Maccarthisme

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Le maccarthisme (ou maccarthysme) est un épisode de l'histoire américaine, connue également sous le nom de « Terreur Rouge » (Red Scare), qui s'étala approximativement de 1947 à 1953. Elle désigne non seulement la procédure inquisitoriale menée par la commission du Sénateur Joseph McCarthy consistant à traquer d'éventuels agents, militants ou sympathisants communistes aux États-Unis mais également une ambiance politique consistant à réduire l'expression d'opinions politiques ou sociales jugées défavorables, en limitant les droits civiques sous le motif de défendre la sécurité nationale.

Sommaire

[modifier] Contexte

Le maccarthisme apparaît dès le début de la Guerre froide, qui opposait les États-Unis à l'URSS. Cette atmosphère géopolitique causait une véritable paranoïa dans l'opinion américaine, qui exprimait une crainte du communisme et du bloc soviétique. Dans une lettre adressée au philosophe allemand Karl Jaspers en 1949, Hannah Arendt exprimait l'inquiétude que lui inspirait la situation américaine : « Ici, l’atmosphère politique générale, surtout dans les universités et les collèges (à l’exception des très grands), est actuellement peu agréable. La chasse aux rouges est en marche et les intellectuels américains, surtout dans la mesure où ils ont un passé radical et sont devenus antistaliniens au fil des années, se mettent en quelque sorte à l’unisson du Département d’État. »[1] Selon Pierre Grémion il existait aux États-Unis, comme en Grande-Bretagne, « une tradition de collaboration des intellectuels avec les services de renseignement de leur pays »[2].

[modifier] Origines et mise en place de la commission McCarthy

En 1938, la Chambre des représentants instaure une commission sur les « activités anti-américaines » (House Un-American Activities Committee, HUAC) qui combat les influences nazie, fasciste et communiste aux États-Unis.

Les origines de ce qu'on appellera le maccarthisme remontent néanmoins directement à 1946 quand le président Harry Truman instaure une commission temporaire, chargée d'enquêter sur la loyauté des fonctionnaires fédéraux. Il s'agit alors d'identifier et d'écarter les fonctionnaires subversifs, partisans d'idéologies ou de régimes dits « totalitaires » comme le fascisme, le communisme ou le nazisme.

En 1947, une liste des organisations « subversives » est publiée par le ministère de la justice. Le FBI recueillait des renseignements sur les suspects.

De son côté, la HUAC entreprend une vaste enquête dans les milieux du cinéma : de nombreux artistes furent convoqués en 1947. Il leur est demandé s’ils sont communistes, et ils sont fortement incités à dénoncer des sympathisants communistes. Les « Dix d'Hollywood » refusèrent de répondre aux questions en invoquant le Premier amendement de la constitution des États-Unis, et furent emprisonnés.

Le 25 novembre 1947, la MPAA annonce qu’elle n’emploiera plus de communistes. C’est la naissance de la liste noire, une liste d’artistes - communistes ou non - à qui les studios refusaient tout emploi. Des créateurs comme Bertolt Brecht, Charlie Chaplin, et Orson Welles durent quitter les Etats-Unis. La liste noire exista jusque dans les années 1960.

Le 9 février 1950, le sénateur Joseph McCarthy dénonce, dans un discours à Wheeling (Virginie-Occidentale), la mainmise des communistes sur le Département d'État (il y en avait 57 selon lui). Tous ceux qui sont soupçonnés de sympathies communistes deviennent l'objet d'enquêtes, collectivement nommées « chasse aux sorcières », dont le but est de traquer les « rouges ». À partir de 1951, il n'est plus besoin pour l'administration d'apporter des preuves sur la déloyauté d'un fonctionnaire, de simples doutes peuvent justifier la révocation de l'agent.

Après l'élection à la présidence des États-Unis de Dwight Eisenhower en 1952 et le triomphe électoral des républicains au Congrès, Joseph McCarthy est nommé président du « Sous-comité sénatorial d'enquête permanent ». Néanmoins, Eisenhower lui est hostile, d'autant plus que McCarthy s'en est pris au général George Marshall en le qualifiant de traître.

