Maurice Blanchot

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Maurice Blanchot (l'ancien hameau de Quain, sur la commune de Devrouze en Saône-et-Loire, 22 septembre 1907 - Le Mesnil-Saint-Denis, Yvelines, 20 février 2003) est un romancier, critique et philosophe français. « Sa vie fut entièrement dévouée à la littérature et au silence qui lui est propre. »[1]

Sommaire

[modifier] Biographie

Maurice Blanchot naît le 22 septembre 1907 au hameau de Quain à Devrouze (Saône-et-Loire), dans un milieu aisé. Il suit ses études à Strasbourg (allemand et philosophie) jusqu'en 1925. Il fréquente l’Action française et déambule muni d'une canne au pommeau d'argent. C'est à Strasbourg qu'il rencontre Emmanuel Levinas : « très éloigné de moi politiquement à cette époque-là, il était monarchiste. » Blanchot dira : « [...] Emmanuel Levinas, le seul ami - ah, ami lointain - que je tutoie et qui me tutoie ; cela est arrivé, non pas parce que nous étions jeunes, mais par une décision délibérée, un pacte auquel j'espère ne jamais manquer. » (Pour l'Amitié). En 1928, il achève la lecture de Être et Temps de Martin Heidegger : « Grâce à Emmanuel Levinas, sans qui, dès 1927 ou 1928, je n'aurais pu commencer à entendre Sein und Zeit, c'est un véritable choc intellectuel que ce livre provoqua en moi. Un événement de première grandeur venait de se produire : impossible de l'atténuer, même aujourd'hui, même dans mon souvenir. » (cité par Christophe Bident, p. 44). Il passe son Certificat d'études supérieures à Paris en 1929, puis se diplôme à la Sorbonne en 1930 en réalisant un travail sur la conception du dogmatisme chez les sceptiques. Il suit alors des études de médecine à l'Hôpital Sainte-Anne, avec une spécialisation en neurologie et psychiatrie.

À partir de 1931, Blanchot collabore avec certains journaux et revues d'extrême droite : il publie son premier texte en juin 1931 dans la Revue française : « François Mauriac et ceux qui étaient perdus ». Critique littéraire, pendant la guerre, et chroniqueur au Journal des Débats, il y devient rédacteur en chef - « [...] et c'est là qu'il passera, pendant près de dix ans, le plus clair de son temps » (Bident, p. 68). En 1932, il commence la rédaction de Thomas l'Obscur. En 1933, il entre au Rempart (de Paul Levy) tout en poursuivant son travail au Journal des Débats. « Avec Blanchot, Maxence et Maulnier à des postes-clés, la "jeune droite" occupe cependant une place importante » (Bident, p. 73). Après la fin du Rempart, Blanchot retrouve Levy à Aux Écoutes où il est également rédacteur en chef. En 1935-1936, il écrit Le dernier mot et L'idylle, qui seront d'abord republiés dans Le ressassement éternel en 1951, puis dans Après coup en 1983. En 1936 il entre à la revue Combat, où il vitupère Léon Blum, puis à L'Insurgé en 1937.

En mai 1940, Thomas l'Obscur est terminé : Jean Paulhan le reçoit chez Gallimard. Pendant l'Occupation, à partir de mai 1940, Blanchot abandonne le journalisme politique mais à partir d' « avril 1941, et jusqu'aux derniers jours, Blanchot assurera le Journal des Débats, toujours plus vichyste, ultra-maréchaliste, d'une chronique littéraire régulière » (Bident, p. 155). En novembre, Blanchot sauve Paul Levy de la Déportation, puis mettra en sécurité la femme et la fille de Levinas. Il participera à un réseau d'aide aux clandestins dans sa région natale. À la fin de 1940, il rencontre Georges Bataille ainsi que sa compagne Denise Rollin (qui aura peut-être une aventure avec Blanchot). Bataille lit à Blanchot L'Expérience intérieure, qui sera fort redevable à Thomas l'obscur. Celui-ci fut publié en 1941 : Paulhan le conseille à la NRF (Nouvelle Revue française) ; en 1942 suit son second roman, Aminadab. Il rencontre Dionys Mascolo en 1943, alors qu'il publie son premier recueil de textes critiques, Faux Pas, premier recueil de critiques. Il devient membre du Jury du Prix de la Pléiade.

En 1944, Blanchot séjourne à Quain où il prétendra avoir vécu l'un des événements les plus dramatiques de sa vie, relaté cinquante ans plus tard dans L'instant de ma mort : il aurait soi-disant failli être fusillé par des soldats allemands. Pour redorer son blason, il inventa cette fable qui lui permit de faire croire que "la mort, comme déjà passée et devant revenir à nouveau, ne le quitterait plus."

