Motivation (linguistique)

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Le terme motivation désigne plusieurs notions en linguistique :

Sommaire

[modifier] Définitions

[modifier] Sens philosophique

La motivation au sens ancien est une notion Philosophique qui a son origine dans la philosopie platonicienne et est aussi nommé cratylisme ou parfois mimologisme. "Cratylisme" est dérivé du nom du dialogue de Platon le Cratyle, dont le héros éponyme élabore une théorie de l'origine des mots et de leur lien aux choses. Ce mot a été popularisé dans les années 1970 par le théoricien de la littérature Gérard Genette.

La théorie du personnage Cratyle est que la relation entre les mots et les choses est motivée, c'est-à-dire qu'il y a un rapport obligé, naturel et consubstantiel entre le mot et la réalité désignée, et qu'il a la même forme que cette réalité (d'où son équivalent de mimologisme). La thèse que lui oppose le personnage Hermogène [] est celle du nominalisme, terme à ne pas confondre avec le concept philosophique de nominalisme, qui dérive du latin nomina, “nom”: ici, il s'agit d'une formation sur le terme νομοσ qui signifie "loi", "règle" en grec. Cette théorie nominaliste est assez proche de celle de la linguistique actuelle car elle postule une forme d'arbitraire, Socrate soutenant que les mots sont attribués aux choses par la décision de sortes de législateurs de la langue, sans qu'il y ait de lien naturel entre les deux.

Les diverses écoles linguistiques actuelles ne retiennent plus les hypothèses de type mimologique, bien que certaines reviennent en partie sur le concept saussurien d'arbitraire du signe, sinon pour certains signes comme les onomatopées, qui miment les sons non linguistiques qu'elles désignent.

[modifier] Motivation en diachronie

La linguistique historique ainsi que la grammaire comparée s'occupent de l'évolution des langues sur la longue durée. Si elle s'intéresse aussi à l'évolution des sens, son principal objet est l'évolution des formes, de la morphologie des mots. Dans ce cadre, la motivation a une triple acception; elle désigne un procédé courant, dit réfection analogique, d'ajustement morphologique de mots irréguliers selon la forme habituelle des mots réguliers de la même classe, un procédé habituel de formation de néologismes à partir de mots et d'affixes disponibles dans le stock de la langue et, en un sens négatif, l'absence de relation de certains mots (néologismes, mots venant d'autres langues) avec ceux appartenant au stock disponible des mots et affixes «natifs».

La motivation par réfection analogique consiste, sans entrer dans les détails, à modifier la prononciation ou la graphie de certains mots qui, par le processus de l'usure phonétique sont devenus proches par la forme d'autres mots, alors qu'à l'origine ils avaient une forme assez ou très différente, et qui en outre ont souvent une forme irrégulière relativement aux mots de la même classe. C'est un procédé assez courant surtout pour les verbes. Ce type de motivation est assez rare dans les langues actuelles les plus normalisées, telles que l'allemand, le français, l'anglais ou l'espagnol et plus généralement les langues fixées anciennement par l'écriture: la majeure partie des langues européennes actuelles ne connaissent plus ce phénomène que marginalement.

La motivation des néologismes, bien que partant d'un procédé formel, a cependant un rapport à la sémantique, en ce sens que c'est parce que l'on connaît et comprend le sens des racines et affixes disponibles dans la langue qu'on est à même de créer des néologismes ayant une motivation, c'est-à-dire, que l'auditeur est capable d'admettre comme correspondant à une forme acceptable pour la langue concernée. Bien que par définition un néologisme ressorte de la synchronie pour son sens et son usage, cette forme de motivation est d'ordre diachronique, car elle s'appuie sur une connaissance généralement inconsciente mais réelle de l'histoire de la langue, qui permet à un locuteur de déterminer si un certain mot a une forme acceptable. La création de formes motivées peut aller du plus simple et ordinaire (création de verbe à partir d'un substantif ou d'un substantif à partir d'un adjectif, etc.) au plus complexe, la création de mots nouveaux composés d'une ou plusieurs racines et d'un ou plusieurs affixes. Ce cas est surtout courant pour les mots scientifiques et techniques et, pour les langues européennes, le plus souvent à partir d'éléments tirés du grec et du latin.

