Masochisme

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le masochisme est la recherche du plaisir dans la souffrance reçue d'autrui ou de soi-même.

Le terme a été forgé par Richard von Krafft-Ebing dans sa Psychopathia sexualis à partir du nom du comte Leopold von Sacher-Masoch et de son roman, La Vénus à la fourrure. C'est Sigmund Freud qui en a étudié le plus profondément les mécanismes intra-psychiques, le masochisme étant vu comme un sadisme retourné sur soi dans la première théorie puis comme une dérivation interne de la pulsion de mort dans la deuxième topique.

Le masochisme est lié au sadisme (sado-masochisme).

Sommaire

[modifier] Formes de masochisme

De manière générale, le masochisme est la recherche par un sujet de sa propre douleur morale ou physique.

Le masochisme sexuel est l'activité sexuelle utilisant la souffrance comme voie vers la jouissance. Suivant l'approche psychiatrique, il est une forme particulière de paraphilie. Dans le roman La Vénus à la fourrure, le héros adore une femme, qu'il désire servir comme esclave ; il s'agit plus d'une attitude de servilité inconditionnelle et d'un goût pour l'humiliation amoureuse que d'un ensemble de pratiques sexuelles organisées autour de la souffrance physique, comme de nos jours. Le roman de Masoch a inspiré le titre d'une chanson de Lou Reed, Venus in furs, consacrée au masochisme moderne.

Même si le masochisme peut exister indépendamment des activités sexuelles, il y est le plus fréquemment associé. De plus, certaines personnes apprécient l'état de sensations décuplées qui accompagne certaines douleurs.

Il existe de surcroît d'autres types de masochisme :

  • Un masochisme social, plus ou moins corrélé, relatif à la névrose d'échec. C'est Theodor Reik qui introduisit cette appellation pour nommmer plus précisément cette forme de masochisme, que Freud avait désigné sous le terme de masochisme moral[1].
  • Un masochisme physique, que l'on retrouve dans des expressions telles que : « aller jusqu'au bout de sa souffrance », « aller au-delà de l'épuisement »…

Pour Reik, c'est bien le masochisme sexuel qui est la forme primaire, dont les autres sont issues par un détournement. Le masochisme social serait un exutoire du masochisme sexuel, dont il suffit bien souvent à stopper les manifestations dans le comportement. Il décrit le cas de patients alternant entre des phases de masochisme sexuel et de masochisme social, le premier s'effaçant au profit du second avant d'être remis au goût du jour lorsque l'avancement de la thérapie faisait reculer ce dernier[1].

[modifier] Approches psychiatriques, psychologiques et psychanalytiques

Le terme masochisme fut créé et popularisé par le psychiatre allemand Richard von Krafft-Ebing. À l'instar du sadisme, il forma un néologisme à partir du nom de famille de l'écrivain autrichen Leopold von Sacher-Masoch, auteur de La Vénus à la fourrure.

S'intéressant à la génèse, Freud fit du masochisme le fruit le la rencontre entre la libido et la pulsion de mort. Alors que la première détourne en partie la seconde pour la diriger vers le monde extérieur, une partie de la pulsion de mort reste tournée contre le moi, et se trouve alors « liée libidinalement », donnant naissance au « masochisme primaire, érogène[2] ».

Sans renier frontalement les théories de son maître, Theodor Reik s'employa à bâtir une théorie indépendante de celle de Freud, sans référence aux pulsions fondamentales définies par ce dernier telles que la libido et la pulsion de mort. Son parti-pris fut de baser son étude sur les enseignements recueillis auprès de ses patients en analyse beaucoup plus que sur des théories générales à haut niveau d'intégration. Dans une approche tout d'abord purement observative, il énumère quatre traits caractéristiques manifestant la psychologie masochiste[1] :

  • la signification spéciale de la fantaisie, c'est à dire la forme du phantasme (le phantasme vécu pour lui-même, ou la scène rêvée, dramatisée, ritualisée, absolument indispensable au masochiste) ;
  • le facteur suspensif (l’attente, le retard, exprime la manière dont l'angoisse agit sur la tension sexuelle et l'empêche de croître jusqu'à l'orgasme);
  • le trait démonstratif, ou plutôt persuasif (par lequel le masochiste exhibe la souffrance, la gêne et l'humiliation) ;
  • le facteur provocateur (le masochiste réclame agressivement la punition comme ce qui résout l'angoisse et lui donne le plaisir défendu.

Sur la question des causes, Reik fait naître le masochisme d'un sentiment de culpabilité inconscient, lequel occasionne chez le sujet une « blessure narcissique[1] ».

Avec la psychologie individuelle du sentiment d'infériorité de Alfred Adler, le masochisme pourrait être aussi la réalisation de ce sentiment d'infériorité dans le phénomène humain des « prédictions autoréalisatrices », dont l'exemple biomédical est dans l'effet placebo. Alors, le sujet court d'échec en échec pour confirmer sa foi dans son incapacité ou son infériorité.

[modifier] Approche philosophiques

Gilles Deleuze reprend les théories de Reik, mais en minimisant le rôle du père par rapport à celui de la mère dans la formation du masochisme. D'autre part, il introduit la notion centrale du « contrat », étabissant une disctinction forte entre les relations contractuelles instaurées par le masochiste et la violence sadique qu'il rapproche d'une « institution ». Pour le philosophe, la « forme du contrat » constitue une cinquième caractéristique à ajouter aux quatres définis par Reik : « le contrat masochiste n'exprime pas seulement la nécessité de consentement de la victime, mais le don de persuasion, l'effort pédagogique et juridique par lequel la victime dresse son bourreau[3] ».

