Louis Althusser

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Louis Althusser, né à Birmandreis (Algérie) le 16 octobre 1918, mort à l'hôpital de La Verrière (Yvelines) le 22 octobre 1990 et inhumé au cimetière de Viroflay, est un philosophe français.

Il est considéré comme un acteur majeur du courant structuraliste des années 1960 avec Claude Lévi-Strauss, Jacques Lacan, Michel Foucault.

Sommaire

[modifier] Biographie

Issu d'une famille alsacienne et catholique installée en Algérie, il fait des études à Alger et Marseille. Il intègre ensuite la khâgne du Lycée du Parc à Lyon, où il a comme professeur de philosophie Jean Guitton. Reçu à l'École normale supérieure en 1939, il est mobilisé et fait prisonnier en 1940. Il passe le reste de la guerre au Stalag de Schleswig, où il connaît ses premiers troubles psychiatriques (liés à un trouble bipolaire). De 1945 à 1948, il est élève de l'ENS : il est reçu second à l'agrégation de philosophie. Il devient marxiste et il intègre le Parti communiste en 1948. La même année, il devient assistant à l'École normale supérieure et le restera jusqu'en 1980. Son activité est entrecoupée de séjours dans des cliniques psychiatriques.

Le 16 novembre 1980, il étrangle son épouse, Hélène Rytmann, dans leur appartement de l'École normale supérieure ; il l'annonce au médecin de l'ENS, le Dr Étienne, qui contacte les autorités psychiatriques. Althusser est envoyé au Centre hospitalier Sainte-Anne.

La justice le déclare dément au moment des faits en février 1981 en vertu de l'article 64 du code pénal de l'époque : « il n’y a ni crime ni délit lorsque l’accusé était en état de démence au moment des faits » (aujourd'hui remplacé par l'article 122.1 : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »).

[modifier] Le projet autobiographique

Dans le journal Le Monde du 14 mars 1985, Althusser lit un article de Claude Sarraute au sujet du succès du livre du Japonais Issei Sagawa, qui racontait comment il avait tué et mangé une jeune Hollandaise ; il avait effectué un bref séjour en hôpital psychiatrique en France, puis avait été renvoyé dans son pays en bénéficiant d'un non-lieu. Claude Sarraute écrit : « Nous, dans les médias, dès qu'on voit un nom prestigieux mêlé à un procès juteux, Althusser, Thibaut d'Orléans, on en fait tout un plat. La victime ? Elle ne mérite pas trois lignes. La vedette, c'est le coupable. »

Des amis d'Althusser lui suggèrent de protester ; mais la critique a visé juste, car Althusser a bénéficié d'un non-lieu qui l'a préservé d'un procès. Il décide donc d'entreprendre une autobiographie pour s'expliquer sur son geste : ce sera L'Avenir dure longtemps (pour la genèse de cette œuvre, cf. la Présentation, par Olivier Corpet et Yann Moulier Boutang, de L'Avenir dure longtemps, Paris, Stock, 1992, p. II sq. en particulier).

Une pièce de théâtre intitulée Le Caïman (2006) met en scène le meurtre en ajoutant un zeste d'ambiguïté aux raisons de celui-ci.

[modifier] Pensée

Selon lui, il faut revenir à un aspect scientifique et déterministe de la théorie marxiste, contre les interprétations et utilisations humanistes et idéologiques. Il affirme qu'il existe une coupure épistémologique qu'il établit entre le jeune Marx (Manuscrits de 1844…) et le Marx qui a établi la conception matérialiste de l'histoire (L'Idéologie allemande, Le Capital..). Il rejoint la thèse de Marx selon laquelle toute philosophie méconnaît la réalité pratique à laquelle elle correspond, particulièrement pour son versant idéaliste.