À la différence de la « Commission parlementaire aux activité non-américaines » et du « sous-comité interne de sécurité du Sénat », le comité de McCarthy se concentre sur les institutions gouvernementales. Il commence par une enquête sur la bureaucratie à Voice of America et oblige au retrait de littérature qualifiée de pro-communiste de la librairie du Département d'État. Entre temps, McCarthy persiste à porter des accusations sur des influences communistes au sein du gouvernement, à l'exaspération d'Eisenhower qui ne peut s'en débarrasser du fait de la grande popularité de McCarthy dans l'opinion publique.

Un certain nombre de personnes démissionnent tôt de leur poste au comité, notamment Robert Kennedy alors que le directeur exécutif du comité était un fervent anticommuniste. Mais le sous-comité, notamment l'embauche des employés, dépend du seul McCarthy. Son influence est tellement importante que le Secrétaire d'État lui-même se déleste de certains de ses collaborateurs pour ne pas le froisser. De la même façon, Robert Oppenheimer est évincé de la Commission de l'énergie atomique pour s'être exprimé contre le projet de la bombe H.

[modifier] Procédure

S'appuyant sur des dénonciations, son activité inquisitoriale destinée à débusquer d'éventuelles infiltrations d'agents communistes dans l'administration s'étendit bientôt aux laboratoires de recherche et à Hollywood. Les employés fédéraux durent faire face à un contrôle de loyauté menaçant la carrière de certains d'entre eux. Le climat de paranoïa fut d'autant plus lourd que les faits étaient plus ou moins volontairement déformés et amplifiés, et que le simple fait d’être suspecté ou cité à comparaître suffisait souvent pour perdre son emploi[3].

Les travaux de la commission sénatoriale dirigée par McCarthy se basaient principalement sur les lois concernant la haute trahison. En revanche, plusieurs personnes furent incarcérées parce qu'elles considéraient que la commission violait la liberté d'expression. En effet, refuser de comparaître ou mentir à une commission parlementaire était un délit.

Parmi les cas les plus notables, celui de Alger Hiss, le président de la dotation Carnegie pour la paix internationale, qui est accusé en 1948 par l'HUAC d'avoir appartenu au parti communiste et transmis des documents officiels à l'Union soviétique. Il est condamné pour faux témoignage, le 21 janvier 1950, à cinq ans de prison.

Bien que les enquêtes de McCarthy n'aient jamais conduit à des inculpations pour espionnage, des informations récemment rendues publiques indiquent que certaines des personnes qu'il soupçonnait auraient effectivement pu être coupables. Cela aurait été le cas des époux Rosenberg, accusés d'avoir révélé des secrets relatifs à la bombe A américaine à l'URSS, ce dont ils se défendaient. Très controversé, bénéficiant notamment d'une campagne internationale en leur faveur, leur procès déboucha sur leur exécution en juin 1953. L'ouverture des archives soviétiques semble cependant confirmer que le couple Rosenberg, notamment Julius Rosenberg, était bien un agent au service de l'Union Soviétique[réf. nécessaire], mais elles ne permettent pas d'affirmer qu'ils ont effectivement transmis des secrets sur la bombe A.

[modifier] La déchéance de McCarthy

Des voix commencèrent à s'élever contre le maccarthisme au début des années 1950. Ainsi en 1953, on joua la pièce Les Sorcières de Salem d'Arthur Miller, un biais pour stigmatiser la politique en cours. Albert Einstein dénonça le maccarthisme comme « un danger incomparablement plus grand pour notre société que ces quelques communistes qui peuvent être dans notre pays », ajoutant que « ces investigations ont déjà largement miné le caractère démocratique de notre société »[4].

Ce qui sonna le glas de la puissance de McCarthy fut sa décision de s'attaquer à l'Armée des États-Unis où il cherchait à démasquer un réseau d'espionnage. Le Pentagone se défendit d'autant plus vigoureusement qu'il avait l'appui d'Eisenhower qui ne supportait pas McCarthy. En comparant l'intelligence du général Ralph W. Zwicker, un héros de guerre, à celle d'un enfant de cinq ans et en le déclarant inapte à porter l'uniforme de général, McCarthy avait franchi une ligne qui lui fit perdre quasi-instantanément le soutien des médias et de l'opinion alors que certains de ses alliés se retournaient contre lui pour dénoncer ses excès. Ainsi, le sénateur Charles Potter parla de « jour de honte » et dénonça McCarthy comme une brute terrorisant ses concitoyens.