Après la Guerre, Blanchot devient un membre éminent de la scène littéraire française. Il est membre du jury du Prix des Critiques en 1945, puis collabore dès 1946 à diverses revues importantes : L'Arche, les premiers numéros des Temps Modernes, la nouvelle revue Critique ou il rencontre Jean Piel. À la fin de l'année 1946, il décide de quitter Paris et s'installe à Èze dans les Alpes-Maritimes.

Il poursuit une œuvre toujours plus exigeante et de laquelle il extirpe toute donnée biographique. Il publie son dernier roman, Le Très-haut en 1948, et dès 1947, avec Le dernier mot jusqu'à la fin de sa vie, il n'écrira plus désormais que des récits. Une étude , Lautréamont et Sade, est publiée en 1949, ainsi qu'un second recueil de textes critiques, La part du feu, dans lequel se trouve peut-être le programme de son "livre" à venir, La littérature et le droit à la mort. Il publie dans la revue Empédocle Un récit ? (qui ne sera publiée en livre qu'en 1973 sous le titre La folie du jour). Suite au choix du genre du récit, il retravaille Thomas l'obscur, l'abrège de deux cents pages, le termine en 1948 (il sera republié en 1950). En 1953, il commence sa collaboration à la NNRF, régulièrement, jusqu'au moins 1969. Il regroupe les premiers de ces essais (les Recherches) dans L'espace littéraire, puis Le livre à venir. Un autre récit suit, Le dernier homme, en 1957. Il revient alors à Paris, où il rencontre Robert Antelme, dont il deviendra l'ami.

Toujours plus absent, il côtoie pourtant Antelme, Marguerite Duras, Mascolo, Gineta et Elio Vittorini, et sa pensée se radicalise. Il participe activement au Manifeste des 121 défendant le droit à l'insoumission en Algérie. À partir de 1960-1961, l'idée germe de création d'une Revue internationale. Le projet, porté par Blanchot jusqu'en 1964 au moins, recoupera l'histoire de la plupart des écrivains importants des années cinquante et soixante en Europe, ainsi qu'aux États-Unis et en Amérique du Sud. Louis-René des Forêts sera l'un des piliers, avec Vittorini, Magnus Enzensberger, et dans une moindre mesure, Italo Calvino, Roland Barthes, Michel Butor, Günter Grass, etc[5].

En 1962 paraît L'Attente l'oubli, point d'orgue de son œuvre, et premières tentatives d'écriture du fragment.

Blanchot rencontre Jacques Derrida en 1967, puis Michel Foucault, Gilles Deleuze, Roland Barthes et Roger Laporte. Il participe aux cortèges de Mai-Juin avec Mascolo et Duras notamment, et il participe aux Comités Écrivains-Étudiants. Blanchot se retire alors de plus en plus dans le silence, ne réservant son accueil qu'à de rares amis. Après la publication de la somme qu'est L'entretien infini en 1969 (année de la mort de Jean Paulhan), il ne s'adonnera plus qu'au fragment. Le pas au-delà (1973), puis L'écriture du désastre (1980). Son dernier livre de narration L'Instant de ma mort, paraît en 1994. Ce livre marque la transition entre le personnel et le collectif, le biographique et le récit.

La communauté inavouable (1983), sur Bataille, Duras et le communisme, marque le début de plusieurs textes à la fois politiques et d'hommages, comme Pour l'amitié ou Les intellectuels en question en 1996, ou d'autres d'abord publiés chez Fata Morgana (dont Blanchot claque la porte en 1996 suite à l'affaire Alain de Benoist, publié par l'éditeur) puis regroupées dans Une voix venue d'ailleurs en 2001 (essais sur des Forêts, Michel Foucault, Paul Celan). Il prendra encore position en faveur du Peuple Juif, pour la reconnaissance légale du couple homosexuel, contre les lois Debré.

Ne côtoyant plus que Jacques Derrida et deux ou trois amis proches, Blanchot meurt en 2003, à l'âge de 96 ans.