[modifier] Lire Marx en philosophe

Il entreprend une relecture systématique et minutieuse de Marx, pour en dégager le fond scientifique, contre les interprétations idéologiques des partis politiques et l'écrasement sous l'idéologie d'État du stalinisme triomphant : il s'agit de défaire là l'idéologisation de Marx par le stalinisme. Mais également une relecture contre les interprétations humanistes et économistes (qui vont de pair), qui édulcorent le sens, la force d'invention, la puissance analytique et le caractère original, subversif et novateur sur un mode sui generis. Dans son premier recueil, Pour Marx, il déclare entreprendre de relire Marx pour le dégager des scories déposées par l'histoire : soit, sur le versant de l'histoire politique, le stalinisme ; et sur le versant de l'histoire des idées (car on ne peut parler véritablement de tradition philosophique à propos des lectures et interprétations de Marx, tout particulièrement en France dont il souligne la misère de la tradition philosophique dans ce domaine), l'évolutionnisme et les diverses formes abâtardies de la philosophie des Lumières. À quoi il faut ajouter aussi, le contexte, ou encore l'état de la philosophie à l'Université, avant qu'elle ne connaisse, dans les marges de cette dernière, une renaissance avec Jean Hyppolite, lecteur et traducteur de Hegel, Gaston Bachelard, Alexandre Koyré et Georges Canguilhem, fins épistémologues, Martial Gueroult, lecteur de Spinoza, Marcel Conche redécouvreur des matérialistes antiques, de Montaigne et lecteur attentif de Heidegger, Maurice Merleau-Ponty importateur de la phénoménologie en France avant Emmanuel Lévinas. Un certain nationalisme en philosophie règne à l'Université, qui enferme la philosophie dans un provincialisme étroit lui faisant ignorer quasiment la tradition allemande après Kant, c’est-à-dire principalement Hegel et Marx, se désintéresser de l'épistémologie, mépriser le courant matérialiste en philosophie, ainsi que la psychanalyse, le tout résumé par une critique de l'état de la philosophie sous sa forme universitaire, qui enseigne une docte ignorance.

Althusser va selon ses tenants rendre Marx à nouveau lisible, en le dégageant des sédiments qui le recouvrent, telle la statue de Glaucus, dieu marin évoqué par exemple par Rousseau dans le Discours sur l'origine de l'inégalité. Rendre Marx à nouveau lisible c'est découvrir en Marx le philosophe ignoré jusque là. Il s'agit du projet de découvrir sa philosophie à l'œuvre dans son maître ouvrage Le Capital. Également Marx en tant que théoricien de l'histoire, et c'est la découverte, inaugurée par Marx, du "continent histoire", comme pratique nouvelle d'une histoire qui accède à la dimension de science. Et Marx en tant qu'initiateur d'une théorie du Capital et de la critique de l'économie politique, cette dernière qualifiée par Marx de sublimation des intérêts de la bourgeoisie érigée en discipline aux prétentions savantes.

Cette nouvelle lisibilité initiant un intérêt inédit pour Marx théoricien majeur, par delà les avatars de l'utilisation politique qui l'avait complètement effacé jusqu'à le faire quasiment disparaître, sera le fait d'une injection de tout ce que la pensée contemporaine compte de plus fort et créateur dans les domaines de l'épistémologie, de la linguistique, et de la psychanalyse, dont il importe certains concepts en leur donnant un nouveau sens et une nouvelle fonction. Du côté de la tradition ce seront essentiellement, Hegel, Spinoza, Hobbes, Machiavel et toute la philosophie politique relus et combinés, pour ne pas dire insérés au cœur des analyses de Marx. Ce sera le courant dit structuraliste, anti-humaniste et critique de l'historicisme (sous l'effet des lectures de Heidegger) qui, de manière concomittente avec Lévi-Strauss, Lacan, et bientôt Foucault, feront apparaître dans leurs champs respectifs d'investigation, la réalité comme effet de structures.

Cette réinvention de Marx aura pour effet une renaissance véritable de la pensée marxiste tout à la fois contre le marxisme et contre la platitude idéaliste régnant à l'Université. L'entreprise rencontra un public comme en attente de ce nouveau souffle, à nouveau l'esprit habitait la philosophie, et pour la première fois sans doute, celle de Marx.

La vision d'Althusser a été très critiquée notamment par des marxologues, mais aussi beaucoup plus largement : l'accusation de déformation de la pensée de Marx est même présente dans un film de Jean-Luc Godard, Vent d'Est, où la préface d'Althusser au Capital est raillée. La leçon d'Althusser écrit par Rancière en 1974 (éditions Gallimard) constitue probablement l'une des critiques les plus radicales des thèses et des pratiques d'Althusser.