[modifier] Approches sociologiques

Avec sa théorie mimétique, René Girard fait apparaitre le masochisme comme un moment particulier de la dynamique du désir humain. Celui-ci est par nature mimétique, c'est à dire que nous empruntons notre désir à un autre, le modèle, ou médiateur du désir. C'est l'être du modèle qui attire dans l'illusion de la recherche de l'objet. Comme le triangle oedipien de Freud, le désir mimétique de Girard est triangulaire : sujet, modèle, objet. Et nous nions en général le rôle du modèle dans notre désir. Le modèle peut être imaginaire ou appartenir à un monde de valeurs inaccessibles qui transcende le notre (médiation externe), ou bien il peut être réel, notre aler ego, et alors (médiation interne) se transformer en rival pour la possession de l'objet, qui apparait d'autant plus fascinant qu'il est inaccessible. Plus le modèle est obstacle à la réalisation du désir, plus le désir s'exacerbe, plus la valeur de l'objet croît. Dans cette dynamique, le sujet en vient à voir dans l'échec à la possession de l'objet le signe le plus sur de sa valeur et du caractère formidable du rival dont l'être le fascine. Finalement il en vient à se complaire dans l'échec : c'est ce qu'on a appelé masochisme. Cette dynamique propre au désir, Girard n'a fait que la thématiser, l'ayant d'abord trouvée décrite dans l'oeuvre des grands romanciers comme Proust, et plus encore Dostoïevski.

Contrairement à celle des psychanalystes, l'approche de Girard se situe à un niveau sociologique. Il est bien moins intéressé par les causes inconscientes du masochisme que par la manière dont il se manisfeste dans les relations entre individus[4].

La distance qui sépare le sujet du modèle de son désir est donc le critère pour distinguer deux sortes de médiation. Lorsque l'imitation est revendiquée comme telle ou que la distance est infranchissable, Girard parle de « médiation externe ». Lorsque le médiateur se rapproche, une rivalité s'installe et se développe entre le sujet et le modèle. Le sujet désirant voit son médiateur comme un obstacle à la réalisation de son désir et le « modèle » voit dans son « disciple » un rival, c'est la « médiation interne ». Intervertissant l'ordre chronologique et logique du désir, le sujet désirant croit rivaliser pour un objet qu'il a désiré spontanément et se met à détester celui qui lui en barre l'accès ou le lui dispute. Il s'agit d'une « haine impuissante », car non seulement elle coexiste avec la fascination, mais elle la renforce et en est inséparable.

Entre sujet et modèle, les liens se resserrent, les oscillations augmentent en amplitude et en fréquence. L'être médiatisé ne pouvant que reconnaître souterrainement la supériorité du modèle-obstacle, l'Autre est rival parce qu'il est modèle et modèle parce qu'il est rival. Plus la distance diminue entre le sujet qui désire et l'Autre, plus les différences s'amenuisent, plus la haine s'intensifie.

Pour rendre compte de ces comportements, Freud a du introduire le concept d'ambivalence dont la théorie mimétique n'a pas besoin : attirance et aversion à la fois, un sentiment de vénération pour le modèle qui se double de haine pour l'obstacle. René Girard fait aussi l'économie du concept de refoulement et donc ce deus ex machina qu'est pour lui l'inconscient freudien. Le sujet désirant, ou plutôt - puisqu'il n'y a jamais qu'un seul désir, le même pour tous les hommes dans le postulat du désir mimétique - le désir, se refuse à admettre la réciprocité mais toutes ses stratégies pour l'éviter le font toujours retomber dans l'identique.

« On peut aussi faire l'économie de la répétition freudienne des symptômes », affirme René Girard (Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, Paris, 1972, pp. 350-352). Il écrit également :

« Le désir s'interroge, acquiert un savoir sur lui-même et met ce savoir au service de ses objectifs, par exemple, il voit bien ses modèles se transformer en obstacles, mais au lieu d'interpréter cette transformation dans la logique du mimétisme, il obéit à sa propre logique, il s'accroche à son projet différentiel et transforme lui-même les obstacles en modèles. Tel est le secret du masochiste qui fait du résultat inévitable, certes, mais inacceptable, de ses désirs passés, la condition préalable de tout désir futur. »

Avec le désir mimétique, René Girard affronte Marx, qui fonde le désir sur la rareté, et Freud qui fonde le désir dans l'objet (la mère). La psychologie de la théorie mimétique rapporte la souffrance individuelle à la confusion chronologique et logique, le sujet tenant par dessus tout à l'illusion de l'antériorité et de la singularité de son désir.

[modifier] Bibliographie

- Trois essais sur la théorie sexuelle (1905) (Ed: Folio- Gallimard, 1989, ISBN 2070325393)
- Le problème économique du masochisme 1924

[modifier] Notes et références

  1. abcd Theodor Reik, Le masochisme, Payot, Paris, 1953 (réimpr. 2000), 418 p. (ISBN 2-228-89359-5)
    un essai de psychanalyse sur la psychologie et le psychisme masochiste
  2. Sigmund Freud, Névrose, psychose et perversion, Presses Universitaires de France, Paris, 1894 (réimpr. 1999), 320 p. (ISBN 2-130-45208-6)
    voir Le Problème Economique du Masochisme
  3. Gilles Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch, Editions de Minuit, Paris, 1 février 1967, 276 p. (ISBN 2-707-30332-1)
    présentation de la Vénus à fourrure et essai sur le masochisme
  4. René Girard, le Bouc émissaire, LGF - Livre de Poche, Paris, 1982 (réimpr. 1986), 313 p. (ISBN 2-253-03738-9)
    désir mimétique, crise d'indifférenciation et pratiques sacrificielles

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Lien externe