[modifier] L'œuvre de Maurice Blanchot

La portée, l'influence, l'importance des textes de Maurice Blanchot sur la littérature et la philosophie françaises d'après-guerre est un fait incontestable. Son œuvre balance à première vue entre hermétisme (revenant à l'un des auteurs les plus lus de Blanchot, Stéphane Mallarmé) et terrorisme (imputable à une autre des figures de formation du jeune Blanchot, celle de Jean Paulhan)[2]. L'œuvre de Blanchot serait ainsi l'héritière d'une tradition littéraire française qui, née peut-être de l'audience d'écrivains tel que Maurice Scève, se répercute chez Mallarmé, Paul Valéry, Paulhan et se poursuivrait peut-être, dans une certaine mesure toutefois, chez Samuel Beckett, Marguerite Duras, Edmond Jabès ou Jacques Derrida.

Son œuvre, le silence dont il a cerné sa vie d'homme, mais aussi ses engagements politiques et sa poétique exigeante, ont érigé Blanchot en une espèce de figure mythique, guide ou nocher, ou, dans le cas contraire, ennemi public ou gourou. La passion que cristallise son nom n'a d'égal que l'absence de renommée auprès du grand public[3].

Son cheminement politique (de l'extrême-droite à l'extrême-gauche) ; ses prises de positions, notamment contre Charles de Gaulle ; son opposition, moins virulente, à Jean-Paul Sartre ; les écrivains qui se réclament de lui ou que lui-même a soutenu contre tous ; son irrésistible parenté avec la Nouvelle Nouvelle Revue Française ; son engagement auprès du peuple Juif et le questionnement impossible de la Shoah (Auschwitz) ; enfin ses amitiés indéfectibles, en tête celle avec Emmanuel Levinas et celle avec Georges Bataille font de lui, bien qu'absent de la scène médiatique et sujet à une maladie obscure qui semble éternelle, un témoin obligé de la vie culturelle de l'après-guerre.

[modifier] La parole de Blanchot

Pour le lecteur qui découvre la première fois Blanchot, soit par le récit ou le roman, soit par l'essai[4], l'expérience est nouvelle. À lire Blanchot, le lecteur consent à entrer dans un langage qui, bien que jamais réellement difficile, surprend, et nécessite un effort de par sa syntaxe ardue et sa rigoureuse méthode : méthode dont la rigueur consiste essentiellement à pousser jusqu'au bout à la fois la pensée et le langage et le rapport que les deux entretiennent.

Influencé par le versant linguistique de la réflexion de Jean Paulhan, notamment les textes sur le triptyque pensée-langage-signe (d'une facture différente des préceptes du structuralisme linguistique de Saussure à Jakobson) : Jacob Cow le pirate (1921), Clef de la Poésie (1944), et bien sûr Les Fleurs de Tarbes (1941). Le premier texte critique publié par Blanchot : Comment la littérature est-elle possible ?, en 1942 chez José Corti, précisément entre les Fleurs et Clef de Paulhan, marque à la fois l'empreinte de celui-ci et le souci majeur de la “poétique” blanchotienne.

En effet, tous les premiers écrits de Blanchot, qui méditent sur un énorme réservoir de publications françaises et étrangères (notamment allemandes et américaines), apparaissent moins comme des essais au sens classique que comme une expérience littéraire propre, un avant-propos, une initiation à la Montaigne, dont la suite de l'œuvre ne sera jamais plus que l'approfondissement.

Remarquons enfin que cette époque correspond au début de l'écriture du grand roman de Blanchot, Thomas l'obscur. Ce que l'on peut dire de cette époque de formation (longue toutefois), le texte blanchotien se construit, et pour en saisir le sel, nous pouvons poser comme citation liminaire cet extrait de Thomas l'obscur.

« Thomas demeura à lire dans sa chambre. Il était assis, les mains jointes au dessus de son front, les pouces appuyés contre la racine de ses cheveux, si absorbé qu'il ne faisait pas un mouvement lorsqu'on ouvrait la porte. ceux qui entraient, voyant son livre toujours ouvert aux mêmes pages, pensaient qu'il feignait de lire. Il lisait. Il lisait avec une attention et une minutie insurpassables. Il était, auprès de chaque signe, dans la situation où se trouve le mâle quand la mante religieuse va le dévorer. L'un et l'autre se regardaient. Les mots, issus d'un livre qui prenait une puissance mortelle, exerçaient sur le regard qui les touchait un attrait doux et paisible. chacun d'eux, comme un œil à demi fermé, laissait entrer le regard trop vif qu'en d'autres circonstances il n'eût pas souffert [...] Il se voyait avec plaisir dans cet œil qui le voyait. Son plaisir même devint très grand. Il devint si grand, si impitoyable qu'il le subit avec une sorte d'effroi et que, s'étant dressé, moment insupportable, sans recevoir de son interlocuteur un signe complice, il aperçut toute l'étrangeté qu'il y avait à être observé par un mot comme par un être vivant, et non seulement un mot, mais tous les mots qui se trouvaient dans ce mot, par tous ceux qui l'accompagnaient et qui à leur tour contenaient eux-mêmes d'autres mots, comme une suite d'anges s'ouvrant à l'infini jusqu'à l'œil absolu. D'un texte aussi bien défendu, loin de s'écarter, il mit toute sa force à vouloir se saisir, refusant obstinément de retirer son regard, croyant être encore un lecteur profond, quand déjà les mots s'emparaient de lui et commençaient de le lire. »
    — (pp. 27-28)

