de donner un sens positif au mot « nègre », comme Voltaire dénonçant l'esclavage dans Candide.

C'est surtout dans la première moitié du XXe siècle que le terme est repris par des intellectuels noirs francophones, comme Léopold Sédar Senghor ou Aimé Césaire dans une perspective identitaire, quasi "nationaliste".

Aux États-Unis, le nationaliste afro-américain Marcus Garvey crée aussi en 1917 la United Negro Improvement Association (UNIA, toujours en activité), en revendiquant le terme negro, équivalent anglophone du nègre français.

À compter de cette date, le terme devient ambigu : son ancienne connotation méprisante reste utilisée dans certains milieux, quand sa connotation positive l'emporte dans d'autres.

Du fait de son ambigüité, le terme « negro » (nègre) est finalement remplacé vers la fin du XXe siècle par « african-american » aux États-Unis (l'usage du tiret est aujourd'hui déconseillé), et le mot « nègre » par « noir » (ou « Noir ») dans les pays francophones.

[modifier] Autres sens

Le mot « nègre » dans son acception contemporaine est largement controversé dans les pays où il est utilisé pour désigner spécifiquement les individus à la peau noire. Dans les pays ayant été impliqués dans le commerce triangulaire, « nègre » conserve un sens péjoratif fort, qui renvoie à une image biaisée de la population africaine.

  • La pâtisserie chocolatée nommée « tête de nègre » a vu sa dénomination remplacée par « meringue au chocolat » ou « tête au choco » dans le commerce pour cette raison. Il existait en France autrefois (dans les années 1950) une friandise aujourd'hui disparue, plate, de forme ovale et d'environ deux cm de haut, en réglisse donc noire, présentant sur une de ses faces la tête stylisée d'un noir et appelée aussi « tête de nègre ». En bibliophilie la couleur d'un maroquin marron foncé est définie : maroquin "tête-de-nègre".
  • Certains américains aux origines africaines se sont appropriés le terme argotique pour en faire un mot d'auto-référence. Ainsi, la jeunesse afro-américaine emploie couramment le mot nigga dans un but distinctif, voire respectueux. Cependant, la majorité de la population désignée par le mot « nègre » a toujours refusé cette appellation, qualifiée de hautement raciste et déshumanisante. L'adjectif negro est parfaitement neutre aux États-Unis, le substantif nigger rassemblant la totalité du contenu péjoratif. On préfère néanmoins African American, sans trait d'union.[3]
  • Au XXe siècle, le courant littéraire de la négritude s'est réapproprié le mot, qui est utilisé sans connotation dans l'expression « art nègre ».
  • L'emploi du mot « nègre » pour désigner une personne qui écrit pour le compte d'une autre, sans être mentionnée, provient probablement d'une assimilation entre « nègre » et « esclave », attestée par des expressions comme « travailler comme un nègre ». Dans ce cas-là, le mot anglais est ghostwriter. Pour éviter que cette expression française soit mal perçue, l'utilisation des termes écrivain privé, ou écrivain sous-traitant, ou encore du terme anglais seraient alors préférable.
  • Cependant, à l'école militaire de Saint-Cyr le mot nègre est utilisé depuis le XIXe siècle pour désigner au contraire le major, c’est-à-dire l'élève le plus brillant de la promotion. On connaît l'expression de Mac Mahon : « C'est vous le nègre ? Eh bien, continuez ! » qu'il fit entendre lors de sa visite de cette école. Le mot s'était révélé gaffeur car ce major de promotion (Camille Mortenol) était par ailleurs lui-même mélanoderme ! L'expression est passée à la postérité avec la dose d'humour qui se doit.
  • Le mot « nègre » est également utilisé aujourd'hui, dans le monde du travail, pour désigner une personne contrainte à subir le pouvoir et l'autorité excessifs d'un « supérieur » hiérarchique, à l'instar des esclaves noirs soumis à l'autorité du trafiquant ou du colon.
  • L'expression « travailler comme un nègre », qui n'a pas vraiment de connotation raciste, fait référence à la contrainte et à l'exploitation sans limites d'un travailleur.
  • La couleur « tête-de-nègre » est une couleur marron foncé.
  • Un "nègre" peut se dire d'une personne qui aide à l'écriture d'un livre, car la personne n'a pas la verve littérairede celui-ci. Beucoup de chanteurs, acteurs y font recours afin de publier une biographie, opinion ,...

D'une façon générale, en dehors des expressions courantes ci-dessus et dont il est relativement difficile de corriger l'usage, le mot « nègre » n'est plus utilisé dans le langage usuel hormis par les personnes qui font profession d'un racisme « négrophobe » couvert ou déclaré, ainsi que par quelques intellectuels restés attachés au sens identitaire du terme tels qu'il s'était développé au cours du XXe siècle.

Les termes « negro » et « negrou » sont également employés en français.

[modifier] Note

  1. ab Combattre le racisme, George M. Fredrickson, professeur d’histoire à l’Université de Stanford (Etats-Unis), auteur de The Comparative Imagination: on the History of Racism, Nationalism and Social Movements (University of California Press, 1997).
  2. "[...] le mot Négritude [...] c'est moi, avec la complicité de quelques autres, qui ai contribué à l'inventer et à le lancer." Aimé Césaire Discours sur le colonialisme, suivi de Discours sur la Négritude Présence Africaine, juillet 2004 ISBN 2-7087-0531-8
  3. Voir à ce sujet en:Hyphenated American.

[modifier] Voir aussi