Au début de l’année 1954, l’armée accusa McCarthy et son conseiller en chef Roy Cohn d’exercer des pressions pour un traitement de faveur envers un ami et ancien adjoint de Cohn. Rapidement, c'en était fini de la popularité et de l'influence de McCarthy. Pour finir, le Sénat lui adressa un blâme le 2 décembre 1954 par 67 voix contre 22. Il fut définitivement écarté de la politique. Déchu, déconsidéré, McCarthy sombra dans l'alcoolisme et mourut en 1957 dans l'indifférence générale.

Entre les seules années 1947 et 1953, 26 000 employés de l'administration fédérale font l'objet d'une enquête approfondie. Il y eut 7 000 démissions et 739 révocations, au motif d'appartenance à des organisations dites subversives, d'immoralité sexuelle, de pratique homosexuelle ou de consommation de drogues.

[modifier] Les artistes mis sur liste noire


[modifier] Le « maccarthisme » en Grande-Bretagne

Même s’il a toujours été moins puissant qu’aux États-Unis, le « maccarthysme » a commencé légèrement plus tôt en Grande-Bretagne. Pourtant, aux élections anticipées de 1945, c’est le Parti travailliste qui l’emportait largement sur l’ensemble du pays. Le gouvernement de Clement Attlee, de 1945 à 1951, mit en application un programme social ambitieux ainsi qu’une campagne de nationalisations sans précédent : « A l’époque, relate Michel Duchein, l’opinion publique [...] eut l’impression d’une véritable révolution ; les conservateurs parlèrent d’une soviétisation, d’une marche vers le communisme »[5]. Mais le gouvernement Attlee était très défiant vis-à-vis de l’Union soviétique et s’inquiétait du « sentiment pro-soviétique de la classe ouvrière »[6]. Cela du fait que les mouvements ouvriers radicaux menaçaient les intérêts économiques et impériaux du pays que le gouvernement tenait absolument à préserver. Peter Weiler explique que « pour surmonter cette situation problématique les dirigeants du Parti travailliste et du Congrès des syndicats menèrent une campagne de plus en plus énergique contre le communisme britannique et l’Union soviétique »[7].

A partir de 1948, le gouvernement travailliste a fermement soutenu la guerre froide, se faisant l’avocat de la liberté contre le « totalitarisme » soviétique, de la civilisation contre la barbarie. La campagne était menée par le biais de l’Information Research Department (IRD), ou « Département de recherche de renseignements ». James Obelkevich résumait ainsi l’ambiance politique dans les débuts de la guerre froide : « même si la Grande-Bretagne était épargnée par les excès du maccarthysme, la vie intellectuelle n’en était pas moins sérieusement affectée. [...] Dans les universités, l’antimarxisme primaire se portait à merveille ; des communistes déclarés étaient exclus des postes ou se voyaient refuser toute promotion »[8].

L'historien G.H. Bolsover, directeur de la School of Slavonic and East European Studies, a utilisé sa position pour défendre, en contact rapproché avec le Foreign Office britannique, la cause anticommuniste. Ainsi, l’historien communiste Andrew Rothstein a enseigné l’histoire russe à la School of Slavonic and East European Studies à partir de 1946, jusqu’à ce que G.H. Bolsover décide de se débarrasser de lui en 1950, afin de purger l’école des influences « indésirables »[9]. A. Rothstein n’a pas été le seul marxiste à avoir connu des difficultés dans sa carrière universitaire. Le biographe de Trotsky, Isaac Deutscher, a dû gagner sa vie en tant que journaliste car on lui refusait le statut universitaire approprié à son travail.

De même, Eric Hobsbawm relevait le contraste entre les mérites universitaires de l’économiste marxiste Maurice Dobb et sa relative marginalité au sein de la sphère académique officielle[10]. La publication en elle-même a pu être une source de difficultés pour les auteurs marxistes. L’ouvrage de Rudolf Schlesinger sur l’histoire du PCUS, dont la rédaction a été achevée en 1961, n’a pas trouvé d’éditeur dans le domaine anglo-saxon pendant plusieurs années[11]. La première édition de ce livre controversé a été effectuée en italien, en 1962.