Cette longue citation, malgré sa décontextualisation et l'impossibilité chez Blanchot d'élever des phrases à des exempla, nous permet de poser, en premier lieu, l'une des principales thématiques chez Blanchot : la lecture.

[modifier] Le rapport : lecture <—> écriture

Car Maurice Blanchot est avant tout un lecteur, qui assaille d'une lecture serrée le remous littéraire. Si Thomas l'obscur était le premier roman de l'auteur, celui-ci écrit depuis les années trente des articles qui s'autorisent de plus en plus des incursions en terrain littéraire, pour devenir réellement lectures.

Tout le répertoire classique y passe, ainsi que nombre des parutions contemporaines de l'époque. Les deux premiers recueils critiques de Blanchot, Faux pas et La part du feu regorgent de textes qui cherchent à cerner quelque chose de la littérature.

Ce quelque chose, il arrive à la fin de La part du feu (cf. le texte fondateur « La littérature et le droit à la mort », qui transcende l'œuvre de Hegel par celle de Mallarmé) ainsi que dans le petit essai Comment la littérature est-elle possible ?. Comme le dit Blanchot, le travail de l'écrivain commence lorsque la littérature devient une question. C'est le sens de l'essai publié chez Corti. Dès lors ce questionnement inlassable va décrire un « espace littéraire », où il ne sera plus question que de cette question.

Blanchot visite et travaille pour cela les œuvres importantes du fonds mondial, avec une nette préférence pour les œuvres travaillant cette source littéraire insondable : par là Blanchot ouvre des chemins qui seront ceux explorés par la suite par des écrivains comme Roland Barthes, Jacques Derrida, Michel Foucault. Son dialogue avec le texte littéraire est fructueux : Hegel puis Heidegger, Sade, Nietzsche, Georges Bataille, Marguerite Duras, Samuel Beckett, Antonin Artaud, Henri Michaux, Henry James, Virginia Woolf, Marcel Proust, Simone Weil, Robert Antelme, Pierre Klossowski, René Char, Edmond Jabès, Louis-René des Forêts, Paul Celan, Philippe Jaccottet, et surtout Hölderlin, Rilke, Kafka et Mallarmé, puis Emmanuel Levinas (leurs relations ont fait l'(objet d'un colloque récent [1]), ainsi qu'un très grand nombre d'autres écrivains, forme la sève des textes écrits, notamment durant l'Après-Guerre, dans des revues comme L'Arche, L'Arc, Le Nouveau Commerce, Critique, Les Temps Modernes et surtout, grâce à Jean Paulhan, à partir du premier numéro de la Nouvelle Nouvelle Revue Française en 1953 jusqu'à la mort de celui-ci à peu près en 1969.

Chaque mois, dix pages de Blanchot ont façonné des générations d'écrivains, et même d'autres artistes : peintres et plasticiens, architectes, photographes, etc. Ces textes, réunis encore dans les chefs-d'œuvre que sont L'espace littéraire et Le livre à venir.

Mais ces textes ne seraient rien si le travail de lecture de Maurice Blanchot ne s'accompagnait d'une écriture propre, les deux méthodes, les deux occupations, étant le revers et l'avers, indissociables, d'une même entité, appelée littérature.

Les romans du jeune Blanchot qui étaient alors plutôt conventionnels, influencés par ceux de Jean Giraudoux, Kafka, un certain romantisme, un certain fantastique (Aminadab, Le Très-Haut), deviennent de leurs cotés des trames de plus en plus ténues : le langage se resserre, l'intrigue se raréfie et le mot prend toute sa place : Thomas l'obscur reparaît en 1950, émondé, radical[5]. L'arrêt de mort, ouvre une recherche dont le triptyque Au moment voulu, Celui qui ne m'accompagnait pas, Le dernier homme forme une suite de plus en plus exigeante et dont il importe moins de connaître la finalité que d'en sentir l'essence, et notamment la poésie propre à cette limite de la littérature.

