Mémoires de guerre

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Mémoires de guerre
Auteur Charles de Gaulle
Genre Mémoires
Pays d’origine France France
Éditeur Plon
Date de parution 1954, 1956, 1959
Nombre de pages 2 053

Les Mémoires de guerre est une œuvre littéraire écrite par Charles de Gaulle, qui s'étend sur trois tomes. Chacun correspond à une étape précise de la Seconde Guerre mondiale (le titre de l'œuvre, la période à laquelle il renvoie, la date de composition) : L'Appel, 1940-1942 (1954), L'Unité, 1942-1944 (1956) et Le Salut, 1944-1946 (1959). Mémoires historiques, elles mettent également en lumière les qualités d'écrivain de de Gaulle, son style et sa pensée romanesque, et sa culture littéraire importante lorsqu'il met clairement en échos certains passages lyriques de son récit avec les grandes œuvres classiques françaises (Lamartine, Paul Valéry, Châteaubriand...).

[modifier] Les Mémoires

Charles de Gaulle expose dans cet ouvrage l'épopée de la France libre au cours de la Seconde Guerre mondiale et décrit son déroulement avec beaucoup de minutie. Il ajoute pour étayer ses propos des documents en annexe, comme des cartes, des chiffres ou des télégrammes. Il se place en défenseur des valeurs françaises traditionnelles, en patriote luttant pour la grandeur de son pays, et les premières phrases de ces Mémoires reflètent déjà sa fierté nationale et sa vision de la France :

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée imminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. »

Le lyrisme et la qualité de l'écrivain se manifestent en plusieurs passages, souvent émotionnellement forts, où de Gaulle deploie une langue digne des grands auteurs classiques qu'il aime et qu'il cite parfois. Ceci est particulièrement évident dans sa description de la libération de Paris et sa descente des Champs-Élysées du 26 août 1944 :

« Ah ! C'est la mer ![1] Une foule immense est massée de part et d'autre de la chaussée. Peut-être deux millions d'âmes. Les toits aussi sont noirs de monde. À toutes les fenêtres s'entassent des groupes compacts, pêle-mêle avec des drapeaux. Des grappes humaines sont accrochées à des échelles, des mâts, des réverbères. Si loin que porte ma vue, ce n'est qu'une houle vivante, dans le soleil, sous le tricolore. Je vais à pied. Ce n'est pas le jour de passer une revue où brillent les armes et sonnent les fanfares. Il s'agit, aujourd'hui, de rendre à lui-même, par le spectacle de sa joie et l'évidence de sa liberté, un peuple qui fut, hier, écrasé par la défaite et dispersé par la servitude. Puisque chacun de ceux qui sont là a, dans son cœur, choisi Charles de Gaulle comme recours de sa peine et symbole de son espérance, il s'agit qu'il le voie, familier et fraternel, et qu'à cette vue resplendisse l'unité nationale. [...] Je vais donc, ému et tranquille, au milieu de l'exultation indicible de la foule, sous la tempête des voix qui font retentir mon nom, tâchant, à mesure, de poser mes regards sur chaque flot de cette marée afin que la vue de tous ait pu entrer dans mes yeux, élevant et abaissant les bras pour repondre aux acclamations. Il se passe, en ce moment, un de ces miracles de la conscience nationale, un de ces gestes de la France, qui parfois, au long des siècles, viennent illuminer notre historie. Dans cette communauté, qui n'est qu'une seule pensée, un seul élan, un seul cri, les différences s'effacent, les individus disparaissent. Innombrables Français dont je m'approche tour tour, à l'Étoile, au Rond-Point, à la Concorde, devant l'Hôtel de Ville, sur le parvis de la cathédrale, si vous saviez comme vous êtes pareil. Vous, les enfants si pâles, qui trépignez et criez de joie ; vous, les femmes, portant tant de chagrins, qui me jetez vivats et sourires ; vous, hommes, inondés d'une fierté longtemps oubliée qui me criez votre merci ; vous, les vieilles gens qui me faites l'honneur de vos larmes. Ah ! Comme vous vous ressemblez ! Et moi, centre de ce déchaînement, je me sens remplir une fonction qui dépasse de très haut ma personne, servir d'instrument au destin. »

De même, son style grandiloquent et ses qualités de portraitiste (parfois acerbe) apparaissent dans la description morale qu'il dresse du maréchal Pétain au lendemain de leur dernière rencontre le 14 juin 1940, alors que celui-ci va être appelé à prendre la tête d'une France défaite et capitulante et que lui même s'apprête à lancer son appel du 18 juin :

« Quel courant l’entraînait et vers quelle fatale destinée ! Toute la carrière de cet homme d’exception avait été un long effort de refoulement. Trop fier pour l’intrigue, trop fort pour la médiocrité, trop ambitieux pour être arriviste, il nourrissait en sa solitude une passion de dominer, longuement durcie par la conscience de sa propre valeur, les traverses rencontrées, le mépris qu’il avait des autres. La gloire militaire lui avait, jadis, prodigué ses caresses amères. Mais elle ne l’avait pas comblé, faute de l’avoir aimé seul. Et voici que, tout à coup, dans l’extrême hiver de sa vie, les événements offraient à ses dons et à son orgueil l’occasion, tant attendue ! de s’épanouir sans limites ; à une condition, toutefois, c’est qu’il acceptât le désastre comme pavois de son élévation et le décorât de sa gloire. [...] Malgré tout, je suis convaincu qu’en d’autres temps, le maréchal Pétain n’aurait pas consenti à revêtir la pourpre dans l’abandon national. Je suis sûr, en tout cas, qu’aussi longtemps qu’il fut lui-même, il eût repris la route de la guerre dès qu’il pût voir qu’il s’était trompé, que la victoire demeurait possible, que la France y aurait sa part. Mais, hélas ! les années par-dessous l’enveloppe, avaient rongé son caractère. L’âge le livrait aux manœuvres de gens habiles à se couvrir de sa majestueuse lassitude. La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s’identifier avec le naufrage de la France. »

[modifier] Notes et références

  1. « Voyez, c'est la mer ! » Lamartine à Hugo évoquant une autre foule de parisiens lors de la Révolution française de 1848 (Choses vues, 25 février 1848)