En contraste, un mot directement importé d'une langue inhabituelle est par nécessité non motivé, puisqu'il ne se relie pas au stock des mots ou éléments de mots disponibles. Ce caractère de non motivation ne s'efface pas avec le temps, sauf si le mot est normalisé, qu'il subit une réfection analogique. Chose qui n'est possible que pour des mots formellement proches d'autres mots de la langue. Cette non motivation n'induit pas que le locuteur ressente un mot comme «non local», d'autant s'il est importé de longue date, simplement il ne peut pas le relier à une famille ou à une classe de mots natifs. Par exemple, le locuteur francophone peut à la fois considérer des mots à la terminaison en -ing (parking, camping, karting, jogging...) comme «français», tout en ne les reliant pas aux mots de formation native et en les déterminant comme «mots anglais» (bien que certains, comme “parking”, soient des créations françaises).

[modifier] Motivation en synchronie

Il y a deux aspects, la non motivation comme concept linguistique, et celle ordinaire, qui a beaucoup de rapports avec ce qu'on nomme les faux-amis, les termes qui ressemblent à des mots d'une certaine langue mais ont un sens assez ou très différent de ces mots.

Le concept de non motivation en linguistique, qui est ancien (voir sens philosophique), n'est nommé ainsi que depuis le début du XXe siècle, d'après la théorie saussurienne de la langue.

Au tournant des XIXe et XXe siècles, Ferdanand de Saussure, linguiste suisse qui enseigna dans son pays et en France, fut le premier à poser les bases d'une synthèse de l'étude de la langue comme branche des sciences humaines et sociales, d'où découleront les écoles linguistiques structuralistes européennes; bien que beaucoup des notions qu'il traita dans son cours de linguistique générale ne fussent pas nouvelles, c'est la synthèse de ces notions et l'établissement de dénominations claires qui fait l'intérêt de son œuvre et explique son importance dans la linguistique contemporaine. On peut même dire qu'il est le fondateur de la linguistique comme domaine propre des sciences sociales et l'inventeur de la notion de linguistique générale, regroupant les linguistiques diachronique et synchronique, et faisant de domaines connexes (phonétique, phonologie, philologie) des branches de cette linguistique.

Un de ses apports essentiels est l'analyse du signe linguistique en quatre composantes, formant, signifiant, signifié et image mentale, le premier terme désignant la réalisation effective d'un mot, son aspect sonore (phonétique), le deuxième, les traits pertinents (phonologiques) d'une réalisation effective, le troisième, le(s) concept(s) lié(s) au signifiant, le quatrième, la représentation mentale que chaque locuteur associe à la réalité que désigne le signifié. Pour Saussure, et pour la majorité des linguistes après lui, la linguistique doit s'intéresser avant tout au signifiant et au signifié, le formant concernant surtout la phonétique ou étude des sons en tant qu'eux-mêmes, l'image mentale étant du ressort de la psychologie.

La question de la motivation concerne dans ce cadre la relation entre signifiant et signifié. Dans la théorie de Saussure, reprise par toutes les écoles linguistiques se rattachant au structuralisme, cette relation est dite non motivée et l'on parle en ce cas d'arbitraire du signe, au sens où il n'y a pas de lien naturel et obligé entre signifiant et signifié. L'existence attestée de langues diverses désignant les mêmes réalités par des signifiants différents ou associant les mêmes formant à des signifiés inassimilables.

Cependant, et c'est là l'autre usage du mot en synchronie, il y a une forme de motivation des mots d'une langue, mais interne à cette langue: la capacité d'un locuteur à «motiver» un mot inconnu par association de forme avec d'autre mots de la langue. Et a contrario l'impossibilité de motiver un mot non associable ou de faire une motivation erronée par fausse association à des mots connus.

Cette capacité de motivation intra-linguistique est bien sûr ce qui autorise un locuteur à créer des néologismes par combinaison de racines et d'affixes, mais aussi ce qui permet la création de néologismes par combinaisons de mots selon les procédés de l'analogie ou métaphore et de la proximité ou métonymie, ou le plus souvent par une combinaison des deux procédés.

Par exemple, un locuteur qui n'aura jamais rencontré le mot “portable” est capable de déterminer qu'il désigne «ce qui peut être soulevé ou déplacé», par compréhension de la racine “port-” qui signifie soulever, déplacer, et du suffixe “-able” qui signifie «ayant la qualité de». Cela n'implique pas qu'il aura immédiatement la compréhension de l'usage réel et multiple d'un mot de la langue, mais qu'il est en état de déterminer le sens commun minimal justifiant la désignation de réalités diverses par ce mot particulier.