Cet unisson se fait plus sensible dès les années soixante, notamment par le texte singulier L'attente l'oubli, livre étrange, fragmentaire, le premier d'une série successive. Un texte paru en revue, « L'entretien infini » marque peut-être la limite de cette recherche littéraire où le récit se réduit de plus en plus à l'intervalle onirique, fantastique, éthique et érotique propre à l'entretien.

Ce texte sera repris en tête du livre éponyme peut-être le plus important de Blanchot, dont la force n'a sans doute pas encore été aujourd'hui complètement éprouvée. Des fragments seront repris de livres en livres, dans des contextes différents, sans atténuer leur portée littéraire. Il semble que la recherche de Blanchot (du nom de la chronique qu'il a tenue dans la NRF pendant plus de quinze années), ainsi que l'épreuve de cette recherche dans le champ narratif, ne servent en réalité qu'une immense déférence envers la chose littéraire que Blanchot, paraphrasant Mallarmé, décrit comme « ce jeu insensé d'écrire ».

« *Le secret, cette réserve qui, si elle parlait, la faisait différer de parler, lui donnant parole en cette différence. “Vous ai-je jamais promi de parler ?” —“Non, mais c'est vous-même qui étiez, ne disant rien et refusant de rien dire et restant liée à ce qui ne se dit pas, promesse de parole.” Ils ne parlaient pas, ils étaient les répondants de toute parole encore à dire entre eux. »
    — (L'attente l'oubli, p.86)

[modifier] La mort

Dans L'espace littéraire puis Le livre à venir, Maurice Blanchot questionne le centre même de l'expérience littéraire notamment dans sa faculté à « remettre tout en cause, y compris elle-même ». Blanchot voit dans l'écrivain celui qui, n'étant pas autrement qu'au service de l'œuvre, perd toute individualité et toute énergie en elle. Il est alors en proie au désœuvrement alors même qu'il fait l'épreuve de l'autre nuit, nuit de la solitude où s'égarent les pensées.

Réalité dispersée, temps arrêté ou absent, l'écrire renvoie face à elle-même l'écriture et face à lui-même, anéanti, l'écrivain. Cet espace est l'espace du neutre, où se neutralisent toute velléité, toute individualité et, bien sûr, tout engagement.

La mort est alors la présence chaude et lénifiante qui rassérène l'écrire et lui confère toute sa force.

« Ecrire, c'est entrer dans la solitude où menace la fascination. C'est se livrer au risque de l'absence de temps, où règne le recommencement éternel. C'est passer du Je au Il, de sorte que ce qui m'arrive n'arrive à personne, est anonyme par le fait que cela me concerne, se répète dans un éparpillement éternel. »
    — (L'espace littéraire, p.31)

Cette expérience est alors présentée par Blanchot sous la forme du mythe d'Orphée et Eurydice, pages célèbres de son œuvre. La recherche de l'œuvre par le poète, Orphée, qui devra se résoudre par la disparition d'Eurydice marque le début de l'expérience littéraire.

« […]certes, en se retournant vers Eurydice, Orphée ruine l'œuvre, l'œuvre immédiatement se défait, et Eurydice se retourne en l'ombre ; l'essence de la nuit, sous son regard, se révèle comme l'inessentiel. Ainsi trahit-il l'œuvre et Eurydice et la nuit. Mais ne pas se tourner vers Eurydice, ce ne serait pas moins trahir, être infidèle àla force sans mesure et sans prudence de son mouvement, qui ne veut pas Eurydice dans sa vérité diurne et dans son agrément quotidien, qui la veut dans son obscurité nocturne, dans son éloignement, avec son corps fermé et son visage scellé, qui veut la voir, non quand elle est visible, mais quand elle est invisible, et non comme l'intimité d'une vie familière, mais comme l'étrangeté de ce qui exclut toute intimité, non pas la faire vivre, mais avoir vivante en elle la plénitude de la mort. »
    — (L'espace littéraire, p.226)

La mort est singulièrement familière pour Blanchot, homme toujours malade gravement, et pourtant toujours vivant, toujours ainsi dans l'intimité de la mort, toujours dans la connivence, l'intimité, la proximité de la mort.

Mais la mort n'est jamais proche, elle est toujours le plus lointain, l'expérience impossible, le défaut de témoignage. De fait, la mort procure une espèce d'infinie légèreté pour celui qui la côtoie comme sa voisine : l'écrivain.