Au cours des années soixante et soixante-dix, les tensions « maccarthystes » se sont apaisées au sein de la société britannique. En revanche, durant les années du gouvernement Thatcher, le climat politique et culturel a connu un retour en intensité des pressions exercées sur les intellectuels et les militants communistes. Dans le rapport Gould en 1977, les conservateurs se fixaient comme objectif de limiter l’influence du marxisme dans les universités britanniques, afin de faire revivre les « valeurs traditionnelles »[12]. Hillel Ticktin livre une interprétation de cette marginalisation des communistes occidentaux : « Ce n’était pas la position critique des marxistes envers l’URSS qui leur interdit des emplois, mais leur attitude critique envers la société américaine ou britannique. »[13] Il était donc requis des intellectuels qu’ils ne s’attaquent pas aux valeurs de la société capitaliste occidentale, autrement ils pouvaient être discrédités politiquement et connaître des difficultés professionnelles.

D'autres lois nationales, comme la Loi de sécurité nationale sud-coréenne, ont été interprétées comme relevant du maccarthisme[14].

[modifier] Annexes

[modifier] Bibliographie

  • (fr) Marie-France Toinet, La Chasse aux sorcières : le Maccarthysme (1947-1957), Éditions Complexe, Paris, 1984, 224 p.
  • (fr) Jean-Paul Török, Pour en finir avec le maccarthysme. Lumières sur la Liste noire à Hollywood, L'Harmattan, Paris, 1999, 584 p.
  • (fr) Victor Navasky, Les Délateurs. Le cinéma américain et la chasse aux sorcières, Ramsay, Paris, 1999, 443 p.
  • (en) Andrew Defty, Britain, America and Anti-Communist Propaganda 1945-53 : The Information Research Department, Routledge, 2004, 320 p.
  • (fr) Thomas Wieder, Les Sorcières de Hollywood. Chasse aux rouges et listes noires, Éditions Philippe Rey, Paris, 2006, 252 p.
  • (fr) Florin Aftalion, Alerte rouge sur l'Amérique : Retour sur le maccarthysme, Éditions Jean-Claude Lattès, Paris, 2006, 355 p.

[modifier] Autour du thème du maccarthisme

[modifier] Livres

[modifier] Films

[modifier] Musique

  • Brothers Where You Bound de Supertramp (1985).

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Pierre Grémion, Intelligence de l'anticommunisme. Le congrès pour la liberté de la culture à Paris (1950-1975), Paris, Fayard, 1995, p. 139.
  2. Ibid., p. 618.
  3. Ellen Schrecker, "Congressional Committees and Unfriendly Witnesses", extrait de The Age of McCarthyism: A Brief History with Documents, St. Martin's Press, 1994.
  4. Albert Einstein, The McCarthy Era
  5. Michel Duchein, Histoire de l’Ecosse, Paris, Fayard, 1998, p. 487.
  6. Peter Weiler, British Labour and the Cold War, Stanford University Press, 1988, p. 108.
  7. Ibid.
  8. James Obelkevich, « Past and Present. Marxisme et histoire en Grande-Bretagne depuis la guerre », Le Débat, vol. XVII, 1981, p. 91.
  9. Ibid., p. 137.
  10. Eric Hobsbawm, « Maurice Dobb », dans Charles Hilliard Feinstein (éd.), Socialism, Capitalism and Economic Growth. Essays Presented to Maurice Dobb, Cambridge University Press, 1967, p. 8.
  11. History of the Communist Party of the USSR, Past and Present, Bombay, Orient Longman, 1977, 485 p.
  12. Richard Vinen, « Marxisme et écriture de l’histoire en France et en Grande-Bretagne », dans Serge Berstein et Pierre Milza (dir.), Axes et méthodes de l’histoire politique, Paris, 1998, p. 127.
  13. Hillel Ticktin, « The State of Soviet Studies in the Post-War Period. A View from the Left », 1994.
  14. Le Monde