De même, un locuteur qui rencontre pour la première fois un composé comme “pomme de terre” ou “chemin de fer” en voyant la réalité désignée est en état de comprendre que le premier élément est une analogie (qui ressemble à une pomme, à un chemin) et que le second réfère à une proximité (qui pousse dans la terre, qui est fait avec du fer).

[modifier] Critiques et Perspectives

[modifier] Une motivation symbolique inconsciente

La question de la motivation des mots n’est pas nouvelle. Quatre cents ans avant J-C., dans le discours de Cratyle, Platon expose les deux thèses opposées sur la nature des mots : pour Hermogène, partisan de l’arbitraire du signe, il n’y a entre signifiant et signifié qu’un lien abstrait et extrinsèque, établi par convention, tandis que pour Cratyle, partisan de la motivation, les mots sont une peinture des choses, ils ressemblent à ce qu’ils signifient, ce sont des symboles. Le symbole comporte cette part de signe brisé puis réuni, évoquant une communauté qui a été divisée avant de se reformer. Irrationnel le symbole parle le langage de l'inconscient, un langage essentiellement suggestif et subjectif. Pour Freud la fonction symbolique prend origine dans une langue fondamentalement primitive, dont il postule l'existence: il l'étudie dans les rêves et les mots d'esprit où il perçoit des éléments de "sa" Grundsprache, traces d'un héritage phylogénétique.

La définition saussurienne du signe verbal, "c.i.a." (conventionnel, immotivé, arbitraire) remis en cause pour les onomatopées, ne concerne que la partie émergée consciente de l'iceberg d'une langue. Mais comme l'avait fort bien appréhendé Victor Henry, un professeur de sanskrit, contemporain de Saussure, "Le langage est le produit de l'activité inconsciente d'un sujet conscient" (Antinomies linguistiques 1896).

Les psychanalystes et en particulier Lacan ont montré la primauté du signifiant sur le signifié. Lacan a écrit que l'inconscient est structuré comme un langage et qu'il est construit de séquences littérales. Dans un récent ouvrage(2006), le docteur Christian Dufour semble démontrer la motivation inconsciente systématique du signe verbal selon un code bi-littéral, remettant totalement en cause la linguistique consciente saussurienne.

"Les mots seraient des ensembles d'unités signifiantes, des codons signifiants inconscients reliés essentiellement à l'émotion et à la géométrie, gérées par le système limbique (hippocampe et amygdale)."

Un simple exemple sur le codon cr est sans doute plus révélateur qu'un long discours : en effet le couple de lettres “CR”, sorte de funèbre scripteur signe par son empreinte mortelle et cassante de nombreux mots français.

[modifier] Le codon "CR" signe et symbole linguistique primitif de mort

Quand les hommes primitifs ont vu et entendu CRaquer les os des squelettes et les branches mortes, il est probable qu’ils ont inventé pour le communiquer des onomatopées du type CRac, imitation du CRaquement perçu. Cette onomatopée est à l'origine du verbe CRaquer, mot imitant un bruit sec (choc, rupture) ou évoquant une chose brusque, de même que CRic-CRac, onomatopée exprimant le bruit soudain d'une chose qui se déchire. Ainsi le son CR a été associé par conditionnement non conscient aux images de casse pour les objets et de mort pour les êtres vivants comme le démontre la litanie de CR qui marque nos mots français.

Crever, n’est-ce pas mourir ? CReuser une tombe, sépulCRe, CRypte funéraire, néCRopole, voilà la rubrique néCRologique, du grec nekros, mort. La néCRopsie, examen des cadavres, et le néCRophage qui se nourrit des morts y sont inscrits. Sur la tombe se dressent des CRoix (CRux, CRucis en latin, CRoss en anglais, KReuz en allemand), devenues signes de mort pour les non-croyants. Se signer, c’est faire le signe de Croix.

Le CR phonétique de la mort est associé à la naissance du signe et du symbole. C'est pourquoi cet exemple est choisi pour la démonstration de l'existence d'unités signifiantes symboliques inconscientes dans les mots.

Le CRâne osseux, la tête de mort utilisée souvent sous forme iconique, est bien un symbole de mort.