La mort, pour Blanchot, est au cœur même du processus poétique et s'il étudie tout particulièrement les auteurs dans la naissance de leur œuvre (lettres d'Artaud à Jacques Rivière, Journal de Kafka et celui de Virginia Woolf), il saura peu à peu montrer combien la littérature, si proche de la philosophie mais au contraire, dévastatrice, donne corps à la pensée de la mort si bien que, à terme, mort et pensée même ne sont qu'une seule et même chose (ainsi débute Le pas au-delà)

Le raccourci peut être abrupt, mais il est le fruit d'une écriture patiente, éternelle, et le Pas en est une étape supplémentaire. Il se trouve par ailleurs que Blanchot vivra vieux, et verra disparaître ses amis, fidèlement, l'un après l'autre, et la parole de Blanchot, sur le tard, aura pour une part cette forme d'hommage. L'amitié, le dernier livre critique au sens premier du terme (qui n'est pas sous la forme de fragment) en marquera la pierre de touche.

Devant le vide alors donné par la vie même, Blanchot donnera peut-être l'une des clefs capitales à la compréhension de son œuvre, un court récit, L'instant de ma mort, décrivant comment le narrateur échappe, de justesse à la mort par fusillade durant la dernière guerre. Ce texte, paru en 1994, dessine peut-être la fin d'une œuvre, il marque en tout cas un cran décisif dans l'ensemble des thèmes que Blanchot a travaillé au fil de ses livres.

« * Mourir serait, chaque fois, là où nous parlons, ce qui retient d'affirmer, de s'affirmer, comme de nier. »
    — (Le pas au-delà, p. 94)

Cela, qui est aussi le neutre, et qui est assez proche de ce que Levinas nomme l'il y a, ressort de l'écriture même, et associe dans le même mouvement la mort, le désastre, le désœuvrement :

« Ecrire, c'est ne plus mettre au futur la mort toujours déjà passée, mais accepter de la subir sans la rendre présente et sans se rendre présent à elle, savoir qu'elle a eu lieu, bien qu'elle n'ait pas été éprouvée, et la reconnaître dans l'oubli qu'elle laisse et dont les traces qui s'effacent appellent à s'excepter de l'ordre cosmique, là où le désastre rend le réel impossible et le désir indésirable. »
    — (L'écriture du désastre, pp.108-109)

[modifier] Le graffiti et le fragment

Le livre à venir énumérait les étapes de la littérature depuis Proust jusqu'à Robbe-Grillet ou Barthes, et le constant rapport au désœuvrement qui étreignait chaque jour plus fort la pratique littéraire. Il pouvait être considéré comme le pendant pratique de L'espace littéraire. La fin du livre, explicitant ce titre énigmatique de livre à venir, en suivant de près le projet de Livre de Stéphane Mallarmé, montre ce vers quoi peut tendre la littérature : la pluralité, la dissémination, la dialogie, l'éparpillement.

Cette dernière partie, appelée justement « Où va la littérature ? », sera justement reprise comme hypothèse dans L'entretien infini.

Mais ce nouvel opus, fort de plus de 600 pages, a une ambition supplémentaire : il convoque à lui les plus grands noms de la littérature, certes, mais il s'attache également à démonter, cerner, instruire, répéter, lire et relire, et comprendre le fonds philosophique du passé comme du présent.

Le lien entre littérature et philosophie est fait. Le lien entre création narrative et création critique se fortifie. On ne peut ici résumer en quelques phrases l'ensemble de cette œuvre. On peut toutefois insister sur le fait que ce livre prend pour base de travail le Livre, comme support politique, signe de la complétion et d'une certaine autorité, et, sans doute, signe de pouvoir.

A contrario, Blanchot encense la parole dispersée, la parole en archipel de René Char, le « Livre » de Mallarmé, la parole anonyme. Vient alors le fragment. Après une longue réflexion sur Héraclite, sur Nietzsche, Blanchot en vient à concevoir la parole même de l'entretien, la parole de l'altérité, la parole d'autrui assimilée ou la déprise de la parole personnelle. L'influence de Levinas est ici la plus sensible.

Le fragment, ainsi dégagé au fil d'un raisonnement infaillible, patient et souvent irrévocable, rejoint ainsi l'exigence du neutre. La parole, anonyme, peut enfin se libérer d'elle-même et toucher à la liberté même. Le fragment porte le neutre.

« Mais l'un des traits du neutre[…], c'est, se dérobant à l'affirmation comme à la négation, de recéler, encore, sans la présenter, la pointe d'une question ou d'un questionnement, sous la forme, non d'une réponse, mais d'un retrait à l'égard de tout ce qui viendrait, en cette réponse, répondre. »
    — (L'entretien infini, p. 450)

Deux livres complètement fragmentaires, par la suite, Le pas au-delà et L'écriture du désastre, sont comme les achévements de cette pensée qui se dénie comme pensée et qui, en butte à la loi qu'indique le livre, cherche à modérer son pouvoir par le recours au neutre, qui est l'anonyme du fragment.