[modifier] Théorie et pratique

« Dans la Thèse n°1 sur Ludwig Feuerbach, il existe une information capitale donnée par Marx : le défaut majeur de tout matérialisme jusqu’ici a été l’oubli systématique de l’activité pratique. On ne doit pas interpréter cela comme une nouvelle philosophie de la praxis. Marx ne fait pas intervenir une nouvelle notion philosophique. Il fait allusion à "une réalité qui possède cette particularité d’être à la fois présupposée par tous les discours philosophiques traditionnels, et d’en être par nature exclue en personne." "Cette irruption de la pratique dans la tradition philosophique […] constitue dans le principe une critique radicale de la forme d’existence classique de la philosophie." Or, l’irruption de la pratique, c’est la dénonciation de cette prétention de la philosophie d’embrasser le Tout, de n’avoir pas de dehors. Ce dehors, que la philosophie veut se donner l’illusion de soumettre à la vérité, c’est la pratique. La pratique produit non pas la Vérité, mais les vérités.
Chez Marx, la pratique n’est pas un substitut de la Vérité pour une philosophie inébranlable (comme pour toute philosophie de la praxis). La pratique surprend la philosophie sur ses arrières. La philosophie estime « avoir introduit dans le domaine de la pensée la totalité même de tout ce qui existe, même la boue, disait Socrate, même l’esclave disait Aristote, même l’accumulation de la richesse à un pôle et la misère de l’autre disait Hegel. » La philosophie voit tout, pense tout. "De fait, toutes les pratiques sociales sont là dans la philosophie, et la fabrication des souliers et des navires, et l’argent, et le salaire, et la politique et la famille, …" Mais pour réussir à tout regrouper sous la Vérité, la philosophie ne les a pas simplement transportées en respectant leur nature. Elle les a transformées. Et c'est le génie de Marx d'avoir montré comment et pourquoi elle les transforme. » Conférence de Grenade, 1976, La transformation de la philosophie.

[modifier] Citation

"Un philosophe idéaliste est comme un homme qui sait d'avance et d'où part le train dans lequel il monte et (…) où va le train. le matérialiste, au contraire, est un homme qui prend le train en marche (le cours du monde, le cours de l'histoire, le cours de sa vie) mais sans savoir d'où vient le train ni où il va" Matériaux, 1994

[modifier] Œuvres

  • Montesquieu, la politique et l'histoire, PUF, 1959.

Réédition en coll. « Quadrige ».

  • Pour Marx, Maspero, coll. « Théorie », 1965.

Réédition augmentée (avant-propos d'Étienne Balibar, postface de Louis Althusser) La Découverte, coll. « La Découverte / Poche », 1996.

Rééditions coll. « PCM », 4 volumes, 1968 et 1973, puis aux PUF, coll. « Quadrige », 1 volume, 1996.

  • Lénine et la philosophie, Maspero, coll. « Théorie » 1969.

Réédition augmentée sous le titre Lénine et la philosophie (suivi de Marx et Lénine devant Hegel), coll. « PCM », 1972.

  • Réponse à John Lewis, Maspero, coll. « Théorie », 1973.
  • Philosophie et philosophie spontanée des savants (1967), Maspero, coll. « Théorie », 1974.
  • Éléments d'autocritique, Hachette, coll. « Analyse », 1974.
  • Positions, Éditions Sociales, 1976. Réédition coll. « Essentiel », 1982.
  • XXIIe Congrès, Maspero, coll. « Théorie », 1977.
  • Ce qui ne peut plus durer dans le parti communiste, Maspero, coll. « Théorie », 1978.
  • L'avenir dure longtemps (suivi de Les faits)], Stock / IMEC, 1992.

Réédition augmentée et présenté par Olivier Corpet et Yann Moulier Boutang. Le Livre de Poche n° 9785, 1994.

  • Journal de captivité (Stalag #4 1940-1945), Stock / IMEC, 1992.
  • Écrits sur la psychanalyse. Freud et Lacan, Stock / IMEC, 1993.

Réédition Le Livre de Poche, coll. « Biblio-essais », 1996.

  • Sur la philosophie, Gallimard, coll. « L'infini », 1994.
  • Philosophie et marxisme : entretiens avec Fernanda Navarro (1984-1987)
  • La Transformation de la philosophie : conférence de Grenade (1976).
  • Écrits philosophiques et politiques 1, textes réunis par François Matheron, Stock / IMEC, 1994. - 588 p.
  • L'internationale des bons sentiments (1946)
  • Le retour à Hegel (1950)
  • Sur l'obscénité conjugale (1951)
  • Marx dans ses limites (1978)
  • Sur la reproduction, PUF, coll. « Actuel Marx Confrontations », 1995.
  • Écrits philosophiques et politiques 2, textes réunis par François Matheron, Stock / Imec, 1995. - 606 p.
  • Machiavel et nous (1972-1986)
  • Sur Feuerbach (1967)
  • Sur Lévi Strauss (1966)
  • Sur Brecht et Marx (1968)
  • Cremoni, peintre de l'abstrait (1977)
  • Lam (1977)
  • Solitude de Machiavel, présentation de Yves Sintomer, PUF, coll. « Actuel Marx Confrontations », 1998.
  • Penser Louis Althusser, Le Temps des Cerises, 2006
  • Politique et Histoire de Machiavel à Marx - Cours à l'École normale supérieure 1955-1972, Seuil, coll. Traces écrites, 2006

[modifier] Liens externes