Lorsqu’on tue un homme, on signe son CRime ; avant de tuer une masse d’individus, le chef donne le signal du massaCRe et la police donne le signalement de la CRapule, apte à tuer. Le saCRifice est un crime religieux. La CRémation avec ses fours CRématoires consiste à brûler les morts.

La fleur symbolique des morts en France est le CHRysanthème ; celui qui signait la mort en CRoquant un orteil se nommait CRoque-mort ; le morceau de tissu noir que l'on portait en signe de deuil à la coiffure ou au revers de la veste est un CRêpe noir, insigne de mort.

Le CRépuscule signe la mort du jour et parfois celui des Dieux avec un C majuscule. L’eau morte est CRoupie. La trompette de la mort, qui peut être celle qui annonce le Jugement dernier dans l’Apocalypse de St Jean, est aussi un champignon, qui se nomme CRaterelle. Le point ou le jour CRitique signale le risque de bascule dans la mort. Les moribonds se nomment CRoulants, vieux CRoûtons ou déCRépits. Mort de fatigue, on est reCRu ou Crevé ! CRoquer la pomme fut pour Adam sa condamnation à n’être plus que mortel.

[modifier] Un petit CR bien français

La fonction de ce signe CR se trouve dans des expressions populaires de la faim: avoir un petit CReux, un CReux à l'estomac, avoir les CRocs, une CRampe d'estomac, un ventre qui CRie famine, CRever de faim ou CRever la dalle.

Ainsi le langage populaire utilise au moins 5 sémantèmes différents porteurs de CR (CReux, CRampe, CRoc, CRever, CRie) pour signifier la valeur vitale et primitive de la faim. Manger est un impératif de survie et mourir de faim est fréquent : un meurt-de-faim (1690), un CRève-la-faim (1877). A l'estomac vide, au CReux physique, à la stimulation du centre de la faim du cerveau primitif humain, répond ce signal sonore CR qui CRie famine et qui fait CRier : je la Crève ! Et pour éliminer ce CR de la faim, l’expulser, le mettre dehors :“out”, on casse la CRoûte (6e sémantème en CR) avec le casse-CRoûte.

Par extension le signe CR s'est généralisé à des mots signalant des dangers primitifs de mort : Les CRocs symbolisent les prédateurs, le Crocodile, le CRotale au poison mortel. La CRue de la rivière peut être synonyme de dévastation et de mort. Le CRiquet migrateur provoque la famine et la mort (la lutte antiaCRidienne). Le CRan d’arrêt est un couteau à l’usage parfois mortel.

[modifier] Le CR de la casse

"Tant va la CRuche à l'eau, qu'à la fin elle se casse".

Le CR de la mort (qui en langage populaire se dit aussi : casser sa pipe, casse-pipes) des êtres vivants résonne avec le CR de la casse des objets, du CRaquement, de la ligne brisée. La CRuche, qui tant va à l'eau, se casse, reste le symbole du mouvement à risque de casse, dont résonnent maints autres termes. éCRaser : casser. S'éCRouler, CRouler, éCRabouiller : notion de casse. CRustacés : CRevette, CRabe, éCRevisse: on les casse pour les manger. SuCRE : se casse et l'on dit casser du suCRe sur quelqu'un. CRaie et CRayon : instruments cassants. CRaquer, c'est s'effondrer psychologiquement. La CRuauté fait CRaquer la victime.. Se CReuser la tête, se casser la tête. Faire "CRic", c'est casser les pieds. CRiard, CRi : qui casse les oreilles. La CRoûte qui CRaque (le CRatère fait CRaquer la CRoûte terrestre et la croûte de pain Croustiller : les Crudités cassent sous la dent. CRéneau, CRan, Crête, CRénelé : ligne cassée. CRémaillère : pièce munie de CRans. Etc.. CRapaud : dans l'ancienne Egypte, le CRapaud était associé aux morts ; on en a découvert momifiés dans des tombeaux. Au Moyen Âge, le CRapaud était avec le serpent, l'attribut naturel du squelette.

Seuls quelques préfixes peuvent annuler cette mort: ainsi avec a privatif grec : L'Acropole devient la cité immortelle.

[modifier] Un code inconscient motivé d'évolution diachronique stable?