Cette parole, concomitamment, Blanchot la conçoit dans le champ politique. Rentré à Paris après dix ans d'absence d'une retraite solitaire, Maurice Blanchot se liera dès 1958 au groupe informel des « amis de la rue Saint Benoît », chez Marguerite Duras, avec Robert Antelme, Dyonis Mascolo, les Vittorini.

A l'amitié de Mascolo s'ajoute la revendication : il se pose ouvertement contre le coup d'état gaulliste en 1958, contre la guerre d'Algérie en 1960 (ils rédigent la fameuse Déclaration des 121). Il est dans la rue en 1968, comme en témoigne Michel Foucault. Il observe les graffiti, il se gorge de l'écriture anonyme des rues, il profite de son anonymat (il n'existe que quatre photos de lui à ce jour). Il se consacrera au début des années soixante au projet de Revue internationale où la rubrique Le cours des choses associe les auteurs de manière anonyme ; l'échec de ce projet collectif le peine grandement. Prenant position ça et là pour différentes causes humanitaires, la fin de l'œuvre de Blanchot est marquée par la plus grande humilité devant les blessures de l'Histoire, dont la plus grande est l'Holocauste. La folie du jour, texte publié dans la revue Empédocle en 1949 (sous le titre Un récit ?) puis chez Fata Morgana en 1973 essaie d'évaluer la possibilité d'écrire après Auschwitz. Dès 1949 la sentence était claire :

« Un récit ? Non, pas de récit, plus jamais »
    — (La folie du jour)

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La fin de l'œuvre est encore marquée par une série de petits livres, à partir de La communauté inavouable, dédiés aux amis (Bataille, Duras, Celan, Mascolo, Foucault, des Forêts, Laporte, Levinas…), faisant foi, par là, d'un idéal de la communauté qui dépasse même le communisme. Le personnage rejoint alors la note biographique des éditions de poche de ses essais :

« Maurice Blanchot, romancier et critique, est né en 1907. Sa vie est entièrement dévouée à la littérature et au silence qui lui est propre. »

[modifier] Bibliographie

La bibliographie à peu près complète de Blanchot se trouve ici, sur le site Espace Maurice Blanchot.

Grossièrement on peut présenter l'œuvre de Maurice Blanchot selon quatre catégories : romans, récits, critique littéraire, écriture fragmentaire. La distinction entre roman et récit n'est pas juste rhétorique, elle est pour Blanchot fondamentale. «[...]. Le récit n'est pas relation de l'évènement, mais cet évènement même. »

Romans :

Remarque : La version de Thomas l'obscur datant de 1950 réduit de manière considérable la première version. Les éditions Gallimard ont republié la première version en 2005.

Récits :

Remarque : La réédition de L'arrêt de mort en 1971 ne contient pas la fin du récit publié en 1948. "Blanchot, par une décision que je ne pouvais comprendre, avait choisi de supprimer dans L’Arrêt de mort les quelques phrases que l’on peut considérer, après la dernière scène du récit, comme une suprême recommandation au lecteur." (Madaule, 1973, p. 74-75)

Essais :

  • 1942 : Comment la littérature est-elle possible ? (Corti)
  • 1943 : Faux pas (Gallimard) ISBN 2-07-020731-5
  • 1949 : La part du feu (Gallimard)
  • 1949 : Lautréamont et Sade (Editions de Minuit)
  • 1955 : L'espace littéraire (Gallimard) ISBN 2-07-032475-3
  • 1958 : La Bête de Lascaux (GLM, repris dans Une voix venue d'alleurs, 2002)
  • 1959 : Le livre à venir (Gallimard) ISBN 2-07-032397-8
  • 1969 : L'entretien infini (Gallimard) ISBN 2-07-026826-8
  • 1971 : L'amitié, (Gallimard) ISBN 2-07-028044-6
  • 1973 : Le pas au-delà ( Gallimard) ISBN 2-07-028786-6
  • 1980 : L'écriture du désastre (Gallimard)
  • 1981 : De Kafka à Kafka (Gallimard)
  • 1983 : La communauté inavouable (Editions de Minuit)
  • 1984 : Le dernier à parler (Fata Morgana, repris dans Une voix venue d'ailleurs, 2002))
  • 1986 : Michel Foucault tel que je l'imagine (Fata Morgana, repris dans Une voix venue d'ailleurs)
  • 1987 : Joë Bousquet (Fata Morgana)
  • 1992 : Une voix venue d'ailleurs - Sur les poèmes de LR des Forêts (Ulysse Fin de Siècle, repris dans Une voix venue d'ailleurs 2002)
  • 1996 : Pour l'amitié (Fourbis, republié chez Farrago en 2000)
  • 1996 : Les intellectuels en question (Fourbis, republié chez Farrago en 2000)
  • 1999 : Henri Michaux ou le refus de l'enfermement (Farrago)
  • 2002 : Une voix venue d’ailleurs (Gallimard)
  • 2003 : Ecrits politiques (1958-1993) (Léo Sheer)
  • 2007 : Chroniques littéraires du "Journal des Débats" (avril 1941-août 1944) (Gallimard)
  • 2008 : Ecrits Politiques 1953-1993, (Cahiers de la NRF, Gallimard)

[modifier] Études

  • ANTONIOLI Manola, Maurice Blanchot Fiction et théorie, Paris, Kimé, 1999.
  • AYACHE Élie, L'écriture Postérieure, Paris, Complicités, 2006.
  • BIDENT Christophe., Maurice Blanchot. Partenaire Invisible, Seyssel, Champ Vallon, 1998.
  • COLLIN Françoise, Maurice Blanchot et la question de l'écriture, Paris, Gallimard, 1971.
  • COOLS Arthur, Langage et Subjectivité vers une approche du différend entre Maurice Blanchot et Emmanuel Levinas, Louvain, Peeters, 2007.
  • Critique n°229, 1966 (numéro spécial, textes de Jean Starobinsky, Georges Poulet, Levinas, Paul de Man, Michel Foucault, René Char...).
  • DERRIDA Jacques, Parages, Paris, Galilée, 1986.
  • DERRIDA Jacques, Demeure. Maurice Blanchot, Paris, Galiléee, 1994.
  • HILL Leslie, Blanchot: Extreme Contemporary, Londres, Routledge, 1997.
  • HOPPENOT Eric dir., L'Œuvre du féminin dans l'écriture de Maurice Blanchot, Paris, Complicités, 2004.
  • HOPPENOT Eric dir.,coordonné par Arthur COOLS, L'épreuve du temps chez Maurice Blanchot, Paris, Complicités, 2006.
  • HOPPENOT Eric et Alain MILON dir. Levinas Blanchot, penser la différence, Presses Universitaires Nanterre Paris 10, 2008
  • LAPORTE Roger., l'Ancien, l'effroyablement Ancien in Études, Paris, P.O.L, 1990.
  • Lignes n°11, 1990 (numéro spécial contenant tout le dossier de La revue internationale).
  • MADAULE Pierre., Une tâche sérieuse ?, Paris, Gallimard, 1973, pp. 74-75
  • MEHLMAN,Jeffrey., "Blanchot at Combat: Of Literature and Terror," Legacies Of Anti- Semitism in France (Minneapolis: University of Minnesota Press, 1983)
  • MESCHONNIC Henri., Maurice Blanchot ou l’écriture hors langage in Poésie sans réponse (Pour la poétique V), Paris, Gallimard, 1978, pp. 78-134.)
  • MICHAUD Ginette, Tenir au secret (Derrida, Blanchot), Paris, Galilée, 2006
  • SCHULTE-NORDHOLT Anne-Lise, Maurice Blanchot, l'écriture comme expérience du dehors, Genève, Droz, 1995.
  • WILHEM Daniel, Intrigues littéraires, Paris, Lignes/Manifeste, 2005.
  • ZARADER Marlène, L'être et le neutre, à partir de Maurice Blanchot, Paris, Verdier, 2000.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Références

  1. Phrase biographique présentée sur ses livres aux éditions Gallimard.
  2. Encore faut-il savoir ce qu'on entend par hermétisme et terrorisme, car ce sont bien sûr déjà des interprétations subjectives.
  3. "Maurice Blanchot" est l'une de ces notices pratiquement d'ailleurs pratiquement impossibles à écrire, sauf à trahir aussi bien la vie que l'œuvre de Maurice Blanchot.
  4. ce que dans un premier temps Blanchot divise entre œuvre de fiction et « œuvre d'éclaircissement »
  5. La version de 1941, de plus de trois cents pages, ayant été rejetée par Blanchot. Cela dit les éditions Gallimard n'ont pas hésité à le republié tel quel en 2005, contre le vœu de Blanchot, augmentée d'une préface — ce qu'il avait refusé aussi

[modifier] Liens externes