L'exemple du codon de couple de lettres cr illustre bien que certaines séquences littérales des signifiants sont reliées de longue date à des unités signifiées inconscientes. Les mots, d'après le docteur Christian Dufour, seraient ainsi construits de la juxtaposition de la droite vers la gauche d'unités signifiantes inconscientes chargées de symboliser le référent. Le mot ne serait plus un signe linguistique duel conventionnel, mais un ensemble symbolique trinitaire : caractéristiques géométriques et émotives du référent / unités inconscientes signifiées / unités signifiantes associées par conditionnement primitif sensoriel aux caractéristiques du référent (comme pour les onomatopées).

Ce code linguistique inconscient permet un décodage ou une transcription des mots de la droite vers la gauche: nos mots conscients sont tous construits ainsi, par exemple tuméfaction est bien une action qui a tuméfié ou stupéfaction une action qui stupéfie. En premier à la droite du mot est placé le concept général et les élément plus à gauche en précisent le type ou la nature. L'évolution d'une langue montre la rendance au moindre effort qui pousse les locuteurs à supprimer une partie des mots. Baccalauréat devient Bac, professeur prof, cinématographie cinéma puis ciné, etc. Cette suppression de phonèmes en fin de mots réalise l'apocope qui est le procédé habituel car elle conserve la partie du mot qui comporte le message le plus précis. L'argot qui privilégie parfois le flou pour accroître le secret de sa terminologie, abuse de la mutilation inverse en supprimant les premiers phonèmes ce qu'on appelle l'aphérèse. Musique devient zik, bignouf devient gnouf.

[modifier] La stabilité diachronique des unités inconscientes

Deux exemples:

  • si l'on prend un mot (qualifié à tort d'enfantin) comme "bobo" , il comporte dans sa chaîne signifiante, le couple de lettres ob qui garde le même sens que la préposition latine ob : en face de , à l'encontre de... ce qui s'est réalisé lorsque l'on s'est fait "bobo".
  • l'unité bl inconsciente signifie soit éblouissement, soit aveuglement, inaptitude. Cette ambivalence sémantique caractéristique de l'ensemble des 120 unités du code inconscient mis en évidence par le docteur Christian Dufour, peut dans ce cas être source d'une ambiguïté permanente inconsciente. Éblouissement et aveuglement sont deux concepts parfois synonymes, semblables : lorsqu'on est ébloui, on est bien aveuglé, dans le noir (black). Mais l'éblouissement, c'est aussi l'émerveillement, la fascination, la brillance ou l'éclat, c'est-à-dire l'inverse de l'obscur ou du noir du monde de l'aveugle ou de l'aveuglé.

L'éblouissement par reflet éclatant de lumière est la caractéristique de nombreux mots français tels blanc, blond (onde éblouissante) ou blé;, tandis que l'aveuglement semble prépondérant dans les langues anglosaxones car blind signifie aveugle en allemand et en anglais. Or ce couple phonémique existait déjà dans la racine indo-européenne bhlendh, réapparue dans le lituanien blesti-s au sens de perdre la vue en regardant le soleil, avoir un regard trouble. La stabilité diachronique des unités signifiantes motivées inconscientes contraste avec l'instabilité diachronique des mots dans le lexique de chaque langue. Cette stabilité linguistique inconsciente n'est pas spécifique à une langue mais se vérifie pour des langues d'origine commune comme les langues indo-européennes.

L'ambivalence systématique des codons inconscients explique en grande partie la polysémie des mots:

  • dans blanc et bleu (comme le ciel) le couple bl code pour l'éblouissement de ces couleurs.
  • mais dans " un bleu ou un blanc-bec" bl code pour l'inaptitude.

Cette ambiguïté sémantique inconsciente des unités n'est pas répartie de façon équivalente dans les mots du lexique d'une langue. Il existe une sorte de balance entre les deux sens qui peut pencher davantage dans un sens que dans l'autre dans le lexique selon la langue et sa diachronie. Par exemple, les histoires de blondes écervelées contées actuellement en France révèlent sans doute l'influence inconsciente croissante de l'anglais où bl au sens d'aveugle, inapte est prépondérant. La publicité, nouvelle forme de diable, n'a-t-elle pas ce double pouvoir d'éblouissement et d'aveuglement? Le bla-bla mot onomatopéique comporte déjà ces deux aspects sémantiques inconscients associant l'éblouissement à l'aveuglement.